C'était un jeu. Comme une sorte de défi pour le colombien, qui âgé de ses dix-neufs ans venait à faire se tordre les cœurs de la simple vue de son sourire. Ses cheveux gominés, cette croix d'or battant contre son torse puissant sous le tissus léger de cette chemise rouge, ses yeux de bistres tournoyant au rythme des volants de cette robe rougeâtre, fluide, dont la propriétaire était une exquise brune à la peau mordorée. Comme si le feu d'el diablo dévorait son regard, chacun de ses pas qui le poussait, l'entraînait. Lui donnait l'envie de la rejoindre. Au beau milieu des regards de ses hommes aux mains chargées de verres de rhums et de leurs bouches comblées par la présence de cigares.

« Hey, Rafaëlo, pequeño, esta chica te está llamando. »

Lui avait dit son aîné, de sa main lourde reposée sur son épaule. Et lui, que de sourire, presque bêtement, naïvement. Baissant timidement le regard vers les talons ciselés de ses longues jambes se dévoilant sous les pans de ces volants rouges.

« Tu crees ? »

Un rire à la voix chargée de tabac l'accueillit, s'époumonant sur une cigarette qu'il jeta aux pieds de ses mocassins dernier cri.

« Si pequeño, ve y únete a ella. »

Un rire nerveux en guise de réponse, il se racla la gorge et se masqua d'une confiance absolue avant de faire un pas en la direction de ce rouge feu qui illuminait la sorgue de promesses échaudées. Rafaël était un piètre séducteur, mais il se savait bon danseur et comptait bien prouver qu'il ne se défilerait pas sous les flammes ensorcelantes du regard de cette danseuse. De cette robe, qui comme la parure d'une méduse dans les abysses venait à se gonfler par le passage de la brise chaude.

Défaisant sa veste de costume, étouffante, d'un geste presque théâtral, il vint à tendre l'une de ses mains vers elle. D'un de ses sourcils haussés, elle considéra la proposition silencieusement, puis finalement, se laissa abandonner entre ses bras musculeux. Leurs hanches venait à se voir dans un moule sensuel, leurs regards se croisant et se décroisant, leurs mains s'échappant afin de mieux se retrouver.

Leurs doigts qui venait à s'unir sur le tempo exotique des musiciens et de leurs voix susurrantes des paroles lascives. Parfois, sa longue crinière brune venait à fouetter son visage et leurs sourires se mêlant dans l'écho de leurs pas tambourinant le sol poussiéreux.

Mais au loin. Toujours là. Comme une présence invisible. Il y avait le regard arrogant de ce prince de la drogue, qui le scrutait, comme une morsure sombre. Sa langue désormais engourdie après avoir pratiquement avalé les amygdales de sa partenaire du soir. Il semblait s'en être désintéressé aussi rapidement qu'elle était venu s'asseoir jusque sur ses cuisses. Capricieux, à la morgue revêche, si Daniel avait eut des fusils d'assauts à la place de ses orbes gorgées d'ombres, Rafaël serait certainement déjà mort à l'heure qu'il était. Et cette fille tournoyant entre ses bras aussi.


Un dernier tour de ronde au beau milieu de cette hacienda surveillé chaque jour, chaque heure, aux millimètres prêt. Une organisation quasi-millitaire. Mais les affres du sommeil l'appelait et ce fut en laissant le reste au relais de l'équipe de nuit que Rafaël s'empressait de rompre la distance entre lui et cet édifice. Conscient que quelqu'un le recherchait et qu'il n'en aurait pas fini avec lui. Et qu'importe de ses besoins, de ses états d'âmes. Ici, ça n'existait pas. Plus depuis longtemps. Que ses propres valeurs personnelles avait fichu le camp.

« Te divertiste ? »

Claqua une voix au moment ou ses pas comptait dépasser le porche afin d'en finir une bonne fois pour toute. Un frisson de peur et d'effroi aurait pu parcourir son échine, mais non, ce n'était qu'une haine viscérale, qui comme une tumeur figée dans ses entrailles venait à grandir, encore et encore, attendant le moment fatidique afin d'exploser.

Ses prunelles sombres se tournèrent vers la direction de cette voix, de ce faciès aux traits fins qui venait à le scruter. Le détailler. Comme passé au peigne fin.

« Te hablé. Respóndeme. »

Impassible, ses traits indifférents masquait le bouillonnement de ces laves qui coulait dans les fleuves pourpres de ses veines. Mais lorsque celui-ci empoigna sa mâchoire afin de lui siffler quelques mots tout bas, ses poings vinrent à se contracter le long de sa haut stature, jusqu'à en faire blanchir ses jointures jonchées d’ecchymoses.

Observant que Rafaël avait perdu la voix, du claquement de sa langue agacée, Daniel l'attrapa par le poignet.

« Vamos, tenemos que hablar. »

D'une traite, le meurtrier se laissa entraîner dans sa chute fatidique. Prenant le soin d'éviter les couloirs où se tenait les gardiens nocturnes afin de l'emmener à l'abris des regards. Là où ses soirs se finissait en un rituel enflammé. Du claquement de la porte dans leurs dos, d'un geste hargneux, Rafaël se défit de la prise de Daniel.

« Pendejo. ¿Qué diría mi padre al verte aquí? »

Serrant les dents, Rafaël encaissa dans un silence ombrageux, ses prunelles d'encres évitant à tout prix les orbes azuréennes de son bourreau et amant. Il devina bien vite ce que celui-ci avait en tête lorsque ses mains tatouées se dirigèrent vers la fermeture éclair du bas de son costume.

« Si no quieres que mi padre lo sepa, de rodillas. »

Et il abdiquait, comme tant d'autres nuits auparavant.


De nos jours, New York.

Comme des millions d'années qu'il n'avait plus reposé ses pas au cœur d'une église. Dans ses entrailles de bougies rendues sirupeuses par le feu, de ses vitraux de verre colorés, de la Sainte Vierge, de l'enfant venu des cieux. Et de leurs pleurs silencieux face à l'apparition d'un fils disparu.

Et là. Dans l'ombre du confessionnal. Le visage occulté de l'horreur face à la lumière des cieux. Là où se cachent les hommes rongés par l'amertume et la culpabilité. Et de l'autre côté, d'un silence dévotieux, le père éleva sa voix de ses mots calmes.

« Je vous écoute, mon fils. »

Contre son torse, sa croix d'or n'avait jamais cessé de battre au rythme des battements de son palpitant fou. Et à son toucher, cette impression de renoué avec un lien brisé, que le temps avait fini par écraser. Et les mots, qui se pressait contre ses lèvres, d'une douleur atroce. Pernicieuse.

« J'ai tué. J'ai menti. J'ai triché. Et je crois que pendant quelques secondes... Lorsque j'avais le doigt sur ses gâchettes, je me suis sentis puissant. »