oh no (daisy)

Comme à ton habitude, tu as été invité à une soirée où tu ne connais même pas l’organisatrice ni même les trois quart des personnes présentes mais tu t’y es rendu avec quelques amis à toi de l’université que tu fréquentes la majorité du temps uniquement pour les soirées. Disons que tu divises souvent ton temps entre plusieurs bandes d’amis car il est hors de question pour toi d’aller quelque part seul et surtout, tu aimes montrer que tu es entouré et apprécié de n’importe quelle personne. Tu es Noah Mason et tu as une réputation à tenir après tout. Tu te trouves en extérieur, proche du bar à côté de la piscine, un verre d’alcool à la main. S’il faut être totalement honnête, on peut dire que l’alcool a déjà fait pas mal de dégât sur toi à cet instant. Tu n’es pas non plus totalement soûl mais tu es très content. Très très très content même. Après une danse plus que collée serrée avec une fille dont tu ne connais rien (même pas le prénom, mais avec qui tu vas sûrement finir la nuit si tu la retrouves sinon ce sera une autre personne), tu as décidé de rejoindre de nouveau ta bande histoire de t’abreuver un peu. C’est pourquoi tu ne fais pas vraiment attention aux personnes autour de vous à cet instant et malheur à toi, sinon tu aurais sûrement trouvé une excuse pour t’éclipser si tu avais vu Daisy arriver droit sur toi. Pas question de honte d’elle ou quoi que ce soit, juste que tu la connais de l’orphelinat et tu n’as pas envie que qui que ce soit sache que tu passes ton temps libre là-bas. Elle te salue et toi, tu restes quelques secondes à l’observer avec de gros yeux sans trop savoir comment réagir. « Woh… Euh… Salut… Désolé, j’ai oublié ton prénom. ». T’es qu’un sale con. L’échange est loin d’être cordial, comme tu peux l’être avec elle habituellement à l’orphelinat. C’est même froid. Tu apprécies Daisy, mais elle ne fait pas partie de ton monde à cet instant et tu ne peux pas faire comme si de rien n’était, au risque d’avoir des questions sur qui elle est par tes amis. Si tu es un menteur hors pair, tu n’es pas sûr qu’avec l’alcool que tu as ingurgité, tu arriveras à trouver quelque chose de très cohérent. Tu l’attrapes alors par le poignet pour l’éloigner un peu de ta bande sous les yeux de tes amis qui doivent se demander à quoi tu es en train de jouer. « Qu’est-ce que tu fous ici ? » que tu lui lances en criant pour te faire entendre par-dessus la musique, sentant la panique te gagner peu à peu. Et avec l’alcool, disons que cela n’aide pas à te contrôler sur les mots que tu peux avoir envers elle. Pourtant, la question à cette réponse est logique. Elle a été invitée, comme toi. Et toi, tu te comportes comme un connard juste parce que tout ce qui compte, c'est ton image. Toi et toi seul.

Il va vraiment falloir que j'arrête de suivre mes amis peu importe où ils vont, et d'accepter leurs propositions à la con. Quelques semaines auparavant, j'acceptais un blind date, et je me retrouvais seule assise à un Starbucks, à attendre que l'inconnu daigne pointer le bout de son nez (spoiler alert, iel n'est jamais venu), et maintenant, je suis plantée là, debout, une bière à la main à une soirée où je ne connais pas grand monde, qu'est-ce que je fou là ? Les filles sont toutes les deux en train de draguer, je les aurais bien suivi mais très franchement, j'en ai pas envie de tenir la chandelle. J'aurais dû me rendre à l'overkill et filer un coup de main à Eryn, ou bien rester dans mon lit et allumer Netflix pour bingewatcher une série sans modération. Mais au lieu de ça, je suis god knows where, adossée à un mur, sans la moindre idée de où se trouvent mes amies. En plus la musique est vraiment pas dingue, mais je tente de ne pas montrer l'ennui sur mon visage, sirotant ma bière en observant chaque personne sur le dance floor. Quand je retrouve le visage familier de l'une de mes amies, je me rends compte qu'elle discute avec un blond que je n'ai jamais vu de ma vie, mais mon attention est vite portée sur un mec qui doit être pote de ce blond, parce que c'est Noah, que j'ai croisé à plusieurs reprises à l'orphelinat. Aaah, ben voilà ! Une bonne raison de rejoindre mon amie sans interrompre sa drague ! Alors, je me dirige vers le groupe de personnes, tentant tant bien que mal de ne pas renverser une goute de mon verre sur mon chemin, parce qu'il faut dire que l'endroit est bondé. « Salut ! » Je m'approche en souriant, contente de croiser Mason. Mais mon sourire disparait rapidement, pour laisser la confusion prendre ses aises sur mon visage.

Mes sourcils se froncent, et je n'ai pas vraiment le temps de rétorquer que je me sens tirée en dehors du cercle de personnes, il m'éloigne. D'habitude, il n'est pas comme ça, qu'est-ce qu'il se passe ? Est-ce qu'il est bourré, et c'est pour ça qu'il ne me reconnait pas ? « Hein ? Ben... je fais la fête ! » Je réponds, aussi fort que lui, peut-être même plus, parce que je ne suis pas sûre qu'il m'entende avec toute cette atroce musique électro. Mais plus j'y pense, plus tout cela me semble bizarre. Bien sûr qu'il m'a reconnu, sinon, il ne m'aurait pas tiré hors de la foule. « Ca me fait plaisir de te voir ! » je réponds naïvement, comme pour voir la réponse qu'il m'apportera, essayer de comprendre les raisons de la tension que je sens en lui à ce moment précis. Avec un peu de chance, il est juste surpris de me voir ici, et il m'a mit à l'écart parce qu'il n'entendait rien au milieu de ses amis qui criaient au dessus de la musique. Peut-être que comme moi, il se dit qu'on pourrait discuter un peu, pour une fois qu'on se voit ailleurs qu'à l'orphelinat. Aaah, crédule Daisy. Bien trop crédule.

Elle fait la fête. La réponse est logique, n’est-ce pas ? Mais ce n’est pas cette réponse que tu attendais. En fait, tu te demandes surtout pourquoi elle est venue te voir. Mais la réponse est tout aussi logique, parce qu’elle te connaît et qu’à l’orphelinat, tu n’as pas besoin de jouer le rôle du cliché que tu représentes à toi tout seul. Daisy rajoute par la même occasion qu’elle est contente de te voir et tu ne peux pas t’empêcher de lâcher un rire nerveux. C’est loin d’être réciproque. Peut-être que tu aurais été aussi heureux de la voir dans un autre contexte, par exemple par hasard au Starbucks tout seul en train de siroter ton café. Mais pas là, maintenant. Pas quand tu es entouré de tes amis, que tu es dans ton élément, que tu ne peux pas laisser la moindre chance au hasard ou à l’imprévu. Et tu t’en fiches pas mal de te faire passer pour un putain de psychorigide. Tu veux contrôler chaque aspect de ta vie, chaque personne à qui tu parles, chaque mot que tu emploies. Et Daisy, elle ne connaît pas cette partie de ta personnalité. « Je ne t’imaginais pas vraiment dans ce genre de… soirée. » dis-tu d’un ton dédaigneux tout en l’observant de haut en bas sans aucune gêne. T’as ce nœud dans l’estomac qui revient dès que tu prononces ces mots. Pourquoi est-ce que tu agis comme ça ? Tu n’as donc pas déjà eu ta leçon après ton comportement avec Priya ? Tes amis te tournent le dos tous petit à petit, tu ne traînes plus vraiment avec les rich kids ces derniers temps depuis la dernière fois. Et au lieu d’essayer de t’améliorer, tu t’enfermes dans ce tourbillon de mal être qui te pousse à faire du mal à n’importe quelle personne t’approchant d’un peu trop près. Pour leur faire ressentir que ce sont eux, les moins que rien. Pas toi. Pourtant, la vérité, tu la connais. Sinon tu ne te sentirais pas aussi mal de balancer ces paroles à Daisy qui a toujours été gentille avec toi et que tu apprécies sincèrement. « I mean… C’est quand même réservé à une certaine classe sociale ici. » ajoutes-tu avec un bref haussement d’épaules. « Et t’as pas vraiment l’air d’être dans ton élément, si je peux me permettre. ». Tu lui souris mais ton sourire pue la fausseté, l’hypocrisie à son état pur. Est-ce que tu te sens bien en tentant de la rabaisser ? Non, c’est bien ça le pire dans toute cette histoire. Tu t’acharnes pour essayer d’aller mieux, pour trouver un échappatoire aux émotions qui te submergent depuis bien trop de semaines. Mais Daisy, elle ne peut pas savoir ce que tu ressens. Tu pourrais tout simplement lui expliquer. Après tout, elle pourrait comprendre… peut-être. Ou du moins, essayer. Mais tu n’arrives pas à t’ouvrir. Tu préfères cracher sur ceux qui n’ont rien demandé – ou plutôt ceux qui t’ont laissé une chance, quitte à finir tout seul à force d'être détestable. Ouais, c’est mieux. T'as besoin de personne de toute façon.

La situation me parait étrange, et j'ai du mal à comprendre la réaction de Noah à ma présence face à lui. En même temps, je n'aurais jamais pu deviner les "pourquoi" de ses réactions toute seule. Je ne suis pas dans sa tête, après tout. Son commentaire me fait d'ailleurs pouffer de rire en premier temps, parce que je ne comprends vraiment pas où il veut en venir. « Euh... pourquoi ? Tu me voyais dans quelles genre de soirées ? » Peut-être que j'ai juste pas la tête d'une nana qui va en soirée, justement. Ou bien, au contraire j'ai la tête d'une dépravée qui va dans des soirées du chaos ? Non, je ne pense pas. J'en sais rien, en réalité. Mais c'est le commentaire suivant qui me déroute le plus. Je sens mes muscles se contracter, ça veut dire quoi, ça Noah ? « Une certaine classe sociale ?  » Parce que je suis une ancienne orpheline, il se dit que je suis une pauvre meuf toute frêle ? Et puis même si c'était le cas, je ne vois pas ce qui m'aurait empêché de faire la fête. « Je ne suis pas dans mon élément, parce que j'aime bien le calme. Rien à voir avec mon porte monnaie. » Que je lui réponds, pas sèchement mais avec beaucoup moins d'engouement dans la voix, comparé au début de la conversation. « Et toi t'as pas l'air très enchanté de me voir. Je pensais qu'on se parlait bien, à l'orphelinat. » Et je hausse les épaules, un peu déçue par le comportement du garçon que j'ai en face de moi. On dirait un bourgeois péteux, rien à voir avec le Noah que je connais. Faut croire qu'on ne connaît jamais vraiment les gens. Je l'avais toujours su, après tout. Mais je ne m'attendais pas à recevoir ce genre de traitement de la part d'un collègue bénévole. « Tu voulais me dire un truc en particulier ? » Je lui demande, un regard bien moins chaleureux posé sur lui. Parce que s'il m'a éloigné de son groupe d'amis, ça doit être pour une bonne raison, non ?

Dans quelle genre de soirée tu vois Daisy ? Des soirées un peu plus chill, sans aucun doute. Pas des soirées avec une piscine extérieure chauffée et des riches qui s’enfilent des verres des alcools les plus chers payés par papa et maman pour se donner un genre et se croire supérieurs aux autres. « T’as pas vraiment la dégaine de quelqu’un qui traîne avec la bourgeoisie new-yorkaise. » ajoutes-tu tout en faisant un geste de la main pour montrer ses vêtements. Pas qu’elle ne soit pas bien habillée, mais ici, tout le monde se ressemble. Elle, elle sort du lot sans même le vouloir peut-être. Ici traînent les pires fils de riches, où l’hypocrisie pue à plein nez. « Oh, okay. Si c’est ce que tu penses. » répliques-tu avec un sourire quelque peu moqueur lorsque Daisy te dit qu’elle n’est pas dans son élément mais pas par rapport à son porte monnaie au contraire à ce que tu insinues depuis le début de votre conversation. Peut-être que tu lui reproches sa présence ici, mais tu ne peux pas lui reprocher sa manière de vite comprendre les choses. Non, tu n’es pas du tout ravi de la voir dans ces circonstances et surtout qu’elle permette de te saluer devant ta bande d’amis – enfin amis est un bien grand mot mais ce n’est pas le débat ici. « Parle pas de l’orphelinat. ». Tu baisses instinctivement le ton de ta voix sans même le remarquer, alors que personne autour de vous ne peut vous entendre. Comme si c’était le sujet à bannir. Mais c’est bien cela le problème. Tu n’as pas envie d’avoir à raconter à tes amis d’où tu connais Daisy, de dire qui elle est comme on le ferait en temps normal lorsqu’une de nos connaissances débarque. C’est la moindre des choses, non ? Tu l’aurais fait avec quelqu’un d’autre mais pas avec elle, malheureusement. Tu dois déjà assez mentir sur d’autres choses de ta vie pour ajouter un mensonge de plus sur toute la pile. A force, tu risques de te perdre dans tes propres conneries. Et ce serait amplement mérité. « Écoute, je ne veux pas être méchant avec toi mais... » commences-tu en sachant très bien que c’est trop tard et que tu l’as été. « On n’est clairement pas du même monde et il y a des choses que je n’ai pas envie de crier sur tous les toits. ». L’orphelinat, c’est le seul endroit où tu t’autorises à être toi-même et là, face à elle, ton masque de Noah l’enfoiré est mis bien en place sur ton visage. « Dont ça. En dehors, on n’a pas besoin de se parler. ». C’est juste une salutation de sa part, un geste gentil, qui te pousses à lui en mettre plein la gueule. Tout ça parce que tu n’assumes rien. Et qu’à part angoisser tous les jours de ne pas être la perfection qu’on attend de toi, tu en viens à être ignoble envers les quelques personnes sincères autour de toi.

Plus la discussion avance, plus ma déception se transforme en véritable dégoût. Le jeune homme qui se trouve en face de moi représente ce que j'ai toujours détesté de la haute société, ce qui a toujours mit une barrière entre mon père et moi. Lui sait se fondre à la perfection dans cette masse de gens comme Noah, hypocrites, hargneux, ces gens qui ne peuvent pas s'empêcher de s'inventer une personnalité parce qu'ils ont trop honte de la leur. Des gens qui portent des masques. Je n'ai jamais compris le concept, je suis toujours la même, que ce soit à l'orphelinat, à un gala de charité ou quand je vais boire un coup à l'Overkill. On m'a toujours demandé d'essayer de changer, d'être plus gracieuse, mais je n'ai jamais ressenti ni le besoin ni l'envie d'écouter les autres. C'est parce que j'ai fréquenté un bon nombre de personnes avec ce genre de comportements que je ne devrais pas être aussi étonnée du manège qui tourne sous mes yeux. Et pourtant, aussi naïf que cela puisse paraître, je pensais que Noah était différent. Je hoche la tête, le laissant parler jusqu'au bout, le dégoût montant en moi. Les bras croisés, je ne prends pas la peine de baisser le ton comme lui le fait, me fichant de lui faire honte ou quoi que ce soit. « T'es juste un vrai connard en fait. » Je conclue, ne filtrant en aucun cas mes mots. « J'suppose que tu tiens à ta "réputation" » j'accentue ce dernier mot, pour bien faire transparaître le mépris que je ressens face à la situation. « or whatever, donc je vais m'empresser de te laisser tranquille. » Je serre les dents, un peu en colère, et je peux vous dire avec assurance qu'il en faut pour me mettre en colère. Et ce salaud de Noah a réussi. « Je n'ébruiterait en aucun cas » (je lève un peu la voix à ces mots là, pour l'emmerder plus qu'autre chose) « cette discussion. Maintenant si tu veux bien m'excuser, je vais aller m'amuser avec mes amis avec qui je n'ai apparemment pas la dégaine de traîner.  » Et je fais un pas en arrière, ayant du mal à le quitter du regard, déçue de cette personne qui n'est absolument pas celui que je pensais.