Jeremy fixait l'horloge juste au-dessus de la porte, comme si le pouvoir de faire bouger les aiguilles venait de lui être transmis. Il avait les mains moites et il ne savait pas quoi faire de ses béquilles. Il les remettait en place presque toutes les deux minutes, passant pour un fou ou un maniaque. Il aurait voulu profiter du simple plaisir de se lever et de marcher pour s'aérer l'esprit. Il rejetait cette idée, car aujourd'hui - plus qu'un autre jour - il avait du mal avec le regard des autres. Son handicap n'avait jamais été un problème pour lui à accepter. Il ne se sentait pas maudit ou puni. C'était ainsi et il avait fait son deuil depuis longtemps. Il n'aimait tout simplement, surtout dans les hôpitaux, le regard, des patients ou des infirmières,, complaisant. Il n'avait ni besoin de leurs pitiés, ni de leurs encouragements. Jeremy s'était toujours refusé de se considérer handicapé. Il considérait juste avoir des problèmes comme tout un chacun. Monsieur, Hernandez ? s’éleva une voix au milieu de la salle d'attente. Un trentenaire se leva et alla rejoindre l'infirmière qui lui remit ses examens. Voici, Monsieur, n'hésitez pas à nous appeler si vous avez des questions.
Jeremy regarda l'heure sur son portable, comme si l'heure avait magicalement changée depuis tout à l'heure. Il avait chaud. Il ouvrit son sweat de sport qui était devenu comme une seconde peau. Quand notre scientifique à la criminelle ne travaillait pas, on le trouvait souvent en tenue de sport. Il ne voulait plus de ses résultats, même si pour les avoir il avait du endurer les mains froides de chef de service sur une partie qui était plus qu'intime. Jeremy avait beau aimer les hommes. Il n'y avait rien de sexy à ses yeux qu'un docteur viennent toucher son service trois pièces surtout quand celui-ci lui jouait défaut. Son urologue l'avait prévenu que sa maladie aurait des conséquences sur sa libido. Il était loin de penser que cela en serait le prix.
Monsieur, Stark ? C'était son tour. Il attrapa ses béquilles aussi élégamment qu'un jockey sur sa monture. Il en était habitué et  aguerri. Il remercia l'infirmière qui lui offrit ce sourire qu'elle offrait à tous, mais qui avait au moins l'ait sincère. Il sortit du service d'urologie et tomba nez à nez avec Alejandro. Oh, fais attention, cowboy.
Il posa une main sur son torse et lui décocha une œillade malicieuse et ajouta : A quelques centimètres, tu me rentrais dedans. Jeremy était ainsi avec Mister Estrella, même s'ils étaient deux inconnues qui se croisaient dans un service que Jeremy aurait voulu fuir en prenant ses jambes à son cou. Ils partageaient un café et quelques échanges pour passer le temps. Jeremy ne savait rien de la vie d'Alejandro. Il connaissait son prénom et son nom de famille, c'était déjà bien. On a beau dire quelques centimètres cela compte.

L’envie d’être ici était toujours à son paroxysme. Un vrai parcours de santé, fait avec le sourire et toute la sympathique qu’on lui connaissait. Mais Jan avait beau garder son sourire et tenter de montrer que ça ne le dérangeait pas, qu’il était capable de rester 15min, le corps à moitié dénudé, à se faire ausculter, ça ne fonctionnait jamais. Encore plus quand la partie « raconter votre histoire » arrivait sur la table. Ça n’était arrivé que deux fois et aux deux reprises, le mexicain avait envoyé tout boulé, dans une colère qu’on ne lui connaissait pas. Il ne pouvait pas en parler, n’y arrivait simplement pas. À chaque fois, pour mieux comprendre l’origine des brûlures, on lui proposait de s'expliquer. Au bout de la seconde demande, le médecin lui avait demandé de prendre rendez-vous avec un psychologue et ça avait suffit à l’agacer pour le restant de sa journée. Heureusement, le chirurgien qui le suivait, le Dr Crowley, était quelqu’un de bien. Une jeune femme sympathique mais surtout professionnelle qui n’outrepassait pas ses droits. C’était surtout les autres le problème, plus jeunes, tous nouveaux, qu’un cas comme le sien attirait comme des mouches sur un pot de confiture. Alors cet après-midi, sachant qu’il devait passer pour récupérer des documents sur les fonds connus pour une possible opération, il avait passé la matinée stressé, les émotions à vifs. Tania, la cuisinière de l’association, avait décelé chez l'homme, quelque chose d’inhabituel et lui avait préparé un café à la cannelle, comme au Mexique. Ça lui avait fait du bien, avait réchauffé son ventre mais pas calmé le reste.

Dans ses pensées, il eut l’air d’un petit chiot surpris quand une voix masculine le rappela à l’ordre. Il n’avait pas fait attention et avait failli foncer dans… Jeremy. Après la gêne passée - il aurait clairement pu lui faire plus de mal que de bien - Jan lui adressa son sourire habituel, solaire et un brin joueur. C’est ce qui lui plaisait chez Jeremy, même s’ils ne se connaissaient pas du tout, un petit jeu s’était installé chez les deux patients depuis leur première rencontre dans une salle d’attente morose. Un jeu qui consistait à se séduire sans jamais aller plus loin. Ça faisait du bien, d'être un homme ici et pas seulement un cas à soigner.
À la dernière phrase du jeune homme, Jan ne pu s’empêcher d’arquer un sourcil, lèvres pincées. Y’a d’autres manières de se rentrer dedans tu sais. En lui répondant avec le même ton taquin et le même genre de sous-entendu, il avait  l’impression de se retrouver 10ans plus tôt. Je dois récupérer des documents, tu as cinq minutes pour un café après ? Sauf si tu es du genre à préférer prendre ton temps. Fier de sa petite réplique, il dodelina légèrement de la tête, le feu montant aux joues. Oui, ça faisait bien longtemps qu’il n’avait pas jouer comme ça, en toute impunité ni peur de représailles.

Jeremy se réjouissait de ce sourire solaire et joueur qui zébrait le visage d'Alejandro. Personne n'avait envie de se morfondre dans ces lieux froids et aseptisés. La peur et la souffrance empestait l'air. Jeremy depuis sa naissance avait l'habitude des hôpitaux. Cela aurait pu devenir une deuxième maison, quelque chose de festif, mais le jeune singapourien avait toujours exécré ces lieux et ceux qui essayaient de vous arracher un sourire. Enfant, il n'avait toujours refusé les jouets et les ballons des clows qui déambulait dans les différents services. On pourrait le croire sans cœur, car il pouvait se sentir chanceux de n'être pas mourant. Il avait des personnes bien plus souffrantes que lui. Il avait pour sa part la chance de pouvoir se lever tout les matins, pouvoir se doucher et mener sa vie sans l'aide de personne. Mais, aujourd'hui, ses résultats étaient tombés, il avait marqué à l'intérieur de ses quelques pages l'avancée de sa maladie. Le sport avait toujours aidé le jeune Stark. La musculation avait repoussé son mal et il avait été bien pendant un temps. Il se sentait puissant et capable de tout, jusqu'au jour où il n'avait pas pu se lever un matin. Une telle douleur dans ses membres inférieures qu'il avait roulé jusqu'à la salle de bain pour chercher ses médicaments. Puis, les choses ont lentement dégénérés. Il avait l'impression à présent qu'on lui enfoncer un tisonnier dans l’urètre quand il urinait. Le simple fait de se rendre aux toilettes dans les lieux publics étaient devenus une souffrance. Jeremy ne parlera pas du sexe qui était devenu une bataille. C'était dur pour un homme. Il se sentait diminuer, comme si on lui retirait la chose essentiel qui le composait. Alors, ces jeux avec le cubain, c'était comme touché à nouveau à cette virilité bafoué. C'était un jeu innocent, mais si plaisant.
Il offrit son plus grand sourire sensuel à Alejandro et lui répondit : Ah bon ? Tu penses à ce que je pense ? Soudainement, les résultats sous son bras n'avaient plus d'importance. Il avait l'impression qu'ils étaient deux adolescents aux prises de ces jeux d'enfants qui préfèrent parler plutôt que d'agir. Oh, bonito corazón, il faut pas me parler comme cela. Cela va mal finir pour toi. La main de Jeremy abandonna l'une de ses béquilles et alla effleurer la joue du mexicain du bout de son doigt.   Allez, va. Je t'attends à la cafétéria. Je vais enlever le haut fait vite. Jeremy tourna les talons et se dirigea tranquillement vers la cafétéria. Il commanda deux cafés avec quelques douceurs et attendit Alejandro. Il avait déposé ses résultats sur le coin de la table, mais il préférait les oublier, en attendant il retira son sweat pour découvrir ce torse musculeux dont il était si fier moulé dans son débardeur de sport.

Le jeu installé entre Jeremy et le mexicain était rafraichissant. Sûrement perçu comme inutile ou menant obligatoirement à quelque chose par la suite, pour eux deux, c’était plus qu’une simple partie de séduction d’adolescents. C’était un moyen de penser à autre chose, de réapprendre à avoir confiance malgré leur venue ici. Un hôpital, ce n’est déjà pas quelque chose d’excitant mais ce service, quand on est un homme… Ça a quelque chose d’asservissant. Esclave du corps médical, esclave d’une maladie, esclave des regards, des bistouris, d’une problématique, d’un acte qui n’aurait pas du avoir lieu. Alors même si Jan ne savait pas pourquoi Jeremy venait, bien que l’idée d’une maladie dégénérative soit une supposition étant donné les béquilles, l’homme comprenait. Il savait que jouer, se séduire, s’envoyer des piques parfois trop lourdes de sous-entendus, ça lui faisait du bien, à Jeremy. Ça faisait parti de leur traitement en fin de compte.

Le temps passé au secrétariat lui sembla interminable. Il détestait rester ici, malgré la sympathie du docteur Crowley. Il détestait attendre, se sentir comme un animal blessé qu’on épiait pour comprendre sa blessure. Allait-on le soigner ou le chiquer celui-ci ? Oui, il détestait ce lieu. Alors le quitter pour la cafétéria et retrouver la jolie tignasse rouquine de Jeremy (ainsi que son joli sourire), ce fut comme sa bulle d’oxygène qu’il retrouvait enfin. Désolé ils ont été longs. Deux cafés étaient déjà commandés, Jan n’attendit pas pour en boire une gorgée. Ce n’était pas le meilleur café de sa vie, surtout pour quelqu’un qui en avait servi pendant toute son enfance dans les rues de Tepito, mais ça ferait l’affaire. Le plus important était devant ses yeux. Droit devant même. Tu as pris un peu de muscles, non ? Les yeux plissés, le sourire amusé, le mexicain avait remarqué, au fil de leurs discussions, que Jeremy aimait le sport et que son corps l’illustrait à ravir. Lui cachait les muscles fins dessinés par des années à l’armée et des heures à courir partout et à porter d’innombrables choses au cours de sa vie. Un sport comme un autre ! Mais ce n'était pas le même niveau que le jeune Stark. Et plus les semaines avançaient, plus il remarquait une légère transformation. Jan était pointilleux sur les détails.

Jeremy n'avait rien touché à son café brûlant. Il laissait la vapeur s'élever et disparaître dans l'air. Il n'aimait pas particulièrement le café servit à l’hôpital. Il préférait largement le vrai café à celui-ci qui avait un goût infâme, mais il n'était pas là pour le café. Il était là pour Alejandro. C'était plaisant d'avoir quelqu'un à qui parler. Quelqu'un pour oublier l'odeur de mort et de souffrance qui embaumait l'air. Jeremy pouvait oublier avec le mexicain son handicap. Celui-ci qu'on lui rappelait tous les jours. Il n'avait jamais demandé à être différent et il s'était battu tous les jours de sa vie pour ne pas l'être.

Ne t'excuse pas. J'aurais pu t'attendre encore et encore, beau gosse. Les doigts de Jeremy tapotent son dossier posé non loin de lui sur la table. Il semble moins enclin à jouer aujourd'hui. Il semblait distant et un peu gauche dans sa manière de faire. Il pouvait se montrer beaucoup plus séducteur et aguichant, mais l'ombre de sa maladie avait assombri ses pensées comme son être aujourd'hui. Tu trouves ? Jeremy oublia son dossier et offrit son plus beau sourire. Il souleva son haut et afficha la lignée saillante de ses abdominaux taillés dans le granit. Tu peux toucher si tu veux ? L'étudiant attrapa la main du mexicain et la posa sur son abdomen. Il lâcha ensuite un sourire malicieux avant de rendre la main à son propriétaire. Il baissa son haut et retrouva un peu de pudeur. Il se pencha en arrière, jouant avec son siège et sirota une première gorgée de ce café infâme d’hôpital. Je m'y ferrais jamais à ce café...Tu veux pas m'embrasser ? Cela me ferrait passer  ce goût exécrable ? Jeremy plaisante encore, mais son cœur n'y ai toujours pas là. Son regard n'arrête pas de revenir à son dossier et à son nom imprimé sur celui-ci. Il faudra bien qu'il regarde les résultats un jour, mais il n'a pas envie de savoir combien de jours il lui reste avant de perdre l'usage complet de ses jambes. Il n'a pas envie de se renseigner sur les chaises roulantes et les personnes qu'il doit voir pour arranger son intérieur. La vie est déjà assez sombre comme cela, il n'a pas envie de sombrer et de se perdre.