(nicola) bad habits.

@Nicola Schubert

Cette soirée, Adrian la redoute avec véhémence, il la redoute réellement. Mais il n'a pas pu annuler, il n'a pas pu trouver une autre excuse. Il n'a pas pu inventer quelque chose, et pourtant, il aurait vraiment voulu. Parce qu'il ne sait pas s'il réussira à se contenir, l'envie commence a se faire ressentir, si bien qu'il a abandonné son poste pour faire deux réunions au lieu d'une. Il ne sait pas ce que ça donnera ce soir, mais il doit sortir. Il ne peut pas rester enfermé dans un carcan, il ne peut pas rester enfermé chez lui et attendre qu'Elizabeth soit là pour qu'il puisse sortir. Il ne peut pas dépendre d'elle, il n'a pas le droit de dépendre d'elle. Après tout, peut-être qu'elle finira par partir, encore et qu'est-ce qu'il deviendra ? Un abruti dépendant. Voilà ce qu'il deviendrait, il a quitté la dépendance de l'alcool pour devenir dépendant de la brune, et ce n'est pas franchement une bonne idée. Alors quand il claque la porte de son appartement, ses doigts perdus sur l'écran allumé, il ne peut s'empêcher d'en parler à Elizabeth, mais il sait que c'est peine perdu, elle n'est pas là. Quand il rejoint ses collègues, il fait un signe de la main et s'installe dans un canapé, rapidement suivi par ses collègues qui se ramènent, excités comme des puces au salon de la moquette. Il commande un coca, après une longue minute d'hésitation, il déglutit et regarde ses collègues qui sont déjà déchaînés, et qui chantent des chansons qui n'ont ni queue ni tête, sa paille entre la bouche, il garde son téléphone dans ses poches et quand l'envie de nicotine se fait sentir, il se lève et passe devant le bar, il s'arrête un instant, regarde ses coéquipiers du soir et il commande une bière qu'il saisit entre ses mains, les perles de fraîcheur qui humidifient ses mains déjà moites et il sort à l'extérieur, sur la terrasse, s'allumant une cigarette, sa bière qu'il dépose pour ne pas être plus tenté. Il vient de dépenser de l'argent pour une bière. Si sa soeur le savait, elle serait déçue. Si Elizabeth le savait, elle le quitterait. Il s'humidifie les lèvres et regarde la personne qui vient de se poser à ses côtés alors qu'il allume sa cigarette, il a besoin de parler à quelqu'un, quelqu'un qui ne jugera pas. Quelqu'un qu'il ne décevra pas. « Vous en voulez une ? » demande t-il, en tendant une cigarette à son interlocutrice, évitant copieusement de regarder la bière qui le tente. Mais il ne doit pas craquer, il le sait.

Assise sur le canapé en velours de la salle qui nous a été réservée, j’écoute mes amis chanter à tue-tête des sons qui me semblent d’une autre époque alors que je ne cesse de rafraîchir mes emails. C’est ce soir que les résultats pour le séminaire sont disponibles. Trop de demandes, pas assez de places et je veux savoir si je quitterais New York quelques jours pour la chaleur de la Californie. J’espère que oui. Vraiment. Ce week-end de conférence me servira énormément pour mon projet et j’ai besoin de me rebooster. Ce n’est pas que je perds foi en ce dernier mais juste que j’ai l’impression de ne plus en voir le bout et ça me fait peur. J’ai besoin d’en voir le bout, j’ai besoin de me dire que je suis sur le bon chemin. Le micro tendu dans ma direction, mes yeux fatigués mettent quelques secondes à se focus sur l’engin et je fronce rapidement les sourcils. J’ai peur que vous soyiez jaloux de ma voix ! Que je souffle en riant légèrement, tentant de me détendre et de profiter de la soirée. Mais pour le moment, c’est difficile. Alors après cette blague qui n’est pas vraiment drôle, je me lève et ferme les yeux quelques secondes avant de dire Je vais prendre l’air ! et je sors rapidement de cette petite pièce qui me semble presque minuscule. Mon téléphone en mains, mes pas me guident vers l’extérieur et lorsque je suis dehors, mon visage se détend. Ah ça fait du bien. Que je souffle en fermant les yeux quelques secondes. Et lorsque je me redresse, je capte le regard d’un jeune homme que je ne connais pas. Léger sourire sur le visage, je m’accoude sur la table haute où il vient de poser sa bière. Mes yeux noirs sur la cigarette qu’il me tend, j’hésite un quart de secondes et l’attrape, la glissant rapidement entre mes yeux. Quel titre vous a donné envie de fuir ? Que je demande, tentant de lancer la conversation. Il va me falloir du feu aussi, sinon ça ne servira à rien. Je n’ai jamais rien sur moi, ne fumant qu’à l’occasion et taxant mes amis plus qu’autre chose. Alors j’attends sagement sa réponse et son aide.

Quand il fait une rétrospective de sa vie, il se dégoûte Le Brun, il se dégoute de ne pas avoir été capable de se contrôler, pas avoir été capable de garder Elizabeth à l’époque. De ne pas avoir empêcher l’accident de sa soeur, de ne pas avoir été capable de sauver sa mère bien qu’il n’y pouvait rien. Bien qu’il n’avait en son pouvoir que d’écouter les médecins et attendre ne serait-ce qu’une amélioration, mais l’amélioration n’est pas venue et désormais, il est orphelin. Plus de père, plus de mère, que le marbre comme seul compagnie, comme seule preuve de leur existence. Il ne reste plus rien que la rancoeur et les démons qui dansent parfois tels des lucioles qui sont attirées par la lumière. Mais ce soir, c’est différent, ce soir c’est compliqué. La haine prend le coeur, la tristesse prend l’âme et Adrian a du mal. Liz qui est loin, Liz qui n’est pas là, sa soeur qui est tout aussi loin et il n’a pas envie d’en parler pour ne pas implorer la pitié. Alors quand il est dans ce bar, il a du mal. Mais il a besoin de sortir, de s’échapper, prétextant une cigarette pour pouvoir sortir sans qu’on lui pose de questions. Quand de la compagnie arrive, Adrian est avenant, pour ne pas passer ce moment seul et il rit un peu à sa question « Aucune, mais Whitney Houston vient de passer alors on va dire ça… » explique t-il en tendant le briquet après la cigarette. Il jette un oeil a la bière et secoue un peu la tête pour se remettre les idées en ordre « Et vous ? Quel titre vous a donné envie de partir ? » demande t-il en tirant sur sa cigarette, son regard qui se pose un peu partout, il s’humidifie les lèvres en regardant la brune « Je suis Adrian, au fait. »

On a tous besoin d’une pause dans ce monde qui ne s’arrête jamais. Si je suis toujours partant pour faire la fête, pour rire et profiter, je n’arrive pas à me mettre dedans ce soir. Je n’arrive pas à me projeter, à profiter. Cet email tarde à arriver et je sais que ça gâcherait la soirée complète si tout revenait négatif. Pourtant, j’en rêve. Positif ou négatif, je veux que l’on me dise ce qu’il se passe pour pouvoir mettre cela dans la case passé ou futur. C’est difficile d’être au présent dans ce genre de moment. Et mon présent, je le retrouve lorsque je sors et croise ce beau brun dehors. Mon regard qui accroche avec le sien, je me dirige vers lui et souris légèrement. Je ne le connais pas mais il m’inspire pas mal de choses - pas toutes très catholiques - mais surtout la paix, allez savoir pourquoi. Tout dépend le titre. Que je lance avant de me mettre à fredonner “i wanna dance with somebody”, un large sourire sur le visage. Franchement, cette chanson est vraiment belle. Et je crois que je l’aime autant parce que j’y attache le souvenir de cet épisode de Glee où Santana et Brittany la chantent ensemble. Je me doute bien que ce n’est pa sla première chanson à laquelle on pense quand on parle de Whitney Houston mais les chansons d’amour, très peu pour moi. J’attrape son briquet et allume rapidement la cigarette avant de répondre à sa question. Je… N’en sais rien pour être honnête. Cela montre bien à quel point je suis ce qu’il se passe. Britney Spears, Katy Perry, Justin Bieber, Ed Sheeran ? Aucune idée. Mais c’est quelque chose qui a fait vibrer notre début de période d’adulte, c’est sur vu les personnes avec qui je suis. Je tire une taffe sur la cigarette et crache la fumée en tournant la tête. La cigarette entre mes doigts, je lui tends ma main libre quand il se présente. Nicola. Enchantée. Que je dis avec un sourire. Enfin, tu peux m’appeler Nicky. C’est comme cela que tout le monde m’appelle après tout alors pourquoi pas lui. C’est un inconnu, pour le moment et ? Alors, qu’est-ce qui t’amène ici, à l'abri des casseroles que cet endroit abrite ? Juste la cigarette ? Addict qui ne peut pas s’en passer ? On sait tous que ce sont souvent les meilleurs chanteurs qui fuient parce qu’on a les oreilles qui saignent. J’en lève les yeux au ciel, gloussant légèrement. C’est ça Nicky, t’es pas la plus talentueuse, rêves pas trop.

Tout cela était une mauvaise idée, il le savait pertinemment. Il n’aurait pas dû venir, même s’il serait encore passé pour le pénible de service. Mais au moins, il n’aurait pas dépensé un dollar pour une bière. Il hausse les épaules « Cette chanson est chouette, ma soeur aime bien la chanter quand elle est là. » explique t-il en riant, un peu nostalgique du temps que passer Constance dans son appartement. Il tire sur sa cigarette comme si elle était sa bouée de secours, ses brassards contre la noyade et la détaille un peu, discrètement « Si c’était Justin Bieber, je comprend. » Il est encore traumatisé de la période de sa soeur qui aimait beaucoup celui qu’il appelle encore communément le mécheux. Adrian serre la main qu’elle lui tend avec un grand sourire « Enchanté Nicky. » répond t-il avec peut-être un peu trop de sérieux pour la soirée et les cris qui sortent de l’endroit, des groupes déchaînés. Quand elle parle de la raison de son échappée, Adrian jette un oeil à sa bière et il déglutit avant de rire un peu face à sa remarque en secouant la tête de droite à gauche « C’est parce que j’ai fait The Voice et je ne veux pas qu’on le découvre ! » Il tire sur sa cigarette en rigolant avant de regarder des passants qui s’enlacent, s’éloignent. Et il pense à Liz. Il secoue un peu la tête et s’humidifie les lèvres en soufflant « Non, disons que… je ne sors plus vraiment. » tente t-il de dire, en faisant craquer sa nuque « Je traîne des casseroles qui font qu’entrer dans un bar c’est compliqué pour moi. » Pourquoi en parle t-il ainsi ? « Et ce soir, j’avais envie de sortir pourtant. Mais visiblement, mes casseroles sont bien accrochées. » conclut-il en écrasant son mégot sous la chaussure, triturant son paquet de cigarettes, pour éviter d’en rallumer une nouvelle.

Il a donc une soeur. Petite, grande, je n’en sais rien et si j’aimerais pouvoir imaginer un peu plus son environnement familial, je me retiens de poser la question. Après tout, ce type, je ne le connais pas et dans ce type de rencontre, les discussions sont souvent superficielles, n’est-ce pas ? Alors, je me contente de ça, de ce bout d’informations qu’il me donne et l’imagine en grand frère protecteur. C’est l’effet qui émane de lui. Un mec un peu torturé aussi. Des démons très présents mais je ne sais pas lesquels et avant d’examiner la manière dont il joue et tire sur sa cigarette - je me présente. Nicola, Nicky. Je donne toujours mes deux prénoms. Enfin, mon prénom et mon surnom. Et quand ce sont les deux que je donne, c’est que je me sens en sécurité. Sinon, je ne me contente que du Nicky - comme pour éviter que l’on me pose trop de questions sur mon prénom de naissance, celui qui colle aussi bien à une fille qu’à un garçon. Je crois que ma mère savait en fait. C’est même sûre, elle devait le sentir au plus profond de ses entrailles. On m’a assigné le genre masculin mais je n’en suis pas un, de garçon. Sa main dans la mienne, sa poigne est douce. Il n’essaye pas de montrer qui est l’Alpha ici et j’aime beaucoup. The Voice, carrément ! Que je souffle, faussement impressionnée. Je ne sais pas s’il dit vrai ou non, je n’ai jamais regardé ce télécrochet. Je ne saurais même pas dire qui sont les coach cette année, c’est pour dire. Et lorsque j’ouvre la bouche pour lui demander son année de participation, il se ravise rapidement. Je tire sur ma cigarette et souffle la fumée un peu plus loin, écoutant ce qu’il a à dire. Je ne peux même pas dire ce qu’il a à me dire parce que je sens bien que moi ou une autre, nous aurions la même attention. Tactile, je tends la main et attrape son paquet de cigarette. Il ne t’a rien fait, lui. Je lui adresse un clin d’oeil et pose le paquet sur la table. Mes yeux dans les siens, je dis Alcool ? Après tout, bar, casseroles. Ou vous avez les mains baladeuses ? Et là, je fronce les sourcils, prêtes à sortir mes longs et fins bras de mon manteau pour lui montrer que je suis prête à me battre. C’est donc ça, le bruit dans ta tête. Et ton regard. Mes yeux glissent sur la table et je vois la bière pleine. On se débarrasse de la tentation ? Que je demande en glissant mes doigts autour de la pinte. On la balance ou on la garde pour se rappeler qu’il ne faut pas y toucher ? Il a une sacré conviction en tout cas parce que moi, ce que je veux, je ne dis jamais non.

Adrian avait senti que aujourd'hui ça allait être une journée compliquée. Mais il a essayé, il a essayé de tenir, de ne pas craquer et pourtant, il a dépensé de l'argent pour une bière et voila que maintenant, il s'en veut. Heureusement qu'il y a quelqu'un pour lui, une inconnue, quelqu'un qui ne connaît ni d'Eve ni d'Adam. Nicky de son prénom maintenant qu'il le connaît. Il ne voulait pas inspirer la pitié et encore moins devenir celui qu'il était avant. Et son paquet de cigarettes, le pauvre, commence à être bien trop abîmé face aux diktats des démons qui dansent dans sa tête. Ils ont bien discuté tout les deux, à plaisanter face à The Voice, et voilà que les démons se matérialisent de nouveau et le paquet de cigarettes qui s'éloigne, Adrian le suit du regard et il souffle avant de secouer positivement la tête. Oui, l'alcool. Il rit un instant face à la remarque de Nicky et la regarde « Alors j'ai les mains baladeuses oui, mais que pour ma copine. » explique t-il en levant les mains au ciel comme pour se défendre de tout comportement indécent. Il hausse les épaules « Bois là, si tu veux. » prononce t-il en poussant un peu plus la pinte vers sa compagnie de sa soirée. « Je suis sobre depuis quatre ans. » explique t-il en grattant sa nuque nerveusement « mais parfois les démons reviennent plus virulents que jamais. Comme ce soir et même si je sais que je décevrais tout le monde... j'en ai envie et je me dis que ce serait une connerie mais y'a des gens comme toi qui se mettent sur mon chemin et ça me fait du bien. »

Le stress, la colère, la fatigue. Il y a tant d’émotions qui peuvent nous faire faire n’importe quoi que si je commence, je ne suis pas sûre que nous nous arrêterons un jour. Je ne sais pas ce qu’il a, ce grand brun, mais il a l’air de porter toute la misère du monde sur ses épaules et je déteste cela. Je n’aime pas voir les gens souffrir, sachant trop bien que derrière chaque regard triste se trouve une histoire qui peut s’avérer importante et difficile à gérer. Je ne le connais pas - rien de plus que son nom et sa chanson préférée - mais pourtant, je me sens l’obligation de tout faire pour lui faire revenir un sourire sur le visage. Si j’étais une grand-mère, je lui dirais surement « t’es plus beau avec un sourire sur le visage » mais un, je n’en sais rien et de deux, je n’ai pas envie de me rajouter vingt ans au compteur pour une blague même pas drôle. Je le regarde et ne peux m’empêcher de jouer la fausse triste face à ses mots Merde ! Je ne vais donc pas me faire tripoter ce soir ! Et même si je dis cela sur le ton de la rigolade, je me rends bien compte que cela pourrait être mal perçu par bien des gens, à commencer par ceux autour de nous. Je rigole, pardon, même si c’était pas drôle. Je lance une grimace désolée aux gens autour de nous et me rabat sur le jeune homme. La bière qui glisse vers moi, je l’attire définitivement de mon côté, comme si c’était la dernière fois qu’il la voyait. Je l’écoute et souris largement quand il dit qu’il est sobre depuis quatre ans maintenant. Il me touche en plein coeur sans même que je le connaisse, je ne pensais pas que cela pouvait être réel. Je suis fière de oi Adrian. On ne se connaît pas mais tu n’as pas idée d’à quel point je suis fière. C’est génial. Et j’admire ta force. Parce qu’il en faut pour acheter l’objet du diable et pouvoir se contrôler, s’interdire d’en boire et résister ! Pourtant ici, personne n’a l’air de le connaître alors on aurait juste vu un mec qui boit une bière et rien d’autre. Les batailles qui sont trop faciles ne nous apprennent rien de toute façon. Les démons, c’est ce qui nous permet d’avancer et de rester là tête hors de l’eau. Et d’être accountable pour ce que l’on fait aussi. Aaaah ! Je suis trop heureuse pour toi. Vois donc ça ! Cette force que tu as ! Et toute mon énergie, je tente de lui donner, de lui communiquer de la sorte. Je ne sais pas si ça va marcher mais je l’espère vraiment.

Qu'est-ce qu'ils penseraient tous, s'il replongeait ? Qu'est-ce qu'ils diraient tout ces gens ? Ceux qui croient en lui, ceux qui veulent voir en lui, quelqu'un qui a réussi à s'en sortir. Mais s'en est-il vraiment sorti ? Il n'en est pas si sûr, ça creuse l'envie, l'envie de regoûter une nouvelle fois au poison, l'envie de tester de nouveau, de sortir l'effluve de la bière qui passe dans son corps et qui fait tourner la tête, l'odeur du whisky près des narines. Adrian aurait envie, vraiment, mais il sait que s'il recommence, toutes ses années à se battre, à vaincre, les moments passés au centre, ça n'aurait servi à rien. À rien d'autre qu'à retarder l'échéance de sa descente en enfer, il a fréquenté l'endroit, il a tâtonné, là, tout près, et il n'avait pas encore fait le grand saut. Il sait cependant que s'il saute les deux pieds joints dedans, il aurait plus à perdre qu'à gagner et il n'en a pas envie. Il ne veut pas les perdre tous, il ne veut pas qu'ils lui tournent le dos. « J'avoue que ça m'a fait rire. » répond t-il en souriant en coin, s'il racontait ça à Liz, il était persuadé qu'il aurait droit à une scène de jalousie. Mais là n'est pas le problème, il a besoin d'extérioriser, de dire à quel point c'est dur, compliqué. Que quatre années c'est sinueux, compliqué. Et que c'est long, très long, trop long. « Parfois, je me dis que je suis à deux doigts de couler, la nage sans brassard c'est pas vraiment pour moi. Je ne sais pas comment je fais pour tenir, peut-être parce que j'ai plus à perdre qu'à gagner. » rétorque t-il en tirant sur sa cigarette comme un forcené en manque de nicotine. Il serre les dents un instant et souffle en passant une main dans ses cheveux avant de répondre à la brune en face de lui « Je ne sais pas si j'ai de la force mais je sais que si je replonge je vais perdre plus que je ne vais gagner. Ma copine m'a quitté à l'époque parce qu'elle avait son travail dans le viseur mais... de toutes façons, je ne l'aurais pas rendu heureux. Et puis, maintenant qu'on s'est retrouvé j'ai pas envie de tout gâcher en redevenant la sombre merde que j'étais avant. » explique t-il en tirant la dernière bouffée de sa cigarette avant de l'écraser dans un cendrier à proximité « Mais merci, merci d'avoir accepté et de ne pas m'avoir jugé. »

Quand je prononce ces mots, je me rends compte que même si je me voulais drôle, je ne le suis pas vraiment mais surtout, je crois que je n’ai aucune envie qu’un homme autre qu’Alfred me touche, me frôle, m’embrasse ou me fasse du bien. C’est étrange, parce que c’est bien la première fois que cette envie est présente dans ma vie. J’ai du mal à m’y faire et le constat est perturbant. C’est peut-être pour cela que je suis un peu à côté de mes baskets à ce moment précis. Je le regarde, souris, acquiesce mais s’il venait à me demander ce qu’il a dit, je ne suis pas sûre que je saurais répéter ses mots. Non, c’est même sûre. Et il n’y a que lorsque j’en apprends plus sur le jeune homme que je reviens ici, pour suivre cette conversation. Arrêter l’alcool, c’est quelque chose de difficile et ceux qui disent l’inverse sont des menteurs. Pourquoi ? Tout simplement parce que l’alcool est partout, absolument partout. Dans les pâtisseries, dans les plats, dans les magasins, dans les bars, même au McDo ! C’est pourtant un lieu prévu pour les enfants mais on y a introduit la bière en canette pour que les parents alcooliques y emmènent quand même leurs gamins. C’est désolant. Mais ça montre aussi à quel point on fait tout pour rendre l’alcool accessible et disponible. Alors y résister depuis si longtemps, c’est un exploit, aucun doute là-dessus. Et j’ai beau ne pas connaître cet homme, je suis fière. C’est comme ça que j’ai été élevée, être fière des succès des autres même quand ils ne nous concernent pas le moins du monde. Ses mots sont beaux et j’espère que je serai cette personne pour laquelle on a envie de se battre un jour. Mon père dirait que le pourquoi du comment, on s'en fiche dans ces moments. La fin ne justifie pas les moyens mais des fois, il vaut mieux ne pas trop chercher et juste profiter. C’est ce qu’il doit faire je crois. Juste profiter de cette force qui le maintient loin de l’alcool, même quand il a un verre en mains. Verre que j’ai maintenant entre les doigts et que je repousse un peu plus loin, derrière moi, comme pour que la chose qu’il voit ce soit moi et pas elle, la vile tentatrice. Elle est là la force que vous puisez pour ne pas replonger. C’est ton amour pour cette fille qui est ta force. Et bien que je ne sois une très grande romantique en temps normal, je dois dire que ça me touche carrément. Elle a beaucoup de chance. Que je souffle avec un sourire. Avoir un homme qui se bat continuellement face à ses démons pour lui mais aussi la personne qu’il aime, c’est beau. Ça doit être une pression énorme aussi mais ça, c’est un autre sujet. Mais c’est normal Adrian ! Qui suis-je pour juger ? À part une casserole qui a beaucoup de goûts ? Et j’en ris, de cette petite définition qui me va si bien. Et si jamais un jour tu as besoin d’un peu de bons goûts et d’une discussion pour t’écarter d’une bière ou autre, tu peux compter sur moi. Que je lance avec un sourire, sortant une de mes cartes de visites de mon tout petit sac à main. On ne sort jamais sans ces choses. Je lui tends et souris largement En plus, ce n’est pas difficile de me trouver. Je suis soit chez moi, soit au centre LGBT, soit dans l’un des théâtres de Broadway. Faire partie de l’ensemble n’est pas ce que j’aime le plus, je ne peux pas le nier, mais ça me fait quand même du bien. C’est quelque chose que je continue de partager avec mon père et c’est le plus important pour moi. En tout cas, j’espère qu’il fera bon usage de ces informations.

Adrian était plus content d’être tombé sur quelqu’un comme Nicola, parce qu’il voyait en elle quelque chose de doux, quelque chose de compréhensif et c’était sûrement ce qu’il cherchait. Quelqu’un qui comprendrait sans juger et surtout quelqu’un qui l’empêcherait de faire la connerie qu’il s’apprêtait à faire. Et il voudrait la remercier comme il était possible de le faire mais il ne savait pas vraiment comment en vérité. Est-ce qu’il devait lui payer un verre ? Alors qu’elle avait une bière gratuite. Est-ce qu’il devait l’inviter à dîner un soir ? A passer au café ? Il ne savait pas alors il s’abstenait bien de faire quelque chose qui pourrait être mal interprété. « Et votre père n’a pas tort. » confirma Adrian, après tout son psy lui avait expliqué qu’il fallait qu’il ne se focalise que sur ce qu’il faisait et pas sur le pourquoi pour ne pas avoir à se poser de questions. Après tout, il ne voulait pas s’en poser de questions, pour lui, ça ne servait strictement à rien. A ses mots, Adrian n’est pas sûr qu’elle ait de la chance de l’avoir dans sa vie parce qu’il est tout cabossé et tout abîmé. Mais il rajouta « Je ne suis pas sur qu’elle ait de la chance, mais bon. On va dire que oui ? » Un rire franc en sincère s’échappa du lèvre du barista et il secoua la tête quand au fait qu’elle se caractérise tel une casserole et il ne put s’empêcher de pincer ses lèvres pour ne pas repartir en fou rire « Oh je ne me serais jamais permis de dire que tu étais une casserole ! » Il ne l'avait pas entendu chanter de toutes façons. Il allait rétorquer quelque chose mais il n’eut pas le temps qu’elle lui tendait une carte, alors il la récupéra, jeta un oeil et la rangea dans la poche arrière de son jean avant de pouvoir répondre « Je ne manquerais pas d’y penser.Et je crois que ma soeur est au LGBT Center aussi, elle est bénévole. » Il ne savait pas franchement pourquoi il parlait de sa soeur mais s’il pouvait l’évoquer, il le faisait à chaque fois. « Clare. Clare Perkins. Une petite blonde, qui est aussi à Broadway d’ailleurs. Elle est exceptionnelle. » Même si avant c’était compliqué, il était fier de parler d’elle aujourd’hui. « Elle joue Cosette, dans les misérables. Si jamais un jour tu veux y aller, je pourrais t’y emmener ? Ce serait un remerciement en tout bien tout honneur pour ce que tu as fait pour moi. »

Un sourire se dessine sur mes lèvres aux mots du jeune homme. Mon père serait si heureux d’entendre que toutes ces grandes leçons qu’il m’a donné pendant des années aident quelqu’un d’autre que moi. Comme quoi, il faut toujours écouter et simplement attendre que le moment soit le plus opportun pour diffuser ce que l’on a appris. Disons que oui. Je ne voudrais pas parler pour elle. Que je souffle avec un sourire en parlant de la demoiselle qui partage sa vie. Si elle reste avec lui c’est qu’elle se sent chanceuse non ? Personne ne s’embête dans une relation si ça ne va pas. Surtout à nos âges ! Nous n’avons pas le temps pour cela, pour les galères et les peines de coeur incessantes. Il faut pouvoir être heureux et même s’il a failli fauter ce soir, je crois qu’il est parti pour remonter la pente. Nos rires se lient rapidement et facilement et j’hausse les épaules à ses mots. Toi non mais moi je le dis. Mon père a eu beau faire ce qu’il voulait pendant des années, les sons sortent plutôt juste mais dès que j’essaye d’y mettre de la force, ça déraille de tous les côtés. C’est bien pour cela que je n’ai jamais eu de grands rôles - sans compter le fait que je déteste être sur scène, au centre de cette dernière. Le théâtre c’est une passion que je ne partage pas vraiment avec mon père. Voir des shows, aucun souci, être dessus, c’est plus une jolie et douce corvée qu’autre chose. Je suis juste là pour remplacer quelqu’un en cas de soucis de dernière minute et si - et seulement si - il n’y a pas d’autre solution. Et alors que je sens que le moment touche à sa fin - je ne suis pas de celles qui font durer les choses par pur égoïsme, je lui donne ma carte et lui communique quelques informations qui pourraient l’aider à me retrouver en cas de soucis, si l’envie est si grande qu’il a besoin d’une aide extérieure. Je l’écoute et ne peux m’empêcher de cacher mon sourire quand il me propose d’aller voir les Misérables si je le souhaite. C’est tellement gentil… Que je souffle en posant ma main sur son avant-bras. Je suis à deux doigts de décliner quand je me dis que ça peut être une bonne idée. Je n’ai pas envie de lui mettre dans les dents que c’est mon père qui possède ce théâtre et que je n’ai donc pas besoin de payer pour y aller. N’hésites pas à me dire quand tu veux y aller. C’est un nouveau rôle qu’elle vient de prendre en plus, non ? Il n’y a pas tant de turn over que ça sur Les Misérables mais il me semble que la nouvelle Cosette ne l’est pas depuis dix ans. Je ne sais plus, c’est pas toujours facile de se souvenir de tout…