|	date nightmare  ; Charlie & Daniel

Il y a une semaine de ça, alors que Charlie s’emmerdait comme jamais, installé dans son fauteuil face à l’écran de sa télévision, il s’est mis à faire défiler son mur d’actualité Facebook d’un oeil distrait, sans vraiment prêter attention aux publications qui s’y trouvaient. C’est par le plus grand des hasards que son regard s’est arrêté sur cette publicité pour une application de rencontre quelconque, comme on en voit tant d’autres sur internet. Sauf que celle-là, elle a capté l’attention de Charlie, sans qu’il sache vraiment pourquoi. Peut-être que cette fille, sur la photo présentée, ressemblait un peu trop à Maddie. Elle avait la même couleur de cheveux et ce même sourire enjôleur. Comme quoi, un détail suffit parfois à capter l’attention de quelqu’un. Alors Charlie s’est dit : pourquoi pas ? Il aurait pu se dire “fuck l’amour” ou “vraiment des conneries ces applications de rencontre de merde” ou “y a sûrement que des psychopathes là-dessus” mais non, il s’est dit : pourquoi pas ? En quelques clics, il était inscrit et il n’avait plus qu’à compléter son profil pour pouvoir se présenter comme un potentiel futur compagnon idéal aux yeux des personnes qui feraient défiler sa photo. Mais Charlie, il sait comment ça marche, ce genre de sites. Il faut prendre les devants parce qu’une femme ne viendra jamais te parler de son propre chef. Il faut donc entamer la conversation, être suffisamment original pour capter son attention, mais pas trop original non plus, histoire de ne pas l’effrayer. Puisque c’est le principe de l’application qui veut ça, Charlie se met à faire défiler les clichés, balayant à droite les profils qui l’intéressent, à gauche ceux qui ne l’intéressent pas. Finalement, une photo finit par retenir son attention : une jolie brune au visage angélique et aux yeux noisette. Elle est souriante, a les traits doux et fins. Charlie balaye à droite puis, il attend. Il attend parce qu’il faut un match pour pouvoir envoyer un message. C’est impératif. Et là, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, une notification apparaît : Félicitations Charlie ! Vous avez un nouveau match ! « C’était plus facile que je le croyais. » soupire-t-il avec un sourire satisfait, alors qu’il ouvre déjà la messagerie pour envoyer ses premiers mots à Natasha. Que va-t-il pouvoir lui dire d’intéressant ? Il réfléchit, mais il n’a pas le temps de dénicher une idée qu’une nouvelle notification fait vibrer son téléphone : Vous avez reçu un nouveau message de Natasha ! « Déjà ?! » s’exclame-t-il en arrondissant les yeux, alors qu’il clique sur la bulle de conversation qui apparaît en haut de son écran.

[09:54 pm] Natasha : Tu sais comment les femelles choisissent leur mâle chez les tortues des Galápagos ?
[09:56 pm] Charlie : Hahaha non, pas la moindre idée ?
[09:56 pm] Natasha : Elles choisissent le mâle le plus grand, une fois qu’ils sont dressés sur leurs pattes et qu’ils ont étiré leur cou. Au fait, tu mesures combien ?
[09:57 pm] Charlie : J’ai le droit d’étirer le cou aussi ?
[09:58 pm] Natasha : Tu peux même grimper sur un escabeau si tu en as envie.
[10:02 pm] Charlie : Alors… Sur l’escabeau, au moins 1,95m. Sans vouloir me vanter évidemment.
[10:02 pm] Natasha : Évidemment !

Charlie avait presque passé une nuit blanche à force de parler avec Natasha. C’était à contre coeur qu’il lui avait souhaité une bonne nuit, aux alentours de quatre heures du matin, avant de s’effondrer de sommeil dans son sofa. Heureusement pour lui, il était en vacances et avait donc tout le loisir de dormir aussi tard qu’il le désirait. Mais ça, c’était sans compter le soleil, dont la lumière commence à pénétrer dans l’appartement dès six heures trente, alors qu’il a complètement oublié de fermer les rideaux de la baie vitrée. Et Charlie a beau se retourner dans tous les sens, cette luminosité semble vouloir l’empêcher définitivement de se rendormir. Il grogne, il peste, se retourne, jusqu’à ce que son téléphone se mette à vibrer sur le sol. Son bras tombe le long du sofa, jusqu’à ce que sa main vienne tâter le parquet, jusqu’à ce que ses doigts butent contre l’appareil. Il déverrouille l’écran, plisse les yeux et tente de lire le message qu’on vient de lui envoyer. C’est encore Natasha. Elle lui dit qu’elle n’arrive pas à dormir, qu’elle ne fait que penser à leur conversation et qu’elle aimerait qu’ils se rencontrent. Aujourd’hui. Merde. Charlie avait pas réalisé que s’inscrire sur une application, ça impliquerait un rendez-vous, aussi rapide. Est-ce vraiment une bonne idée ? Et en même temps, a-t-il une bonne raison de refuser ? Pas vraiment. Il est en congé après tout et ça, Natasha le sait déjà. Il lui répond aussitôt, lui demande à quelle heure elle veut le voir. Elle lui répond par une question : “tu ne dors pas non plus ?” Il ment, prétend qu’il n’est pas parvenu à trouver le sommeil et lui repose la question. Elle finit par lui proposer : 13h ? Mira Sushi ? Charlie a horreur des sushi mais il accepte. Il parvient à se rendormir pour se réveiller en sursaut un peu avant midi. Là, c’est l’angoisse dans sa tête. Il sent le caribou pas frais, a l’haleine d’un chacal et est vraiment trop mal rasé pour sortir dans cet état. Sans réfléchir, il se précipite vers la salle de bain, fonce sous la douche, se coiffe comme il peut et se rase en se coupant au moins une dizaine de fois. Il s’habille en essayant de choisir des vêtements classes, sort de son appartement, quitte son immeuble et monte dans le premier taxi qui s’arrête. Il donne l’adresse du Mira Sushi et il prévient déjà Natasha qu’il sera en retard. Elle lui répond : ”Pas de problème :-) Le taxi se gare enfin devant le restaurant et Charlie en descend en réglant, dans la précipitation, la course. Il s’avance vers l’entrée du restaurant plein à craquer. Il n’y a personne devant l’entrée, à part une femme d’une quarantaine d’années qui a les yeux rivés sur son téléphone. Charlie envoie un sms à Natasha pour savoir où elle est et elle lui répond du tac au tac : ”Juste devant le resto… Et toi ?” Mais non, il ne voit aucune femme qui ressemblerait à la photo. Alors il l’appelle et là, c’est la quadragénaire qui décroche et sa voix coïncide avec celle que Charlie entend en écho dans le téléphone. Oh merde… Il s’avance vers elle, avec un sourire un peu gêné, pour mieux constater que cette femme n’a absolument rien à voir avec Natasha. En fait, à bien la regarder, elle est même plus proche de la cinquantaine. Elle sent la litière pour chats, ses dents sont oranges et elle a un oeil de verre. Et dire que Charlie craignait de sentir mauvais… Il ravale un soupir de regret au moment où il décide d’entrer malgré tout avec elle dans le restaurant, davantage par politesse que par envie. Elle, rien ne semble la gêner dans cette situation. Et probablement que c’est normal quand on vient de pêcher un poisson tel que Charlie.

Cette Natasha d’un autre temps n’est pas méchante, mais repoussante. Elle n’arrête pas de postillonner en plus, ce qui fait que Charlie n’a même pas été capable de toucher à ses sushi. On est jamais trop prudent. Elle a peut-être la malaria. « Tu fumes ? » Et il prie de toutes ses forces pour qu’elle réponde que non. Elle secoue la tête. Dieu merci. « Je dois avouer que c’est une vieille addiction pour moi… Est-ce que ça t’embête si je sors deux minutes pour m’en griller une ? » Et il prie à nouveau pour qu’elle ne demande pas à l’accompagner. « Tu veux que je t’accompagne ? » Et merde… « Non, non, reste ici, j’en ai juste pour deux minutes, promis. Puis tu sais, je ne voudrais pas t’empoisonner avec la fumée. Il paraît que le tabagisme passif a des conséquences dramatiques sur la santé… » Et sans demander son reste, Charlie se lève et quitte la table pour sortir le plus vite possible de cet endroit. Évidemment, il ne fume pas, mais il aurait utilisé n’importe quel prétexte pour pouvoir sortir d’ici. Il se place un peu à l’écart du restaurant et sort son téléphone de sa poche pour envoyer un message à son meilleur ami, Daniel : ”Dan, pitié, dis-moi que tu fais rien, que t’es pas occupé, et que tu peux venir me chercher ? :( Je suis au Mira Sushi et il faut vraiment que je décampe d’ici. Aide-moi stpppp :’( “ Charlie attend sa réponse mais celle-ci tarde à venir. C’est à ce moment-là que la porte du restaurant s’ouvre : Natasha est plantée devant l’entrée et elle le cherche du regard. Sans réfléchir, il se jette sur le passage pour piéton qui se trouve devant lui, se cachant au milieu de la foule, pour rejoindre le trottoir d’en face. Aussitôt, il se planque derrière un arbuste mais Natasha est coriace. Elle arpente la rue en criant son nom, comme si ça allait le faire réapparaître. Charlie reste planqué derrière les buissons en espérant que Daniel arrive bientôt. Et il voit enfin sa voiture se garer le long du trottoir. Sans attendre une seconde de plus, il se jette sur le véhicule, fond sur la portière arrière et s’engouffre à l’intérieur, se plaçant juste derrière le siège conducteur. Il s’enfonce sur la banquette pour ne pas que Natasha puisse voir son visage et il boucle sa ceinture, en lançant à son meilleur ami un : « Démarre ! Vite ! » complètement désespéré.