19h25, à peine installé je reçois un texto, je commande une bière au serveur et regarde mon téléphone, c’est Curtis, il veut savoir comment se passe mon « date » … Je ne prends même pas la peine de répondre. Ces idées idiotes de soirée date c’était bien entendu une idée de Curtis, enfin il n’était pas tout seul à le suggérer je vous l’accord mais mine de rien, je ne me serais pas retrouvé dans ce genre d’endroit sans lui.
Je ne sais pas ce qu’il n’intègre pas dans la phrase « je ne veux pas me caser ». En plus on ne va pas se mentir le mec me dit de trouver quelqu’un alors qu’il est incapable d’en garder une copine plus de 3 semaines, je vous jure c’est l’hôpital qui se fout de la charité !
Enfin je n’ai rien à reprocher à Mindy, la fille de ce soir, elle était très sympa, peut-être un peu jeune mais ça encore ça passe. Non c’est surtout qu’elle avait cette manie de se tripoter les cheveux, Jessica faisait ça aussi, tout le temps, en voyant cette fille ce soir j’ai encore eu ces souvenirs de Jess et je n’ai pas pu … J’arrête pas de dire à mes potes que ça marchera pas, je ne sais pas ce qu’ils ne comprennent pas. Je ne me morfonds plus comme il y a 5 ans, j’ai accepté qu’elle soit partie, bien sûr elle me manque tous les jours que Dieu fait mais j’ai appris à vivre avec son absence. Au final Tesco et moi on est bien, on a besoin de personne d’autre et ces dates à répétition n’y changeront rien. Je ne sais pas pourquoi je continue d’accepter aussi, je devrais leur tenir tête mais bon comme Curtis et les autres ont tendances à tout organiser, lorsqu’ils me mettent au courant le resto est souvent déjà booké, je ne peux pas tellement refuser …
Enfin voilà, avec Mindy ça n’a pas marché non plus, alors me voilà attablé en terrasse d’un resto, j’ai laissé la jeune blonde après l’entrée, je n’ai donc pas mangé, je pense que je vais me prendre un truc à manger ici et je rentrerais tranquillement après. Je décide de ne pas répondre à Curtis, il attendra que je rentre chez moi, ou demain tiens qui sait !
Je me perds alors un instant dans mes souvenirs. Avec Jess on mangeait souvent au restaurant, même si je lui proposais de cuisiner elle aimait manger dehors. Je pense qu’elle aurait aimé cet endroit, il n’existait pas il y a 5 ans c’est dommage, elle aurait surement pris des pâtes, et elle m’aurait charrié si j’avais pris une pizza parce que c’est la seule chose que je n’arrive pas à cuisiner correctement. On aurait surement ris un bon moment et puis on serait rentré après le repas, je lui aurais proposé une balade main dans la main qu’elle aurait forcément refusée me disant d’arrêter d’être nian nian, j’aurais ris et je n’aurais pas insisté. On serait alors rentré, on aurait surement fait l’amour avant de s’endormir dans les bras l’un de l’autre. Une soirée banale, d’un ennui total aux yeux de beaucoup, mais je donnerais tout pour revivre ce genre d’instant avec elle. Elle me manque tellement…

La fin de journée approche, lentement. Quelques derniers clients s’engouffrent dans ta boutique, sur le fil pour acheter un bouquet, choisir une composition. L’effervescence du début de soirée, là ou les gens terminent leurs heures de travail, rentrent chez eux, ou se retrouvent dans un bar, un restaurant. Certainement l’un des moments que tu préfères. Pas seulement pour le nombre de clients que tu peux avoir, mais aussi par cette dynamique particulière. Tu fermeras un peu plus tard ce soir, occupée par ces deux jeunes hommes venus chercher des fleurs pour leur compagne, leur rendez-vous galant. Un sourire, discret, toujours dessiné sur tes lèvres. Les fleurs que tu accordes en fonction des demandes. Ca ne te gêne pas, au contraire. A chacune de ces soirées qui s’éternisent dans ta boutique, t’as l’impression parfois futile de retrouver un peu de ta liberté. Ce semblant de vie normale, qui t’aides à être toi-même, en fin de compte. Et même quand tu penses avoir terminé, il y a un de ces habitués qui débarque, essoufflé, te suppliant de lui préparer un dernier bouquet. Tu ne peux qu’accepter sa demande quand il t’avoue vouloir prendre des fleurs pour se faire pardonner une dispute avec sa compagne. T’as le sentiment de voir l’amour auquel tu ne croyais plus ces dernières semaines, à travers ces personnes qui viennent là. Et ça te fait du bien, en fin de compte. Des roses rouges servies dans un papier rosé, le tout accompagné d’une carte. Un billet, un dernier sourire en échange, et tu peux enfin souffler, fermant la porte à clé après le départ du jeune homme. Le temps d’arranger rapidement ce qui traîne, récupérer ton cahier de comptes que tu glisses dans ton sac. Et tu peux enfin partir à ton tour, exténuée par ces dernières heures. Le nez dans ton sac, à vérifier que tu n’as rien oublié, tu te mets enfin en route pour rentrer chez toi. Tu te demandes déjà ce que tu pourrais te cuisiner, quelque chose de simple et rapide, certainement. Il te faudra faire la comptabilité de la journée avant d’aller te coucher, aussi. Et tu te perds bien rapidement dans tes pensées, avançant vers chez toi. En relevant le nez de tes affaires, tu crois apercevoir au loin l’un des clients de la boutique, surprise de le voir seul. Il était venu chercher un bouquet il y a quelques heures à peine. Un peu hésitante de prime abord, tu finis par te diriger vers lui, ce doux sourire qu’on te reconnait. « Bonsoir. » oses-tu timidement lancer. « Je ne m’attendais pas à vous croiser ici. Tout va bien ? »

Alors que je suis perdu dans mes pensés, une voix me sort de mes rêveries. Je lève la tête et découvre la fleuriste chez qui j’achète très souvent des fleurs.
« Oh bonsoir ! Et oui ça va. »
Parce que je suis pris un peu de court et que j’étais vraiment perdu dans mes souvenirs, je ne suis pas immédiatement très loquace. Ça n’a rien à voir avec elle, au contraire c’est quelqu’un de très sympa. Ça fait des mois que dès que j’ai un date je passe à sa boutique pour chercher un bouquet, elle m’aide d’ailleurs beaucoup parce que moi je n’y connais trop rien en fleurs alors elle me conseille sur quoi mettre et quoi éviter. Honnêtement maintenant je n’ai plus besoin de dire grand-chose quand j’arrive, elle sait déjà pourquoi je viens et j’adore la voir préparer les bouquets, on voit qu’elle est passionnée par son métier, ça devient de plus en plus rare les gens vraiment fans de ce qu’ils font. C’est pour ça que je continue d’aller chez elle et pas ailleurs, il y a un vrai service proposé et puis ces bouquets font toujours sensations, même si les dates sont généralement des échecs cuisants.
« Le bouquet a énormément plu ! Même si ça n’a pas marché, ça n’était pas à cause de vos fleurs ! »
Je me demande ce qu’elle s’imagine, je veux dire, elle sait que je sors régulièrement avec des femmes pour ces fameux dates mais comme ça ne marche jamais je retourne la voir pour une nouvelle femme à chaque fois. Elle doit penser que je suis un gros goujat qui enchaine les conquêtes alors que pas du tout.
« Vous avez terminé votre journée ? Il n’y a plus personne qui a besoin d’un beau bouquet ? »
Je pense qu’on en a tous besoin dans le fond. Certaines personnes prétendent ne pas aimer recevoir des fleurs, j’ai toujours pensé que c’était pas possible, c’est beau les fleurs et dans la plupart des cas ça sent bon, ça donne toujours le sourire ! En tout cas moi j’adore ça et j’imagine qu’elle aussi puisqu’elle en a fait son métier.

C’est pendant ces instants, que tu te trouves chanceuse d’avoir ta boutique. Être parmi les fleurs, offrir quelques sourires aux gens, tu sais dans le fond que c’est de ça dont tu as besoin pour avancer, maintenant que tu te retrouves seule. Alors quitter les lieux plus tard que prévu n’est pas un problème en soit, au contraire. Il te permet de moins penser à tous ces tracas, toutes ces petites choses qui te ramènent inlassablement à Darel, et cette histoire enfin terminée. Plus encore, tu te prends à nouveau au jeu de discuter avec les gens, plus facilement. Certains même depuis, sont devenus des habitués, comme le jeune homme que tu finis par croiser à la terrasse de ce restaurant. « C’est dommage… » souffles-tu en sa direction, d’un sourire bienveillant et timide. Toi qui espères depuis qu’il arrivera à trouver la femme qui puisse le correspondre, à force de le voir venir acheter des fleurs si souvent. Au début, tu as cru qu’il pouvait être un réel Don Juan, mais à force de le voir revenir à chaque fois, tu t’es rendue compte quelque part, qu’il était certainement différent. Du moins, c’est l’idée que tu te fais de lui, à l’image du prince charmant dans Cendrillon, qui fait essayer cette chaussure à toutes les demoiselles du royaume pour retrouver celle qui a su capturer son coeur. Mais tu es une grande romantique, il n’y a rien d’étonnant à ce que tu préfères voir les choses ainsi.
Un nouveau sourire à sa question, plus sincère cette fois, alors que ton attention se reporte sur lui. « Il faut croire que pour ce soir, tout le monde a eu le bouquet qu’il désirait. » réponds-tu de cet air amusé. « Mais bon, la journée n’est pas encore terminée pour moi. » ajoutes-tu enfin, à repenser à tout ce que tu dois encore faire, notamment tes comptes, la cuisine. Peut-être prendras-tu le temps également de regarder si tu ne trouves pas un nouveau fournisseur, ou de nouvelles fleurs à proposer dans ta boutique. La vie d’une fleuriste n’est pas de tout repos, contrairement à ce que d’autres pourraient penser. Mais elle te plaît, et c’est tout ce qui compte finalement.