one single thread of gold tied me to you | david

« Et comment va Rosie? Bea n’est peut être pas en Facetime, mais elle visualise très bien sa belle fille lever les yeux au ciel. Elle n’est y pour rien si la petite Foster est bien trop facile à taquiner. Elle ajoute tout de même rapidement, histoire de ne pas passer pour une grand-mère indigne, en plus d’une marâtre, « Et Abby? » Elle détecte un sourire amusé dans la voix de son fils, qui lui répond clairement tout en faisant la cuisine. « Elles vont très bien, Rose te passe le bonjour. Et Abigail a gagné un prix en science à l’école, elle a clairement hérité de l’intelligence de sa maman! » Un rire d’enfant résonne en arrière-plan, aussi Bea surenchérit « Et de tes beaux yeux, elle a vraiment tout pour réussir cette petite! De nouveaux gloussements, avant que le ton toujours sarcastique de sa belle-fille ne se fasse entendre « Ne la flattez pas trop, sa tête passe déjà difficilement les portes.» Les éclats de rire se généralisent, même si des chamailleries de plus en plus distantes se font entendre entre les deux femmes de la maison.

Jason reprend finalement, de son ton sérieux de fils dévoué. « Et toi Maman, ça va? Je suis désolé, on a pas pu beaucoup venir ces temps-ci, mais on viendra en août, promis. » Savoir son aîné, son seul fils sur un autre continent, à un océan d’elle n’était pas devenu plus facile avec le temps. Mais il avait une vie, une fille, une femme avec qui il n’est pas marié, pour des raisons compliquées et personnelles qu’on ne lui demande heureusement pas de comprendre. « Tout va très bien mon chéri, ça me fait très plaisir que vous veniez, j’espère que David pourra se libérer et que ta sœur prendra enfin des vacances, elle se tue au travail, il faudrait que tu l’appelles pour lui en parler. » Sarah a repris la franchise familiale de petits diners new-yorkais d’une main de maître, ouvrant même des restaurants dans le New-Jersey. Elle a aussi créé un menu vegan et embauche des étudiantes en marketing pour créer des TikToks, whatever that is. Si Bea reste officiellement CEO et est toujours investie dans son petit empire, sa deuxième fille est clairement le capitaine du navire aujourd’hui.

Et a hérité de l’éthique de travail maternelle, ce que Jason ne manque pas de soulever. « Je me demande de qui elle peut tenir ça tiens! Mais oui, je l'appellerai si tu veux et puis, elle lâchera bien son téléphone pour Abby. Je pense. » Son fils a clairement passé trop de temps chez les anglais, pour développer un tel toupet. « Hm, tu n’es pas trop adulte pour que je te remette à ta place hein mon grand, fais attention comment tu parles. Il n’y aucune menace réelle, mais ça ne fait jamais de mal de rappeler à ses enfants qui est la cheffe de famille. La sonnette de l’entrée se fait entendre et Bea raccroche donc, lui faisant promettre de rappeler bientôt et de dire à Rachel d’en faire autant.

Si elle entretient une relation toute particulière avec son aîné - celui qui l’a aidé à élever ses filles même s’il n’aurait pas dû avoir à le faire, son petit roc de stabilité face aux vagues du deuil et du stress de la vie de mère seule - son rapport avec sa benjamine est un rien plus complexe. Evidemment, elle adore la petite dernière, qui a peut-être même était un peu gâtée, mais elles sont aussi incroyablement différentes et la vie nomade de sa fille l’inquiète. Toujours entre deux boulots, deux apparts, deux relations, toujours en train de courir, de changer d’avis, d’attendre le prochain chèque. Non pas pour économiser, ouvrir un 401K, trouver quelqu’un avec qui construire un foyer. Pour voyager, se lancer dans un nouveau hobby qu’elle abandonnera dans un an, pour offrir des cadeaux à ses neveux et nièces. Mrs Baker s’inquiète et Rachel s’agace et cela fait des années que ça dure. Marianne lui a donné du fil à retordre dans sa jeunesse, toujours à tout contester - que ce soit ses notes ou la société au sens large - mais aujourd’hui sa fille aînée exprime toute sa rage contre la machine dans son travail et mène une petite vie de famille des plus posées, joignant régulièrement sa mère au yoga et lui proposant de bruncher avec elle et sa charmante épouse. Le chemin avec Rachel ne lui paraît que plus long à cette pensée. Elle soupire un peu, préférant enfin s’intéresser à qui se trouve derrière sa porte d’entrée.

En passant devant le large miroir du hall, Bea observe d’un coup d'œil sa longue robe portefeuille moutarde, qui contraste joliment avec son teint et s’assortit à merveille à ses boucles d’oreilles en bois et ses fidèles Birkenstock. Pas besoin d’en faire des caisses, ce n’est qu’un petit déjeuner. Elle lui ouvre enfin, tout sourire et dépose un doux baiser sur sa joue. « Comment vas-tu darling? Laisse moi une seconde, je prends mon sac. » Joignant le geste à la parole, elle fourre son téléphone dans un joli tote bag à l’effigie de Baker’s Diner, encore une idée de sa fille, prend ses clés sur le buffet de l’entrée et rejoint enfin son cher et tendre sur le pas de la porte. « Chez toi du coup? Ou tu veux faire un petit pique-nique, vu qu’il fait beau? »

Certains jours, David avait encore du mal à réaliser qu'il n'était plus tout jeune. Non pas parce qu'il entretenait l'illusion fantasque d'être toujours trentenaire, loin de là, mais après trois décennies passées entre ses patients et ses filles, il était parfois difficile de prendre conscience que sa vie avait changé. Après son entrée dans la soixantaine, il avait levé le pied au cabinet, avait pris plus d'heures à Columbia, s'était découvert de nouvelles passions — durables, celles-ci, comparées aux obsessions passagères qui l'avaient vu passer une semaine ou deux terré à la bibliothèque à l'époque où il était encore étudiant. Mais le plus étonnant, dans tout ça, restait Bea. À trente ans, il n'avait pas spécialement le temps d'entretenir une relation, pas l'envie non plus. Pas l'énergie de s'exposer à un potentiel rejet lorsque son manque d'intérêt pour l'aspect physique des choses se ferait inéluctablement savoir, pas la force mentale de naviguer les virages vertigineux des débuts timides pour finir seul lorsque l'autre personne réaliserait qu'iels n'avaient pas les mêmes attentes. Tristement, naïvement peut-être aussi, l'idée qu'il puisse un jour trouver quelqu'un qui lui correspondrait, quelqu'un avec qui affinités et désirs s'aligneraient, ne lui avait pas traversé l'esprit. Ça ne lui avait pas spécialement manqué non plus. Comment pouvait-on attendre plus quand on se sentait comblé ? Pas seulement par le travail mais surtout par ses filles. S'il y avait bien une connexion dont il avait besoin, c'était celle qu'elles lui avaient offert en entrant dans sa vie. Et pourtant — Bea. Il ne l'avait pas attendue, pas vraiment, mais même après deux ans, il restait émerveillé par son existence, par le fait qu'elle était restée sans jamais lui demander de changer. Et il était probablement trop vieux pour ça mais ça n'enlevait rien à la joie, évidente mais pourtant si complexe, d'être accepté.

Si inexpérimenté qu'il pouvait être en matière de relations amoureuses, David n'en était pas pour autant ignorant. Il avait conscience qu'ils étaient certainement encore en plein honeymoon phase, que le risque que tout ça, cette légèreté, cette facilité qui accompagnait chaque échange, chaque sortie, pouvait très bien finir par s'étioler. Il n'était pas inquiet, pas vraiment. Il doutait que Bea se réveille un matin, incapable d'accepter ses excentricités any longer ou décide soudainement de ne plus vouloir avoir affaire à lui. Qu'elle le ghoste — il n'était pas certain de comprendre le concept mais ses étudiants avaient gaspillé dix minutes de son temps lors de leur dernier cours du semestre pour le lui expliquer, aussi espérait-il employer le terme de manière approprié. C'était l'avantage, peut-être, de vieillir. On laissait les enfantillages facilités par le progrès technologique pour se concentrer sur l'essentiel. Et le plus important, en l'occurrence, c'était qu'il aimait la présence de Bea dans sa vie, aussi terrifiant que ça pouvait être parfois. Avant de la rencontrer, la simple idée de commencer sa journée sans aller au cabinet ou à Columbia aurait été parfaitement ridicule. Aujourd'hui, toutefois, il n'avait aucun mal à la placer en pole position dans la liste de ses priorités. Eryn et Daisy auraient probablement des choses à dire sur le sujet — si tant est qu'il trouve un jour les mots pour le leur dire. Ça finirait par arriver. Un jour. Un jour prochain. Mais pas aujourd'hui.

C'est donc guilleret et sans ses enfants en tête — on n'arrivait pas à soixante-cinq ans, avec la famille dans laquelle il avait grandi, sans une expertise certaine en matière de déni — qu'il arriva chez Bea. Le vague sourire qu'il portait toujours lorsqu'il pensait à elle s'élargit lorsqu'elle lui ouvrit et embrassa sa joue. Rien ne presse, glissa-t-il, se retenant à grand peine de se lancer dans une explication longue et sans doute pompeuse quant au fait qu'il allait bien, très bien, merveilleusement bien comme à chaque fois qu'ils se voyaient. David s'était quelque peu méfié, au départ, de cette euphorie inattendue qui le gagnait lorsqu'il était question de Bea. Mais après tout, pourquoi lutter ? Il n'en avait pas envie et n'en voyait pas non plus l'intérêt. J'imagine que ce serait dommage de ne pas profiter du soleil, lança-t-il avec un bref coup d'œil pour le ciel bleu, dénué de tout nuage. Il baissa la tête, tout sourire, avant de lui tendre une main. Mais du moment que tu es là et que je finis par avoir une dose de caféine, le reste n'a pas d'importance. Étonnant, ce que la bonne personne était capable de faire oublier à quelqu'un pour qui structures et habitudes étaient une lutte constante. Évidemment, David n'avait pas attendu l'arrivée de Bea dans sa vie pour parvenir à trouver un certain équilibre et des subterfuges pour garder à distance son anxiété quant à ses difficultés à suivre son emploi du temps. Mais à ses côtés, il se sentait apaisé, moins enclin à chercher à tout prix à combler son temps libre par moults activités. Comment vont tes enfants ? s'enquit-il ensuite, incapable de résister à la tentation d'avoir un aperçu de la mère accomplie qu'elle était.

Avec un sourire attendri, Bea glisse sa main dans celle de David, appréciant toujours la flatterie à son âge. Cela fait longtemps qu'elle ne s'est pas sentie aussi heureuse que quand elle voit son nom apparaître sur l'écran de son téléphone, ou mieux encore, quand il apparaît sur le pas de sa porter. Evidemment, la naissance de ses petits enfants, ses succès en affaire, le plaisir simple d'un pancake parfaitement réussi de bon matin, ses retraites de yoga, les tomates qui rougissent dans son petit jardin… Toutes ces choses lui provoquent différent degré de joie et de bonne humeur et rien ni personne ne remplacera jamais sa famille. Ne remplacera jamais Michael. Mais David est arrivé dans sa vie au moment idéal, quand elle se sentait déjà comblée et était prête à recevoir un amour nouveau, une nouvelle relation pour l'accompagner dans ce nouveau chapitre. Elle a redécouvert avec lui ce que ça faisait d'avoir toujours quelqu'un pour répondre au téléphone, sur qui compter si on a besoin d'un +1 pour un mariage, avec qui elle a envie de ne simplement rien faire autour d'une tasse de thé.

Mais ce sont beaucoup d'émotions, difficiles à transcrire en quelques mots. Alors elle sourit, radieuse et rétorque d'un ton léger. « Tu me flattes tu sais. Et place beaucoup d'importance sur les épaules de la caféine, mais je suis sûre qu'on te trouver quelque chose. » Elle ferme soigneusement la porte derrière elle, ajuste son sac sur son épaule puis ajoute. « Et si on commençait par ça d'ailleurs? Si on veut faire un pique-nique, il faudra passer par un supermarché et te connaissant, je pense qu'il vaut mieux boire un café d'abord. » D'un geste, elle désigne le bout de sa rue, où un coffee shop un rien hipster a ouvert il y a quelques années. Si Bea a longtemps évité l'endroit - déplorant la gentrification effrénée de son quartier - elle a finit par y prendre goût, une fois que les hordes d'étudiantes en crop top s'en sont lassées. Le café y est bon et ils ont même une bonne sélection de thé, ce que la plupart des endroits du genre négligent.

Lors de leur courte marche, David l'interroge sur ses enfants et, en fière maman qu'elle est, Beatrice ne peut que se saisir de l'opportunité. « Ils vont très bien, j'étais justement au téléphone avec Jason, il devrait venir bientôt, avec Rosie et la petite. En août je pense, tu as un peu de vacances? Ca me ferait plaisir qu'on fasse un repas de famille, mais entre toi et Sarah, je me dis que je devrais déjà commencer à préparer le repas de Noël, si je veux que vous veniez! » Elle rit, pour appuyer le fait qu'elle ne lui en veut pas du tout. Après tout, il a sa famille aussi et il est passionné par son métier. Tout comme sa fille. Toutefois, même si son partenaire tend à la mettre sur un piédestal en ce qui concerne l'éducation de ses enfants, il sait que tout est loin d'être parfait. « Je n'ai pas parlé à Rachel depuis quelques temps, je crois qu'elle évite mes appels, j'ai encore dû dire quelque chose qu'il ne fallait pas. Mais bon, ça lui passera! » Du moins, elle l'espère fortement. Maintenant un sourire doux, elle demande à son tour. « Et toi, avec tes filles, comment ça va? » Un sujet lui aussi complexe, mais pour bien d'autres raisons. Elle n'ajoute rien, laissant pour l'instant en suspens la question grandissante des derniers mois. En effet, si David a progressivement fait la connaissance de tout le clan Baker, au moins sur FaceTime, Bea n'a pas encore eu l'occasion d'être officiellement présentée aux filles O'Hare. Mais elle a trop de tact pour aborder le sujet, alors que le ciel est bleu et qu'ils approchent du charmant café.

À quinze, vingt, trente ans, David avait eu d'autres considérations que sa vie amoureuse. Il y avait eu ces moments fugaces, une prise de conscience sur son manque d'intérêt pour certains aspects d'une relation, la certitude de ne pas rentrer dans ces cases que ses parents affectionnaient tant, des bribes d'envie lorsqu'il entendait ses collègues évoquer leurs partenaires à la machine à café. Globalement, pourtant, il s'était peu arrêté sur la question de son célibat, trop concentré sur ses études, puis son indépendance et ensuite, sa propre petite famille. Ça ne lui avait pas manqué, pas vraiment, et il était intimement persuadé que l'arrivée de Bea dans sa vie n'était pas simplement une affaire de bon timing et de place récemment faite dans son existence, non. C'était peut-être un peu idiot, un peu trop romantique, mais il restait convaincu qu'elle était la raison majeure. Que quelqu'un d'autre n'aurait pas su rester, n'aurait pas la même influence sur son agenda et sa psyché. Que sentir une autre main contre la sienne n'aurait pas donné à David l'impression d'être sur l'un de ces petits nuages dont le ciel était dépourvu aujourd'hui. Qu'un autre sourire que celui de Beatrice, si rassurant, si chaleureux, n'aurait pas poussé son cœur à une cavalcade effrénée dans sa cage thoracique. Tout ça pour un pique-nique.

(Et, s'il était un peu honnête, parce qu'elle le connaissait suffisamment bien pour composer avec son excentricité, à commencer par son incapacité à fonctionner correctement sans caféine. Et ce, sans la leçon de morale qui accompagnait généralement sa consommation. Peut-être avait-il passé trop de temps avec des médecins bien-pensants. Fucking doctors.)

Tu me connais trop bien, laissa-t-il échapper d'un ton qui faisait plus que sous-entendre à quel point il en était ravi. David n'était pas idiot, pas totalement naïf non plus. Il avait conscience que s'ouvrir aux autres était un risque, parfois une erreur, mais il savait aussi très bien qu'il était particulièrement chanceux. Si plus de gens pouvaient trouver leur Bea, le monde compterait certainement un peu moins de cœurs brisés.

Le pas léger et son propre cœur tout à fait entier et plein, David se laissa guider dans ce quartier dans lequel il commençait à trouver ses marques. On était loin, bien sûr, de Staten Island et du Dawson Circle où il avait ses habitudes, mais chaque visite à Bea, chaque exploration des recoins les plus charmants de Williamsburg alimentait sa curiosité de new yorkais trop occupé pour découvrir sa propre ville. Et évidemment, la compagnie était toujours un plus. Il ralentit, le temps de quelques secondes, toujours aussi surpris d'être inclu de facto dans les projets de Bea, avant de reprendre son allure, un sourire plus large encore aux lèvres. Je ferai le nécessaire pour avoir du temps, donne-moi juste la date et l'heure. Il pouvait presque voir sa fille aînée, dans un coin de sa tête, soulever un sourcil circonspect, l'air de dire 'vraiment' ? Il chassa bien vite l'image, son enthousiasme un rien douché par l'inévitable vague de culpabilité qui accompagnait chaque pensée pour ses enfants en présence de Bea. De sa main libre, il ouvrit la porte du coffee shop, l'invitant tacitement à entrer avant lui. Une manière, aussi,  de gagner un peu de temps avant d'admettre qu'il n'était pas autant au fait de ce qui se passait dans la vie de ses enfants qu'elle ne l'était avec les siens. Pas qu'il s'agissait d'une compétition de quelque sorte, non. Simplement la vie de famille de Bea ressemblait parfois à un miroir qui le forçait à faire face à ses fautes. J'ai vu Eryn il y a quelques temps, commença-t-il, feignant d'étudier soigneusement le menu accroché en hauteur — comme s'il allait commander autre chose qu'un Americano dans la plus grande taille disponible. Elle va bien, je crois. Il aimait à se dire qu'il s'en apercevrait vite, si quelque chose clochait, mais David n'était pas le père le plus perspicace qui soit. Si c'était le cas, il n'aurait pas laissé un tel gouffre se creuser avec sa cadette. C'est avec Daisy, ma plus jeune, que c'est... compliqué, admit-il dans un soupir, je... j'ai laissé les choses se dégrader et je sais pas exactement comment y remédier. Je pensais lui laisser un peu de temps, de place, tu sais ? Mais la connaissant, je doute qu'elle fasse le premier pas et à vrai dire, ce n'est pas à elle de le faire non plus. Imposer cette responsabilité à sa fille était injuste, il le savait. D'un autre côté, l'idée de lui imposer quoi que ce soit me donne des sueurs froides, reprit-il avec un frisson, et je ne veux pas faire plus de dégâts, juste, um. Elle me manque.

Sachant reconnaître un effort quand elle en voit un, Bea hoche doucement la tête quand David lui assure qu'il sera présent pour faire la connaissance de Jason, Rose et Abigail. Autant, une fois les choses installées et certaine de ses sentiments, la mère de famille n'a eu aucun mal à présenter son compagnon à ses filles, autant elle redoute un peu la rencontre avec son fils. Il est évidemment ravi pour elle, a été tout sourire et charmant les quelques fois qu'il a vu David en arrière plan d'un appel vidéo. Mais elle a élevé un garçon aussi poli que têtu. Et au vu des responsabilités qu'elle a placé sur ses épaules à un trop jeune âge, elle ne peut pas exactement lui en vouloir de se montrer plus protecteur qu'il ne le devrait. Mais pour l'instant, ils n'en sont pas là. Pour l'instant, elle entre dans un café, à la suite de son partenaire, un sourire aux lèvres. « C'est super, ça me fait très plaisir. Je te donne les dates dès qu'ils auront pris leur billet, ça ne devrait pas traîner, ma belle-fille est très organisée. » Si ça ne tenait qu'à Jason, il prendrait sûrement un billet au dernier moment, espérant trouvant une occasion sur le dernier siège en classe éco. Mais elle n'imagine pas Rose voyager autrement qu'avec un upgrade en business class avec sa carte platine, tous les détails réglés des mois à l'avance. Et honnêtement, elle ne peut qu'être d'accord.

Ils approchent du comptoir, la courte file devant eux se vidant à un bon rythme, tandis que David lui raconte ses dernières conversations avec ses filles. La brune hausse un sourcil, mais ne dit rien, en entendant les mots "je crois." Ce n'est pourtant pas une question bien compliquée. Mais elle repense à Rachel, se demande comment elle va et se rend compte qu'elle ne peut répondre honnêtement avec certitude. Pas si mal, bien sûr, c'est une jeune femme créative, sociable. Mais elle ne peut que s'inquiéter de son manque d'ancrage, de son compte en banque un peu trop proche de zéro. Elle suppose, n'ayant bien entendu pas accès à ce genre d'informations et le reste de ses filles refusant, à raison, de lui communiquer quoique ce soit que la cadette ne souhaite pas dire elle-même. Et sans doute Rachel ne dirait pas elle-même aller mal, même si Beatrice serait peut-être en désaccord. Elle comprend donc et n'est pas de celles qui jugent les autres parents de toute façon. Elle a trop souvent été de l'autre côté de ce genre de remarques, mère seule afro-américaine s'occupant de 4 enfants.

David lui explique alors ses inquiétudes au sujet de sa plus jeune fille, Daisy. Là encore, la mère de famille ne peut que compatir et les mots de son compagnon la touche plus qu'il n'y paraît. C'est différent, bien sûr. Mais ça n'en est pas moins parlant. Elle pose une main sur le bras du blond, essayant de se montrer réconfortante tout en continuant à l'écouter avec attention. Il n'y a pas grand chose de plus à faire, mais elle sait qu'il ne lui aurait pas dit tout ça s'il n'attendait pas au moins un bout de réponse. Qui ne le satisfera pas pleinement, mais il n'y a que lui et sa fille qui peuvent résoudre cette équation. « Je pense que tu as raison de la laisser respirer, en tout cas, que ce soit elle qui puisse décider de quand et comment elle veut venir vers toi. Mais pour ça, il faut quand même que tu ouvres la communication clairement. Ce n'est que mon humble avis bien sûr, mais un petit message pour lui dire qu'elle te manque et que tu es disponible pour discuter quand elle veut, ça ne mange pas de pain. Elle peut te répondre quand elle veut, ou ne pas te répondre, mais tu as montré un peu de bonne foi. »

Bea arrive alors à hauteur de la jeune barista aux cheveux émeraude, lui adressant un large sourire, enclenchant son mode customer service par automatisme. « Bonjour, je te prendrais un latte au lait d'avoine s'il te plaît et... » Elle se tourne vers David, sachant très bien ce qu'il veut. Elle le laisse toutefois demander son café noir, un sourire aux lèvres. Un billet déjà à la main, elle le tend à la jeune femme et met les dollars de monnaie dans le pot à pourboires, ne se souvenant que trop bien des années qu'elle a passé de l'autre côté du comptoir. La barista lui adresse un signe de tête et un sourire de remerciement, les invitant à s'installer pour qu'elle leur apporte les boissons. Ce n'est pas la pratique habituelle de ce genre d'établissement, mais la brune apprécie, même si c'est sans doute un genre d'avantage senior pour ne pas les faire attendre debout. Loin d'elle l'idée de s'en plaindre, après tout, elle est mieux assise. Une fois installée, sa main se dirige naturellement vers celle de David de l'autre côté de la table et elle la serre brièvement. « Tu es sûr que ça va? On peut toujours aller pique-niquer un autre jour, si tu veux juste parler un peu ou faire autre chose. » Evidemment, elle adore l'avoir à ses côtés, mais s'il doit mettre à profit ses petites fenêtres de temps libre pour renouer avec sa fille, elle serait la dernière à s'interposer.