i'm ready to dig into all of it, abandonnement issues, dissociative episodes, my dad...

[TW : Accident de voiture, Proxénétisme]

Family bonds Y a des éclats de voix dans les couloirs, y a des rires et des larmes. Une famille nombreuse, des enfants à ne plus savoir quoi en faire. Pas vraiment de pression, ce qui les unit c'est surtout la passion. Entre une mère qui recoud des gens et un père qui préfère couvrir des toiles de mille couleurs, le choix était simple : prends le chemin qui te plaît mais prends le bien, t'arrêtes surtout pas, et bordel, faut que t'aimes c'que tu veux faire, faut que tu kiffe sinon tu te relèveras pas. Tout allait bien, la petite Ana avait sa place bien au chaud au milieu de la grande fratrie. C'était Versailles, un moulin, un recueil pour vieilles expressions, entre les lumières éternellement allumées et les courant d'airs tellement les portes claquaient. Pour lui foutre la paix, ça, on la lui foutait, l'indépendance prônée haut et fort par l'autorité parentale. C'est qu'on mangeait même pas aux mêmes moments, y avait toujours un truc sur le feu. Entre le sport de la petite dernière, le petit boulot du plus grand pour ne citer que ceux-là, les horaires se bouleversaient sans jamais s'accorder, alors parfois on ne s'étonnait même plus de ne pas se croiser. Fallait crier pour se faire entendre, minauder sans trop se comprendre. On est là mais on ne se le dit pas. On s'aime mais on ne l'entend pas.

The moon meets the sun Prostrée sur son banc en amphithéâtre, elle attend que le temps passe. Elle prend des notes, elle relève la tête de temps en temps. Pas tellement encline à discuter, c'est qu'elle s'est renfermée ces dernières années, la gamine trop réservée que l'on ne trouve pas intéressant d'approcher. Et les plus valeureux se brisent, contre sa carapace froide, ils rebondissent contre son bouclier de méfiance. Anastasia, elle n'essaie même plus de cacher ses angoisses, la faute à sa vie de nuit qui impacte celle qu'elle était de jour. Puis, l'éclipse. La lune qui rencontre le soleil. Maddie, elle l'a happée sous son bras, sans vraiment attendre la moins réponse. Elle rit fort, tout le temps, elle impose ses idées et pousse à les apprécier. Maddie, c'est la fille qui vit tout, trop, à cent à l'heure. Celle qui enchaîne les coups de foudres amicaux comme amoureux, l'électron libre qui t'attire dans sa folie. C'était comme un manège, elles tournaient en rond mais tout était si rapide que l'ivresse rendait les contours flous, merde, qu'est-ce qu'elles riaient. Très vite, elles n'ont plus été capables de se séparer, le soleil étant adepte des relations accélérées. Meilleures amies, rapidement colocataires, la fêtarde qui tente de tirer la casanière dehors, et Ana qui se laisse désormais aller à des demi-sourires.

On your own now Besoin d'argent, besoin de se trouver, elle n'a pas le temps, puis c'est que le nombre de refus l'a pas mal fatiguée. Elle en a marre des CV, marre de rédiger ces lettres de fausse motivation débile, c'est pas ces petits jobs étudiants qui la font vibrer, Anna, elle rêve d'être prof. Mais la fac, c'est cher, elle a pas d'argent, les factures s'entassent, les parents elle veut pas les déranger, ils ont déjà beaucoup à payer. Alors elle tombe dedans, ouais, elle sait même pas trop comment. Par une pote de fac, qui a dû faire la même chose, elle sait pas trop à quoi s'attendre mais faut dire qu'on lui a retiré le choix quand elle a poussé les portes de Columbia. Au début, ça va, la solidarité entre les filles la fait sourire, c'est encore plus expressif que dans les murs de sa propre maison. Y a des clients relous, d'autres qui la touchent, elle en trouve certains débiles mais c'est sûrement aussi qu'il lui arrive d'être condescendante. Elle sait pas trop d'où ça lui vient, peut être que ça l'aide, de se dire qu'elle vaut mieux que tout ça. Mais elle continue, et elle les fait, les passes, elle les enchaîne jusqu'à plus savoir les compter. Puis ça s'escalade, elle y reste quoi, deux, trois, en fait non, quatre ans. Tout passe trop vite. Jusqu'à ce que tout menace d'exploser, entre le mac qui exploite et les injustices qui se multiplient. Y a le père d'une pote de fac qui a promit de l'embaucher dans sa quincaillerie. Et du haut de son cynisme de fille trop usée, elle se dit qu'au pire, elle devrait gérer. A ses yeux, y a plus tant de différence entre faire la potiche derrière un comptoir ou sur un trottoir. La condescendance, on y revient. Puis, elles galèrent, les filles, y en a même qu'elle revoit plus. Celles dont elle n'obtiendra de nouvelles que par le biais de la rubrique nécrologique dans ce journal qu'elle ne lit même pas. Mais Ana, elle n'a jamais eu de soucis pour s'affirmer et faire entendre sa voix. Elle est déterminée, au fond, elle n'a jamais eu peur de crier. Alors, elle se rebelle, comme elle a toujours su faire. Elle va le dénoncer aux flics, ce connard, elle s'est emballée dans son idée et impossible de la faire lâcher prise. Et elle espérait qu'anonymement, elle risquerait rien. Elle en était sûre. Elle aurait mis sa main à couper. Bordel, qu'est-ce qu'elle se trompait.

Glass shard Maddie avait insisté pour sortir dans un bar, et Ana avait cédé, les images de réconfort encore en tête, lorsque son amie lui avait tenu la main au commissariat. Une lourde épreuve, que de dénoncer un homme si influent. Mais la certitude de leur amitié était plus forte encore, rien ne pouvait les arrêter. Alors, elles avaient bu, certes, elles avaient peut être pas pris soin de compter les mojitos qui descendaient. Elles riaient trop fort pour s'en soucier. Et puis, elles ne faisaient aucun mal, elles n'étaient pas censé prendre la voiture pour rentrer. Mais quelque chose clochait, et les dix minutes de marche à pied qui les séparaient de l'appartement de la fille solaire l'inquiétait soudainement. Elles tanguaient, décrivaient des courbes sur les pavés. Mais la méfiance s'était faite une place à travers la buée; elles étaient suivies, Ana en était désormais persuadée. Alors, Maddie, elle n'a pas compris pourquoi son amie avait tant insisté pour reprendre le volant de sa voiture, garée sur le parking, et qu'elle devait récupérer le lendemain. Elle n'a pas compris d'où venait ce changement de programme. Elle a bien essayé de le lui dire, à Ana, qu'elle était bourrée, qu'elle devait rentrer à pied. Elle lui a demandé ce qu'il se passait. Mais la petite poète sentait se profiler ce funeste avenir digne des fleurs du mal. Alors elle a démarré en trombes, ignorant les questions. Le regard braqué sur le rétroviseur, puis sur la berline qui ne tarda pas à les dépasser, à griller les feux sur l'avenue. Une course poursuite, le pied au plancher pour échapper à la mort, ne pas être rattrapée par la faux tenue par les plus influents de cette ville. Puis très vite, trop vite, c’est la portière qui était enfoncée. Un crissement de pneus, le bruit des éclats de verre qui s’éclatent après un long moment à flotter dans les airs. Le choc, l’odeur d’injustice qui empeste plus fort que celle de l’essence. Hurler, suffoquer, la vision qui s’assombrit, appeler son nom. Maddie. Une fois, deux fois, trente fois. Maddie. Le répéter pour la happer, la voir s’éteindre en dernière image. Répéter son nom encore, comme si cela éloignait la sentence irrévocable. Bientôt, ne plus le répéter. Et puis, l’oublier.

Amnesia C'est se réveiller, seule, avec cette douloureuse impression que quelque chose lui manque. Entendre vaguement les médecins parler d'amnésie, hésiter entre son caractère dissociatif ou exclusivement lié au choc physique. C'est là qu'elle porte la main à sa tête, enrubannée dans un bandeau épais. Elle voit les regards embués, mais eux, elle les connaît, ils ont simplement l'air un peu changés. L'amnésie, elle touche principalement les cinq dernières années. Effacées, réputées n'avoir jamais existé. Volées, c'est le mot qu'elle a pu murmurer. Quelques souvenirs demeurent fragiles, parfois sur des détails émotionnels, parfois sur des choses sans importances, comme un sport récemment essayé. Ses relations ont évolué, mais sans elle, qui réapprend chaque jour à reprendre cette vie là où elle l'a laissée. Mais, elle sent, quelque chose ne va pas. Envolées, toutes ces années à arpenter les trottoirs, tous ces détails qui l'ont trop marquée. Pour elle, il ne s'est jamais rien passé. Aucune idée de tous ces traumatismes qu'elle portait sur ses épaules, aucune idée de toutes les raisons de ses méfiances. Ana, elle se sent légère. Et, bientôt, elle en vient à s'affirmer, elle est fatiguée de devoir se conforter à l'image néfaste qu'elle renvoyait. Alors elle interdit à quiconque de lui parler de son ancienne vie, et encore moins de ce qu'il s'est passé. Un simple accident de voiture, elle refuse d'en savoir plus. On lui dit qu'elle était seule, dans l'habitacle. Du moins, c'est ce qu'elle déduit du silence qu'elle impose. Elle mène sa propre tyrannie, la boule au ventre, la lâcheté comme nouvelle carapace. La reconstruction est laborieuse, mais elle y parvient. Elle a changé, Ana, méconnaissable sans toutes les raisons de ses méfiances. Extravertie, pleine de joie de vivre, emplie de bienveillance. Une fêtarde qui va de l'avant et apprécie tester tout et n'importe quoi. Le soleil. Le soleil qui éclipse la lune. Son esprit a inconsciemment recréé ce qui remplissait son coeur, mais que son cerveau a oublié.