Quand Caleb lui avait annoncé que dans son planning de ce mois-ci, il serait absent un weekend, Samia n’avait pas été ravie, forcément. Elle s’était dit qu’ils auraient pu plutôt passer plus de temps ensemble alors que, quand ils sont effectivement ensemble, elle n’est pas entièrement présente. Pourtant, elle essaye. Mais s’il n’est pas là de toute façon, ça ne peut pas être de sa faute. Elle lui avait demandé s’il était possible que ça change, avant de soupirer. Et puis, quelques jours plus tard, elle avait pensé à autre chose, qui avait entièrement – ou presque – effacé sa déception initiale. Si Caleb travaille, alors elle peut prévoir quelque chose pendant ce temps-là. En général, elle ne prévoie rien en soirée ou le weekend, pour qu’ils puissent être ensemble, mais elle avait pourtant cette idée en tête depuis quelques semaines. Pas de spectacle en journée la semaine, ce qui est sans doute normal pour avoir assez de public. Mais pour elle, ce n’était pas l’idéal. Elle aurait pu proposer à Caleb qu’ils y aillent ensemble, mais il n’aime pas les comédies musicales. Et puis Samia s’était dit que ce serait étrange. Pour finir, elle avait peut-être un peu envie d’être seule avec Noé, quand elle la reverrait pour la première fois depuis une éternité. Depuis qu’elles s’étaient embrassées en fait. Oui, ce serait étrange d’y aller avec son fiancé.
Elle avait réservé sa place à l’avance, et avait attendu le jour J avec impatience. Devant son miroir, elle avait hésité entre plusieurs tenues, avant de finalement opter pour son confort, se trouvant ridicule. Noé et elle étaient restées en contact, un temps. Puis ça avait fini par s’arrêter, et Samia n’avait pas fait l’effort. Peut-être un peu trop frustrée de ne pas pouvoir la voir, de ne pas pouvoir être plus que son amie. Elle aurait pu reprendre contact, quand elle faisait escale à New York, mais avait sans cesse trouvé une excuse. Il est temps d’arrêter. Noé avait été son amie, sa meilleure amie. La plupart de ses souvenirs heureux à New York, elle peut les relier à la rousse. Alors maintenant qu’elles vivent à nouveau dans la même ville, elle n’a plus d’excuse. Une robe longue donc, qui l’empêchera d’avoir trop chaud, et qui cache son début de ventre. Une bonne solution.
En chemin, elle s’arrête chez un fleuriste, dans lequel elle achète une petite composition de glaïeuls et d’autres fleurs. Elle sourit, en se souvenant une après-midi où elles avaient cherché la signification donnée à chaque fleur. Celles-ci félicitent quelqu’un de sa réussite et, en plus, Noé les trouvait jolies. Des souvenirs qui ne se sont jamais complètement effacés. Les fleurs dans son sac pour qu’elles ne soient abîmées, elle s’installe à la place qui lui est attribuée, et le spectacle ne tarde pas à commencer. Elle connait déjà l’histoire, comme à peu près tout le monde dans la salle, mais elle apprécie quand même, et sourit d’autant plus quand Noé est sur scène et interprète ses chansons. Elle râle même sur un voisin qui fait un peu trop de bruit pendant son solo. Et, une fois le rideau baissé, elle reste à sa place quelques instants, laissant la salle se vider. Elle n’est pas entièrement certaine que ça soit une bonne idée. Mais elle a envie de la voir, de pouvoir la féliciter, parce qu’elle a été superbe ce soir. Comme tous les soirs sans doute, ce n’est pas un hasard si elle a ce rôle. Finalement, elle se lève, presque la dernière, et trouve la porte donnant vers les coulisses. Là, elle demande à un vigile si elle pourrait aller voir Noé Gallagher. Naturellement, celui-ci doit lui demander son accord. Ce serait étrange qu’il laisse entrer n’importe qui. Même si ça gâche un peu la surprise, Samia donne son nom et attend derrière la porte. Elle pose le bouquet sur ses bras, et entre quand elle y est invitée. Le vigile la guide au milieu des costumes et figurants. Tout ça doit terriblement plaire à Noé, elle en est certaine. C’est ce qu’elle a toujours voulu. Arrivée à sa loge, elle sourit lorsque leurs regards se croisent. Elle est véritablement heureuse de la revoir. « Tiens, c’est pour toi. » Elle est un peu gênée en lui donnant le bouquet, hésite à préciser pourquoi elle lui offre ces fleurs, mais décide de ne pas le faire. « Tu as été superbe ce soir. Disney ont vraiment bien fait de créer une princesse rousse, Anna est faite pour toi. » Elle reste un peu sur la retenue alors qu’elle sent quelques larmes humidifier ses yeux. Vive les hormones.

Noé adore les matinees performances a Broadway parce que ça veut dire que toute la journée, elle est au théâtre et c’est ici qu’elle adore être, plus que quiconque sans doutes. Même si parfois, elle n’a pas envie de se lever, le samedi est toujours un de ces jours préférés de la semaine. Quand certains attendent avec impatience le week-end pour se reposer, Noé, elle, attend le week-end pour faire deux performances dans la même journée. Quand elle arrive, elle salue la troupe et sert une tasse de thé à tout le monde, comme elle le fait si souvent, avant de se retrouver dans sa loge pour se maquiller et se coiffer, tout en échauffant sa voix. L’imposante horloge sur le mur lui rappelle qu’elle n’a plus qu’une dizaine de minutes pour se préparer et elle souffle un peu. Elle déteste avoir si peu de temps pour souffler avant d’entrer sur scène. Elle rejoint l’actrice qui joue Elsa et elle lui sourit, puis comme à l’accoutumée, la moitié de la troupe fait son warm up ensemble. Et puis c’est l’entrée sur scène. Comme à chaque fois, Noé y prend plaisir. Elle sait qu’elle est là pour une raison et le fait de voir que les gens applaudissent, que les gens s’amusent, c’est ce pourquoi elle fait de la scène, pour rendre les gens heureux. Comme elle aurait pu rendre heureux son grand-père s’il n’était pas parti quelques temps avant la première de cette comédie musicale qui lui tient à coeur. Elle se donne à fond comme à chaque fois et c’est le moment du salut, des applaudissements et Noé, elle sourit. Toujours plus fort à s’en faire mal à la mâchoire. Puis elle sort de scène, offre une accolade à ses partenaires, et elle s’échappe dans sa loge pour se jeter dans son canapé. Elle ouvre l’application de son téléphone pour savoir ce qu’elle va manger entre deux représentations,  bien qu’elle n’a pas trop faim, elle n’a que ça a faire de toutes façons, attendre la deuxième représentation, celle de la soirée. Et ensuite, elle rentrera chez elle, ses écouteurs vissés aux oreilles, elle sort son carnet pour pouvoir écrire son ressenti, et ce qu’elle pense de cette représentation, il paraît que ça lui fera du bien, lui a dit son psy. On toque à la porte, elle se lève pour ouvrir la porte et le vigile qui lui demande si il peut faire entrer une certaine Samia Lakhani. Son coeur manque un battement, est-ce qu’elle a bien entendu ? Ça fait si longtemps. Si longtemps qu’elle n’a pas entendu son nom, depuis quelques années. Quand les lettres ont cessés, quand les appels se sont diminués pour finir par n’être que du vent et de la poussière. Elle acquiesce d’un signe de la tête et se tourne pour se regarder dans son miroir, elle lisse sa robe, passe une main dans ses cheveux pour les discipliner avant de se tourner pour l’accueillir. Elle est si belle. Toujours aussi belle, son coeur qui bat trop vite, trop fort dans sa poitrine. Comme avant. Son sourire s’étend quand elle croise son regard et puis, elle regarde les fleurs, les saisit et elle reconnaît. Les fleurs dont elles avaient toutes les deux chercher la signification. « Merci. » murmure t-elle du bout des lèvres avant de se dire qu’elle est terriblement impolie de ne pas la laisser s’asseoir. Mais elle n’en a pas le temps, le compliment filtre les lèvres de Samia. « Tu ne peux pas me faire meilleur compliment. » avoue t-elle avec le coeur qui se met à battre un peu plus fort alors qu’elle dépose les fleurs sur la table et qu’elle se rapproche d’elle pour pouvoir l’enlacer avec une pointe de retenue et surtout un élan de tendresse qui lui manquait terriblement. « Viens. » dit-elle en l’attirant sur le canapé et elle s’installe à ses côtés, une jambe glissé sous ses cuisses pour pouvoir être en face d’elle. « Je ne savais pas que tu venais… Tu aurais dû me le dire, je t’aurais fait bien placé… » Mais pourquoi lui aurait-elle dit alors qu’elles ne se sont pas parler depuis des années. « Ça me fait du bien de te voir, tu m’as manqué… »

Les détails, Samia n’y avait pas réfléchi. Ce qu’elle lui dirait. Ce qu’elle ressentirait en la voyant. Tout ce à quoi elle avait réfléchi, c’était à quel point c’était idiot de vivre dans la même ville que Noé et de ne pas la voir. Pendant si longtemps, elle avait été la personne la plus importante de sa vie. Meilleure amie. Confidente. Et puis un peu plus. Le temps a effacé beaucoup de choses depuis, mais Samia a envie de la retrouver, de reprendre le contact avec sa plus vieille amie. C’était ce qui avait animé sa venue aujourd’hui, malgré la peur qui aurait très bien pu la faire reculer au dernier moment. Mais quand Noé la serre dans ses bras, elle n’a aucun regret. Au contraire, elle aurait plutôt l’impression d’être exactement là où elle doit être. L’endroit qu’elle n’aurait jamais dû quitter. Qu’elle ne voulait pas quitter, mais a dû le faire. Pourtant, elle aurait pu conserver le contact, insister quand l’intervalle entre les appels s’était allongé, au lieu de retarder toujours plus. Mais rien ne sert de repenser au passé. Là, maintenant, elle est avec Noé, et elle se sent bien. C’est tout ce qui importe, au fond.
Elle s’installe sur le canapé, invitée par Noé. Combien de fois ont-elles rêvé ensemble de se retrouver ici ? Dans les coulisses d’un théâtre de Broadway, entre deux représentations. Samia n’a jamais eu ce rêve pour elle. C’était celui de Noé, et elle le lui avait un peu transmis. Mais ç’avait toujours été Noé qui avait le talent nécessaire, et le fait qu’elle soit là aujourd’hui le lui confirme. « C’est vrai… mais ne j’aurais pas pu me glisser en coulisses pour te faire la surprise sinon. » Au fond, peu importait le moment où elle lui disait qu’elle était là. En décidant de ne venir qu’après le spectacle, elle s’était peut-être laissé une porte de sortie. « Et peu importe la place, le spectacle était super. » Pour une raison en particulier. Sinon Samia aurait plutôt choisi une autre comédie musicale, plus classique. Elle n’est venue à cette représentation que pour voir Noé interpréter Anna. Et elle a bien fait. Elle sourit face à l’aveu que lui fait Noé. Peut-être un peu flattée. Un peu rassurée aussi, de ne pas avoir été la seule. Quand on ne voit pas quelqu’un pendant dix ans, on remet forcément des choses en question. « Toi aussi… » Dit-elle dans un soupir. Elle n’avait pas réalisé à quel point, ou avait préféré l’oublier. C’était plus simple que de penser à ce qui manquait à sa vie. « Maintenant que je suis réinstallée à New York, je ne pouvais pas passer à côté de ta comédie musicale. » Et d’elle, tout simplement. Mais c’est plus simple de dire les choses sans les dire. Samia l’a souvent fait, sans doute encore plus avec Noé. Ce qu’elle a mis longtemps à s’admettre. Elle décroise ses jambes, pour inverser celle qui est au-dessus. Elle est tout de même un peu nerveuse. « Tu dois être fière… Je n’ai jamais douté que tu réussirais mais quand même, bravo. » Ce n’est pas rien de percer dans ce milieu. Après tout, Noé n’est pas la seule rousse talentueuse à New York, mais elle est, de loin, la préférée de Samia.

Alors elle est bien là, en face d’elle et Noé n’en revient pas. Elle a espéré tant de fois et pourtant, elle n’est jamais venue. Jamais sauf aujourd’hui. Elle est là, dans sa loge, elle qui ne l’espérait plus. Et Noé est heureuse. Beaucoup trop heureuse, même si elle se cache derrière un semblant de timidité qui fait peur à voir. Noé ne sait pas comment se comporter pour lui prouver qu’elle lui a manqué, mais qu’elle ne doit pas s’en vouloir. Noé ne voudrait pas que le sourire se fane, que le sourire abandonne le visage angélique de Samia, ce visage qu’elle a tant de fois aimé, qu’elle a tant de fois espérer revoir. Et la rousse se demande si elle n’aurait pas mieux fait de prendre de ses nouvelles plus souvent, peut-être qu’elle aurait pu l’inviter. Peut-être qu’elle aurait pu faire en sorte qu’elle soit mieux placée. Noé n’a jamais invité personne au théâtre parce qu’elle trouvait que personne ne méritait d’invitations et puis même, c’était des denrées rares dans le métier. « C’est vrai et c’est une jolie surprise. » avoue Noé en passant une main dans sa nuque. Elle ne veut pas que ce soit bizarre, elle ne veut pas que ce soit étrange. Elle veut retrouver la Samia d’avant, elle veut retrouver la relation qu’elles avaient avant. Elle lui sourit quand elle lui parle et qu’elle lui dit que le spectacle était super. Et puis Noé lui dit ce qu’elle pense, que la brune lui a manqué et elle sent son coeur qui se gonfle un peu quand elle l’entend lui répondre que c’est pareil pour elle. Noé la regarde, détaille son visage, ses traits qui lui ont tant manqué « Tu es revenue définitivement ? » Demande t-elle, se pinçant la lèvre inférieure en passant une main dans ses cheveux. Elle remarque Noé que Samia est nerveuse et elle s’en veut un peu, demande si c’est de sa faute. Mais elle ne veut pas tout casser, elle ne veut pas qu’elle se sente mal et qu’elle parte. « Oui, je suis très fière mais j’ai eu peur de ne pas avoir le rôle, j’ai eu peur, souvent. Mais j’ai gardé le contrôle et voilà. » Elle se rapproche un peu de Samia et elle tend les bras pour qu’elle vienne se lover dedans. Elle attend un peu avant de la regarder et elle lui sourit un peu « Tu es toujours aussi belle. » prononce t-elle, un peu de nostalgie dans la voix. Elle se souvient de la soirée, de leur dernière soirée. Ce baiser. Elle la laisse se lover dans ses bras et elle respire son odeur comme pour s’en imprégner, comme si elle avait peur qu’elle s’échappe une nouvelle fois. Qu’elle lui échappe. Même si Noé sait, au fond d’elle, qu’elle a dû refaire sa vie Samia, elle ne peut s’empêcher d’espérer que tout ira bien, que tout redeviendra comme avant.

Elle y a si souvent pensé, à ce moment. Tellement que ça lui parait presque surréel. Elles sont vraiment l’une à côté de l’autre, sans une loge de Broadway. Plus de dix ans après la dernière fois qu’elles se sont vues. Plus de dix ans après… ce qui était arrivé entre elles. Samia n’en avait jamais reparlé, ni à Noé ni à personne. De toute façon, elle était partie et, même si ce moment passé ensemble avait été l’un des plus beaux de sa vie, ça ne changeait rien. Elle aurait préféré que les choses se passent autrement, qu’elles puissent se retrouver avant. Elle aurait pu faire en sorte que ça arrive, mais n’avait jamais osé. Aujourd’hui encore, elle n’est pas certaine. Et c’est sans doute la raison pour laquelle elle est un peu sur la réserve. Comme elle ne l’a jamais été avec Noé. Elle a presque l’impression d’être quelqu’un d’autre. Ce qui est peut-être vrai, en partie. « Je suis contente que tu le penses aussi. » Après tout, elle n’était pas sûre de l’accueil que lui réserverait Noé. Elle espérait bien sûr que les choses redeviennent comme avant, entre elles, mais elle ne pouvait pas être certaine que Noé serait heureuse de la revoir, après tout ce temps. Alors elle est forcément rassurée de voir que c’est le cas. « Oui, j’ai emménagé à Staten Island au début de l’été. » Tout ça lui parait encore assez fou. Elle ne se sent pas encore chez elle, mais elle ne se sentait pas non plus chez elle à San Francisco. Enfin là, aux côtés de Noé, elle retrouve quelque chose qui y ressemble un peu. Elle ne tait pas sa fierté pour la carrière de son amie. Elle se répète un peu, mais peut-être ne sait-elle pas exactement quoi dire. « C’est normal d’avoir peur. Mais tu as toujours été assez forte pour tout ça. » Samia l’a toujours su, comme une évidence. Et elle aurait aimé être là pour épauler Noé quand elle avait peur, quand elle avait des doutes. Mais le destin en avait décidé autrement pour elles. Et quand Noé lui ouvre les bras et la complimente, Samia ne peut que regrette ce fameux destin. S’il existe seulement. « Toi aussi. » Souffle-t-elle en venant poser sa tête sur l’épaule de Noé. Pas tout à fait à l’aise, elle a envie de l’être cependant. Elle se demande si Noé n’est pas encore plus belle qu’avant, même. Plus affirmée, plus confiante. Même si elle l’a toujours été, bien plus que Samia. Elle pose sa main, paume ouverte, sur la jambe de Noé, et observe ses doigts, comme pour se concentrer sur autre chose. Elle voudrait rester dans cette bulle. Elle voudrait avoir seize ans à nouveau, et que tout se soit passé différemment. Mais ce n’est pas la réalité, et elle doit l’accepter. « Alors ? Qu’est-ce que ça donne, une vie de star ? »

Noé elle n’en revient pas, elle n’avait pas prévu qu’elle soit là. Samia. Sa Samia. Celle avec qui les lettres se sont échangés pendant un laps de temps avant de s’épuiser, de se fatiguer et de ne plus être du tout. Et Noé, elle avait le coeur qui s’était un peu brisé quand elle s’est rendue compte que Samia ne lui répondrait plus et au fond d’elle, elle se demande si ce n’est pas de sa faute. Parce qu’elle sait, elle se souvient ce qu’il s’est passé lors de cette dernière soirée toutes les deux. Et Noé est intimement persuadée que c’est un peu de sa faute. Mais Noé ne peut pas cacher ce qu’elle pense, elle est heureuse de la voir, elle est si heureuse de l’entendre rire, de la voir, si proche mais pourtant, elle a peur qu’elle soit si loin. Et quand elle lui annonce avoir emménagé au début de l’été, Noé s’humidifie les lèvres et elle souffle un peu. Elle a mal au coeur Noé, pourquoi ne l’a t-elle pas prévenu ? Pourquoi ne lui a t-elle pas dit qu’elle était revenue ? Elle qui croyait que tout serait redevenue comme avant à son retour. Mais elles ont grandis toutes les deux. Alors peut-être que non, peut-être que ce ne sont que des illusions. « Oh… J’aurais dû y faire un tour plus souvent alors. » répond t-elle un peu en ironisant, une main tremblante qui se cache dans sa nuque. Alors quand Samia lui fait des compliments sur sa carrière, Noé ne peut s’empêcher de sourire. Samia est certainement l’une des seules qui sait à quel point c’est ce qu’elle voulait Noé. A quel point c’était son rêve, de voir son nom en haut d’une affiche à Broadway. Et quand la reine des neiges était sorti, Noé avait tellement trouvé en Anna, des similarités avec elle. Elle sourit un peu plus quand Samia la complimente et elle passe une main dans ses cheveux, signe qu’elle est gênée. Signe qu’elle accepte le compliment sans vraiment le faire. « J’ai toujours été assez forte parce que tu me donnais cette force. » avoue t-elle, à voix basse, la tête un peu baissée. Quand elle ouvre les bras, la rousse se demande si Samia va venir se lover contre elle, après ce compliment. Lorsqu’elle se blottit contre elle, Noé ne peut s’empêcher de lui frotter le dos, doucement. Simplement. Et puis quand elle se recule, la main de Samia l’attire un peu. Alors Noé plutôt que d’entrelacer leurs doigts, elle trace doucement les lignes de la main de Samia, doucement, lentement. Un peu ailleurs, un peu trop loin. C’est Samia qui la ramène sur terre, Samia et sa voix. Elle met un temps avant de calculer la question et elle sursaute même, récupérant sa main, qu’elle colle le long de son corps, et elle regarde sa brune « Oh et bien tu sais… C’est normal ? Je fais des auditions pour quand Frozen se sera terminé… Je fais attention à ce que je mange, je bois… J’essaye d’avoir un mode de vie sain… » Et elle ne sait pas vraiment si elle y arrive. Mais elle essaie en tout cas. « Je n’ai pas envie que Frozen se termine en tout cas. » Elle. Hausse les épaules « On a encore un peu de temps mais bon, ça va vite venir. Et toi alors ? » Elle se tourne encore vers Samia, ses doigts qui vont et viennent sur l’avant bras, ave légèreté. « Pourquoi est-ce que tu es revenue ? »

Samia sent bien une petite pointe de déception dans le regard de Noé quand elle lui annonce depuis quand elle est revenue. Elle s’en veut, forcément. Elle aurait dû trouver le courage plus tôt. Même avant, à chaque fois que son avion faisait un arrêt de plus de quelques heures dans la grosse pomme. A chaque fois, elle aurait pu trouver le courage, se forcer parce qu’elle sait qu’elle aurait passé un bon moment, que retrouver Noé lui aurait fait plaisir. Mais un coin de sa tête s’y opposait toujours. Et si ce n’était pas comme avant ? Et si ça l’était et que c’était encore plus dur de se redire au revoir ? Samia n’avait jamais osé sauter le pas, avant aujourd’hui. Et elle regrette de ne pas l’avoir fait avant, parce qu’elle voit bien que Noé n’est pas heureuse de l’apprendre. Et aussi parce que tout semble si facile, quand elle est auprès de son amie de toujours. « J’ai été pas mal occupée avec les cartons… » Tente-t-elle, consciente qu’on a fait mieux comme excuse. Mais elle ne veut pas que Noé garde cet air triste, un peu mélancolique. Sans doute l’a-t-elle aussi, cet air. Parce qu’elle est nostalgique, de ce temps d’avant. De ce qui aurait pu être aussi, si les choses s’étaient passées autrement. Chemin qu’elle ne doit pas prendre, elle le sait. La vérité, c’est que son père est mort quand elle avait seize ans et que sa vie n’a plus été la même après ça. Il n’aurait pas pu en être autrement. Elle le sait, parce qu’elle l’a souvent souhaité. En tout cas, elle est heureuse de voir où la vie a amené Noé. Juste là où elle l’a toujours souhaité. « Pourtant, tu as très bien réussi toute seule. Tu devrais accepter que tu es forte. » Sans doute bien plus que Samia, même si elle n’a jamais voulu le voir. Mais ça n’a jamais été une compétition, plutôt une aide qu’elles s’apportaient l’une et l’autre. Et Samia aurait bien besoin d’un peu plus de force ces temps-ci. Mais au lieu de chercher du courage, elle préfère penser à autre chose. Ou à rien en particulier, alors qu’elle pose sa tête au creux de l’épaule de Noé et qu’elle sent ses doigts dans sa paume. Elle pense juste qu’elle est bien, presque sereine. Et que la réalité lui parait moins belle. Mais la réalité, par définition, est plus réelle que ce moment, hors du temps. Alors elle reprend la parole, interroge Noé sur sa vie actuelle. Le contact de leur main est brisé, et Samia se redresse un peu, pour observer sa vieille amie, alors qu’elle lui répond. Elle a l’air d’aller bien, d’être heureuse, de penser à l’avenir. Samia est heureuse de la voir ainsi. « Tu as raison de déjà penser à la suite. Le public a l’air de bien t’aimer, il ne faudrait pas les priver de te voir dans autre chose. » Et peu importe la comédie musicale qu’elle choisira, ou qui la choisira, elle sera géniale, et Samia se fera un plaisir d’aller la voir. Elle fait un peu la moue quand Noé l’interroge sur son retour, sur sa vie. Elle préférait parler uniquement de Noé. Pour reculer un peu plus le moment de parler d’elle, et de sa vie pas si parfaite. Même si elle est devenue douée pour se convaincre qu’elle l’est, ou qu’elle peut le redevenir. « Oh… la ville me manquait ? » Elle pose la question, comme si elle cherchait encore la réponse. Elle est ici pour plusieurs raisons. Pour changer d’air. Pour retrouver des choses qui n’existent plus. « J’avais besoin de changement… enfin on avait besoin de changement. » Se sent-elle obligée de préciser, même si ça lui parait bizarre de parler de ça avec Noé. « Je suis revenue avec mon fiancé. » Elle ne le dit pas fort, comme si ça donnerait moins de sens à ses mots. Pourtant, elle est bien fiancée, et heureuse de l’être. Enfin d’habitude. Être avec Noé, ça fait tout paraître différent. Elle a toujours eu cet effet-là sur elle, même sans s’en rendre compte.

C’est comme un rêve éveillé de voir Samia dans cette loge, son endroit préféré avec l’une de ses personnes préférées sur terre et ça depuis des années et pour encore des années de plus. Noé n’aurait jamais pensé qu’elle viendrait la voir, elle qui la pensait à San Francisco encore, loin d’elle. Loin de ce qu’elles auraient pu être, loin de ce qu’elles auraient pu devenir. Elle est heureuse la rousse, se dit que ça va lui faire passer un peu de temps, même si elle devait faire autre chose. Elle n’aura pas le contrôle pour une fois, et ça lui fait du bien -sur le moment. Noé hausse les épaules face à son excuse « Je ne peux pas comprendre, puisque je n’ai jamais eu l’occasion de déménager. Mais je sais à quel point les cartons ça peut être une plaie à faire. » elle se souvient Noé quand elle est passée la veille de son déménagement. La galère que ça avait été pour Samia de faire ses cartons. Elle se souvient de diverses choses aussi mais celles là, elle préfère les occulter. Parce que ça ne peut pas se passer si aisément. Et Noé, elle se sent bien avec Samia à ses côtés, ce sera éternellement de la sorte, elle n’a aucun doute là dessus. Et la rousse hausse une nouvelle fois les épaules quand elle lui dit qu’elle y est arrivé d’elle même ici. Après tout, c’est la vérité, Samia n’avait pas été là pour l’encourager à enchainer les auditions, pour la réconforter quand elle n’avait pas eu le rôle. Elle lui avait écrit des tonnes et des tonnes de lettres Noé et elle n’avait jamais eu de réponses, alors elle s’était promis de ne pas se faire avoir et de ne pas retomber dans les travers d’une stupide addiction à la peau de Samia et à ses lèvres mais force est de constater que la brune aura toujours un effet sur elle. Elle éloigne sa main pour lui parler d’elle, même si la curiosité frappe la rousse, Noé voudrait savoir ce qu’il en est pour Samia, pourquoi elle est revenue après toutes ces années. Et elle sourit « Oui, enfin je n’ai pas la prétention de penser qu’ils m’aiment au point de me suivre dans n’importe quel de mes pièces mais… ça me fait plaisir de le savoir, et de savoir que quoi que je fasse, j’aurais quelques personnes qui me suivront. » Parce que c’est sa hantise à Noé, que les pièces ne marchent plus, que Broadway ne veuillent plus d’elle alors qu’elle a tout fait pour gravir les échelons. Elle n’a pas envie d’être une ratée Noé. Et d’être celle que Broadway a mit de côté pour toujours. Mais s’il y a des choses qu’elle ne veut pas, il y a surtout des choses qu’elle veut savoir, c’est pourquoi Samia est revenue (et pourquoi elle n’a pas prit la peine de la prévenir, si elle ne voulait pas la voir, elle ne serait pas venue ici, si ?) « New York c’est quand même quelque chose. » Il y a toujours quelque chose à faire et c’est sûrement pour ça que Noé ne l’a jamais quitté. Que Noé n’est jamais parti de la grosse pomme parce qu’elle aime beaucoup trop cette ville pour pouvoir la quitter. Et Noé tique sur le on qu’elle emploie, fronce un peu les sourcils parce qu’elle ne veut pas comprendre au fond. Même si elle se doute. Elle se doute du couperait qui menace de tomber d’un instant à l’autre. Et c’est bien ce qu’elle pensait. Noé a le souffle coupé et le coeur qui bat trop vite. Qu’est-ce qu’elle espérait ? Que Samia l’attendrait ? Qu’elle reviendrait ici pour elle ? Non, elle serait venue la voir bien plus tôt si c’était le cas. Elle souffle un peu Noé et elle se lève en passant une main dans ses cheveux. S’humidifie les lèvres, les deux mains posées sur sa taille. Comme si l’air lui manquait. « Oh… » Elle ne sait quoi dire d’autres. Elle lève les yeux au ciel pour se donner du courage et la regarde finalement « Félicitations ? » Elle ne sait pas si c’est ce qu’il faut dire. Enfin si, c’est ce qu’on dit quand on le pense.  Elle le pense au fond d’elle. Mais elle ne veut pas y croire. « Je… Désolée. Désolée de ne pas sauter de joie, mais c’est sûrement ce qui devait se passer non ? Enfin je veux dire c’est la suite logique des choses et… On ne s’est jamais rien promis toute les deux… Mais s’il te rend heureuse c’est tout ce qui importe, tu mérites d’être heureuse Samia. Vraiment. » Avec ou sans moi voudrait-elle rajouter. Mais ça reste là, coincé au fond de sa gorge alors qu’elle vient se réinstaller près d’elle, silencieusement.

Finalement, Samia se demande si venir était une bonne idée. Ce n’était pas pour rien qu’elle avait repoussé le moment jusqu’à trouver suffisamment de courage. Pourtant, elle est heureuse de la voir, mais à cette joie se mêle aussi un certain goût amer. D’avoir perdu ce qu’elles étaient, d’avoir perdu ce contact si précieux pour elle. Noé ne lui fait pas de reproches, mais Samia s’en veut assez toute seule. Mais elle sait aussi qu’elle ne peut pas changer le passé. Elles sont là où elles sont aujourd’hui, là où elles devaient être. Tout aurait pu être différent, dans une autre vie. Mais dans celle-ci, elles sont bien là. A nouveau côte à côte après des années séparées par un continent. Et, si Samia ignore toujours de quoi sera fait son avenir professionnel, elle sait que celui de Noé est tout tracé. Peu importe qu’elle émette des doutes. C’est normal. Elle serait arrogante si elle ne doutait pas. Samia croit en elle et en son talent. Et elle a eu la preuve qu’elle avait raison ce soir, non pas seulement parce qu’elle l’a vu de ses propres yeux, mais parce que des centaines d’autres personnes l’ont applaudie. « Même si ce ne sont pas forcément les mêmes personnes qui te suivent, je suis sûre qu’on saura reconnaître ton talent dans n’importe quelle pièce. » Pour Samia, ça ne fait aucun doute. « En tout cas, tu peux compter sur moi pour revenir te voir. Même si Frozen n’est pas ma pièce préférée. » Mais en même temps, ça n’a jamais été elle qui était fan de Broadway. Elle aimait bien parce que c’était quelque chose que les deux amies faisaient ensemble. Mais depuis qu’elles ont été séparées, elle n’a pas vu de spectacle. Mais elle est ravie d’avoir recommencé ce soir.
Si parler de la vie de Noé lui fait plaisir, la rend sincèrement heureuse pour elle, elle est moins à l’aise quand la rousse lui retourne la question. Samia sait bien que le moment est venu de lui dire qu’elle est fiancée. Après tout, c’est pour ça qu’elle est revenue à New York. Pour le bébé aussi, mais ça, elle le garde pour plus tard. Pas avant la fin du premier trimestre, lui a dit sa mère. Mais elle l’a quand même dit à certaines personnes. Enfin elle appréhende déjà la réaction de Noé à ses fiançailles, elle ne va pas en rajouter. Elle a cette étrange sensation d’être coupable de quelque chose de mal. Ça lui avait paru étrange, la première fois qu’elle était sortie véritablement avec quelqu’un. Comme si elle n’aurait pas dû. Mais petit à petit, cette impression s’était évanouie, et elle ne s’était plus posé la question quand elle rencontrait quelqu’un de nouveau. Alors pourquoi est-ce que cette impression lui revient aujourd’hui ? Sans doute parce qu’elles sont face à face. Et parce que c’est la première fois qu’elle parle de ses relations avec Noé. Voir sa réaction n’est pas facile. L’entendre non plus. Non, elles ne se sont jamais rien promis. Elles n’ont jamais eu cette opportunité, parce qu’elles ont été séparées juste après que ça ait commencé. Elles se sont ratées. Et Samia a l’impression de rater, à nouveau. « Je… Oui, il me rend heureuse. Mais je suppose que toi aussi, tu as trouvé d’autres personnes pour te rendre heureuse. Parce que tu le mérites, tellement. » Elle aurait voulu être cette personne, c’est certain. Mais le destin en a décidé autrement. « C’est bizarre non ? … Je n’aurais peut-être pas dû venir. »

Tout ne se passe jamais comme elle le désire, elle devrait le savoir, Noé. Et pourtant, elle espérait encore, alors que Samia se tenait à ses côtés, alors que Samia était là depuis tout ce temps, elle espérait que ça se passerait bien. Mais visiblement, c’est se voiler la face avec tant de force que ça en deviendrait presque indécent. « C’est gentil. » Elle n’était absolument pas obligé de faire cela, de la complimenter de la sorte. Mais est-ce que ça ne les aurait pas rendu encore plus étrangères qu’elle ne semblait l’être à l’heure actuelle ? Noé rit un peu quand elle lui dit que Frozen n’est pas sa pièce préférée « Je peux comprendre, les chansons restent malheureusement facilement en tête. J’ai prit l’habitude, personnellement mais ça ne peut pas être le cas de tout le monde. » Et dieu sait que Noé en avait assez de se réveiller avec les chansons de la comédie musicale dans la tête. Elle s’appliquait à écouter d’autres chansons sur le chemin du retour à son appartement pour se mettre autre chose dans la tête plutôt que d’avoir des chansons entêtantes en tête. Et puis voilà, il n’en fallait pas moins. La bombe explose et Noé n’a même pas eu le temps de se mettre à couvert. Qu’espérait-elle ? Que Samia reste sienne éternellement ? Que Samia ne vive pas sa vie sous prétexte qu’elle lui avait dit qu’elle ne l’oublierait jamais ? Noé ne pouvait pas décemment espérer qu’elle soit restée seule tout ce temps, alors qu’elle même a eu des relations fusionnelles, des relations amoureuses plus ou moins longues. Elle ne pouvait pas demander à Samia de ne pas faire ce qu’elle a fait elle. Elle a mal au cou Noé. Si mal, mais elle ne montre rien, elle ne peut rien montrer. Parce que ce serait brisé ce lien qui ne tient plus qu’à un fil. Le regard de Noé se pose sur le visage de Samia et elle n’a de cesse de déglutir et de sentir son coeur qui bat trop vite dans sa poitrine. Tandis qu’elle parle, elle sent qu’elle est en train de la perdre, que ça va se terminer. Qu’elle va partir et ne plus jamais revenir. Son coeur manque un raté quand elle lui dit qu’elle le mérite et Noé lève les yeux au ciel, non pas par agacement mais pour se forger une carapace en deux temps trois mouvements. Quand elle lui dit qu’elle n’aurait peut-être pas dû venir, Noé dépose une main sur celle de Samia pour la rassurer « Tu as bien fait de venir, ça me fait du bien de te voir. » Et elle est sincère Noé. Elle se rapproche doucement d’elle jusqu’à pouvoir sentir son odeur. Jusqu’à pouvoir sentir qu’elle est là, vraiment. « J’ai trouvé des gens qui m’ont rendu heureuse oui, mais il y avait toujours quelque chose qui me manquait. Peut-être que c’était toi. Peut-être que c’était ce que l’on a pas vécu, qui nous a été arraché comme ça du jour au lendemain. » Elle soupire un peu Noé. « Je ne t’en veux pas hein, au contraire. Je suis même heureuse pour toi. Parce que peut-être qu’on aurait fini par se détester, se déchirer parce que je suis trop chiante, parce que je suis pénible. Et je n’aurais pas supporter l’idée de te perdre. Comme j’ai pas supporter l’idée de te perdre la première fois. » Elle pince ses lèvres avant de lui sourire « Mais je suis contente de savoir que tu es revenue. Et te voir me fait du bien, c’est tout ce qui compte. »

« Pour toi, c’est mieux de les avoir en tête. Mais moi, je n’ai pas besoin de les connaître par cœur, alors je préfère éviter. » Pour les enfants, c’est très bien aussi. Le genre de chansons qui leur plait, mais Samia n’est pas venue pour les chansons ou pour l’histoire. Elle est venue pour une raison qui n’est sans doute pas la première raison pour laquelle on va voir une comédie musicale à Broadway, pour une actrice en particulier. Ou quand c’est le cas, c’est parce qu’il s’agit d’une célébrité. Là, rien de tout ça. Samia voulait simplement revoir celle qui fut sa meilleure amie, son premier amour aussi, sans doute. Mais maintenant qu’elle est là, qu’elle lui explique être fiancée, elle se demande si c’était vraiment une bonne idée. Elle s’en veut de la réaction de Noé, même si elle n’y est pour rien. En dix ans, elles ne se sont pas revues, avaient fini par perdre le contact peu à peu. Elles n’ont jamais dit qu’elles allaient s’attendre, parce que ç’aurait été trop compliqué. Et sans doute que ce n’était pas censé se passer ainsi entre elles. Pourtant, Samia se sent coupable. Comme si, en parlant de mariage avec quelqu’un d’autre, elle l’avait trahie.
Heureusement, Noé la rassure, lui dit qu’elle a bien fait de venir. Mais Samia n’est pas certaine qu’elle le pense. Pas après la déception qu’elle a pu lire dans son regard et dans sa voix. Elle aurait peut-être préféré ne jamais savoir. Samia avait fait le choix, égoïstement mais difficilement, de venir la voir, d’espérer retrouver cette amitié qui l’avait fait se sentir si bien pendant les pires moments de sa vie. Quand ses parents avaient divorcé, Noé avait été là. Quand on l’embêtait à l’école, Noé avait été là. Et surtout quand son père était mort, Noé avait été là. Alors maintenant qu’elles habitent à nouveau dans la même ville, Samia avait sans doute voulu retrouver cela. Sans doute sans réfléchir assez, au reste. A ce qui s’était passé la dernière fois qu’elles s’étaient vues. Pourtant, ce n’est pas comme si elle n’y avait jamais repensé, au cours des dernières années. A chaque fois que ses pensées se tournaient vers Noé, elle repensait à ce fameux soir, où tout avait changé. Et où, au fond, rien n’avait eu le temps de vraiment changer. Que Noé lui confesse que ses relations amoureuses n’ont jamais vraiment fonctionnées rend Samia un peu triste. Mais à la fois, elle se dit qu’il aurait été difficile pour elle de voir Noé heureuse avec quelqu’un d’autre. Même si elle le mérite, tellement. Alors forcément, comment Noé aurait pu bien réagir à l’annonce des fiançailles de Samia ? C’était égoïste de venir. Egoïste de lui dire. Même si Noé sait trouver les mots pour la rassurer, comme elle a toujours su le faire. « J’aurais voulu que ça se passe autrement… Je l’ai espéré pendant beaucoup d’années, et je pense qu’on aurait été heureuses, vraiment. En tout cas, je n’imagine pas que ça aurait pu se passer autrement que bien. Mais ce n’était pas fait pour arriver. » Au fond, Samia a déjà comparé d’anciennes relations à celle qu’elle aurait pu avoir avec Noé. Ce n’était pas sain, mais elle ne pouvait s’en empêcher. Tomber amoureuse de sa meilleure amie, et que ce soit réciproque, elle n’est pas sûre que quelque chose puisse être plus parfait que ça. Et si elle comparait sa relation avec Caleb aujourd’hui, ce ne serait pas une bonne idée non plus. Mais ils n’en sont qu’au début de leur vie ensemble. Alors que Noé et Samia ont tout vécu ensemble. Comparer les deux serait injuste. « Enfin ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas être amies, si ? Parce que j’ai pas envie qu’on perde à nouveau le contact, maintenant que je suis là. » Et même si c’est égoïste de demander ça, c’est plus fort qu’elle. Elle ne veut pas la perdre. Pas complètement.

Tout redeviendra comme avant. Noé tente de s’en persuader alors que Samia est la, près d’elle. Si près qu’elle peut encore sentir son odeur qu’elle aimait éperdument. Cette odeur qu’elle avait tenté d’imprégner la dernière fois qu’elle l’a vu quand leurs lèvres ne faisaient qu’un, quand les doigts pianotaient sur la peau pour en apprendre la douceur, pour l’imprimer. Pour pouvoir y penser quand le moral ne serait pas là. Que le manque serait bien trop important. Noé se persuade si fort que ça ira, quelle a l’impression de se perdre dans ses pensées. Mais elle revient bien vite quand la voix de Samia lui parvient aux oreilles, cette mélodie qu’elle a tant de fois espérer réentendre, ne serait ce que pour un appel, pour une visio. Noé a mal au cœur mais elle fait fit de cette sensation pour profiter du fait que c’est réel. Samia est la. Bien présente. L’étau autour du cœur qui se resserre, Noé tente de faire abstraction et écoute Samia, un sourire au coin des lèvres, elle essaie de contaminer le regard mais rien n’y fait. Elle le sait, elle est douée pour jouer la comédie et pourtant, la, elle a l’impression qu’elle n’y arrive pas. « Tu as raison. Je ne crois pas au destin et aux autres conneries de ce genre mais pourtant. La, j’y crois. Peut-être qu’on aurait été heureuses dans une autre vie. Mais la, ce n’était pas fait pour arriver. Et ce n’est pas grave. » Après tout, pourquoi est-ce que cela le serait ? Noé n’a pas envie de se prendre la tête, de se tirer elle-même une balle dans le pied. Ce serait aussi douloureux que ce qu’elle a ressenti quand Samia est partie. Elle n’a pas besoin de se ressasser cela sans cesse, elle l’a bien assez fait. Alors Noé va faire comme à son habitude, aller de l’avant. Se sentir bien, se sentir mieux. Noé secoue négativement la tête à la question de Samia « Je t’ai déjà perdue une fois, je ne veux pas le faire une seconde fois. » la rassure t-elle, en tentant de se rassurer elle-même. Et une main délicate se pose sur l’épaule de Samia, qu’elle caresse doucement, comme si elle avait peur de la briser. « Ça sera plus facile de te voir en vrai que d’avoir envie de t’appeler quand quelque chose de bien s’est passé dans ma vie et d’avoir peur de te déranger. » Parce que Noé, elle tergiversait beaucoup trop quand il s’agissait d’appeler Samia à l’époque. Le décalage horaire, la peur de déranger, la peur de mal faire aussi. De lui faire du mal à distance si la vie n’était pas si rose avec elle qu’elle ne l’était avec Noé. « En tout cas... Tu rayonnes. Et ça fait plaisir à voir. J’ai l’impression que tu irradies de bonheur. Et c’est ça, qui me fait du bien. » Savoir que Samia est heureuse, même sans elle.

Samia, non plus, ne croit pas au destin. Pas à proprement parler. Elle ne pense pas que sa vie était déjà écrite quelque part, décidée à l’avance. Certaines choses lui sont tombées dessus sans qu’elle ne puisse rien y faire, à part les subir. Comme tout le monde. Mais pour beaucoup d’autres choses, elle a fait ses propres choix, qui l’ont amenée à être celle qu’elle est aujourd’hui. Un mélange de choix et de hasards, qui est le même pour tout le monde. Mais elle a toujours pensé qu’avec Noé, elles auraient pu être autre chose, quelque chose de beau, si la vie ne les avait pas séparées ainsi. Mais c’était ce qui était arrivé. Ce quelque chose qu’elles auraient pu être avait été avorté, tué dans l’œuf avant qu’elles puissent savoir avec précision ce que c’était. Samia le regrettera sans doute toute sa vie, mais ça ne signifie pas qu’elle doit arrêter de vivre pour autant. Ça n’aurait été bon pour personne. Et la vie avait pris son temps pour les réunir à nouveau. Ou Samia n’avait pas toujours osé. « C’est dommage… » Oui, dans une autre vie, elles auraient pu être heureuses. Former un couple amoureux. Être là l’une pour l’autre à chaque instant. Mais cette autre vie, elle n’a jamais existée. Elles ont à peine eu le temps de l’apercevoir qu’elle avait déjà disparu, arrachée à elles. « Mais on n’y pouvait rien à l’époque. » Maintenant, elles sont davantage aptes à décider de comment sera leur vie. De faire les efforts nécessaires. De faire les bons choix, sans qu’ils soient imposés par quelqu’un d’autre. Mais maintenant, elles sont différentes. Leurs vies sont différentes. Mais ça ne signifie pas qu’elles ne peuvent pas être dans la vie l’une de l’autre. Et entendre Noé le confirmer lui fait forcément plaisir. « Tu ne m’as jamais dérangée, ça ne va pas changer aujourd’hui. » Et pourtant, à une époque, elle avait cessé de répondre immédiatement aux mails de Noé. Elle l’avait mise en second plan, sans que ça soit volontaire. Simplement, sa vie avait pris le dessus et la distance avait eu raison de leur amitié. Samia le regrette, forcément. Mais maintenant, elles habitent à nouveau dans la même ville. Si elle voulait croire au destin, ce serait un signe. Elle sourit et se sent un peu rougir quand Noé lui dit que ça lui fait plaisir de la voir si heureuse. Elle l’est. Oui. Ou elle est en bon chemin pour cela. Mais le compliment la fait tout de même rougir. « Merci… Toi aussi, tu as cette lumière qui s’échappe de toi, encore plus quand tu es sur scène. Tu as vraiment trouvé ton élément, ça se voit. Mais en même temps, tu l’as toujours su. Je crois que je t’ai toujours enviée pour ça. » Sans jalousie. Simplement, Samia n’a jamais trouvé de réelle passion pour un métier.

Bien évidemment que c’est dommage, parce qu’elles auraient pu vivre beaucoup de choses toutes les deux, des crises de larmes, des crises de rire, des embrassades chaleureuses, des moments brûlants, tant de choses qui leur ont été retirés aussi rapidement que c’est arrivé. Une soirée, une douce soirée, deux âmes en peine, des âmes qui ne demandent qu’à s’aimer le temps d’un instant, d’un baiser, d’une étreinte. Le temps d’un moment qu’elle aurait voulu qu’il soit éternel. Mais qui a été effacé aussi vite qu’il est arrivé, malheureusement. « A l’époque, rien d’autre ne comptait que le futur, que le fait que tu sois obligée de partir à l’autre bout du continent, et de toutes façons, je n’aurais pas pu te retenir. » répond Noé, simplement. Comme si l’éventualité de la chose était là, sous ses yeux, simplement. Quand elle lui dit qu’elle ne l’a jamais dérangé, le coeur de Noé se serre un peu, parce qu’elle n’a pas l’impression que ce soit la vérité, même si, pourtant, elle s’est longtemps persuadée que ce n’était pas le cas. Elle a longtemps espéré avoir une réponse à un mail, quelques jours après, parce qu’elle était occupée. Puis les mails sont tous restés sans réponses et Noé s’est décidé à ne plus rien vouloir de Samia, si elle voulait aller de l’avant, si elle voulait se sentir libérée d’une relation qui n’en était pas vraiment une, c’était ce qu’elle devait faire. Et elle l’a fait, difficilement. Elle a eu du mal, les mails sont restés des brouillons, puis les brouillons ont filés dans la corbeille. Noé ne répond pas, et elle dépose une main sur celle de Samia, pour lui signifier qu’elle comprend, qu’elle accepte. Et pourtant, c’est dur à accepter. De voir celle qui a fait battre le coeur trop fort, trop vite, pour la première fois, si proche et pourtant si loin. Noé se gratte un peu derrière la nuque et elle ne peut s’empêcher de sourire quand elle lui dit qu’elle a cette lumière et elle se sent bien. Elle a envie de la prendre dans ses bras. De lui dire que tout ira bien, plus tard. Elle sourit un peu en coin « Moi je suis persuadée que tu es douée pour ce que tu fais, à ta façon. Mais oui, j’ai toujours voulu faire de la scène, et ça, ce n’est pas nouveau. » Depuis toute petite, sa mère lui avait toujours dit qu’elle lui avait dit qu’un jour, elle aussi, elle serait sur les planches de Broadway. Depuis son plus jeune âge elle avait eu pour vocation de finir sur les planches et elle avait réussi. Après des dizaines de refus, elle avait réussi. Quand on toque à la porte, Noé sursaute, oubliant presque qu’elle est dans sa loge et elle indique qu’elle arrive quand on lui dit que c’est l’heure du repas, que la livraison est arrivé. Alors elle se tourne vers Samia et ouvre ses bras « est-ce que je peux au moins te prendre dans mes bras? » demande t-elle, avec une carte gêne dans sa voix. « Promet moi qu’on se reverra… » Pourtant, elle n’aime plus les promesses Noé. Mais elle a besoin de savoir qu’elle la reverra. « Et si jamais tu as envie de revenir, avec ton fiancé, s’il a de la famille, des petites filles ou des petits garçons de sa famille qui veulent voir le show, dit le moi, j’ai encore des billets famille. Tu pourras en profiter. » Ou pas, parce qu’elle ne sait pas si elle supporterait de la voir avec son fiancé Noé, mais elle accepterait, parce qu’après tout, elle n’a pas le choix.

Revenir sur le passé ne le changera pas. Mais même si Samia le sait pertinemment, elle n’a jamais pu s’empêcher de se poser la question. De temps en temps, elle se demandait ce que sa vie aurait été, sans ce terrible accident qui lui avait retiré son père et cette vie qu’elle aimait tant. La vérité, c’est qu’elle ne saura jamais. Parce qu’elle n’est pas certaine qu’elle aurait jamais eu le courage d’embrasser Noé sans ça. Parce qu’elle ne sait pas ce qu’elles seraient devenues. Mais il est plus plaisant d’imaginer que tout se serait bien passé. Qu’elle aurait eu une vie heureuse. Mais elle en a aussi une, maintenant. Différente de celle dont elle rêvait à quinze ans, mais bien réelle cette fois. « Non, malheureusement… J’aurais bien aimé que tu puisses, mais je n’étais qu’une ado, c’était normal que je suive ma mère. » Elle avait parfois trouvé cela injuste mais maintenant, elle sait que sa mère a fait au mieux, ou comme elle pouvait. La mort de son père a changé leur vie, à toutes les deux. Et celle de Samia s’est écartée de celle de Noé, mais elle est heureuse de voir que son amie a réussi à réaliser ses rêves. Elle l’a toujours mérité. A côté, Samia n’a jamais eu de rêve aussi fort, mais ça dépend des personnes. Elle a toujours aimé dessiner, mais n’a jamais envisagé d’en faire quelque chose. Elle est devenue hôtesse de l’air un peu par hasard, mais a toujours su qu’elle ne le ferait pas toute sa vie. Elle sait qu’elle devra prendre une décision, mais pour l’instant, elle n’y est pas encore. Elle se laisse le temps. « Pour l’instant, je ne fais rien, donc oui, je suppose qu’on peut dire que je suis douée pour ça. » Elle rit doucement, pas tout à fait à l’aise d’en plaisanter. « J’étais hôtesse de l’air, mais je viens d’arrêter. » Ajoute-t-elle pour ne pas laisser Noé dans l’incompréhension. Elle lui en avait peut-être parlé, à ses débuts. Il lui semble qu’elles échangeaient encore quelques mails à l’époque. Elles sont interrompues par quelqu’un qui frappe à la porte, les ramenant à la réalité. Noé est sur son lieu de travail, et elle doit manger avant le prochain spectacle. Normal. Mais Samia aurait voulu que ce moment dure plus longtemps. Quand Noé lui demande si elle peut la prendre dans ses bras, Samia a le cœur qui se serre. Elle ne devrait pas avoir à demander. « Bien sûr que tu peux. » Elle prend d’ailleurs les devants, et vient enlacer son amie. Dans son cou, elle respire son parfum. Un peu différent, mais reconnaissable malgré tout. La promesse que lui demande Noé ne lui parait pas compliquée. Mais après tout, elles avaient attendu dix ans avant de se revoir la première fois. Samia se dit qu’elle ne peut que s’améliorer. « Promis. Et bientôt. » Elle n’a pas envie d’imaginer sa vie à New York sans Noé, ça lui parait… faux. Et la proposition que lui fait Noé lui prouve qu’elle aussi, veut qu’elles se revoient bientôt. Elle s’écarte un peu, sans rompre le contact pour autant. « Je leur proposerais, ça devrait leur faire plaisir. » Qui dirait non à des places gratuites à Broadway ? « Mais je veux bien qu’on se revoit ailleurs qu’à Broadway aussi. Si ça peut m’éviter d’avoir des chansons en tête pendant une semaine… » Et puis sans doute qu’elle trouve étrange l’idée de venir avec son fiancé, voir Noé sur scène. Mais elle préfère ne pas le dire. Ça pourrait être mal interprété. Mais en même temps, elle ne sait même pas, elle-même, ce que ça veut dire. « Tu devrais y aller, je ne voudrais pas te mettre en retard pour le spectacle. Je te donne juste mon numéro, si tu veux ? »

Elle ne lui en voulait pas d’avoir suivi sa mère, de toutes façons c’était comme cela que ça devait se passer mais pourtant, elle avait eu peur Noé et ses peurs avaient été réelles. Et elle ne lui en tient pas rigueur, peut-être qu’elle se serait lassée, elle aussi. Elle rit un peu et lève les yeux au ciel quand elle lui dit qu’elle ne fait rien et qu’elle le fait bien avant de se mettre à sourire en s’humidifiant les lèvres. En tout cas, ça lui va bien de ne rien faire. "Oh, je ne t’aurais jamais imaginé hôtesse de l’air. Enfin… Si, mais ce n’était pas dans tes projets d’avenir… avant." Comme quoi que tout avait réellement changer et ça lui donnait un petit pincement au coeur à Noé, pincement dont elle évitait de s’occuper pour ne pas se torturer un peu plus l’esprit. Et puis Samia la prend dans ses bras, Samia se blottit contre elle et Noé ferme instinctivement les yeux. Elle hume son odeur et sourit. Elle ne peut pas s’empêcher de se dire qu’elle a le même parfum depuis tout ce temps. Et que c’est comme dans ses souvenirs. "Peut-être qu’on pourrait aller se boire un café ? Ou peut-être que tu peux passer chez moi ? Promis je ne chanterais pas." Non, ça serait une terrible mauvaise idée. Parce qu’elle n’a pas envie, elle ne veut pas que Samia reprenne autant de place qu’elle ne l’a fait quand elles étaient jeunes, elle n’est pas prête pour ça Noé. Elle a besoin de se retrouver, elle a besoin de ne pas aller trop vite, de faire en sorte qu’elle s’apprivoise de nouveau. Et la faire venir chez elle et la pire des idées. Noé se lève alors et elle enfile un gilet avant de regarder son téléphone, on la presse et elle ne peut s’empêcher de rire. Une nouvelle fois, elle enserre Samia tout contre son coeur en souriant et elle récupère son numéro. "Je t’envoie un message en rentrant chez moi ce soir." Prononce t-elle, parce que ça va être la course jusque’à la représentation. Elle la ramène alors jusqu’à la sortie et elle lui offre un signe de la main. Le coeur est plus léger mais l’esprit est plus embrumé, sauf qu’elle ne doit pas se laisser avoir, elle ne doit pas laisser son coeur dicté la façon dont doit marcher son esprit ça ne marche pas comme ça, ça ne marche plus comme ça.