Ce fut avec un bouquet de fleur que Tallulah entra dans l'établissement. Un peu dépitée, certes, mais elle allait bien. Il avait simplement fallu que Vince se vautre en moto et se blesse pour qu'il ne termine quelques jours à l'hôpital. Ce n'était pas bien grave heureusement, mais elle avait entendu dire qu'il s'était blessé surtout au genou et qu'il ne pourrait pas remarcher avant une bonne séance de rééducation. Son bras avait été aussi atteint et il y avait une belle égratignure dessus.
A l'accueil, on lui pria de laisser les fleurs pour éviter les germes et Tallulah se maudit de ne pas y avoir pensé plus tôt. Tant pis, ce sera pour une autre fois. Elle n'était pas très fleur en temps normal, elle aurait du s'abstenir. De toute façon, Vince en avait pas spécialement besoin.

Tallulah prit l'ascenseur jusqu'à l'étage qu'on lui avait indiqué pour rejoindre la chambre de son ami. Elle n'aimait pas trop les hôpitaux en temps normal, elle les évitait autant que possible mais Vince faisait parti de la famille et elle se devait de lui rendre visite. Elle allait sans doute l'embêter un bon coup en lui disant qu'il avait perdu la main pour la moto, ou ce genre de chose là. Elle aimait taquiner ses amis, toujours gentiment et dans le respect. Ils s'envoyaient parfois de bonnes punchline mais généralement, Tallulah était toujours perdante. Les autres avaient beaucoup plus de répartie qu'elle.

Une fois hors de l’ascenseur, elle allait s'adonner à ses pensées lorsqu'une tête connue lui fit sortir de ses rêveries. Une jeune fille rousse était en train de pleurer non loin d'elle et elle la reconnut immédiatement. C'était la nièce de Mercy. Charlotte, de son nom, si elle s'en souvenait bien. Tallulah, qui s'était avancé vers la chambre de Vince, s'arrêta net en l'observant, hésitante. Elle ne lui avait jamais adressé la parole mais elle ne pouvait pas non plus faire l'indifférente. Elle s'approcha de la rouquine, l'air un peu timide.

"Charlotte? Ça ne va pas?" demanda-t-elle en se demandant si c'était judicieux de lui poser la question. Elle pouvait se faire envoyer promener qu'elle ne lui en voudra pas. Elle n'était pas là pour se mêler de ce qui ne la regardait pas.

Charlotte avait fait un malaise, en pleine répétition. Aux yeux de tout ce petit monde, qui devait parler à son égard. Les ragots. Devance, ça l'angoissait d'être le centre de l'attention et qu'on parle d'elle. En même temps, elle ne pouvait pas leur en vouloir, parce qu'elle aurait sûrement été pareil. C'était le propre de l'humain, de vouloir tout savoir sur tout. Charlotte jouait avec ses doigts, nerveuse. On l'avait accueilli aux urgences ce matin, elle avait fait une batterie d'examen et ne savait toujours pas ce qu'elle avait. D'ailleurs, quand elle saurait, que ferait-elle ? Le dirait-elle à tout le monde pour faire taire les commérage, ferait-elle abus du téléphone arabe pour qu'une personne le dise à une autre, ou se tairait-elle, prétextant des raisons intimes ? En réalité, elle n'était pas sûre qu'elle veuille que tout le monde soit au courant de sa santé, malgré les ragots.

« C'est un cancer de l'estomac », annonça le médecin, ce qui fit relever la tête de Charlotte. Quoi ? Un cancer ? Non, non, non. Il devait y avoir une erreur quelque part. Son coeur battait à la chamade, la panique s'installait et pourtant, elle restait de marbre. Sans aucune réaction visible. Sous le choc, voilà, ce qu'elle était. Le médecin parlait, expliquant ce qu'il allait se passer dans les semaines, les mois à venir et elle n'écoutait rien. Rien n'était plus frappant que le mot cancer.

Quand il la libéra, après avoir signée une paperasse monstrueuse et récupéré une pile de médicaments... elle s'écroula, sur la première chaise qui se présenta et se mit à pleurer. Elle était épuisée, physiquement et mentalement. Elle était épuisée et on l'assommait avec une nouvelle comme celle-ci. C'était effroyable. Elle passa une main sur son visage, quand on vint lui parler. Quand elle releva les yeux, elle reconnu la belle jeune femme du bar où Mercy l'avait emmené. Tallulah. « Je... », hésita-t-elle un instant. « J'ai un cancer de l'estomac ». Elle murmurait, avant de se rendre compte des mots qui étaient sorti de sa bouche et de paniquer. Il ne fallait pas que son oncle soit au courant, personne d'autre. « Tallulah, c'est ça ? Je t'en supplie, n'en parle pas à Mercy ».

Tallulah se souvenait très bien de Charlotte. Et pour cause, c'était la nièce de Mercy. Elle avait un tel respect envers Mercy que tout ce qui pouvait compter à ses yeux comptait pour elle aussi. Elle s'était sentie ainsi honorée de pouvoir voir à quoi ressemblait la famille de son père spirituel surtout que Charlotte était agréable à regarder. Elle ignorait tout d'elle et elle ne lui avait d'ailleurs pas réellement adressé la parole lorsqu'elles s'étaient vues mais elle n'aspirait qu'à cela.
Seulement, la voir en pleur lui déchirait le coeur. Elle qui était si mignonne, la tristesse lui allait mal. Surtout qu'elle se demandait ce qui pouvait bien la mettre dans cet état. Tallulah devina qu'elle avait apprit une mauvaise nouvelle, surtout dans un endroit pareil, mais elle ne connaissait pas encore l'ampleur des dégâts. Elle avait hésité à venir à sa rencontre pour lui demander ce qui n'allait pas et essayer de la réconforter et après un moment d'hésitation, elle s'était lancée une bonne fois pour toute. Elle s'était attendu à une vague moue de sa part, à ce qu'elle parte ou quelque chose dans ce goût là, mais à la place, Charlotte lui apprit qu'elle avait un cancer de l'estomac. Tallulah ouvrit la bouche pour répondre à cela mais rien ne lui vint. Comment accuser une pareille nouvelle? Elle ne la connaissait pas et elle n'avait pas le temps, immédiatement en tout cas, de s’apitoyer sur son cas. Visiblement, Charlotte connaissait son prénom puisqu'elle l'évoqua, et elle lui demanda de ne pas en toucher un mot à Mercy. Tallulah la regarda attentivement. Elle posa ses deux mains sur les joues de la rouquine dans le but de la calmer.

"Je te promet que je ne lui dirais rien" dit-elle en plongeant ses yeux droit dans les siens afin de lui assurer le sérieux de ses propos. Là, immédiatement, elle était incapable de lui dire quoique ce soit si ce n'était qu'elle était désolée.
"Ton médecin t'as prescrit un traitement? Tu vas entamer une chimio? Tu as les moyens pour ça?" s'inquiéta-t-elle. Un tel interrogatoire soudain, mais Tallulah avait de la peine pour elle.
"Je vais t'aider" promit-elle sur un ton ferme.
"Ok, on ne ferait mieux de pas rester là, c'est pas l'endroit idéal pour... parler de tout ça. Mais ça va s'arranger pour toi, je vais tout faire en sorte pour."
Elle avait un peu parlé sous la panique elle aussi mais elle n'avait pas su comment afficher son soutien autrement que comme cela.

Charlotte fixa Tallulah, ébahie par cette grande gentillesse. Il y avait un coeur en or, qui se cachait derrière ces yeux sombres. Il y avait quelque chose de calme, qui eut le don d'alléger le coeur de la rouquine. Comme s'il y avait une connexion indéniable, quelque chose qui lui fit oublier ce qu'elle venait d'apprendre. Charlotte n'avait aucune idée de ce qu'il se passait. « Tallulah... », murmura-t-elle, presque à bout de souffle, le calme l'emportant sur l'angoisse et la douleur qu'elle ressentait. Elle respirait de nouveau, reprenant ce profond souffle qui lui semblait insupportable, il y a quelques minutes. Il y avait quelque chose qui la faisait se sentir en sécurité, protégée par les mains de la brunette sur ses joues pâles. « Merci », eut-elle la force de dire, avant qu'un autre silence ne s'installe et qu'elles continuent de se regarder comme s'il n'y avait rien autour. Elles ne se connaissaient pas, mais ça semblait tellement profond.

D'un coup, Tallulah sembla sortir de leur bulle et lui posa des questions. Charlotte se mordit la lèvres. Maintenant qu'elle s'était calmée, ça lui semblait tellement irréel. Ce n'était pas possible, qu'elle soit atteinte d'un cancer. Pourtant, elle commençait à réaliser que ce n'était pas un cauchemar et qu'elle ne se réveillerait pas, soulagée de ne pas être malade. Pas quand Tallulah fixait la rouquine avec un air inquiet comme celui-ci. « Le médecin veut commencer la chimio au plus vite...avant de me faire opérer ». Et entamer un protocole pour qu'elle puisse manger, du moins qu'elle soit nourrie par intraveineuse, afin que son corps puisse avoir l'énergie nécessaire pour vaincre la maladie. Parce qu'à ne rien avaler, à tout vomir, elle devenait de plus en plus faible.

Quand Tallulah lui promit son aide, Charlotte fonça légèrement les sourcils. « Pourquoi tu veux m'aider ? ». Elle était surprise, parce qu'elles ne se connaissaient absolument pas. La rouquine l'avait vu, de loin, au bar. Et la brunette l'avait rencontrée lorsque Mercy l'avait présenté... mais ça s'était arrêté là. Il n'y avait pas eu de discussion, pas de rapprochement. Peut-être un bonjour et un signe de tête, accompagné d'un doux sourire. Mais ça n'allait pas plus loin, elles ne se connaissaient pas. Pourtant, Tallulah avait l'air d'être sincère et de vouloir l'aider. Ça la touchait autant que ça la troublait. « Merci... Je sais qu'on ne se connait pas, tu n'es pas obligée de faire ça ». D'ailleurs, elle avait raison. Ce n'était pas l'endroit idéal pour parler de ça. Elle avait envie de quitter l'hôpital au plus vite, surtout en sachant qu'elle y passerait beaucoup de temps. « Sortons », proposa la rouquine en se levant, rompant le contact des mains de Tallulah sur ses joues. Chose qu'elle regretta immédiatement.