Alexandra est rentrée de bonne heure pour une fois afin de se préparer pour ce soir. Offrant son visage au jet d’eau chaude, Alexandra ferme les yeux et soupire d’aise, sentant les muscles de son corps de détendre progressivement. La journée avait été longue, comme bien souvent. Pourtant, elle aurait pu l’être un peu plus encore. Comme à son habitude, Alexandra avait dû s’arracher à sa table de travail et à ses recherches. A nouveau, un soupire frustré traverse les lèvres de la jeune femme alors qu’elle songe aux choses qu’elle aurait pu encore terminer ce soir. Enfin, heureusement, elle peut avoir la conscience tranquille d’avoir pris au moins quelques notes et même deux dossiers avec pour pouvoir poursuivre son travail à la maison. D’ailleurs, à cette perspective, Alexandra recouvre le sourire et se hâte de se laver. Si elle se dépêche, elle aurait peut-être le temps de lire un article d’un confrère avant d’aller rejoindre Elizabeth.

Alexandra sort de la douche et son corps frissonne alors que l’air ambiant de la salle de bain. Frileuse de nature, Alexandra s’emmitoufle dans son peignoir éponge et attrape une autre serviette de bain pour sécher ses cheveux. Tout en frictionnant ses mèches humides, elle jette un regard critique sur son apparence, reflétée dans le miroir embué. Alexandra avait toujours été sévère avec elle-même et ne se trouvait ni laide, ni belle. Sans doute que son atout majeur résidait dans ses yeux en forme d’amande, de couleur noisette et strié d’or. Quoi qu’il en soit, elle ne perd pas de temps à l’auto-flatterie et file dans sa chambre pour s’habiller. Elle attrape des dessous au hasard, vérifiant tout de même qu’ils ne soient pas dépareillés. Cela faisait bien longtemps qu’elle ne faisait plus d’efforts pour être sexy. Un simple soutien-gorge couleur bleu poudre et une culotte assortie. De toute façon, elle n’allait pas draguer mais simplement boire un verre avec sa meilleure amie. En prime, rouille comme elle est, elle aura plus l’air ridicule qu’autre chose…

Tandis qu’elle fouille dans sa garde-robe, une présence se fait sentir dans la pièce. Jetant un regard rapide en arrière, le visage d’Alexandra s’illumine presque instantanément en voyant sa sœur.

- Ah te voilà enfin ! Je commençais à m’inquiéter de ne pas pouvoir te voir avant de rejoindre Elisabeth. Comment était ta journée ?

Elle jette finalement son dévolu sur un jeans qu’elle enfile à la hâte et un débardeur blanc. Tout en s’habillant, Alexandra se lance dans ce qui semble être une bonne nouvelle.

- Tu te souviens que je suis en correspondance avec le Dr Mayfair de Manhattan? Tu sais, le pneumologue dont je t'ai parlé. Eh bien aujourd’hui, il m’a envoyé une série d’articles sur des recherches effectuées en Europe concernant la mucoviscidose. Ils auraient trouvé une enzyme qui…

Elle s’interrompt brusquement lorsque Linh est victime d’une quinte de toux alarmante à son sens. Son cœur se serre, comme à chaque fois, lorsqu’elle voit sa demi-sœur se plier en deux de douleur. Son petit visage devient livide, ses yeux larmoyants et son corps est secoué par des spasmes de toux effrayants. Faisant déjà un pas vers sa sœur, celle-ci intervient aussitôt, comprenant déjà ce qui traverse l’esprit d’Alexandra. C’est les sourcils froncés qu’elle croise les bras alors qu’elle suit Linh du regard, telle une maman louve qui surveille son petit.

- Besoin de m’amuser alors que tu es dans cet état-là ? D’abord, je n’ai pas ‘besoin’ de m’amuser. Ensuite, comment veux-tu, sincèrement, que je m’amuse te sachant ainsi ?! Tu me prends pour qui ? Non non et non, tu sais pertinemment qu’un simple rhume pourrait te mettre en danger. File prendre un bain chaud, je m’occupe du reste.

Puis, alors qu’elle se dirige déjà vers son téléphone portable pour prévenir Elizabeth, elle se met à marmonner. C’est toujours ce qu’elle fait lorsqu’elle est contrariée vis-à-vis d’elle-même. Il y a de quoi… elle aurait dû prévoir l’état de Linh en fonction de cette météo automnale. L’automne était une saison dangereuse après tout…

- J’aurais dû me douter que par un temps pareil, tu ne serais pas en forme.

Alexandra partageait tout avec sa sœur. Forcément, les avancées de ses recherches également, ne songeant pas un instant que ceci pouvait agacer sa sœur. Bien entendu, c’était parler de cette maladie qui la rongeait. Plutôt que faire l’autruche, Alexandra avait pris la décision d’en discuter de façon ouverte avec Linh, espérant de ce fait lui rendre son sourire. La voir sourire était une victoire en soit pour Alexandra qui chérissait ces instants rares. Alors qu’elle lui parle des dernières nouvelles du monde de la pneumologie, Linh esquisse une expression éphémère qui trahit son état d’esprit. Cependant, devant la grimace de sa sœur, Alexandra reste de marbre et semble en faire abstraction. Avait-elle seulement remarqué l’expression agacée ou faisait-elle semblant de ne pas l’avoir vue ? Bonne question. Connaissant Alexandra et son esprit observateur… il n’était pas exclu qu’elle fasse l’impasse sur la fameuse grimace. Quoi qu’il en soit, l’optimisme et la joie d’Alexandra n’en diminue pas d’un pouce alors qu’elle parle des recherches effectuées en Europe. C’était enfin une piste sérieuse et nouvelle, après des mois de recherches infructueuses. Ces derniers temps, elle avait l’impression de stagner au même stade. Ses tests ne donnaient rien et elle arrivait au bout de ses ressources. Tout au fond de son cœur, Alexandra s’accrochait à cette nouvelle piste qui se présentait comme un espoir. Un espoir fou, inattendu et inespéré. Comment en pouvait-il en être autrement ? Malgré ses capacités intellectuelles et son côté terre-à-terre, paradoxalement, Alexandra s’accrochait à ces espoirs, des illusions selon Linh qu’elle préférait appeler « pistes de recherches hypothétiques ». Il n’existe en effet aucun remède avéré pour la Mucoviscidose. La médecine actuelle en était même loin et le dernier colloque auquel elle avait assisté à Richmond n’avait apporté aucun réconfort pour lui remonter le moral. La seule vraie alternative à ce jour était la greffe et celle-ci n’était pas une solution miracle non plus. Quand la maladie arrive à un stade avancé et que les poumons ne sont plus suffisamment fonctionnels, la transplantation des poumons est l’ultime recours. Comme un rejet est toujours possible, cette option oblige à suivre un traitement anti-rejet à vie. De plus, il faut bien entendu être inscrit sur la liste des demandeurs et attendre des donneurs compatibles ce qui demandait également une patience et du temps... du temps que Linh avait de moins en moins.

La toux inquiétante de Linh interrompt cet élan d’optimisme et en un clin d’œil, Alexandra passe de la sœur joyeuse à cette louve inquiète et maternelle. Sans attendre, sa décision est prise : il n’y aura pas de soirée détente ce soir. Ce serait totalement immoral et inconcevable qu’elle abandonne Linh dans cet appartement. L’idée même est révoltante. Tandis qu’Alexandra s’avance vers son téléphone portable, Linh lui attrape le bras pour l’en empêcher. Elle fait volte-face pour foudroyer sa sœur cadette du regard. Malgré elle, elle grogne le prénom de sa sœur, mécontente que celle-ci tente de l’arrêter alors qu’elle allait prévenir sa meilleure amie que leur sortie était annulée. La suite n’arrange rien à la susceptibilité de la jeune femme et le regard d’Alexandra s’assombrit pour devenir presque noir. C’était toujours ainsi lorsque la colère ou l’inquiétude commençait à monter chez Alexandra et qu’elle luttait pour garder son calme. Quand Linh lui rapporte en prime sa conversation avec Elizabeth lors de laquelle sa meilleure amie l’avait traitée d’égoïste, Alexandra lève les yeux au ciel. Manquait plus que cela. Un bref instant, Alexandra se demande ce qui a pris à Elizabeth de dire une chose pareille. Elle n’en avait pas le droit, surtout…sachant le pourquoi de ses agissements et la fragilité de sa sœur malade. Elizabeth savait parfaitement l’importance qu’accorde Alexandra à sa sœur et sa maladie. Linh avait besoin d’elle, aujourd’hui plus que jamais. Était-ce réellement le cas ? Alexandra en était parfaitement convaincue. Plaçant sa main sur celle de Linh qui la retient, elle tente de la dégager tout en répondant d’une voix affreusement calme.

- Elizabeth n’avait pas à te dire cela et tu n’as pas à m’interdire quoi que ce soit Linh. JE suis TON médecin, je sais donc parfaitement ce dont tu as besoin et ce que j’ai à faire. Il se trouve que tu as besoin de moi ce soir et tu sais parfaitement que nier cet état de fait est inutile, une perte de temps et d’énergie.

Elle finit par s’éloigner tout en croisant les bras. Alexandra adorait Elizabeth. Quoi qu’on en pense, Alexandra était une personne loyale en amitié et en amour, très loyale. Elle était prête à beaucoup de chose de ce fait. Elizabeth avait été un coup de foudre amical pour Alexandra qui était, déjà à l’époque, très renfermée sur ses objectifs. Cependant, ces derniers temps, Alexandra avait l’impression que sa meilleure amie ne la comprenait plus autant… Que s’était-il passé entre elles ? Bien entendu elle savait pertinemment qu’entre Elizabeth et Linh, ce n’était pas l’amour fou mais les deux jeunes femmes avaient toujours su trouver une espèce de no man’s land pour le bien d’Alexandra. Du coup, aujourd’hui, Alexandra peine à comprendre et est chagrinée de cette distance qui semble commencer à se creuser entre Elizabeth et elle-même. Sans doute qu’il était temps qu’elles aient une discussion sérieuse ? Le tout était de savoir…quand. Les deux jeunes femmes avaient un emploi du temps fort chargé après tout.  

Linh poursuit son discours et tente manifestement de la convaincre. Malheureusement, étant toutes deux aussi forte tête l’une comme l’autre, cela risque de prendre pas mal de temps. Cependant, il y avait bien une chose qui pouvait mettre à mal le mode combatif d’Alexandra : voir sa sœur avec un début de larmes dans ses yeux et qui tente de la retenir en s’accrochant à elle. Les larmes de Linh avaient toujours été son talon d’Achille. Malgré elle, elle décroise ses bras et soupire. Avec douceur, elle lève sa main pour la poser contre la joue de sa sœur qu’elle caresse du pouce. Son regard noisette retrouve toute sa douceur tandis que ses lèvres s’étirent en un sourire bienveillant.

- Linh… si tu continues à être aussi défaitiste, je t’affuble du surnom que tu détestes tant !

Elle se pince les lèvres en voyant le regard offusqué de sa sœur qui démarre au quart de tour, comme à son habitude. Cependant, avant que celle-ci puisse riposter, elle poursuit toujours de sa voix douce et maternelle. Sachant qu’elle ne pourra pas éviter le sujet épineux, Alexandra décide de se montrer rassurante.

- Pour en revenir à ta question… « qui je serais » …C’est pourtant simple ? Un médecin qui se battrait pour sauver les personnes atteintes de la Mucoviscidose. Oui tu es ma sœur, oui cela me touche personnellement mais tu n’es pas la seule atteinte par cette maladie. Dans le monde, d’autres familles vivent ce que nous vivons, la peur au ventre qu’un être cher puisse disparaître par cette saloperie. Beaucoup se sentent impuissants et sont désarmés face à ce qui les attends… mais moi je ne le suis pas Linh. Je suis médecin, pneumologue. C’et mon devoir de mettre tout en œuvre pour trouver un remède pour te… vous sauver. Sinon, je n’aurais pas le droit de porter ce titre. Comment pourrais-je regarder ces personnes en face si j’osais lever le pied. Tu sais parfaitement que le temps est une chose que nous n’avons pas… Alors…

Elle marque une courte pause et souffle alors qu’elle déglutit. C’était pénible de dire ces choses-là.

- ne me prive pas des moments où je me sens…enfin utile. A défaut de pouvoir te guérir dans l’immédiat, ce soir, je peux te soulager momentanément. Alors laisse-moi faire.

Oui…C’était du chantage affectif. Alexandra était passée maitre en la matière pour réussir à convaincre sa sœur bornée. Elle laisse ensuite ses doigts glisser sur les lèvres de Linh pour l’empêcher d’en dire plus. Celle-ci s’attaque à un autre sujet épineux : la vie sentimentale d’Alexandra. Cette fois, la pneumologue workaholic lève les yeux au ciel et refuse d’en entendre davantage.

- Je t’avais prévenue ! Lihnou. Premièrement, les chats sont des animaux indépendants et parfaitement adapté à mon train de vie de médecin. Ensuite, pour ce qui est de l’amour… je lui ai donné une chance, ce n’est clairement pas pour moi.

De plus… quel était l’intérêt de faire des enfants, de fonder une famille, de lui donner des neveux ou des nièces si, comme Linh le disais si bien... elle allait mourir et donc ne pouvait pas en profiter ?  Non, décidemment, l’amour était un luxe inutile.

- d’ailleurs, je te retourne le compliment. Quand vas-tu te décider à me présenter quelqu’un que tu fréquentes ? Tu sais parfaitement que selon certaines études, les relations positives permettent à l’esprit humain d’être plus fort car il s’accroche à quelque chose, ayant une perspective d’avenir. C’est comme …un effet placébo. Un esprit heureux dans un corps malade peut faire énormément tu le sais n’est-ce pas !?

@Linh Robinson

Alexandra faisait de son mieux pour cacher le tumulte de ses sentiments. Un tumulte qui faisait rage en elle alors qu’elle calculait ses chances de pouvoir convaincre sa sœur aussi bornée qu’elle. Passant en revue les nombreuses stratégies dont elle connaissait les scénarios par cœur, elle tente diverses approches dont l’attendrissement, le chantage affectif même ou bien encore l’humour. Pourtant, rien ne semble vouloir faire céder Linh, bien décidée à la voir sortir ce soir. Décidemment, elle n’aurait jamais dû laisser Linh et Elizabeth seules à l’hôpital. Voyez à présent son calvaire ! Alexandra ne peut d’ailleurs s’empêcher de lever les yeux au ciel en marmonnant une réponse inintelligible de prime abord. Elle finit par passer sa main dans ses cheveux gonflés par un brushing réalisé à l’aide de son sèche-cheveux. Secouant la tête négativement, elle tente de chercher ses mots.

- Ne dit pas ça Linh… Rien n’empêche d’être à la fois ta sœur et ton médecin tout de même ? Est-ce que… cela te rend si malheureuse ? En quoi est-ce mal que je veuille rester auprès de toi ?

Non, visiblement Linh avait bel et bien pris sa décision et l’encourage à sortir en boite. Le fait qu’elle répète qu’elle en ait besoin hérisse le poil de la pneumologue qui n’admet pas la chose. Non, elle n’en avait pas ‘besoin’ ! Pourquoi devrait-elle en avoir besoin ? Ne pouvait-on pas comprendre qu’elle aimait son travail ? Qu’elle chérissait sa sœur par-dessus tout ? Que par conséquent, elle acceptait parfaitement de dédier sa vie et son existence à son métier, à la recherche ? Non, elle n’avait pas un besoin nécessaire de sortir ou s’amuser. Elle voyait ses amis…enfin collègues c’était déjà bien. Bien entendu Elizabeth lui manquait par moment mais celle-ci avait aussi fait des choix qui prenaient désormais trop de son temps.

Changement de tactique donc pour Alexandra qui pousse un léger soupire. Elle finit par croiser ses bras contre son buste et hausse légèrement les épaules. Son attitude semblait vouloir indiquer qu’elle allait…Céder ?

- Bien, parfait. Tu n’as besoin rien d’autre qu’un bon bain, hein ? Alors je reste le temps de ton bain et ensuite j’irai retrouver Elizabeth. C’est non négociable Linh. Tu veux que j’aille m’amuser ? Rassure-moi avant sinon il me sera impossible de prendre du bon temps te sachant au plus mal ! Commençons donc par ton bain. Hop ! Dépêchons !

Alexandra finit par esquisser un sourire diaboliquement éblouissant. Calculatrice lorsqu’il s’agit d’atteindre son objectif, elle faisait donc mine de céder tout en parvenant étrangement à ses fins. Elle resterait le temps qu’elle jugera nécessaire et…disons que nous verrons bien par la suite si elle sort ou pas. C’est donc d’un pas décidé qu’elle quitte sa chambre pour rejoindre la salle de bain. Une fois à l’intérieur, elle actionne le robinet d’eau chaude et fait jaillir l’eau qui s’empresse d’emplir la baignoire. Tout en ignorant les possibles protestations de sa sœur, Alexandra poursuit et tire sur un tiroir pour en dévoiler son contenu. Des huiles essentielles. Elle choisit l’eucalyptus et la lavande pour leur propriété apaisante et guérissante qui permettrait de détendre le corps douloureux de Linh et dégager ses bronches pour éviter que du mucus s’y accumule. Tel un maitre des potions, elle se concentre alors qu’elle s’arme de la pipette pour compter les goutes d’huiles essentielles. Quatre gouttes de lavande pour trois d’eucalyptus. Alors qu’elle se retourne pour ranger les huiles essentielles qui déjà dégagent leurs odeurs apaisantes, elle esquisse un sourire en coin en entend sa sœur parler de légumes. Linh détestait manger des légumes, une vraie gosse à ce niveau-là mais…Tellement attachante à la fois.

- Voilà une merveilleuse résolution ! Cela te ferait le plus grand bien. Si tu veux, pendant que tu prends ton bain, je peux m’occuper de préparer ça et…

Une nouvelle salve de toux interrompt les deux sœurs et à nouveau, Alexandra retient une grimace inquiète. A la place, elle vient rejoindre sa sœur rapidement et lui prend ses mains. Avec une tendresse infinie, elle les serre tout doucement, communiquant de ce fait son inquiétude sans doute mais tant pis. Elle avait besoin de se contact. Maman louve en action pour le plus grand malheur de Linh sans doute ? Quoi qu’il en soit, elle finit par l’attirer près du bain pour l’encourager à se déshabiller et y plonger.

- je vais te frictionner le dos, ça va te faire du bien et…on pourra un peu papoter du coup au sujet de ce refus d’aimer… Tu sais, tu me reproches de m’en priver mais tu ne fais pas mieux… tu serais prête à partir sans avoir vraiment aimer une personne comme tu aimerais l’aimer ?

Alexandra était satisfaite d’avoir pu convaincre sa sœur. Pendre soin d’elle, la cajoler, c’était quelque chose qu’elle faisait depuis bien longtemps maintenant. Si au début, elle avait eu du mal à accepter cette demi-sœur qu’on lui avait imposée, très vite, l’importance de la protéger et de prendre soin d’elle s’était imposée dans son esprit. Bien entendu, les parents d’Alexandra avaient tout fait pour faire germer cette évidence pas si évidente dans la tête de leur fille unique. Malgré cela, l’amour que portait Alexandra à sa sœur était tout ce qu’il y a de plus sincère. C’est donc avec un réel plaisir qu’Alexandra remet sa vie entre parenthèse pour prendre soin de sa sœur. S’occupant de son bain avec minutie, Linh est cependant rattrapée par sa maladie et une violente quinte de toux la secoue tout entière. Attentive, Alexandra reste et observe sa sœur qui parvient à évacuer le mucus qui obstruait ses voies respiratoires. C’était une excellente chose et Alexandra en pousse un soupire de soulagement.

Songeant que sa sœur souhaite un peu d’intimité mais surtout d’un moment de solitude, elle suggère de préparer son repas. Toutefois, Linh la retient, les yeux hurlant une supplique qu’elle traduit sans peine alors qu’elle sourit tendrement. Tendrement, elle lui caresse la joue et acquiesce en silence, acceptant de rester là. La pneumologue avait terriblement envie de lui faire remarquer que si, Linh avait besoin d’elle. La preuve ! Alors comment pouvait-elle être aussi aveugle et l’envoyer faire la fête alors qu’il était manifeste qu’elle avait besoin de sa sœur à ses côtés ?! Songeant ô combien Linh pouvait être une tête de mule, Alexandra prend le parti de retenir cette réflexion et de profiter de cet instant pour rester auprès d’elle. Laissant Linh s’immerger dans l’eau, Alexandra retire son haut pour se retrouver en débardeur. Doucement, elle plonge sa main dans l’eau et elle commence à frictionner le haut de la poitrine de Linh, au-dessus de la naissance de ses seins et ce, pour soulager sa douleur pulmonaire. Experte en la matière, Alexandra savait parfaitement quoi faire pour la soulager en plus des huiles essentielles qui agiraient sur la crispation musculaire. Si la lavande avait des vertus apaisantes, la qualité principale de l’eucalyptus était de désencombrer les voies respiratoires en douceur. Avec une lenteur maitrisée, Alexandra remonte vers la gorge de Linh avant de terminer par un petit massage des tempes. Tout en la massant, elle lui pose la fameuse question. Avait-elle peur d’aimer ? Voulait-elle aimer ? Malheureusement, Linh se refuse à répondre et Alexandra n’insiste pas. Elle savait.

Une fois le massage terminé, Alexandra laisse Linh profiter encore quelques instants du bain. Celle-ci décide de se laver. Alors qu’elle s’essuie les mains, Alexandra cesse en remarquant le visage douloureux de sa sœur. Une larme solitaire roule sur sa joue. Puis une autre. Le cœur d’Alexandra se brise quand elle comprend. Il tombe même carrément en miette quand Linh lui souffle qu’elle a peur. Sans attendre, elle laisse tomber la serviette de bain et vient l’entourer de ses bras et l’attire contre elle, contre son buste, telle une mère cherchant à consoler son enfant. Alexandre fait de son mieux pour ne pas céder à son tour alors qu’elle aimerait confier ses propres peurs à sa sœur. Elle aussi était terrifiée à l’idée que Linh parte pour un endroit où elle ne pourrait la suivre. Cependant, comment lui dire ? Elle ne peut s’y résoudre alors qu’elle sent sa sœur se briser entre ses bras. Fermant les yeux, Alexandra ravale l’immense tristesse qui l’envahit et l’enferme dans un coffre, à double tour. Plaquant un sourire bienveillant sur son visage, elle lui caresse tendrement la nuque comme pour l’apaiser alors qu’elle la garde précieusement contre elle.

- alors ne l’imagine pas Linh. Tu n’as pas à l’imaginer. Je te promets de rembarrer la mort et sa faucheuse à coup de coup de pied au cul. Il est hors de question qu’on ne se battes pas Linh alors…Bat-toi. Tu es forte, plus forte que tu ne le penses.

Déposant un baiser sur son front, Alexandra ferme les yeux avec force alors qu’elle sent les larmes lui piquer les yeux. Les refouler devient surhumain alors qu’elle tente de consoler sa sœur. Elle ne devrait pas lui promettre ce genre de choses. Alexandra le savait pertinemment. On ne peut vaincre la mort, on ne peut que la retarder. Le temps était un bien précieux et ça, les deux sœurs le savaient parfaitement.

Alexandre finit par se reculer un brin pour observer le visage de sa sœur. De ses pouces, elle chasse les larmes qui saccagent le beau visage de Linh. Maternelle au possible, Alexandra aurait sans doute fait une fabuleuse mère si elle avait cédé à l’envie de fonder une famille avec Nathan par exemple. Pourtant, ayant dépassé la 30aine désormais depuis quelques années, Alexandra restait résolument seule et sans autre perspective d’avenir que la guérison de sa sœur.

- Je sais qu’aimer quelqu’un ce serait rendre cette peur plus grande Linh … mais aimer pourrait être une force, un objectif. Ne passe pas à côté de cette joie, de ce bonheur. Je t’aime Linh, de tout mon cœur. Vivre sans avoir ressenti cet amour c’est une chose que je ne peux concevoir. Alors…aussi inconcevable que ce serait de n’avoir jamais pu éprouver l’amour que nous ressentons l’une pour l’autre… autorise-toi à aimer encore.