TRIGGER WARNING : Décès ; Sous-entendu de violences ; Sous-entendu de perte d'enfant
1.
Elle n’a pas la vie la plus difficile à vivre, Max. Ses parents ont tout donné pour elle, ont sacrifié leur passé, leurs familles. Ils auraient pu largement rester à Cracovie, avec l’indépendance de leur pays, ils avaient déjà vécu le pire mais non, ils y croyaient, à ce rêve américain. Ils voulaient partir loin, oublier cette période sombre qu’ils avaient vécu. Ainsi Max n’avait pas quelques mois quand ils sont arrivés aux States. Maxime avec un x, pour l’intégration, déjà qu’un nom de famille avec autant de consones qui s’emmêlent, ça fait pas très ricain. Et malgré toute cette bonne volonté, ils n’ont pas échappé au communautarisme, se sont installés dans un quartier entourés d’immigrés polonais, tout comme eux, pas loin d’une église de quartier bien comme il faut. C’est probablement pour ça que la mère Wodzynski est encore incapable d’aligner trois phrases d’anglais correct et que le père a terminé dans une équipe de chantier dont les quotas faisaient penser à une blague raciste – quatre polonais, deux portugais et un allemand à la tête de l’équipe –.

2.
En plus de ses parents aimant qui travaillaient dur, il y avait le fils des voisins, d’à peu près son âge. Sans aller aux même écoles – en tout cas au début – ils se retrouvent le soir, sont copains de jeux les week-ends et pendant les vacances. Ce n’est qu’au lycée qu’ils se retrouvent sur les mêmes bancs et déjà, on pouvait dire qu’ils étaient meilleurs amis. C’était de ce genre de duo capable du mieux comme du pire, et dont les adultes s’amusent à dire – avec un peu de sérieux – qu’ils se marieront un jour. Leurs camarades de classe les voient déjà comme un couple, alors, c’est à la fois une évidence et poussés par le monde qu’ils officialisent leur relation et rien ne change vraiment par rapport à leurs liens précédents. Ils continuent de s’amuser comme les jeunes savent le faire, ont cette passion commune pour les livres et les musées (ça ne les empêche pas de profiter des séries et des jeux-vidéos). Maxime, elle, se plait déjà dans l’Histoire et Boston a beaucoup à lui offrir en ce qui concerne celle-ci.

3.
C'est un accident de travail qui fauche, prématurément, son père. Il est forcé de rester en hôpital un certain temps mais les soins ne suffisent pas, un homme d'un âge avancé comme le sien est bien moins solide que dans ses jeunes années. C'est un coup dur mental et financier à la fois. Ils ne sont pas riches, les Wodzynski, Maxime ne peut étudier que grâce à une bourse scolaire et un prêt. Comme beaucoup de jeunes, Max, elle est déjà endettée avant même d'obtenir son diplôme. Mais son meilleur ami et sa famille sont là, les amis, ça sert à ça. D'ailleurs, ils n'ont pas encore commencé à exercer quand il lui fait sa demande en mariage. Du bonheur dans le malheur.

4.
Elle n’a pas à se plaindre, Max. Elle a encore sa mère, un travail qui la passionne et un mari aimant. C’est ce que ce dernier lui répète quand elle ose affirmer ne pas se sentir très bien. Maxime a perdu contact avec ses amis de l’université, ceux qu’elle connaissait sans l’aide de Damian, son époux. Maintenant, elle n’a plus que lui et les amis de celui-ci. Ce n’est pas bien grave en soit, elle les aime bien aussi. En plus, il comprend parfaitement pourquoi elle rend visite si souvent à sa mère, il fait de même d’ailleurs, la famille, c’est sacré.
Mais quand Maxime trouve un club de jeu de rôle qui l’intéresse, Damian s’énerve. Il n’aime pas les gens qu’elle fréquente. Pareil lorsqu’elle veut aller à une convention, allons Max, t’es plus une gamine. ça la blesse un tout petit peu mais elle sourit d’un air désolé. Elle n’a pas à se plaindre.
Et c’est vrai qu’elle a de la chance que de l’avoir. Il a raison quand il dit que, sans lui, elle n’arriverait pas à vivre correctement. Maxime le sait, qu’elle est maladroite, pas très organisée et qu’elle hésite sur tout. Au moins, à deux, ils se complètent.

5.
Cependant, les choses évoluent et Max se doute de quelque chose. Son mari est plus agressif, dernièrement. Il dit que c’est parce qu’il s’inquiète comme certains soirs, elle rentre un peu plus tard quand elle discute avec ses collègues. Pourtant, depuis le temps qu’elle le connait, elle ne l’a jamais vu aussi tendu. Il finit par lui interdire de rester et elle s’exécute pour le soulager dans son anxiété. Elle voit bien qu’il se rend malade, sans comprendre pourquoi. Peut-être que c’est à cause de sa grossesse, il veut la protéger et le fait d’être prochainement père lui monte à la tête.
Seulement, il arrive qu’il lui fasse mal. Oh, rien de très grave mais maintenant, Maxime s’inquiète aussi beaucoup. Il reste son meilleur ami, en plus de son mari, alors elle veut tout faire pour l’aider.
Quand Max se retrouve à cacher ses bleus elle commence lentement à comprendre que ce n’est peut-être pas elle, le problème, mais que lui en a un. Aborder le sujet, c’est très difficile avec quelqu’un qui se montre aussi nerveux. Clairement, ce n’est pas bon pour lui non plus.

6.
C’est malheureux de penser qu’il a fallu d’un accident pour comprendre que ça ne pouvait plus continuer ainsi. Sous le choc, Max n’a rien changé dans son comportement, c’était plus latent. Damian s’en est voulu, elle sait à quel point il s’est senti responsable. Et c’est probablement la pire trahison qu’elle ait pu lui faire.
Un beau matin, elle n’était plus là.
Elle s’est trouvé une chambre dans un hôtel, en attendant de savoir quoi faire. Puis, dans la panique, elle a appelé sa mère. Quelle grave erreur. La pauvre femme était morte d’inquiétude, Damian l’avait appelé pour savoir si elle avait des nouvelles de Max. Et celle-ci la suppliait de rentrer à la maison, que quels que soient leurs problèmes, un mariage ne se brise pas comme ça et qu’ils pouvaient assurément tout arranger. Maxime sait que sa mère a prévenu son mari, alors elle a quitté l’hôtel au plus vite.

7.
Quand on la voit, la professeure d’Histoire tend à faire rire. Elle essaye de calmer les élèves les plus volubiles sans grand succès, elle a des tâches de stylo sur ses manches et plus d’une fois, elle s’est emmêlée les pieds toute seul dans les couloirs. Puis, si on la voyait chez elle, à chanter le générique de Sailor Moon avec sa brosse à cheveux au milieu de ses figurines, il y aurait de quoi se moquer. C’est vrai qu’elle ressemble à un postiche d’adulte. Mais ce qu’on ne sait pas, c’est que la dernière fois qu’elle a parlé à sa mère, elle a dit qu’elle partait dans le nord, et se tord de ne plus pouvoir la voir ou communiquer avec elle. Qu’elle n’a qu’une peur, c’est qu’une silhouette bien trop familière vienne frapper à sa porte.
Et pourtant, qu'est-ce que son sourire est grand.