THE KIDS AREN’T ALRIGHT On ne peut pas dire qu’elle ait eu une enfance difficile, ni même réellement particulière. Son père était shérif du comté où ils résidaient, sa mère aide-boulangère à temps partiel, et elle avait un petit frère qui l’avait suivie presque immédiatement. Somme toute, elle n’a manqué de rien, ni d’attention ni de biens matériels, passant le plus clair de son temps à jouer avec son cadet Ivan, faute d’avoir des amis à proximité. Un peu avant l’adolescence, son père accepte un poste de gradé dans la police de New York et la petite famille emballe ses possessions sans plus d’histoire; la situation déstabilise davantage Ivan qu’elle, qui se découvre un intérêt certain pour la métropole. Il y avait de quoi faire, il faut dire, comparativement à la brousse dans laquelle elle avait été élevée. Ivan, lui, se renferme sur lui-même au lycée et traîne trop souvent avec des groupes de petits caïds, néglige de passer du temps avec sa sœur, comme avant.
DOUBLE TROUBLE Elle a toujours été… vive, Fran. Elle déplaçait de l’air à l’époque autant qu’aujourd’hui, cumulant les ennuis à l’école et entraînant plus souvent qu’autrement son cadet dans ses folies, souvent malgré lui. Ce sont ces années qui ont jeté les bases de la réputation de peste qu’elle se traîne encore : tags, batailles, mauvais tours, chahut… un seul de ces mauvais traits était bénéfique pour son entourage. Il n’y avait personne qui faisait un pied de nez à un bully comme elle pouvait le faire. Elle s’interposait sans peur entre intimidateur et victime, écopant plus souvent qu’autrement d’une punition pour avoir juré ou frappé là où ça fait mal, où que ça soit. Ça a duré jusqu’à la fin du lycée, lorsque son petit-ami de l’époque l’a irrévérencieusement larguée, prétextant l’université ou une autre connerie du genre – elle n'en a pas vraiment de souvenir. Elle n’a pas pu assister à la cérémonie de remise des diplômes, punie pour lui avoir brisé sommairement le nez d’un direct un peu trop bien placé. Ça, elle s'en rappelle, notamment parce qu'elle brille par son absence sur les photos de groupe.
POLICE HOOKER Après son entrée dans la police de New York, son profil la mène jusqu’à la brigade des mœurs, où on se rend compte rapidement que son tempérament et son âge en feraient une parfaite agente double pour contrer la prostitution qui pestifère New York. Elle prend sur elle, même si ce n’était pas vraiment l’idée qu’elle se faisait de protéger et servir – indéniablement, un proxénète à la fois, Fran contribuait à rendre les rues et les foyers de la métropole plus sécuritaires. Une fois qu’elle avait fait ses preuves, et grâce à la pression de papa sur les huiles de la police, elle a gagné son droit à un bureau et un poste de détective dans une brigade spécialisée en narcotiques et stupéfiants. Personne ne s’est dit que c’était peut-être une mauvaise idée de laisser quelqu’un comme elle avoir une vendetta personnelle envers qui que ce soit et lui donner les moyens de la mettre en œuvre, mais comme elle se tenait relativement tranquille, l’histoire de la raison de la mort de son frère a été rapidement oubliée de tous. Tous sauf elle.
POWDERED NOT GLAZED Elle était encore au lycée lorsque son cadet, alors âgé de 16 ans, a été retrouvé mort dans un jardin autrement bien récuré en banlieue de New York. Des mauvaises fréquentations du lycée s’étaient, par la même occasion, retrouvés dans un état critique à l’hôpital à cause d’un malheureux mélange de drogues de synthèse, de médicaments prescrits volés dans la vanité et d’alcool. Ivan est le seul à en être mort, qui sait pourquoi, son foie martyrisé par tout ce qu’il avait ingéré. Fran ne l’admet pas, mais c’est une des raisons qui l’ont poussée à tenter les concours de la police, dans l’espoir d’épargner à d’autres familles la douleur qu’elle avait ressentie – le vide qu’elle ressent toujours, à l’occasion.
I AM THE VIOLENCE Si elle était malicieuse, gamine, Fran est devenue une véritable furie à l’âge adulte. Impatiente, vulgaire et irrévérencieuse, elle peut se permettre un trop grand nombre d’infractions déontologiques et de mauvaises pratiques policières grâce à l’influence de son père. Il la dédouane lorsqu’elle se met dans la merde et elle le lui rend en accumulant les dossiers réglés en matière de drogues. Elle sait qu’il est aveuglé par son amour et son attachement pour elle et elle se sent parfois coupable d’en profiter, mais à son sens, quelques gestes de piété familiale, s’ils permettent de mettre la clé sous la porte d’un laboratoire de drogues de synthèse, en valent largement la peine. Fran n’est pas très bien reçue parmi ses collègues et elle s’est mis la plupart d’entre eux à dos, dans un sens ou dans un autre. Elle travaille mal en équipe, préférant faire cavalier seul la plupart du temps, et on la laisse faire quand on veut s’éviter des maux de tête inutiles.
LIVE ON COFFEE AND FLOWERS Elle n’invite pas les gens chez elle, Fran – de toute façon, elle n’y est jamais, ou presque. Malgré un salaire confortable, elle vit frugalement, ne s’embarrasse pas de choses inutiles et son appartement est essentiellement vide, dans l’état où elle l’a récupéré de la vieille dame qui l’avait avant elle, avec des électroménagers bon marché achetés de seconde main. Ce n’est pas insalubre, mais ça n’est pas propre, un peu comme son âme, c’est le fouillis, mais elle s’y retrouve, même si elle préfère que personne ne soit témoin de tout ça. Elle se nourrit de café, de pâtes et de sandwiches en public, d’alcool et de Doritos en privé, ou quand elle n’a plus la foi de cacher ses vices au reste du monde.
VILLAIN OF CIRCUMSTANCE Malgré tout, on ne peut pas dire que Fran soit une mauvaise personne; ses bons côtés sont juste occultés par la rancœur et le besoin constant de se prouver, de montrer qu’elle est apte en général, de compenser pour les manquements qu’elle exhibe constamment. Ses collègues ne l’aiment pas beaucoup, mais les recrues, oui : elle ne compte pas son temps pour aider les bleus à faire leurs marques, leur donner les trucs pour faire tomber deux Snickers de la distributrice plutôt qu’une, leur offrir un sandwich au meilleur deli italien du coin la première fois qu’ils oublient leur lunch – ou qu’ils doivent faire du temps supplémentaire sans préavis. Elle est compréhensive, aussi, sait reconnaître les moments bas des autres parce qu’elle en vit tout le temps, donne de la place ou insiste pour sortir selon le besoin. Ses supérieurs ne l’embêtent pas trop non plus, à cause de papa, d’un côté, mais aussi parce qu’elle a des statistiques rutilantes et que ça, personne ne peut lui retirer. Policière exceptionnelle, être humain doux-amer.
COKE IN THE MIDAS TOUCH Obsessive – d’aucuns diraient qu’elle est monomaniaque –, Fran a du mal à décrocher d’une idée lorsqu’elle s’y est fait. Si elle découvre une piste dans un dossier important, elle la remonter jusqu’à ce qu’elle révèle ses secrets, omettant de manger ou de dormir, tapissant les murs de son appartement avec des copies de pièces à conviction, incapable de faire dévier son esprit. Puis, lorsqu’elle a tout épuisé, exploré toutes les avenues, coffré ce qu’il fallait ou retombé à la case départ faute de preuves, elle sombre, s’emmure, boit, s’apitoie sur son sort et sur ce qu’elle a perdu, jamais sur ce qu’elle a à gagner. Dix-sept ans plus tard, il y a peu de chance qu’elle mette la main au collet de l’idiot qui a vendu les pilules au gamin, voire qu’elle fasse même la lumière, vaguement, sur ce qui s’est passé dans ce jardin. C’est pourtant la seule raison qui l’accroche à son présent; et si un jour elle lui met la main dessus, son père ne pourra pas la dédouaner de ce qu’elle fera à l’enculé qui lui a retiré son frère.
TOEING THE LINE Elle n’a pas de passion particulière. Son existence est rythmée par les vagues de son humeur, mais aussi par des activités bien précises : le travail, le sommeil, le sport et l’alcool. Deux réparateurs et deux destructeurs qu’elle enchaîne sans cesse, routinière dans le fond, mais erratique dans la forme, échangeant volontiers l’ordre normal et établi, accompagnant son petit déjeuner d’une rasade de whisky ou s’éclipsant du boulot pour s’entraîner un peu trop intensément à la salle de sport corporative. Son cercle d’amis est relativement limité, elle fait peu de place à l’amusement dans sa vie, ou du moins à une définition socialement acceptable. On peut difficilement appeler un compte Tinder géré sous l’effet de l’alcool et les rencontres souvent brèves qui en découlent quelque chose de sainement amusant.
HERE COMES THE BRIDE Ivres morts à Vegas lors d'une conférence de police, des touristes allemands convainquent deux collègues qu'ils sont charmants ensemble — c'est l'histoire bateau qui résume le mariage précipité de Tom Hopkins et de Franciszka Wójcik-Hopkins. À vrai dire, ils étaient revenus sur le vol du lendemain, la tête dans le cul et même pas assis dans la même rangée, chacun cuvant son mal à sa façon, et ça n'est que deux semaines plus tard qu'elle avait reçu par la poste le certificat de mariage accompagné d'une photo d'un baiser trop profond pour avoir été songé en pleine possession de leurs moyens. Jusqu'à maintenant, ils n'ont pas su quoi faire du papier, n'ont pas la motivation de faire les démarches d'un divorce qui leur coûterait sûrement trop cher pour que ça vaille la peine. Alors aux yeux de l'état ils sont mariés, même si chacun vit sa vie comme il l'entend.
ALL’S WELL THAT ENDS Mordue par un chien, gamine, elle a encore du mal à se laisser approcher, même si elle tente de surmonter sa peur grâce aux maîtres-chiens de la police. / Fran se retrouve toujours dans le même bar, et il est difficile de la faire changer d’habitude, sauf que le patron lui a récemment annoncé qu’il allait devoir mettre la clé sous la porte et ça la dérange plus que ce qu’elle aurait imaginé. / Histoire d’éviter le cliché, elle dit qu’elle préfère les croissants et les danoises, mais en réalité elle est une amatrice invétérée de donuts. / Sa garde-robe n’est pas très fournie et elle varie sur un même thème de jean foncé et veston noir, converse ou autre basket confortable. Elle n’aime pas se compliquer la vie, surtout pas le matin.