tu n'es pas même pas encore né quand ton père disparaît de la vie de ta mère, de la tienne aussi par conséquence. tu as presque atteint les deux ans d'existence quand les premiers vrais bleus apparaissent sur ta peau. ça inquiète un peu ta mère, qui part direction les urgences. vous y passez des heures entières, pour rien. c'est juste un bleu. l'année qui suit, tu passes ton temps à te faire des bleus et à visiter les urgences parce que ta mère s'inquiète. elle devrait pas, parce qu'elle est en train de se faire ficher par le personnel de l'hôpital et ça n'augure rien de bon. mais elle s'en rend pas compte, alors elle continue d'aller faire un tour aux urgences ou chez le pédiatre quand tu te fais des bleus aussi foncés que le macadam. tout finit forcément par partir en vrille. tu te casses plusieurs os du bras à plusieurs reprises entre tes quatre et cinq en dévalant les escaliers ou en tombant du haut de la balançoire du parc. tu finis aux urgences, tu repars avec des plâtres. le dossier officieux sur ta mère continue de grossir et elle se doute toujours de rien. à cinq ans et huit mois, un de tes camarades de classe te pousse un peu fort. tu l'avais peut-être provoqué, ou c'était l'inverse, tu t'en rappelles pas vraiment, ça remonte à trop loin. enfin bon, t'as quand même fini le cul par terre, et le poignet droit en arrière pour essayer de te rattraper. ça a pas marché comme tu voulais, l'os a pété. t'as encore fini aux urgences. le dossier a continué de grossir. il a fini par devenir tellement conséquent, que le jour de tes six ans, les services sociaux t'ont retiré à ta mère. joyeux anniversaire malone.

les années défilent. tu n'entends plus jamais parler de ta mère, elle t'a lâchement abandonné dans le système. tu vis en foyer, parfois en famille d'accueil. on a fini par comprendre pourquoi les bleus marquaient si facilement ta peau et pourquoi tes os cassaient comme des brindilles. tu as été diagnostiqué avec la maladie des os de verre. pas le stade le plus grave, mais assez chiant pour qu'on ne précise jamais que tu en souffres quand on essaie de te faire adopter définitivement par une famille. c'est pas très vendeur,  m'voyez. alors tu le dis pas, jamais. mais t'es pas adopté pour autant. si bien que quand t'as dix-huit ans, t'as vécu les trois quarts de ta vie dans un foyer. et t'en as marre, t'as fini de trinquer. alors tu quittes le foyer, t'es considéré assez adulte pour ça. t'es encore un gamin pourtant. tu pars à new-york, avec rien dans les poches et des bleus plein le corps. t'as dix-neuf ans quand tu te lances dans ta première vraie histoire. t'es encore un peu naïf faut croire, pas encore assez esquinté par la vie, parce que tu lui fais tellement confiance à ce mec, que tu lui parles de ta maladie. de tes os qui se brisent plus facilement que ceux de n'importe qui. ça finit mal, vos deux caractères trop forts pour ne pas s'entrechoquer. il te colle une beigne, tu lui rends la pareille. vous vous battez comme des chiens sauvages, tellement bruyamment et brutalement que les voisins préviennent les flics. t'as la gueule en sang et des os brisés, pas lui. t'as frappé aussi fort que lui pourtant. foutue maladie. tu le revois plus après ça. tu ne parles plus de ta maladie non plus, à personne. jamais. il t'a vacciné.

et tu deviens le genre de mec qui fait tout voler en éclat quand ça devient un peu trop sérieux, quand la personne avec qui tu es cherche un peu trop à savoir ce qui se cache sous la surface. alors forcément, t'as fait la même chose avec ce collègue avec qui tu avais fini par flirter. vous avez passé presque deux belles années ensemble, et puis il a commencé à poser des questions. et malone, tu t'es hérissé. t'as montré les crocs et t'as attaqué le premier. t'as tout envoyé bouler, ton mec avec. vous vous êtes séparés à cause de toi, mais tu regrettes pas. pas vraiment. parce que c'est un mec bien, qui mérite d'être heureux. et toi, tu le rendras jamais heureux. alors t'es parti, t'as continué à vivre ta vie. tu t'es fait de nouveaux bleus, tu vas te casser de nouveaux os. et tu vas tout faire voler en éclat la prochaine fois aussi. comme toujours.