Alors que ses pas la mènent jusqu'au taxi le plus proche, levant la main sans grande conviction, elle s'interroge. Pourquoi l'aider ? L'avait-elle reconnue ? Non, bien sûr que non. Même sans déguisement, elle n'était que l'une des enfants El Jaamil. C'était son père qui était réellement connu des grandes têtes de ce monde, pas elle. Si les Bloomburg eurent faits partie du Gotha encore, peut-être, mais ce n'était pas le cas. S'asseyant à l'intérieur du taxi, indiquant le Pub, elle réfléchit, triturant une boucle rousse de cette perruque qui la démangeait de plus en plus. Était-elle seulement nécessaire, finalement ? Oui. Dans l'hypothèse où quelqu'un la reconnaîtrait, aussi infime cette chance puisse-t-elle être, elle refusait qu'on pense que la famille millionnaire cherchait à avaler un million de plus. Ce serait humiliant, déjà, pour sa famille. Et elle savait que les conséquences lui retomberaient dessus, forcément. Elle ne voulait pas être l'instigatrice d'une telle discorde. Mais si elle gagnait vraiment ? Elle avait obtenu un indice de la femme même qui avait lancé cette chasse. Si elle trouvait ce ticket, et remportait ce million, qu'adviendrait-il ? Elle devrait bien donner son identité, un jour ou l'autre. Était-elle prête à dévoiler qu'elle souhaitait quitter l'empire El Jaamil ? Était-elle prête à courir après ce million pour son propre intérêt ? C'est ce qu'elle faisait. C'est ce qu'ils faisaient tous. Faisant bien vite face à ce bar, se mordant la lèvre, elle hésitait à entrer. Elle aurait dû y penser avant. Une idée la traversa : fastoche, elle donnerait tout à une association et on en parlerait plus ! Une association qui lui tenait à cœur, sur les droits et le respect des femmes. Mais cela ne ferait-il pas polémique, également ? A minima au sein de sa famille ? Elle poussa les portes du bar, fébrile, tiraillée entre son envie, soit se libérer de l'empire familial et se construire sa propre vie, soutenir les causes qui lui tiennent à cœur ; et sa raison. Elle était fichue, quoi qu'elle fasse si elle obtenait ce ticket. Elle serra les dents.

Avisant quelques silhouettes, moins nombreuses qu'elle n'aurait pensé, elle sentit l'adrénaline de la compétition monter en elle, dernière vague passionnée. Un endroit qui grince. Elle pouvait toujours trouver le billet, sans le brandir entre ses doigts, non ? Ainsi, elle aurait gagné..sans vraiment avoir gagné derrière. Elle se comprenait, tentait de se rassurer sur le fait que ce n'était rien d'autre qu'un jeu. Elle penserait aux conséquences après, oui, ça c'était rationnel. Tremblante, elle se mit alors à inspecter le plafond, appuyer de ses talons sur le plancher en bois. Elle regarda sous une table. Une table, ça grince, non ? Sous une chaise. Elle avisa quelque chose et son coeur rata un battement. C'était, c'était.... un chewing-gum. Un ricanement survint alors dans son dos, se moquant d'elle, le souffle de l'imbécile lui faisant frissonner la nuque. Perdue, alternant entre la peur de véritablement le trouver et qu'on la voit, et celle de se faire reconnaître et passer pour une idiote ; elle vrilla. « Tout ça n'a aucun sens !! » s'exclama-t-elle, se redressant tout d'un coup. Faisant volte-face, bousculant la personne qui se moquait sans lui adresser un seul regard, elle sortit en trombe du petit pub. Elle inspira alors profondément. Son parfum d'orange et de vanille la rassura un instant, ainsi que les bruits ambiants de klaxon et de discussions emmêlés en cette fin d'après-midi ensoleillée. Une chose est sûre : elle avait du mal à gérer ses émotions, un rien pouvant la mettre dans tous ses états. Et qu'elle n'avait pas besoin de ce ticket, aussi. Et sur cette illumination, les fins doigts passent dans les cheveux, libérant la chevelure de jais de cette mascarade. C'en était trop. Si elle voulait réussir quelque chose, elle le ferait dans les règles de l'art et affronter le courroux des Jaamil de plein front, comme une adulte, cessant de se cacher derrière des masques et emprunter des raccourcis douteux. Plus de Casino. Plus de perruques. Plus de mensonges. Jetant la fausse chevelure rousse dans une poubelle, elle se dirigea alors vers la station de métro la plus proche. Elle secoua doucement la tête, souriant. Elle ne gagnerait pas le ticket aujourd'hui, mais elle gagnait bien plus. Et il avait fallu tout ça, toutes conneries, pour lui faire finalement réaliser cette phrase toute bête, cette vérité toute simple : l'argent ne fait pas le bonheur. Du moins, ne ferait-il pas le sien aujourd'hui.