Si il y a bien un évènement que je ne manque jamais, c’est celui-ci. Défilés de mode, cocktails et rencontres avec de nouvelles personnes, je ne dis jamais non quand Papa me dit qu’il peut m’avoir des places grâce à ses connaissances. C’est le premier défilé de l’évènement du mois de septembre, et j’ai sorti ma plus belle tenue. Un tailleur pantalon rose poudré, le blazer fluide qui va avec, une chemise blanche avec des détails en dentelle transparente, bref. Il n’y a pas de meilleure occasion pour s’habiller de la sorte, même si je considère qu’on a pas besoin d’une occasion pour se vêtir avec goût. Je scrolle mon instagram alors que les gens s’installent à leur place, faut bien dire que je suis arrivée en avance à l’évènement, c’est plus pratique ainsi : j’ai la possibilité de voir chaque personne débarquer les unes après les autres en levant de temps en temps les yeux de mon téléphone. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque je vois une nouvelle personne s’approcher de moi. Est-ce bien elle ? Sutton Young ? L’ancienne célébrité Disney Channel, dont j’étais fan quand j’étais petite ? Mais pas besoin de la regarder deux fois pour en être certaine, c’est vraiment elle qui s’installe à côté de moi. Je garde les jambes croisées, je fais de mon mieux pour ne pas exploser. Act natural, act natural, act natural, que je me répète à moi-même, les yeux toujours rivés sur le dernier post instagram de Lady Gaga. « Bonjour, excuses moi… Sutton, c’est ça ? »  je prends mon courage à deux mains et me tourne vers ma voisine, je ne peux pas l’ignorer plus longtemps, il FAUT que je me présente. « Tu ne me connais pas, je suis Ana Maria. Mais je suis obligée de te dire que j’adore ton sac à main. »  Je la complimente, me disant que c’est la meilleure première approche possible. Si elle est là, c’est qu’elle aime la mode au moins autant que moi, alors je me dois d’attaquer avec ce que, je pense on doit avoir en commun. « C’est un Chanel, celui-ci non ? Il est magnifique. Comme tout le reste de ta tenue, d’ailleurs. »  Et j’arbore mon sourire le plus raffiné, je ne peux pas faire apparaître la petite fangirl en moi qui bouillit sur place.

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Fashion Week. Des défilés sur les podiums, mais aussi une parade de célébrités de tout calibre, des plus grandes A listers du cinéma aux instagrammeuses avec plus d'argent que de sens commun. Evidemment, tout ce beau monde ne s'assoit pas au même endroit et n'est pas convié aux mêmes after parties. Comme souvent, Sutton se trouve quelque part entre le milieu et le bas de cet ordre social si particulier. Pas assez célèbre pour avoir une place de choix dans les premiers rangs, pas assez insignifiante pour se retrouver sans invitation. Elle est conviée, se noie dans la masse, voit le cast du nouveau Gossip Girl se faire mitrailler sous toutes les coutures, les assistant.e.s courir dans tous les sens pour placer untel, donner sa bouteille d'eau pétillante à la rose à unetelle. Un vaste cirque pour vendre trois bouts de tissu hors de prix, mais elle ne manquerait pas l'événement.

Sutton adore la mode, jouer avec son style, se réinventer un peu au fil des tendances et des saisons. Il lui a fallu du temps pour sortir du moule "starlettes Disney qui n'a jamais fait d'overdose" et échapper aux photos d'archives de ses tapis rouges des années 2000. La mode du pantalon taille basse, des chaussures à plateforme, du large collier et du débardeur moulant n'allait à personne, il est temps de se rendre à l'évidence. Aujourd'hui, elle cultive un style bien plus raffiné. Hors de question à son âge de s'aventurer du côté du streetwear et des abdos à l'air, elle essaie donc de choisir des choses qui la mettent en valeur, qui sont élégantes.

C'est donc vêtue d'un tailleur pantalon bleu marine - à la veste au décolleté assez plongeant et stratégiquement boutonné pour ne pas révéler sa jolie brassière - qu'elle s'installe sur sa chaise. On pourrait croire qu'avec tout l'argent injecté dans cette industrie, les organisateurs de défilés pourraient faire mieux que des espèces de chaises pliantes de bureau, mais soit. Elle entend alors son prénom et lève les yeux vers sa voisine, qu'il ne lui semble pourtant pas connaître.

Cette dernière se présente, confirmant que l'actrice n'a pas la moindre idée de qui il s'agit. Elle complimente alors son sac et sa tenue, ce à quoi Sutton réplique naturellement par un sourire chaleureux. Cela fait toujours plaisir, surtout venant de quelqu'un qui est aussi bien habillée. « Oh tu es adorable merci! Oui, c'est un Chanel vintage, pourquoi s'éloigner d'un classique? » Le petit sac noir à la chaîne dorée est indémodable, c'est ce qui fait son charme. Scannant rapidement la tenue de la jeune femme, elle ajoute. « J'adore cette couleur sur toi, ça vient d'où? Gucci? » Poussée par un élan de sociabilisation et pas encore épuisée d'une semaine de bavardages fashion, elle continue sur sa lancée. « Tu fais quoi au fait? On s'est déjà croisées peut-être? Je suis désolée, j'ai une affreuse mémoire des visages! » Ce n'est pas entièrement vrai, mais c'est toujours une excellente excuse quand on rencontre beaucoup de gens.

Qui aurait cru que j'allais avoir la chance de me retrouver assise à côté de l'actrice que j'adorais plus que tout quand j'étais petite ? Je me suis toujours considérée comme quelqu'un de chanceuse, mais je n'avais pourtant pas songé à cette potentialité là. En plus, quand je l'aborde, elle ne me rejette pas du tout, et au contraire, semble ouverte à la discussion, ce qui me ravie encore plus que je ne l'étais déjà. « Tu as raison, surtout les classiques les plus élégants comme celui-là.  »  Jackpot, Sutton me retourne le compliment, elle dit adorer la couleur de mes vêtements, alors mon sourire ne fait que s'élargir, et je suis certainement la plus heureuse au milieu de toutes ces personnes qui ne sourient pas assez à mon goût. « Touché. Merci beaucoup, ce tailleur est ma dernière acquisition et j'en suis très fière. »  Faut dire que je peux, en être aussi fière, quand je pense qu'à mon âge ma mère s'habillait à Wallmart.
Je range enfin mon téléphone dans mon sac à main, je ne veux surtout pas avoir l'air mal polie. Surtout que Sutton me pose des questions, je n'ai donc pas l'air de l'avoir dérangé plus que cela, puisqu'elle souhaite converser avec moi. « Non, on ne s'est jamais croisées. Je suis danseuse, c'est simplement que je connais pas mal de séries et films que tu as fait il y a quelques années. J'étais une grande fan de Disney Channel. J'ai aussi vu quelques uns de tes boulots plus récents, mais j'avoue, pas tout. »  Je me pince les lèvres, espérant ne pas passer pour une fanatique, « je trouve que t'es vraiment douée. »  J'espère qu'elle ne pense pas que je la brosse dans le sens du poil pour l'avoir dans ma poche ou quoi que ce soit, parce que ce que je dis à Sutton est sincère, j'aime beaucoup son travail. « Je doute que tu ai vu les représentations dans lesquelles je danse, je fais partie d'une petite troupe de New York. » Même si les salles que l'on fait sont de plus en plus vite sold out, on est encore loin de broadway.

Sutton sourit doucement, hochant la tête d'un air entendu, quand la jeune femme abonde dans son sens. D'abord, parce qu'elle aime bien qu'on lui donne raison, ce qui est très humain après tout. Mais aussi parce que c'est ce genre de moments qui lui permettent d'apprécier pleinement la folle période de la Fashion Week. Evidemment, il y a les défiles somptueux, les after party où elle est parfois invitée, mais pouvoir partager une de ses passions avec d'autres femmes comme elle, sans être jugée pour sa frivolité, ses dépenses, son (absence de) talent… C'est reposant en un sens, malgré le rythme frénétique.

Ana Maria lui confirme la provenance du tailleur à la coupe élégante et la brune ne se prive pas pour l'examiner une nouvelle fois de haut en bas, prenant cette fois bien le temps d'observer. « Tu peux, il est canon! » répond-t-elle enfin. Nouveau sourire, l'actrice se détend un peu, contente de ne pas être assise à côté d'une de ces filles pète-sec qui se croient mieux que tout le monde, ni une nouvelle venue un peu trop bavarde et exubérante. Certes, la demoiselle penche plus d'un côté que de l'autre, mais elle n'en fait pas trop.

Cette dernière lui apprend alors qu'elle est danseuse et qu'en effet, Sutton ne la connaît pas. Mais, elle connaît Sutton. Il est vrai qu'elle a l'air d'entrer pile dans la bonne démographie. L'ex starlette sourit, d'abord poliment et un peu artificiellement, puis plus sincèrement quand la jeune femme lui dit avoir apprécié ces derniers projets. La plupart de ses fans Disney conservent une image d'elle à 8, 12 ou 17 ans et l'attache à une nostalgie de leur enfance ou leur adolescence, dans laquelle l'actrice n'est pas réellement une personne, mais simplement un symbole. De temps en temps, des adultes l'abordent pour lui parler d'autres films, mais c'est rare et Sutton a fini par accepter que son image publique n'était peut être pas très multidimensionnelle.

Alors, elle est agréablement surprise des propos d'Ana Maria et se trouve presque émue quand elle répond doucement « Oh, merci. Merci beaucoup. » Toussotant légèrement pour éviter l'embarras d'une émotion sincère en public, elle poursuit. « Honnêtement, que tu ai vu un seul de mes films post Disney est déjà incroyable, alors ne t'en fais pas. Et si tu veux, je pourrais te faire une petite liste de ceux que tu peux esquiver. » Peu après la fin de son contrat avec le géant de l'industrie, elle a connu une petite phase de creux qui l'a contrainte à faire des choix qui n'avaient rien de très artistiques. Si elle peut lui éviter de s'infliger ça, c'est le moins qu'elle puisse faire.

« Je t'avoue que je ne suis à New-York que depuis quelques années pour une série… » Elle n'entre pas trop dans les détails, ne souhaitant pas forcément faire sa promotion alors qu'elle partage un bon moment avec quelqu'un, pour une fois. Et puis, ce serait gênant pour tout le monde si jamais la charmante Ana Maria n'est pas friande de Netflix ou n'a jamais vu le projet en question. Sutton enchaîne donc rapidement. « Du coup, je ne suis pas forcément beaucoup sortie et principalement pour voir du théâtre, tu sais ce que c'est, on travaille tout le temps même depuis la fosse. » Prise à la fois d'une tendresse mal placée et d'un brin de curiosité, elle ajoute. « Tu te produis où exactement? »