I fell by the wayside like everyone else. I hate you, I hate you, I hate you, but I was just kidding myself. Our every moment, I start to replace, 'cause now that they're gone, all I hear are the words that I needed to say...

01. Kiara elle naît avec les cheveux frisés et un hurlement strident. Elle a les yeux aussi noirs que ses cheveux et des pieds bien trop grands pour sa petite taille. Là, dans les bras de sa mère, posée tendrement sur son sein, repose le deuxième enfant, un nouvel espoir pour des parents qui l’aiment déjà bien plus qu’ils ne peuvent le dire. Couvée, chérie, elle arrive après deux fausses couches qui ont anéanti un couple. Enfant du renouveau. Fille de la reconstruction. Elle porte sur ses frêles épaules le poids d’un mariage qui menace de s’effondrer. Elle dont la nuque ne parvient pas encore à tenir la tête. Elle qui peine à ouvrir les yeux. Elle qui ne se doute pas que le monde est cruel et n’offre aucun répit. Si elle l’avait su, peut-être que tout aurait été différent.

02. L’ironie veut qu’elle se batte tous les jours de sa vie pour le regard de ses parents.  Kazia est plus grande, plus intelligente, plus souriante et Kiara ne fait pas vraiment le poids quand le jeu des comparaisons commence. Elle a beau tenir ses crayons avec plus d’ardeur et mordre sa langue entre ses dents pour se concentrer plus fort, ses dessins ne ressemblent à rien. Kazia, elle, elle sait utiliser un pinceau taille 2, sans gâcher le reste de sa peinture. Elles grandissent comme ça, deux côtés opposés d’une même pièce. Kiara sait que Kazia représente le côté de la reine et elle ne pourra jamais gagner. Elle n’en a pas tellement envie. Ça n’empêche pas la rancœur et la colère de naître dans un cœur encore trop jeune pour savoir identifier les émotions. Ça n’empêche pas la jalousie de détruire toute chance d’une relation saine avec sa grande sœur. Ça n’empêche pas son mental de se construire à l’abri des regards. Elle ne sait pas à quel âge elle commence à courir, elle n’est pas sûre d’avoir arrêté entre ses errances de bambin et les cours de sport à l’école. Mais elle sait qu’elle a neuf ans lorsque son professeur l’encourage à rejoindre l’équipe de l’école et elle ne refuse pas. La puissance de ses jambes, l’endurance dont elle fait preuve, elle les prend comme des métaphores. Elle survivra l’indifférence de ses parents. Survivra l’arrogance de sa sœur. Survivra la solitude qui envahit chacune de ses journées.

03. Ses parents sont là à ses compétitions, elle les cherche du regard à chaque fois pour s’en assurer. Et peut-être qu’elle court encore plus vite à chaque fois. Peut-être qu’elle veut les rendre fiers, malgré les déceptions qui se multiplient à la maison. Et quand elle ramène une médaille, ils se permettent de lui dire pour l’oublier le lendemain. Kazia essaie quelques rapprochements, tente quelques excuses, mais Kiara ne sait jamais quoi répondre. Il paraît qu’on ne peut s’empêcher d’aimer sa famille, mais elle ne connaît pas sa sœur. Même lorsqu’elle à la malchance de tomber sur un ancien professeur de sa sœur, elle ne parvient pas à la connaître. Sérieuse dans les matières que Kiara déteste. Rêveuse dans les matières que Kiara adore. Elles n’ont pas de point commun. Même lorsqu’elle la croise avec son groupe d’amis, Kazia se tient droite et fière, le regard presque dédaigneux lorsque Kiara arbore un sourire et une oreille attentive. Un besoin, peut-être, de montrer toute l’attention qu’elle peut donner aux autres, toute l’attention qu’elle n’a pas chez elle.

04. L’admission à l’université métropolitaine de Londres en main, Kiara ne peut plus se taire. Le secret lourd sur sa poitrine, les lèvres tremblantes, elle acquiesce à la demande d’une promesse aussi dure que nécessaire. « Je te le promets. » Le souffle manque de l’étouffer, son cœur manque de s’emballer bien plus qu’il ne le fait lorsqu’elle court. Et pour se préparer à la soirée qu’elle va passer, elle fait trois tours de piste de plus. Sa tête voudrait continuer plus longtemps, mais ses jambes et ses poumons supplient et lorsqu’elle s’arrête enfin, le regard d’Alyssa trouve le sien. Inquiet. Protecteur.

Alyssa n’est pas là lorsqu’elle se tient droite comme un I sur un fauteuil qui lui paraît étranger. Mais Kiara retient sa proposition au cas où les choses dégénèreraient. Une colocation tous frais payés le temps qu’elle trouve un job étudiant. Elle ne s’attend à rien lorsqu’elle commence à parler, mais elle est tout de même déçue devant la réaction de parents absents et désintéressés par une vie qu’ils ont pourtant mis au monde. Elle n’est pas jetée dehors, non. Ils se contentent de hocher la tête dans un semblant de compréhension et si son monde pouvait s’effondrer à cet instant précis, peut-être qu’elle saurait quoi faire. Mais son monde reste le même. Ses parents lui tournent le dos et elle doit ravaler ses larmes. (Kazia pose une main sur son épaule, au moins, lorsqu’elle lui dit. Un geste qu’elle apprécie, même si elle n’ose pas le dire. Elles n’en reparleront jamais.)

Six mois plus tard, elle quitte la maison. Ils acceptent de l’aider à payer la colocation. Elle accepte de venir dîner les samedi soirs avec Kazia.

05. Ce qu’elle cache à peine derrière ses sourires et sa positivité, c’est à quel point elle aime ce que la vie lui donne. Ce que ses parents refusent de lui donner, elle le retrouve dans les amis qu’elle se fait, des amis qu’elle garde précieusement, qui deviennent une famille dont elle ne peut se défaire. La colocation c’est le premier pas vers une émancipation qui la force à grandir. Mais entourée de sa troupe de geeks, sa feuille de personnage sous les yeux, Kiara doit bien avouer qu’il y a des jours où elle n’a pas envie de grandir. Pas alors que Garen, sa paladin Aasimar risque de mourir au prochain lancer de dé. Le stress monte alors que le clerc d’Alyssa peine à venir la secourir. Il monte encore plus lorsque le maître du jeu attaque. Tension palpable. Elle s’accroche à la table comme un enfant s’accroche à une bouée et elle tremble lorsque le dé du MJ l’épargne. Garen survivra une nuit de plus et Kiara s’effondre à même le sol, le ventre secoué de rires nerveux. Grandir, murir, s’émanciper elle ne rêve que de ça. Mais elle veut rester telle qu’elle est là, maintenant. Les yeux rieurs, blagues au bout des lèvres alors que ses amis renchérissent et que les éclats de voix parfois leur échappent. Elle veut rester l’adolescente éternelle qui voit la vie comme une partie de D&D. Des montagnes russes où les émotions parfois trop fortes paralysent ou éblouissent. Elle veut voir la vie comme un sprint final avec trois adversaires devant et cette envie de médaille qui donne des ailes.

Le regard posé sur le plafond, son rire se meurt sur ses lèvres alors que les bouteilles de bière s’ouvrent pour célébrer les quatre heures d’une partie particulièrement intense. Elle a 21 ans, d’ici quelques mois elle aurait son diplôme et elle sait ce que dira Dewell lorsqu’elle avouera qu’elle ne sait pas si elle a les couilles de se lancer immédiatement. Elle a la pression de ses parents sur les épaules. De faire au moins aussi bien que Kazia. De trouver un travail prestigieux et de se faire un nom dans son domaine. Elle a la pression de ses professeurs et la pression de ses amis. La pression de ceux qui veulent juste lui rappeler qu’elle doit réussir si elle veut être aimée et la pression de ceux qui croient en elle parce qu’elle est aimée. Quand les deux se font trop lourdes, parfois, elle se surprend à avoir envie de hurler. Elle se contente d’aller courir. Avec les années et l’habitude, ça ne suffit plus à évacuer ce trop-plein qui l’envahit, mais elle n’a rien d’autre.

06. A She SOHO elle rencontre Anisha. Elle porte la culture indienne sur sa peau, mais vibre avec la culture lesbienne de la ville. Kiara orbite autour d’elle comme une abeille autour du pollen. Elle brûle d’envie de devenir quelqu’un pour elle, s’amuse des murmures qu’elles s’échangent sans discrétion aucune, rigole de ces sensations dont elle aime jouer. Mais Anisha ne sera jamais sienne. Quelques nuits parsèment leur relation sans qu’aucune des deux ne tente de poursuivre plus loin. Plus elle la découvre, plus elle réalise qu’Anisha ne répond pas à ses besoins. Aucune idée de ce que sont ses besoins, bien sûr, mais Anisha n’est pas ce qu’elle cherche. Bras dessus bras dessous, elles longent les rues londoniennes au soleil levé, alors qu’elles rentrent de leur service. Elles partagent secrets, rêves et besoins et lorsque Kiara révèle ce besoin de hurler, frapper, évacuer, Anisha lui présente la boxe. Coup d’amour, coup de je t’aime et coup de foudre. Le soulagement est presque immédiat. Et avec lui, ses sourires reprennent vie. Suffisamment pour qu’un matin, la fatigue chancelante et les mots difficiles à sortir, une inconnue lui tende une carte. C’est hasardeux. Incompréhensible. Mais c’est un moyen de se faire de l’argent. Et elle est convaincante Billie. Suffisamment pour que Kiara cède. Suffisamment pour qu’elle se manifeste à l’essai. Suffisamment pour qu’elle soit prise et, surprise, elle se lance.

Le succès n’est pas immédiat, mais elle a du travail régulier et un bien meilleur salaire que ce qu’elle avait au bar et elle ne peut pas cracher dessus. Ses parents lui demandent de réussir, quoi de mieux qu’une réussite financière ? L’avantage, c’est qu’Alyssa peut continuer ses études et participer un peu moins financièrement. L’avantage c’est qu’elle arrive toujours à se libérer pour les soirées colocation qui la ramènent toujours sur terre.

07. Courir le long de la Tamise est un plaisir qu’elle s’accorde tous les week-ends. Le circuit est plus cours que d’habitude, mais tant qu’il y a la vue, elle s’en fiche. Ses écouteurs sur les oreilles, plongée dans son monde, elle profite de l’air frais du mois de novembre alors que son cœur s’emballe sous l’effort. Dans ces moments, elle parvient à oublier un peu. Oublier que ses parents vont se séparer, même si elle ne comprend pas pourquoi cela l’affecte autant. Oublier les filles et le plat qu’elles font de chaque interaction. Oublier Kazia et ses tentatives insupportables de se rapprocher d’elle. Oublier les commentaires du dernier photographe en date. Pas assez noire pour sa luminosité. Pas assez blanche. Elle a vécu sa vie à ne pas être assez, elle aurait cru être imperméable à ces remarques. Elle a vécu sa vie à laisser couler les commentaires sur sa couleur de peau, à se dire que les choses changeraient. La question qui résonne aujourd’hui, c’est quand ?. Quand est-ce que cela changera ? Le fatalisme lui donne la réponse toute trouvée. Son optimisme continue de lui apporter l’espoir qu’elle aimerait parfois pouvoir taire.

Courir est une habitude ancrée dans son quotidien, si bien qu’elle ne peut plus oublier aussi facilement qu’avant. L’écho de ses problèmes la suit et la musique ne parvient plus à les noyer. C’est la boxe qui l’épuise. La boxe qui lui apporte un nouveau souffle. Mais pour l’heure elle ne peut que courir. Courir et regarder la Tamise courir à ses côtés, lentement, tranquillement, à un rythme qu’elle ne connaît plus tant Kiara cherche à fuir. Elle est obligée de s’arrêter pourtant, lorsque sa musique s’arrête pour laisser place à sa sonnerie. Sourcils froncés devant le nom de sa sœur, elle hésite un instant avant de décrocher. Pas le temps de parler. À peine le temps d’écouter, d’enregistrer l’information. Le bruit blanc du monde qui tourne autour d’elle se mêle aux acouphènes du choc. Son cœur s’arrête. Son monde s’effondre.

08. Il est 6h30 du matin, la brume matinale est loin de se lever, elle pourrait avoir froid si les mots de sa sœur ne venaient pas la détruire à chaque fois qu’elle y pense. Et elle ne peut s’empêcher d’y penser. Il est 6h30 du matin et ses parents sont morts. Le coup de massue est terrible. L’air manque dans ses poumons et pour la première fois de sa vie, elle comprend ce que veut dire avoir mal. Les années d’indifférence et de négligence, ne sont rien comparés à ça. Rien comparer à l’absence soudaine. À l’indépendance cruelle qu’elle à la liberté de prendre à présent. Rien.

Les fesses posées sur un banc face à la Tamise, elle ne sait pas si elle à la force de rentrer à l’appartement. Elle a besoin de se changer avant de retrouver Kazia à la maison et ça non plus, elle ne sait pas si elle en a la force. Il est 7h quand elle appelle enfin Alyssa. 7h30 quand elle passe le pas de la porte. 9h quand elle retrouve Kazia. Et les jours passent de la même manière. Heure après heure. Minute après minute, elle réalise doucement toute la solitude qui l’a étreinte pendant vingt-deux ans. Et à vingt-deux ans, elle n’a pas l’âge de perdre ses deux parents. Pas l’âge d’être orpheline. Et en même temps quand a-t-elle eu des parents ?

Le silence devient une nouvelle habitude dans la colocation. Les soirées D&D disparaissent pour laisser la place à des soirées beuveries où Kiara fini soit tellement beurrée qu’elle s’endort au-dessus des toilettes, soit dans un lit qui ne ressemble jamais au sien. Elle n’a rien à dire Kiara. Rien à partager avec personne et ses amis, désemparés, la laissent faire. Alyssa est la seule qui arrive à la faire parler et pour les quelques mots qu’elles échangent, elles pourraient s’en passer. Mais c’est mieux d’exprimer la colère que de s’enfermer dans un mutisme malsain. C’est Alyssa qui le dit. Kiara s’en fiche.

Les premières larmes qu’elle pleure, les cercueils sont mis en terre et elle a les articulations douloureuses d’avoir serré tant de mains dans le froid qui les entoure. Les premières larmes qu’elle pleure elle les pleure sur l’épaule d’Alyssa qui ne la lâche pas. Sa sœur, sa vraie sœur, pas de sang, mais de cœur. La seule qui ait toujours été là. Des premières désillusions à la pire des séparations. Kazia essaie, mais Kiara ne veut plus la voir. Les choses sont faites. Terminées. Elles ne partagent à présent que le nom d’un père mort et enterré. Elle claque la porte. Se plonge dans une carrière qui démarre enfin, peut-être qu’elle a gagné la pitié des autres. Elle voit son nom sortir sur Google, quelques rares sites retranscrivent la triste histoire. Elle se tait. Laisse l’encre couler. À quoi bon dire quoi que ce soit après tout ? Elle n’a rien de bon à dire sur eux.

09. Anisha lui fait découvrir la vitesse. Du karting, aux voitures de course en passant par la moto, Kiara se découvre un goût pour l’adrénaline qui la grise. Lui fait retrouver le sourire. Lui redonne un goût pour la vie qu’elle semblait avoir perdue. Elle a vingt-trois ans aujourd’hui et sa famille de cœur qui l’entoure. Ils ont peur pour elle, elle le voit dans leurs regards, mais elle s’en fiche un peu. Elle a besoin de ça pour respirer. Autant que la boxe. Autant que la course à pied. Elle souffle les deux bougies avec un casque de moto sur la tête avant de s’enfoncer dans les terres d’Oxford sur un quad qu’elle dirige avec inconscience. Elle s’en fiche. À vivre sous une pression constante, elle veut découvrir les plaisirs de la vie sans personne pour lui rappeler qu’il n’y a que le succès dans la vie.

Mais elle n’a pas la vitesse, ni la boxe, ni la course à pied lorsque l’avocat lui annonce sa part de l’héritage. Elle manque de s’étouffer sous la somme. Un regard échangé avec Kazia et elle sait que les choses vont changer. La sécurité financière, elles l’ont toutes les deux pour le reste de leurs vies. Une vie que leurs parents veulent longue. Elle rigole. Elle ne peut pas s’en empêcher, elle qui contrôle toujours tout, elle ne peut rattraper le rire guttural qui s’échappe de son ventre et de sa gorge et menace d’exploser en véritable fou rire. Nerveux. Colérique. Endeuillé. La rancœur explose sous les yeux incrédules de sa sœur. Mais elle n’a pas les mots Kiara. Elle les déteste autant qu’elle les aime et n’est-ce pas là la pire des choses ? Sans autre mot, elle prend le chèque et disparaît. Claque la porte.

10. Elle rencontre Skye au karting. Elle est mignonne et presque assez sarcastique pour que Kiara s’amuse. La découverte est lente. Plus lente encore que celle d’Anisha, mais ça ne lui pose pas de problème. Au contraire, elle savoure. Elle savoure les pics verbaux, la compétition amicale qui sévit sur le circuit et les touchers si peu discrets au bar. Elle savoure les yeux vibrants et l’innocence de leurs interactions. Elle savoure les baisers et les nuits et lorsque Alyssa lui demande, Kiara répond des peut-être lourds de conséquences. Peut-être qu’elle pourrait se calmer. Peut-être qu’elle pourrait reprendre son souffle. Peut-être qu’elle pourrait tomber amoureuse. Mais Billie est là pour lui dire de partir. Que si rien ne la retient à Londres, New-York serait parfait pour un nouveau départ, un bol d’air frais dont elle semble avoir besoin. Et Kiara écoute. Parce que Skye est remplie de peut-être, tout autant que New York. Et Alyssa n’a rien pour la retenir à part un sourire qui veut tout dire et dans un souffle elle murmure le vas-y qu’elle crève d’envie d’entendre.

La colocation c’est terminé. Elle n’a pas de cartons, c’est Ash qui reprend sa place et ses affaires. Elle n’a que des valises qu’elle enfile sur le chariot de l’aéroport. Escortée par cette famille qu’elle gardera à jamais, elle quitte Londres avec l’appréhension qui lui noue les entrailles et le besoin cruel d’une nouvelle vie dans une nouvelle ville avec de nouvelles personnes.

11 Le métro new-yorkais c’est presque pire que le tube de Londres. Le rythme de New York est bien plus rapide que celui qu’elle avait à Londres. New York elle pourrait l’aimer autant qu’elle aime Londres. Mais New York ce n’est pas Londres. Londres. Londres. Londres. C’est rempli d’âmes qu’elle ne connaît pas, mais qu’elle rencontre pas à pas. Rempli de personnes qui ne peuvent qu’être son avenir. Rempli de quartiers qu’elle meurt d’envie de découvrir. Rempli de cultures qu’elle a connues brièvement en Angleterre. Rempli de corps qu’elle met dans son lit. Rempli de mannequins qui ne se ressemblent pas. Rempli d’un racisme qu’elle ne pourra jamais fuir. Rempli de tout ce qui fait de Londres, Londres en plus américain. Les jours passent et New York est remplie de certitudes.

Le regard accroché à cette silhouette reconnaissable entre mille, elle a presque envie de lui tourner le dos tant le souvenir de sa sœur est envahissant. Mais dans la ville qui ne dort jamais, elle veut du renouveau. C’est facile de traverser la foule et d’attirer son attention. Un peu plus difficile se présenter à nouveau à une figure du passé, mais elle s’en fiche Kiara. Elle apprécie ne pas être reconnue. Apprécie l’absence du fantôme de Kazia. Et elle s’étonne qu’une personne comme Shea ait été amie avec une personne comme Kazia. Elle s’étonne, mais elle le garde pour elle. Se contente de découvrir la ville à travers les yeux d’une ancienne connaissance et peut-être… peut-être une nouvelle amie. Mais la frontière entre amitié et plus est vite brouillée avec Shea. Ou peut-être est-ce elle qui brouille les pistes sans s’en rendre compte.

Elle perd pied Kiara. C’est grisant parfois et frustrant le reste du temps. Elle perd pied pour s’accrocher à la seule personne capable de lui faire sauter le pas. Elle ne l’avoue pas. Ni à Anisha, ni à Alyssa, quand elle les a au téléphone. Elle ne se l’avoue pas à elle-même face au miroir. Elle ne l’avouera certainement pas à Shea. Alors quitte à nier, elle craque. Elle joue. Elle s’amuse. Tout en sachant pertinemment qu’elle finira par tomber. Plus de peut-être, rien que des certitudes. Ce n’est qu’une question de temps.