Une journée comme toutes les autres dans la vie de Sirius. Il serait difficile qu’il en soit autrement de toute façon étant donné que son quotidien n’est que routine depuis six ans maintenant. Se rendre à l’hôpital, à son travail. S’occuper de ses patients. Leur accorder tout son temps et son énergie. Aller chercher du café au Starbucks ou au Midnight Cup. Déjeuner avec Léone, ou un autre collègue. Parfois, croiser Lyzianna et la rendre furieuse. Rentrer chez lui, seul. Allumer la télévision et s’endormir devant après s’être fait livré son repas. Il préfére ne pas réfléchir à cette routine. Elle lui convient parfaitement, lui évitant de penser aux choses qui le font souffrir. Se noyer dans le travail, c’est une solution comme une autre, non ?

Le dossier d’un patient entre les mains, Sirius se rend au secrétariat de l’aile psychiatrique. « Miranda, pourriez-vous me ressortir le dossier de ce patient. Il est venu il y a une dizaine d’années apparemment. » A l’époque, il n’était même pas encore interne, mais seulement étudiant et tout n’était pas aussi numérisé. Quel dommage. Après quelques recherches sur l’ordinateur, son assistante lui indique alors que ça va prendre un peu de temps car elle devra aller chercher le dossier papier aux archives. Il lui sourit et lui souhaite une bonne soirée avant de retourner à son bureau. Un peu de rangement et de paperasse plus tard, le brun échange sa blouse contre sa veste de citadin et sort de l’hôpital.

Le temps n’est pas ce qu’on pourrait qualifier de clément. C’est même tout l’inverse avec cette pluie qui tombe à torrent. En un rien de temps, les cheveux du psychiatre sont remplis d’eau, et le panneau qui indique les horaires de bus est presque illisible. Sirius enlève de sa manche, la pluie sur le panneau d’information et y voit qu’il vient tout juste de louper le bus. Le prochain ne sera qu’une demi-heure plus tard… « Et merde. » Plus poisseux, tu meurs. L’homme décide de retourner dans le hall de l’hopital où il pourra attendre à l’abri, tout en pianotant sur son téléphone portable. Il court vers l’intérieur. Quelques personnes le dévisagent. Il faut dire qu’il n’a pas vraiment fière allure. Il s’asseoit près de la porte d’entrée, là où il y a pas mal de passage.

C’est au bout d’une dizaine de minutes qu’il relève la tête et remarque une femme qu’il a l’impression d’avoir déjà vu, sans pouvoir ressituer. Il croise tellement de monde à l’hôpital sans connaitre les gens, que ce ne serait pas étonnant. Il la suit du regard, de manière plutôt intense, voir peu polie. Ce n’est jamais poli de dévisager les gens trop longtemps. Il semblerait qu’elle finisse par le remarquer. Mince. Il baisse aussitôt les yeux avant de les relever et il se sent presque obligé de lui dire : « Désolé, on se connait, non ? J’arrive pas à resituer. »

@Linh Robinson

Dans le genre, "je sais ce qui est bon pour toi, mieux que toi" Alex était une spécialiste. Elle avait prit la tête de sa petite soeur toute la soirée; ou plutôt la nuit, juste parce que Linh s'était réveillée en plein milieu de la nuit en poussant un hurlement. Un hurlement qui avait bien sûr réveillée Alex qui s'était empressée de venir à son chevet. Dans le fond, c'était agréable. Linh détestait se réveiller seule quand elle venait de faire un cauchemar mais du coup, Alex lui avait prit la tête. Beaucoup. Beaucoup. Linh lui avait dans un premier temps raconté son cauchemar. Rien de bien différent de d'habitude. Un tsunami, cette vague de vingt mètres de haut qui étouffait, cette sensation de perdre le peu d'oxygène qui lui restait puis la vision de son père, un fantôme lui disant de se battre, que son heure n'était pas encore arrivée. Ce cauchemar il revenait sans cesse. Refletait il la réalité ? Quelque chose qui s'était produit quinze ans plus tôt ? Elle se souvenait de tout, sauf du temps où elle était restée sous l'eau, luttant pour sa vie avant qu'un homme ne vienne la sauver et l'arracher des bras de ce monstre marin. La deuxième partie de la nuit avait été plus fatiguante. Alex avait vérifié chacune de ses constantes, se rendant compte qu'elle avait suffoquée et donc manqué d'air à en juger la machine à oxygène branchée toutes les nuits au visage de Linh. Comme à son habitude, Alex était inquiète. "Tu devrais peut être retourner voir Sirius, tu faisais moins de cauchemar quand t'avais un suivi régulier." Sirius ?! Ce connard de psy ? Hors de question. Pourtant, les choses ne se passaient pas mal quand Linh allait le voir quelques années auparavant. Au contraire, il l'aidait vraiment à avancer. A mettre des mots sur ses maux, plus particulièrement sur sa peur phobique de l'abandon. Mais depuis, plus d'un an, Linh refusait de retourner le voir et la raison à cela était très simple. "Ce connard qui t'embrasse et qui ensuite t'ignores ?! Même pas en rêve !" Elle n'avait pas du tout envie de le côtoyer. Alex avait ensuite passée plus d'une heure à lui expliquer que cela n'avait rien à voir avec son métier qui en l’occurrence, il faisait très bien. Pour avoir la paix, Linh avait finit par lui dire qu'elle irait le voir. Elle avait donc pu se rendormir tranquillement.

Linh avait passé une journée de merde. Elle s'était une nouvelle fois engueulée avec Jayden. Enfin, il l'avait engueulé plutôt. Quand il s'agissait de Jayden, elle n'avait pas son caractère habituel. Elle baissait les yeux et attendait que ça passe. D'abord parce que c'était son patron mais surtout parce qu'elle se sentait terriblement coupable vis à vis de lui. Coupable de ne pas avoir pu sauver sa femme. Depuis, il lui en voulait terriblement. La fin de journée avait été plus calme heureusement mais Linh gardait en elle les reproches que Jayden lui avait fait toute la matinée. Résultat, elle ne rêvait que d'un bon bain et de surfer tranquillement sur le web à la recherche de nouvelles fringues. Le shopping était le secret pour calmer ses colères. Un texto d'Alex lui rappela malheureusement, qu'elle devait se rendre à l'hôpital pour prendre un rdv avec Sirius. Et merde pas le choix, elle devait y aller où Alex lui prendrait encore la tête toute la soirée.

Arrivée à l'hôpital, trempée qui plus est à cause du temps pourri qu'il faisait dehors, elle se dirigea vers l'accueil quand elle vit le principal intéressé dans le hall. Très bien, elle allait pouvoir prendre rendez-vous directement à la source et éviter de faire la queue à l'accueil. Elle s'approcha de lui et celui-ci la dévisagea comme si elle était un extraterrestre. Okay, elle devait sûrement être moche avec ses cheveux qui dégoulinaient de pluie. Il lui demanda alors s'ils se connaissaient ?! Ah ouais carréement pensa t-elle. Etait ce une technique pour ne pas se confronter à elle et à son jugement quand au fait qu'il embrassait sa soeur et faisait ensuite le mort ?! En tout cas, Linh n'avait pas l'habitude qu'on l'oublie. Son look androgyne était plutôt inoubliable. Elle toussota légèrement en mettant une main son coeur, comme pour faire comme si elle était outrée qu'il ne se souvienne pas d'elle. "J'ai quand même été ta patience pendant plus d'un an." Oui elle le tutoyait. Etant donné qu'Alex était la soeur de Linh, Sirius, lui avait demandé de le tutoyer précisant que les choses seraient plus simples ainsi. "Ou peut être que tu n'as juste pas envie de te rappeler de moi comme tu as tendance à rayer les gens rapidement de ta vie après les avoir embrasser. " Elle se pencha légèrement vers lui pour murmurer :"Rassure toi, moi tu ne m'as pas embrassé hein. T'es pas du tout mon genre." Voilà, Linh allait pouvoir passer toute sa colère sur quelqu'un, il tombait bien ce Sirius.

Sirius n’avait visiblement pas la tête sur les épaules aujourd’hui, lié sans aucun doute à sa journée et à cette histoire de pluie et de bus raté. Dès qu’on bouge un peu sa routine, il a tendance à être un peu déstabilisé. Quoi qu’il en soit, il n’avait pas reconnu Linh, bien qu’il l’ait suivi pendant plus d’un an. On aurait beau mettre ça sur le compte du fait qu’il n’est pas très physionomiste, ça ne suffirait pas à l’excuser pleinement. « Linh, bien sûr. » Il lui sourit, mais visiblement, le plaisir de ces retrouvailles n’est pas partagé, à en croire le ton qu’elle utilise avec lui. Il fronce les sourcils quand elle lui parle de baiser, ne voyant pas réellement où elle veut en venir. Cela lui fait tout de même assez rapidement tilt alors qu’il se remémore le lien entre Linh et Alex, Alex qu’il a tenté d’embrasser une fois, aux alentours d’un moment d’égarement. Quelle idée il avait eu ce jour là ! Il s’en était immédiatement voulu, se sentant coupable envers la mémoire de Nyla. Puis, il s’en était voulu par rapport à Alexandra, aussi, évidemment. Il lui avait fait miroiter une possible relation, peut-être. A moins qu’elle n’y ait pas du tout songé ? Il avait pris tellement de soin à l’éviter depuis ce jour-là qu’ils n’en avaient jamais reparlé. Sirius s’était alors mis en tête qu’il avait trompé la jeune femme dans un sens, sur ses intentions, alors qu’il n’était pas du tout prêt à se relancer dans une histoire, peu importe la nature de la relation. L’amitié de sa collègue lui manquait terriblement, mais cela ne suffisait pas à ce qu’il saute le pas et assume la responsabilité de ses actes. Pourtant, de simples excuses suffiraient peut-être.

« Je ne suis pas certain que c’est avec toi que je devrais avoir cette conversation. » finit-il par dire, dubitatif et ayant du mal à fixer le regard de la jeune femme. Il n’est pas certain qu’il devrait avoir cette conversation tout court en fait, pour tout dire. Il baisse les yeux, puis après une légère pause, s’aventure à demander d’un ton hésitant : « Elle t’en a reparlé ? » Ce qui voudrait dire qu’elle lui en veut encore après tout ce temps et qu’il fait donc bien de l’éviter… Et merde. Le cœur du psychiatre se serre. Il déteste être en conflit avec les gens, et ce sentiment de culpabilité est vraiment dur à porter. Sirius devient rougeâtre malgré lui et tort ses doigts entre eux, nerveux. « Je n’oublie jamais mes patients… Mais là, j’avoue que j’étais dans la lune. Désolé. » Une explication plausible, ou pas. Quoi qu’il en soit, il trouve préférable de faire des excuses à la jeune femme.

Pendant quelques temps, voire plusieurs mois, Sirius Vandesky n'avait été qu'un simple ami et collègue de sa soeur adoptive et son psychiatre. Un bon psychiatre elle devait l'admettre. Depuis qu'elle était gosse, elle passait son temps chez les psys. Elle avait survécu à un tsunami, était atteinte de mucoviscidose, avait été adopté et se sentait plus homme que femme. Bref, des raisons suffisantes pour que ses parents s'inquiètent pour elle et l'envoient discuter avec "quelqu'un" comme il disait. Au fil des années, Linh avait apprit à faire ce qu'elle voulait de ces psychiatres, faisant semblant tellement bien que la plupart du temps, ils n'y voyaient que du feu. Quand elle avait commencé à voir Sirius sur demande d'Alex (pas bête la guêpe), elle n'avait pas pu l'avoir comme elle avait eu les autres. Sirius Vandesky était un bon psychiatre. Il se rendait compte des choses et il voyait quand Linh essayait de masquer ses angoisses. Ses angoisses de mort par exemple en faisant de l'humour ou en changeant de sujet. Il était un bon psy; trop bon sans doute et pendant quelques temps; Linh avait songé à changer. Seulement Alexandra ne l'avait pas laissé faire, lui rappelant qu'il était important qu'elle parle à..."Quelqu'un" oui !

C'est plus tard que les choses avaient dégénéré. Quand, un soir, alors qu'elle avait un peu trop bu, Alexandra s'était confiée à sa petite soeur. Un baiser, qui ne voulait certainement rien dire pour tous les deux mais depuis, Sirius était absent de la vie d'Alex et il lui manquait. Après tout, ils étaient amis dans le passé. Cela avait rendu Linh folle de rage. Elle détestait qu'on fasse du mal à sa soeur. C'était comme ça chez les Robinson. On prenait soin les uns des autres. Du coup, c'était terminé les séances chez Sirius. Terminé pour de bon normalement mais Alex avait insisté pour qu'elle reprenne rendez-vous, précisant que ce qu'il s'était passé entre eux ne la regardait en rien. D'accord Alex si tu veux. Elle avait accepté mais finalement quand elle s'était retrouvée nez à nez avec le principal intéressé, elle n'avait pas pu faire comme si de rien était. Linh avait toujours été beaucoup trop franche et avait une fâcheuse tendance à s'occuper des histoires des autres quand celles-ci faisaient du mal à ceux qu'elle aimait.

Sirius ne semblait pas vouloir discuter de cela avec Linh. Dans le fond, il n'avait pas tord, c'était surtout avec Alex qu'il devrait avoir cette discussion mais puisqu'il ne l'avait pas fait et que Linh était ici, il devrait se contenter d'elle. Apparemment, il la remettait. Une chance, car elle se serait un peu vexée, déjà qu'elle était en colère, autant ne pas en rajouter. "Non j'suis d'accord. Ce n'est pas avec moi que tu devrais avoir cette conversation mais t'as pas l'air motivé à l'avoir avec elle." Elle le fusilla du regard. Linh n'avait jamais eu un caractère facile. Pauvre Sirius, il allait peut être en payer le prix. Quoi qu'elle n'avait pas envie d'être méchante avec lui. Dans le fond, elle gardait en tête à quel point il avait su trouver les mots et lui faire du bien dans le passé. "Tu l'as embrassé d'accord ! Ce n'est pas la fin du monde mais...tu étais son ami." Voilà maintenant que c'était dit, elle pouvait se radoucir un peu. Après tout, Alex non plus n'avait pas le temps pour une histoire d'amour ou quoi que ce soit. Alex, elle avait Linh.

Linh laisse son corps lourd se poser à côté de Sirius et resta un petit moment silencieuse avant de reprendre la parole. Il fallait bien se lancer. "En fait, je ne vais pas bien ces temps ci..." Ne pas trop en dire quand même. Elle n'avait pas envie de se dévoiler complètement pour le moment devant un homme contre qui elle était censée être en colère. Un peu au moins. "Et ma soeur, qui pense que tu es quelqu'un de très doué dans ton boulot...pense que je devrais reprendre un rendez-vous avec toi." Elle tourna la tête vers lui, attendant une réponse. Peut être qu'il ne voudrait plus qu'elle soit sa patiente maintenant qu'elle savait qu'il embrassait des médecins et se barrait ensuite comme un lâche.

La culpabilité, vraiment, c’est un sentiment dont Sirius est incapable de se passer. Il aimerait bien pourtant, parce que c’est la première chose qu’il explique à ses patients : qu’il n’est pas bon de vivre dans le passé, de regretter les choses. Pour avancer, il faut savoir tourner la page quand c’est nécessaire, et affronter les choses aussi. Mais Sirius, c’est comme un cordonnier mal chaussé, il est incapable d’appliquer ses propres conseils alors qu’il sait pertinemment qu’ils sont bons. Toujours plus doué pour aider les autres que pour se sauver lui-même, direz-vous. « C’est pas ça… » Ne peut-il s’empêcher de dire dans l’objectif de se défendre lamentablement, quand Linh lui assène qu’il n’a pas l’air motivé à avoir cette discussion. Elle n’est pas si loin de la vérité, en réalité, et il faut bien qu’il le reconnaisse, bien qu’il n’en ait aucune envie. Oui, il était son ami, et c’est bien ça le problème. Il avait tout gâché et avait trop peur d’affronter la jeune femme depuis. Il reste silencieux, Linh aussi.

Elle s’asseoit près de lui et reprend la discussion dans un autre registre. Alex fait donc des compliments sur lui et son métier. Il est bien placé pour savoir que quand cela arrive, la personne n’est pas en colère contre vous, ou en tout cas, il est possible d’arranger les choses… A cette pensée, son cœur se desserre un peu et il décide de faire une proposition à Linh qui semble équitable pour tout le monde. « Je te propose un deal dans ce cas. On reprend nos séances, et j’irais parler à Alex pour m’excuser. » Il lui adresse un sourire plutôt timide. C’est le médecin en lui qui a pris le dessus. Il ne laissera jamais quelqu’un qui ne va pas bien dans le mal et il a l’impression de devoir faire un pas vers Linh pour qu’elle accepte qu’ils prennent rendez-vous. « Qu’est-ce que t’en penses ? » Il faudra qu’il prenne sur lui pour affronter Alexandra, mais après tout, il est plus que temps…

Par automatisme, il sort son téléphone dans lequel sont notés tous ses rendez-vous. Ce sera plus simple pour fixer les choses, et ça lui occupe l’esprit en attendant que la jeune femme à ses côtés acquiesce à son idée. « Tu es toujours avec les pompiers ? Comment ça se passe, tu as des horaires fixes ? » Le revoilà avec ses questions un peu détournées, faisant mine qu’il demande ça dans le but de pouvoir trouver un créneau, alors qu’en réalité, il espère que Linh va lui parler un peu de sa vie.

Toujours assise à côté de Sirius, Linh attend une réaction de la part du psychiatre qui dans son souvenir, savait toujours trouver les mots justes. C'était en tout cas de cette façon qu'elle le percevait quand elle n'était encore que sa patiente. Puis ensuite, il y avait eu cette histoire avec sa soeur et elle s'était dit qu'il n'était peut être pas si doué pour trouver les mots quand il n'était pas dans le cadre de son métier. Une chose pas très étonnante. Linh aussi était très différente dans sa vie de tous les jours que lorsqu'elle travaillait. Pourtant, Sirius lui proposa un deal. Linh reprenait ses séances avec le beau brun et lui allait parler à sa soeur. Cela semblait plutôt équitable et puis Linh savait pertinemment qu'Alex avait besoin de retrouver son ami. Celui auprès de qui elle avait prit l'habitude de se confier et réciproquement. Linh ne répondit rien, se contentant d'un signe de la tête. C'était d'accord. Elle était prête à reprendre un rendez vous avec le jeune médecin. Peut être bien qu'elle en avait très envie d'ailleurs. Si pendant des années elle avait esquiver les psys comme la peste, elle ne s'était jamais sentie mieux que durant cette période où elle voyait Sirius.

Elle le regarda sortir son téléphone, certainement pour noter leur prochain rendez-vous sur son agenda. Le moins que l'on puisse dire c'est qu'il ne perdait pas de temps. Elle ne put s'empêcher de sourire légèrement voyant qu'il était un professionnel engagé et qu'il semblait réellement s'intéresser à ses patients. Une chose que Linh n'avait pas beaucoup rencontré dans le passé. "Non pas trop d'horaires fixes mais..." Ces temps-ci, elle bossait moins. Souvent en arrêt malheureusement puisque sa maladie empirait considérablement. Une chose qu'elle n'avait pas trop envie d'admettre même devant Sirius. C'était trop difficile d'en parler. C'était comme si cela rendait la chose réelle et elle préférait de loin faire comme si elle n'était pas malade justement. "Ces temps-ci, je travaille moins." Il n'était pas question de parler d'arrêt. Il comprendrait bien ce qu'il avait envie de comprendre. En tout cas, elle était relativement disponible pour se plier à ses exigences. Elle haussa les épaules. "Du coup, dis moi quand tu serais disponible et il y a de forte chance que je le sois aussi." Elle baissa la tête. Putain, cette maladie de merde allait même l'empêcher d'exercer son métier. C'était une chose terriblement difficile à accepter. Elle qui s'était tant battue pour réaliser son rêve.

Sirius est soulagé d’entendre que Linh accepte son deal, même si cela signifie qu’il va devoir prendre sur lui pour aller parler à Alexandra, ce qui n’est pas une mince affaire depuis le temps que les choses trainent. S’il y a bien une chose dans la vie que le psychiatre ne maîtrise pas du tout, c’est le contrôle de ses sentiments de culpabilité. Il serait d’ailleurs capable de s’excuser d’exister si on lui demander, tellement il peut avoir l’impression d’être gauche, maladroit, coupable, de ne jamais faire ce qu’il faut. Pourtant, il ne manque pas tellement de confiance en lui, ou disons que ça dépend des domaines… Il sourit à Linh et se dit que franchement, il a été con de ne pas la reconnaître. Qu’est-ce qui lui est passé par la tête une fois de plus ? Concentration Sirius, concentration !

Elle travaille moins ? Il fronce légèrement les sourcils, se demande si c’est le bon moment pour lui demander davantage de précision. Il sait que ça ne l’est pas et il a les idées trop embrumées à cause de la fatigue de sa journée pour tout resituer. C’est bien le genre de psychiatre qui a besoin de prendre des notes pour ne rien oublier des années après, ça c’est sûr. Il regarde son agenda. « Vendredi, dix heures ? Ou mercredi prochain, 15 heures ? » Le planning est rempli tellement rapidement, cela le surprend. Il ne fait pas toujours attention, vu que la plupart des clients voient directement avec Mélinda, la secrétaire du pole psychiatrie, en sortant de leur séance pour planifier la suivante.

Le psy regarde dehors. La pluie ne semble pas vouloir s’arrêter et ça l’énerve un peu. « Tu étais venue juste pour ça ? Je veux dire, à l’hôpital. » Parce que si c’est le cas, sous ce temps… Quelle galère. Un coup de téléphone aurait peut-être été plus simple. Peut-être qu’elle était venue rejoindre sa sœur après tout. Ce serait même plutôt logique. « Parce que de ce temps là, c’est presque héroïque de se déplacer juste pour un rendez-vous. » Il s’en voudrait qu’elle tombe encore plus malade à cause de lui.

Avoir eu cette discussion avec Sirius était presque un soulagement. Linh était une fille qui s'énervait très rapidement mais pouvait redescendre tout aussi rapidement si elle arrivait à avoir une explication avec la personne concernée. Elle n'était pas du genre à cacher ce qu'elle pensait réellement. Parfois trop franche, elle avait besoin de mettre les pieds dans le plat même si quelques fois son mauvais caractère lui valait des tours et lui créait des problèmes. La seule personne à laquelle elle n'arrivait pas à dire ce qu'elle pensait franchement c'était Jayden. Parce qu'il était son patron d'abord. Non, ce n'est pas la vraie raison Linh tu le sais. Non c'était surtout parce qu'elle se sentait coupable. Coupable d'un fait qui avait plus de deux ans. Coupable de n'avoir pas pu sauver sa femme et avoir assistée impuissante à la mort de celle qui était toute la vie de son ami. Une chose qu'il avait en commun avec Sirius puisque Linh savait par sa soeur que lui aussi avait perdu sa femme. Bien que les circonstances étaient différentes, la douleur devait être la même. Linh s'en voulait presque d'avoir agressée Sirius de but en blanc. Surtout qu'il n'était pas le seul fautif et que même si elle avait horreur qu'on fasse du mal à sa soeur, elle avait aussi passé une journée merdique. Elle lui adressa un sourire comme pour s'excuser de son comportement d'hystérique de quelques minutes plus tôt. "Mercredi 15h serait parfait." Elle était inquiète de reprendre ces séances. Non pas parce que Sirius la mettait mal à l'aise ou quelque chose comme ça mais plutôt parce que ces temps-ci, son moral était vraiment bas et en général, elle tentait d'en faire abstraction. Ce ne serait plus possible avec Sirius, il irait appuyer là où ça fait mal.

C'est vrai qu'elle aurait pu téléphoner plutôt que de venir jusqu'ici par ce temps apocalyptique. Seulement, elle était partie faire du shopping sur Staden Island et elle s'était dit qu'il serait plus pratique de se déplacer directement même si elle ne s'attendait pas à tomber sur Sirius. "J'étais dans le coin." Elle laissa échapper un léger rire. "Je ne m'attendais pas à tomber sur toi pour autant même si je dois avouer que passer mes nerfs sur toi m'a permis de me défouler." Elle le poussa légèrement d'un geste de l'épaule. "J'en avais besoin si tu savais." Les journées de merde, elle les enchênait depuis des semaines. Entre sa relation avec Jayden, ses pensées torturées par une certaine Melissa rencontrée en boite et ces quintes de toux de plus en plus intenses qui signifiaient que la mort était proche.

« C'est un peu le coup du hasard... D'habitude, j’attends mon bus dehors. » Un vrai new-yorkais qui se sert exclusivement des transports en commun, n'ayant même pas passé son permis. A quoi bon, quand des métros et des bus circulent à toute heure du jour et de la nuit dans la grosse pomme ? Ce n'est pas comme si l'homme voyageait beaucoup en dehors de l'état et quand bien même, il a toujours un pote pour conduire à sa place. « Mais bon, si je peux être utile ! » Là, il la retrouve et il est heureux de voir son sourire. On dirait de vieux amis, même si ce n'est pas exactement ce qu'ils sont. Presque en fait, dans un sens. « J'imagine que tu n'as pas envie de me raconter tous tes déboires de la journée au milieu d'une salle d'attente bondée ? Alors, vu que mon bus arrive, je vais te dire à mercredi, si ça te va ? » Même s'il est content de pouvoir échanger avec la jeune femme, l'envie de rentrer chez lui est bien présente, et surtout celle de s'allonger dans son lit jusqu'au lendemain. Alors, après une bise qui sert d'au revoir officiel, il court vers l'extérieur pour ne pas louper son transport qui ouvre déjà ses portes.