Inquiet, Leone regarda sa montre. Non, l’heure était bonne. Par mesure de précaution, il vérifia aussi sur son téléphone, avant qu’un soupir ne lui échappe, en voyant que non seulement il ne s’était pas trompé sur l’horaire, mais qu’en plus, aucun mail, appel ou SMS ne lui expliquait la cause de ce retard. Fronçant ses sourcils, le chirurgien se résolut à en envoyer un lui-même. Ce n’était pas la première fois, et sûrement pas la dernière, qu’un riche donateur potentiel lui poserait un lapin. Parfois, il n’y avait d’ailleurs aucune intention malicieuse derrière : une réunion de dernière minute, un problème de transport … une fois, il avait même eu droit à un détournement d’avion à cause d’un volcan, ce qui était parfaitement exact après vérification. Comme quoi, il ne fallait jamais être mauvaise langue. Même si, en toute honnêteté, il y avait eu des annulations soutenues par des excuses d’assez mauvaise foi, quand il y en avait. Dans ces cas-là, il faisait contre mauvaise fortune, bon cœur, bien que ce soit éminemment agaçant. Après un gros quart d’heure d’attente, et toujours sans nouvelle, le trentenaire commença néanmoins à s’inquiéter. Peut-être qu’il était déjà là et qu’il s’était perdu dans le bâtiment ? Ce serait bien sa chance tiens ! Il ne manquerait plus que quelques milliers de dollars leur passent sous le nez par sa faute … Alors que les besoins étaient toujours là, parce qu’il fallait payer les bénévoles salariés, s’approvisionner en matériel médical et en tests, payer le loyer totalement exorbitant désormais. Honnêtement, il avait été question à maintes reprises de trouver un local plus abordable, mais les anciens avaient protesté, compte tenu de l’attachement à la maison historique de l’association, sans parler de sa proximité géographique avec le Centre LGBT de la ville, où avait été fondé Act Up. Leone lui-même était plutôt d’accord, ne contestant pas qu’il éprouverait un fort pincement au cœur s’il était contraint de quitter les lieux qu’il connaissait depuis l’enfance. Il y avait toute sa vie logée là, que ce soit à travers les portraits des disparus qu’il avait connu, pour beaucoup, des anciens, et puis, il se souvenait tout bêtement de toutes les fois où il était venu, d’abord petit, puis adolescent en tant que bénévole. Une part de son existence s’était bâtie là, à mesure qu’il évoluait, passant de malade à militant, puis de militant à professionnel. Chaque recoin projetait l’ombre d’un Leone différent. Il y avait eu des flirts, des rires, des amitiés, qui s’étaient faites là où qui avaient continué après qu’il eut fait découvrir l’association à ses proches. Donc, vaille que vaille, il s’employait à aider ce vieux paquebot à continuer à flotter, tout en gardant la philosophie des origines : ni compromis, ni compromission.

Se décidant à enquêter pour vérifier que son rendez-vous n’errait pas dans les couloirs, Leone sortit donc de son bureau, l’air préoccupé, et manquant percuter … Vanya, qu’il n’avait pas vu. S’arrêtant face à sa salutation, l’italien répondit à son salut, se disant que, momentanément, un peu d’aide ne serait pas de trop, surtout que l’autre homme commençait également à avoir sa petite ancienneté dans les locaux. Et mieux valait être à deux pour tout ratisser, avant qu’il ne s’avoue vaincu et n’admette que, pour le moment en tout cas, une jolie somme venait de leur passer sous le nez. Au moins, ainsi, il aurait fait son maximum.

« Salut Valya, je ne t’avais pas vu. En fait … j’avais rendez-vous avec un potentiel donateur, mais c’était il y a une demi-heure et je voudrais m’assurer qu’il ne s’est pas perdu dans les locaux avant de m’avouer vaincu et de considérer qu’il nous a posé un lapin …

Tu n’as vu personne dans la salle d’attente ? Ou ailleurs ? »

Avant d’ajouter :

« On sera pas de trop pour enquêter. Sauf si tu ne faisais que passer, comme tu n’es pas sur le planning, je veux pas t’embêter. »