Crève, il ne manquait plus que ça, surtout maintenant. Une écharpe enroulée autour du cou, une solution hydroalcoolique dans le sac, Chris affronte le froid New-Yorkais avec autant de motivation qu'un paresseux qui viendrait de se réveiller. Il n'a pas de fièvre, ce qui est en soit plutôt rassurant, cela ne veut pas dire qu'il est en état de travailler dans la soirée pour autant. C'est la panne de café à l'appartement qui le fait sortir de sous les couvertures. Une fois douché et habillé, il trouve donc miraculeusement la foi d'affronter la pollution et le froid. Et puisqu'il a déjà fait le plus dur, il lance une invitation.

Son ami Cisco accepte alors avec témérité de le rejoindre au café de Jameel. Au moins un qui ne crie pas au coronavirus au moindre éternuement, ce n'est évidemment pas le cas de tous ses amis. Certains sont très paranos. Le café est un endroit plutôt calme ou le bruit assourdissant des conversations ne viendra pas ajouter au mal de crâne, faisable donc dans l'idée. Lorsqu'il reconnaît son ami, il se laisse tomber sur une chaise avec son latte au lait de soja.

- On reconnaît les vrais amis, ceux qui n'ont pas peur de se retrouver devant Netflix pendant quinze jours.

A Broadway, les jours se suivent et se ressemblent. Enfin, pas toujours. Comme si les hivers rudes ne suffisaient pas, maintenant on attend que le gouvernement fasse quelque chose, qu’on ferme tous les théâtres pour les semaines à venir. Tout le monde retient son souffle en attendant le verdict du Cheeto en Chef, et n’oubliez pas de voter pour Bernie !

Cisco frissonne dans son écharpe alors qu’il affronte l’hiver new-yorkais, un soupir de soulagement s’échappant de ses lèvres lorsqu’il ouvre finalement la porte du coffee shop. Les boissons chaudes et l’ambiance chaleureuse de Tall, Black and Coffee ne se portent pas trop mal, à en juger par les habitués toujours assis aux tables, sirotant un café brulant. Il passe sa commande habituelle – cappuccino corsé, lait de coco – avant de trouver une table libre dans un coin.

Heureusement pour lui, Chris arrive avant qu’il ne puisse vérifier les news encore et encore jusqu’à en frôler la folie.

- Hey, si ce n’est pas assez grave pour fermer Broadway, ça ne l’est pas non plus pour un café, ne peut-il s’empêcher de sourire. Le Richard Rodgers a investi dans le gel antibactérien, mais sinon tout va pour le mieux. The show must go on, et tout ça…

Ce n'est pas évident de savoir quoi faire vu les circonstances, mais le manque d'informations ou d'actions gouvernementales n'aide pas à savoir quel comportement adopter. Avec Trump au pouvoir rien d'étonnant cela dit et Chris se voit pour l'instant bien obligé de continuer à travailler même s'il préférerait rester chez lui. Si ce soir son understudy va prendre le relai, ils espèrent tous qu'il sera en état de reprendre le flambeau dès demain. Chris aussi d'ailleurs. Il n'a pas besoin d'ajouter à la psychose.

Comme il fallait s'y attendre, le sujet vient bien vite sur le tapis. Même lorsqu'on veut éviter de parler de tout ça, on finit par le faire sans même le réaliser. A quoi bon lutter ? Tout le monde est inquiet et a besoin de l'exprimer d'une manière ou d'une autre. Avec humour ou non. Sa mère est insupportable, l'appelle trois fois par jour par exemple.

- A mon avis c'est qu'une question de temps avant qu'on nous renvoie chez nous. Les voisins vont être contents tiens.

Avoir un voisin comédien de Broadway n'est cool que dans l'idée. Dans la pratique, c'est sûrement un peu plus embêtant que ça.

- Pour le coup, s'ils annulent Hamilton, il y en a qui vont faire des syncopes vu le prix des tickets et la galère pour les obtenir !