Une fois n’était pas coutume, j’avais encore tué une plante. Je ne savais pas comment je m’y prenais, je ne savais pas ce que je faisais de mal, mais je le faisais en tout cas. Je n’arrivais même plus à faire le compte, ni le nombre de personne qu’il y avait dans mon cimetière de végétaux. Il y avait eu au moins 5 Joséphine, 4 Léopold et aujourd’hui c’était au tour de Gontran. Au tout début je pensais que c’était une question de prénom et c’était pour ça que j’étais passé de Joséphine à Léopold puis à Gontran, mais il fallait bien que je me rende à l’évidence ; le problème c’était tout simplement moi. Cette simple connotation suffisait à me saper complètement le moral, j’avais besoin d’amour, de tendresse, mais je n’avais que moi. Bon d’accord j’avais aussi les garçons, mais il n’était pas très bavard. Je pourrais appeler Camille, lui demander de venir, passer du temps avec elle, mais il me semblait qu’elle n’était pas là cette semaine. Ce qui me rendait encore plus triste.
Au final, ce qui me rendait surtout triste, c’était d’avoir tué une nouvelle plante. Je voulais y arriver, mais je n’étais pas sure de pouvoir. Mais je pouvais demander de l’aide auprès d’un professionnel et justement je connaissais le meilleur. Depuis plusieurs mois déjà je passais beaucoup de temps dans la boutique de Gaspard, parce qu’il avait l’avantage d’avoir sa boutique presque en bas de chez moi. Je ne connais plus le nombre de fois où j’étais venu lui acheter des fleurs (que ce soit pour moi ou pour offrir) ou tout simplement pour passer le temps. Parce que Gaspard tenait la boutique seul et par moment je sentais qu’il avait besoin de compagnie et je me faisais un devoir d’y aller. Puis surtout j’aimais bien Gaspard. Alors oui encore aujourd’hui il allait recevoir ma visite, mais il fallait que je me prépare, que je me mette en tenue de deuil .

Avant de trouver ce qui convenait le plus pour un enterrement de plante, j’ai réussi à changer 5 fois de tenue, téléphoner à Erin pour lui demander conseil et changer encore 3 fois. J’étais tellement chiant qu’Erin m’avait raccroché au nez. Mais il fallait me comprendre, je prenais l’éducation de mes plantes autant au sérieux que l’éducation des tortues. Sauf que j’avais plus de succès avec les tortues. Une fois que je fus prêt, je pris Gontran dans mes bras pour l’emmener auprès des garçons et leur laisser un souvenir de lui (qu’ils allaient sûrement manger) « Les gars, je sais que ça vous prise le coeur autant qu’à moi, mais dite vous que Gontran n’est pas seul. Il a rejoint les Joséphine et les Léopold. » Et ils seraient aussi dans l’estomac des garçons. Une façon de garder mes plantes pour toujours. « Vous savez ce qu’ils nous reste à faire ? Honorer sa mémoire chaque fois et aller chez Gaspard chercher un Gontran deuxième du nom » A la façon dont il me regardait, je savais qu’ils étaient d’accord avec moi.

Avant d’aller jusqu’à la boutique de Gaspard, je prenais bien soin de mettre Gontran dans un plastique. Peut-être qu’on pourrait en faire du compost où autre chose, je ne savais pas trop, je n’avais pas la main verte. Mais en tout cas j’étais content de pouvoir revoir Gaspard. J’espérais qu’il aurait d’autres excellent conseils à me donner pour que ma prochaine plante soit la bonne. Ou alors j’en prendrais en plastique pour m’éviter tout le processus de peine et de deuil. Cela me donnait beaucoup de matière pour réfléchir. Au moins le peu d’air frais que je prenais pour Eller voir Gaspard me faisait du bien et rien que les odeurs aussi en entrant dans la boutique c’était un régal. Je pourrais vivre ici sans aucun problème. Bien vite je repérais Gaspard et je prenais un air de circonstance. « Gaspard, j’ai encore tué une plante. Gontran le cactus n’a pas survécu » Je savais qu’il m’avait conseillé un cactus parce que c’était facile, mais de toute évidence je n’avais pas le talent nécessaire. « Je ne pers pas espoir, je veux que Gontran deuxième du nom soit le héros de ma vie de jardinier » J’y mettais beaucoup d’espoir, même si je savais que c’était foutu.

La boutique n'est pas très remplie, et le flux des clients se compte sans doute sur les doigts de la main. Les gens ont été traumatisés par les dernière semaines, et ont du mal à revenir mettre de la légèreté dans leurs appartements respectifs. C'est dommage, car la saison est aux jolies fleurs et il s'approvisionne avec le plus grand soin chaque lundi. Le succès finira par être au rendez-vous, il l'espère de tout son coeur - en attendant, il ne peut pas faire grand chose de plus qu'attendre patiemment en essayant d'arranger une vitrine jolie et qui attire les regards vers l'intérieur de la boutique. Pas une mince affaire, en somme ; mais jusqu'à présent, vu l'étendue de ses connaissances, il ne se débrouille pas si mal. Il a dû tout apprendre sur le tard, rapidement, avant de pouvoir se lancer tout seul dans le petit local racheté sur un coup de tête. Pourquoi devenir fleuriste ? Il ne peut pas l'expliquer. Il a toujours été attiré par les fleurs, par les compositions, il aime la nature et les belles choses. Et puis c'est tellement calme, la plupart du temps, ce métier... Radicalement différent de ce qu'il connait d'habitude.

Il est en train de réarranger le bac des roses quand Oscar entre dans la boutique et se dirige vers lui. Il était un de ses premiers clients, et au fil de son passage, ils sont devenus amis, sans doute. Gaspard n'est pas farouche, et Oscar est rarement avare de compliments sur ses fleurs ou d'envie d'acheter une plante.

- Salut Oscar.

Il lui offre un sourire et met des roses fraiches dans un bac de roses roses. Il a passé la matinée à faire des assemblages avec des roses pâles ; elles sont sublimes. Il en rapportera sans doute à Kate, ce soir.

- J'y crois pas. T'as réussi à me tuer un cactus ? Sans rire, il était chez toi depuis combien de temps, le pauvre ?

Gaspard ne peut pas s'empêcher de rire un peu - et secoue la tête. Lui, il a toujours été assez doué avec les plantes, même quand il ne s'agissait pas là de son métier.

- C'était quoi cette fois ? Tu l'as trop arrosé ? Laissé en plein soleil ?

Même si je faisais beaucoup d’effort, même si je lisais des centaines de tutos sur internet et que je demandais des conseils permanent à Gaspard, il n’y avait absolument rien à faire, cela ne voulait pas. Je n’arrivais jamais à les garder en vie. Quoiqu’il arrive, qu’importe qui m’offrait des fleurs ou des plantes, elles finissaient par mourir. Et a chaque fois cela me rendait infiniment triste et j’entrais dans un processus de deuil. Tout cette affaire n’était facile pour personne. A part peut-être les tortues qui étaient contente de manger de la verdure. Au moins c’était une manière de faire plaisir à tout le monde.
Pour autant, je ne voulais pas abandonner, je voulais vraiment continuer mes efforts et faire en sorte que la mort de Gontran premier du nom et de toutes les Joséphine et Léopold ne soit pas vaine. Je voulais adopter un nouvel enfant et réussir au moins une fois dans ma vie à garder une plante en vie. Et pour cela je connaissais l’endroit parfait. Il fallait tout simplement que j’aille voir Gaspard, qu’il me donne encore des conseils, qu’il me donne son don pour le jardinage, qu’il fasse quelque chose parce tout cela ne pouvait pas durer.

En arrivant dans la boutique de Gaspard, j’étais content de voir que j’étais tout seul, j’allais pouvoir me plaindre à lui sans le moindre problème et sans le jugement des personnes qui elles savaient garder une plante en vie. Salut Oscar. J’étais tellement perturbé que j’en oublié les bonnes manières. « Pardon, saluuut » Pour les nouvelles, j’aurai tout le temps de lui en demander après, parce que je comptais bien rester un petit moment avec lui. Pour l’instant j’avais besoin qu’il me console. J'y crois pas. T'as réussi à me tuer un cactus ? Sans rire, il était chez toi depuis combien de temps, le pauvre ?
Ce n’était pas vraiment ce que j’appeler consoler une personne. Au contraire, je pourrais me mettre à pleurer d’un instant à l’autre. « Je sdaiiiis, c’est normalement impossible, mais je sais pas ce qu’il lui est arrivé. » Bon peut-être que j’avais quand même une petite idée en fait. « Cela faisait 6 mois qu’il était à la maison, j’ai quand même battu un record, tu peux être fier de moi » Parce que en tant normal c’était plutôt 2 mois de survie. C'était quoi cette fois ? Tu l'as trop arrosé ? Laissé en plein soleil ? Je n’osais pas lui répondre, j’étais un peu honteux quand même. « Je crois que c’est un peu de tout ça en même temps » Je n’avais absolument pas gérer la situation avec Gontran et cela faisait mal à mon petit coeur. « Mais pourtant je lui disais des mots doux, je prenais soin de lui et puis un jour il était jaune alors j’ai eu peur et je l’ai arrosé » De toute évidence ce n’était pas du tout ce qu’il fallait faire. « Rassure moi, je ne suis pas le seul à qui ça arrive ? » Parce que sinon je n’avais plus qu’à me suicider avec des yaourts périmés.

Gaspard peut avoir l'air de se moquer un peu mais en réalité, il s'exprime avec tendresse. Il a rencontré Oscar par ici, dans sa boutique, par le hasard qui l'a mené jusqu'à ici, et il est content de cette opportunité. De manière générale, Gaspard s'est lié d'amitié avec de nombreux clients. Il faut dire qu'il n'est pas compliqué et plutôt sociable. Au surplus, Oscar est un jeune homme attendrissant et sociable lui aussi - aucune raison pour que ça ne fonctionne donc pas entre eux.

- Six mois, ça va encore. Mais un cactus, c'est censé vivre des années sans entretien, tu sais ?

Gaspard s'autorise un rire léger et secoue la tête de droite à gauche. Lui n'était pas forcément tourné plantes avant de faire ce métier, alors il ne va pas lui jeter la pierre non plus. Il faut du temps pour apprendre à s'occuper convenablement des plantes, et de l'expérience aussi, sans doute - n'a pas la main verte qui veut.

- Je vais t'en trouver un autre... Et cette fois-ci, s'il jaunit, tu ne paniques pas, tu l'enlèves juste du plein soleil où il devait être posé, et tu continues à ne l'arroser que très peu. C'est pas facile à tuer un cactus, il peut supporter beaucoup de soleil et la chaleur - par contre, un peu trop d'eau et il meurt directement. Alors arroser, c'est vraiment la dernière option. Et ça va peut-être te surprendre, mais les plantes ne ressuscitent pas encore avec des mots doux...

Il sourit avec gentillesse et montre à son ami une étagère sur laquelle trônent plusieurs cactus en forme.

- Lequel tu préfères ?

Il attrape la plante désignée par son ami et monte sur un escabeau pour aller la chercher, la déposer sur le grand plan de travail en marbre qu'il a fait installer. Il l'emballe, soigneusement, et secoue la tête.

- Non bien sûr que tu n'es pas le seul à qui ça arrive. J'ai des gens qui reviennent sans arrêt pour me demander comme s'occuper des fleurs. Même à moi, ça m'a pris du temps de tout emmagasiner...

Il hausse une épaule et colle une petite étiquette verte sur le plastique pour sceller son paquet.

- Bon et à part cet horrible meurtre de plantes, comment ça va ?

Quand on me connaissait, on savait que les fleurs, les plantes et de manières générale, la nature et moi on était pas amis. Elle refusait de m’offrir les bienfait de son monde, alors que je faisais tout pour les mériter. Alors oui j’avais tué un cactus, mais il avait survécu 6 mois en ma compagnie, ce qui ressemblait à un exploit. A partir de maintenant, Gontran était le nouvel indicateur de survie. Si je faisais moins que 6 mois j’étais ridicule, si je faisais mieux, alors la vie était belle. Gontran était ma nouvelle échelle de mesure, même si pour Gaspard je devais tout simplement être exaspérant, surtout quand je l’entendais dire qu’un cactus était fait pour vivre des années sans entretien. Je préférais ne rien répondre, parce que mon égo était blessé puissance mille et bientôt j’allais faire ma drama Queen. Mais je me retenais encore un peu, parce que Gaspard n’était pas totalement habitué à ça. Le pauvre, il allait sûrement finir par me renier lui aussi.
Pour autant, je ne désespérais pas, et j’étais sûr qu’à un moment donné j’allais réussir à élever une plante, à l’aimer et la faire grandir. J’avais aimé toutes mes plantes, mais de toute évidence c’était elle qui ne m’aimait pas vu leur façon de mourir. Je vais t'en trouver un autre... Et cette fois-ci, s'il jaunit, tu ne paniques pas, tu l'enlèves juste du plein soleil où il devait être posé, et tu continues à ne l'arroser que très peu. C'est pas facile à tuer un cactus, il peut supporter beaucoup de soleil et la chaleur - par contre, un peu trop d'eau et il meurt directement. Alors arroser, c'est vraiment la dernière option. Et ça va peut-être te surprendre, mais les plantes ne ressuscitent pas encore avec des mots doux... Je faisais la moue en écoutant Gaspard, je le vivais vraiment mal qu’il puisse penser que je n’avais pas écouter ses conseils, alors que j’avais tout bien fait. Enfin presque. « Je te jure je ne l’ai pas laissé en plein soleil. Par contre le trop plein d’eau je plaide coupable, mais j’avais peur pour lui. Je pensais que c’était comme les enfants et qu’il fallait le faire boire à chaque fois que moi j’avais soif » Enfin après ça c’était ce que j’avais entendu dans la famille par mamie et surtout en écoutant d’une oreille parce que les enfants ça ne m’intéressait pas. Mais heureusement je pouvais compter sur Gaspard et quand il me présentait des nouveaux cactus, j’étais l’homme le plus heureux du monde. Lequel tu préfères ? Je ne savais pas, j’étais incapable de choisir, sans les piquants, j’avais envie de tous les prendre dans mes bras. « J’ai l’impression que tu m’impose le choix de Sophie. C’est horrible de choisir entre ses enfants » Alors d’accord on parlait de cactus et Sophie avait fait un choix bien plus important mais ce livre m’avait bouleversé au possible et encore aujourd’hui j’y faisais référence. Mais comme l’adulte responsable que j’étais, je faisais un choix. « Après des moments intenses de réflexions avec moi-même, je vais prendre le grand, parce qu’il me fait penser aux cactus qu’on voit dans les Looney Toons avec Speedy Gonzales » Oui j’étais toujours un grand enfant et peut-être je pourrais aménager un coin de mon appartement, comme je le fais sur Animal Crossing, avec plein de truc en rapport avec les cactus, en tout cas avoir un Gontran deuxième du nom me remontait le moral, mais j’étais quand même curieux de savoir si j’étais le seul boulet à faire mourir ses plantes. Non bien sûr que tu n'es pas le seul à qui ça arrive. J'ai des gens qui reviennent sans arrêt pour me demander comme s'occuper des fleurs. Même à moi, ça m'a pris du temps de tout emmagasiner... Okay, j’avais envie de prendre Gaspard dans mes bras et de couvrir sa face de bisous. Tout de suite je me sentais plus léger. « D’ailleurs comment t’as découvert ta passion pour les fleurs ? » Est ce que un matin il s’est levé en se disant « j’aime les fleurs » ou alors c’est quelque chose qui vient au fur et à mesure ? A part mes tortues je n’avais pas vraiment de passion dans la vie. Bon et à part cet horrible meurtre de plantes, comment ça va ? C’était pas un meurtre, c’était un accident. « Rassure moi, tu ne vas pas me dénoncer à la police des plantes. Je nierais tout et je ferais tomber tout le monde avec moi » Sauf que je serais capable de me tromper dans les 50 versions différentes que je pourrais dire et surtout beaucoup trop exagérer les choses. « Sinon je vais plutôt bien. J’envisage de quitter mon boulot de poulet, mais faut que je trouve ma vocation donc je réfléchis » La proposition de Samir était plus qu’intéressante, mais à savoir si je tiendrais le coup psychologiquement parlant. « Ma mère m’a dit vouloir passer du temps avec moi donc je vais devoir nettoyer l’appartement et j’ai déjà la flemme » J’adorais ma mère et j’étais plus qu’heureux qu’elle vienne passer des vacances chez moi, mais tout cela allez se terminer en concours de dramaturgie. « Et toi tout va bien ? Comment ça se passe en dehors du royaume des fleurs ? » Voilà pourquoi je venais toujours voir Gaspard, au delà de me donner des conseils sur l’entretien des plantes, j’adorais quand on discutait et je pourrais passer des journées à ne faire que ça.