Les bras pris par les cartons de pizzas, Tom dût faire une pirouette pour ouvrir la porte de l’immeuble où il habitait avec Charlie et Izzy. Il s’était dévoué pour aller chercher leur repas du soir dans la pizzeria qu’ils chérissaient tant et pour cause, à eux trois, ils leur assuraient une commande régulière. Tous les vendredis soirs, l’un des leurs allait récupérer le dîner et récoltait l’admiration de ceux qui étaient restés à la coloc pour déterminer le programme de la soirée. A sa fondation, Tom avait réussi à imposer un soir de pizza par semaine. Charlie avait accepté dans la foulée et à son arrivée, Izzy n’avait pas rechigné. Un bon point pour elle.

Ce soir-là, la développeuse avait prévenu qu’elle se chargeait de tout : elle organisait une soirée jeux vidéo. Le brun connaissait suffisamment Charlie pour savoir qu’elle ferait en sorte de choisir des titres sur lesquels elle était à l’aise histoire de ne pas se ridiculiser. Heureusement pour lui, il n’était pas complètement rouillé et gardait un certain niveau, quel que soit le jeu. Son inquiétude était plutôt pour Isobel. En secret, il pariait sur ses défaites consécutives. Au moins, elle pourrait se consoler dans les poils de Chaussette, ses deux colocataires étant probablement trop occupés à se tirer la bourre pour ça.

« Che chuis là ! » tenta-t-il d’articuler en tenant son portefeuille dans la bouche. Pas hyper hygiénique, certes, mais il n’était pas réputé pour être le plus adroit des garçons et l’idée de voir son repas étendu sur le sol le tétanisait. S’il n’avait pas de femme dans sa vie au sens romantique du terme, il lui restait toujours la quatre fromages et il y tenait comme à la prunelle de ses yeux. Il eut juste le temps de déposer la pile de cartons sur la table basse que ses deux colocataires, en tenue du soir – à mi-chemin entre la tenue décontractée mise en avant dans les vitrines des magasins de ville et le pyjama datant d’il y a quelques années – vinrent le rejoindre. En chemise, il faisait presque tâche dans le décor. « Vous les mettez réchauffer un peu et vous préparez les assiettes et les verres ? Je vais aller me déshabiller pour être… dans le thème » dit-il avec une pointe de moqueries. Vivre avec deux femmes qui avaient à peu près son âge et n’étaient pas ses mères pouvait inspirer ceux qui lui imaginaient une vie palpitante et débridée et pourtant, il était plus familier des soirées cocooning et gourmandes que des orgies débridées.

Il s’exila dans sa chambre et se débarrassa de ses vêtements pour enfiler une tenue adéquate. Pour exceller (et maintenir sa réputation à jour), il ne pouvait se permettre d’être handicapé par des tissus trop serrés. Afin d’intimider ses adversaires du soir, il enfila un vieux tee-shirt qui était floqué à son nom – ou plutôt pseudo – et se fit craquer le cou en rentrant dans la pièce. « Prêtes à prendre une raclée ? » lança-t-il tout en jetant un œil à l’état des pizzas dans le four.

@Isobel Allen @Charlie Jefferson    

Les soirées pizzas du vendredi sont devenues une habitude qu’Izzy ne manque jamais -ou presque-. Mais comme elle est actuellement en vacances, elle n’a aucun programme de prévu si ce n’est préparé sa valise pour partir une semaine en Californie chez sa mère ce qui en soit n’oblige en rien de manquer la fameuse soirée pizza qui est couplée avec une soirée jeux vidéos. Izzy n’aime pas vraiment ça, ou plutôt, les jeux vidéos n’aiment pas Izzy tant elle n’est pas douée mais à chaque fois, elle fait un effort. Elle est beaucoup plus branchée jeux de société, mais elle sait que quand ce sera son tour, elle fera accepter les jeux de société comme eux lui font accepter les jeux vidéos. Un échange de bon procédé en somme. Alors qu’elle caresse Chaussette qui est bien heureux que sa maîtresse soit en vacances, elle entend la porte qui claque, ce qui la fait immédiatement sortir de son lit et enfiler un gros gilet pour finir par sortir de sa chambre et elle rit d’emblée quand Charlie fait une remarque à Tom « Je pensais que tu t’étais perdu en route ! » Rajoute t-elle en souriant avant de l’aider en récupérant uniquement le pauvre porte feuille qui est coincé dans sa bouche pour finir par le balancer avec un air de dégoût sur le plan de travail de la cuisine. Et Izzy lève les yeux quand il pense qu’elles ne sont pas capable de faire réchauffer des pizzas « Si je pouvais uniquement me nourrir de pizzas pour vous éviter une intoxication alimentaire à chaque fois que je cuisine, je le ferais alors t’inquiète, les pizzas sont entre de bonnes mains. » Et elle attrape les assiettes et les verres pour les déposer sur la table qui finira par accueillir les pizzas à la suite.

Izzy ricane un peu quand il leur demande si elles sont prêtes à prendre une raclée. Elle opte pour une posture pas peu fière avant d’affaisser ses épaules « Bon, je pense encore que ça va se jouer entre vous deux, mais j’ai bon espoir de vous battre à Mario Kart. » Sauf qu’Izzy, elle choisit toujours le personnage qu’il ne faut pas. Alors, elle perd toujours. Ce qui la fait bouillir intérieurement, mais elle se vengera sur les pizzas. Elle attrape trois bières dans la glacière qu’elle décapsule avant de les tendre aux autres et elle hausse les épaules à l’évocation des autres « Non, pas depuis ce matin en tout cas. » Quand elle avait encore la tête à moitié posée sur l’oreiller mais qu’elle devait se lever pour aller faire du sport — quel fléau. « Mais je ne sais pas s’ils arriveront à temps pour les pizzas je meurs de faim ! » Même si elle se connaît, l’institutrice, elle calera au bout de la deuxième part. « Et sinon, votre journée ? »

@Charlie Jefferson @Tom Reyes

« Avec toi, je m’inquiète de tout, Charlie. » dit-il avec un sourire taquin sur les lèvres. Heureusement pour la coloc, il ne le pensait qu’à moitié. Celle qui incarnait le mieux la raison, c’était sûrement Izzy. Alors certes, on ne l’avait pas gâtée en ce qui concernait le trait « cordon bleu », mais elle savait prendre les bonnes décisions concernant le maintien au chaud des mets. A voir si elle prendrait cette remarque comme une qualité. Dans le doute, il se passa de lui dire, mais lui confia les boîtes de pizzas.

En revenant de son petit tour dans son dressing – qui se révélait en fait être une simple armoire qu’il avait monté dans la précipitation à leur emménagement, Tom eut la joie de constater que tout était prêt pour qu’ils puissent honorer la tradition du jour. Le programme concocté par Charlie – car il voyait mal Izzy s’imposer quand il s’agissait de jeux vidéo – était plutôt rassurant. Apex, Tom connaissait. Il y avait joué un moment avant de se tourner vers d’autres titres. Il s’en était lassé malgré les sollicitations de ses followers. Mario Kart était un incontournable des soirées entre amis. A lui seul, Tom avait débloqué toutes les coupes. C’était sûrement l’une des plus belles réussites de sa vie d’adulte, mais il se gardait bien de le dire. En revanche, le dernier titre, Alien Isolation, le laissait de marbre. L’horreur, ce n’était définitivement pas son truc. Tom était davantage attiré par les univers colorés que par l’ambiance horrifique. Il se doutait bien qu’Izzy jouait dans la même cour que lui et que c’était Charlie qui serait gagnante. Elle avait un choix stratégique et il ne pouvait pas lui en vouloir. C’était de bonne guerre. « Izzy… Quand tu joues à Mario Kart, c’est même plus toi qui choisis le personnage, mais le personnage qui te choisit tellement ils ont assez que tu les ridiculises… » lança-t-il franchement. Sa colocataire institutrice était plus dans son élément quand il s’agissait de les écraser aux jeux de société traditionnels. C’était son petit côté « old school ». Il s’attendait d’ailleurs à ce qu’elle décapsule les bières avec les dents, mais non. Il attrapa son exemplaire tout en murmurant un merci. « J’ai une faim de loup. J’ai l’impression de ne pas avoir mangé depuis des semaines alors que ça fait… » commença-t-il avant de tourner son regard vers son Apple Watch « A peine 1h30 que je n’ai pas mangé ». Ceux qui connaissaient bien Tom le savait, c’était un ventre sur pattes. Souvent, on jalousait d’ailleurs son métabolisme : il pouvait manger autant qu’il voulait – aussi gras qu’il le souhaitait – la nature le laissait tranquille.

Quand Isobel aborda la question de la journée, il ne prit pas la priorité pour répondre. Toutes ses journées (ou presque) se ressemblaient, si bien qu’il ne trouvait pas ça vraiment intéressant à raconter. A ce jeu, Charlie était bien meilleure que lui. « Honneur aux dames » dit-il avant d’avaler une gorgée de sa bière.