Il y a un an, la vie de mon petit frère de cœur a basculé. Matthew et moi avons huit ans d’écart. Je l’ai connu lorsque je n’étais encore qu’une jeune recrue au NYPD. Lui, il était un adolescent paumé qui enchainait les conneries. Allez savoir pourquoi, mais le courant est parfaitement passé entre nous. Quelque chose m’attendrissait chez lui. Son histoire peut-être. Le fait qu’il n’était pas non plus conscient qu’il était capable de grandes choses. Un lien s’est ainsi créé entre nous. J’ai travaillé d’arrache-pied pour qu’il ne finisse pas les prochaines années derrière les barreaux. Notre rencontre a permis à Matthew de se remettre dans le droit chemin. Peut-être que lui aussi, me voyait comme une sorte de grand frère. Les années se sont passées, et nous sommes restés très proches. Matthew était là quand j’ai quitté le NYPD pour m’engager dans l’armée américaine. Il était là pour les bons moments, et les plus tristes. C’est chez lui que je me suis réfugié, quelques jours avant de partir pour l’armée, quand j’ai abandonné la femme que j’aimais le jour de notre mariage. Mariage auquel, bien évidemment, Matthew était invité. Il est l’un des seuls à ne pas m’avoir jugé, à tenter de comprendre mes faits et gestes. Peut-être car, comme moi, lui aussi a été amené à faire des conneries que je n’ai pas voulu non plus jugées.

En 2016, quand je suis revenu de l’armée, dans un état critique, là aussi, il était là. Il a été présent pendant ma longue rééducation. Et je me souviens de la fois où j’ai vraiment rassemblé tous mes efforts pour pouvoir me resservir de ma jambe : parce que je voulais être là pour le moment le plus important de sa vie : la naissance de Liam, son fils. Finalement, j’ai aussi été présent lorsque, l’année dernière, toute sa vie a basculé. Un accident qui l’avait arraché à la femme de sa vie, Olivia, et à son fils. Comment se relever après un tel choc ? Malheureusement, j’ai dû partir pour le Sri Lanka, pour une année complète, car j’avais aussi besoin de prendre le large, quand tout me tombait sur la gueule. Et si je m’en veux de ne pas avoir pu soutenir mon ami, dans cette terrible épreuve, je me suis juré que je retrouverais le chauffard qui a ruiné sa vie, dès mon retour à New York.

Et c’est ce que j’ai fait dès mon retour, le mois dernier. Ça devenait une obsession. C’était personnel. Mais les efforts que j’avais mis à contribution avait porté leurs fruits. Ce chauffard, je l’ai retrouvé. Mieux. Nous l’avons arrêté. Bien que cet accident eût lieu un an auparavant, l’affaire n’avait pas été classée. Forcément, aujourd’hui, mon premier réflexe fut d’appeler Matthew.  Je savais parfaitement comment il allait réagir. A chaud, car ses blessures sont encore trop vives. Je sais que je vais devoir le canaliser pour qu’il ne parte pas en vrille. Mais je ne me voyais pas lui cacher cette arrestation. Il était en droit de savoir. Le reste, je gèrerais.

- On l’a choppé, Mat’.

La conversation téléphonique avait été brève. A peine quelques secondes. Matthew avait réagi au quart de tour, ce qui était prévisible. Pourtant, je ne m’étais pas attendu à ce qu’il débarque aussi rapidement au NYPD. J’imagine sans difficulté qu’il a roulé comme un cinglé. Une collègue de l’accueil est venue me chercher, pour me dire qu’un « illuminé » me demandait. Oui, Matthew devait être on ne peut plus agité. J’arrêtais net ce que je faisais pour aller le rejoindre. A peine entré dans son champ de vision, Matthew vient m’alpaguer. Il a des yeux de fous. J’en viens à me demander si j’aurais dû garder l’information pour moi, un peu plus longtemps. Je jauge mon petit-frère de cœur, et pose ma main sur son épaule.

- Déjà, tu vas essayer de te détendre. Je t’ai appelé pour t’informer, pas pour que tu fasses justice toi-même.

Car c’est ce qu’il ferait, si on lui en laissait l’opportunité. Et je ne le comprends que trop bien. Mais je fais partie des forces de l’ordre. Même si je rêverais m’occuper moi-même de ce chauffard, je ne peux pas me le permettre. Et si je sais que je suis brut de décoffrage, je suis conscient que cela est nécessaire.

- Je ne compte pas te laisser faire une connerie.