Une heure à tourner dans le lit sans que le sommeil ne vienne. Si la vie de Willow est une parfaite harmonie dans une routine qui roule parfaitement, il y a certaines choses qui sont remises en perspective depuis que Samuel a insisté pour voir un conseiller conjugal. La détective privée avait accepté uniquement pour lui faire plaisir, ne ressentant de son côté aucun besoin d’étaler leur vie privée devant qui que ce soit, et surtout ne voyant aucun problème dans leur vie de couple comme dans leur vie de famille. Ils formaient depuis toujours un couple modèle, envié par bon nombre de parents d’élèves de par leur complicité et leur diversité. Alors où est le besoin de voir un thérapeute ? Mais ce qui devait n’être qu’une formalité de quelques rendez-vous s’est transformée en quelque chose d’un peu plus lourd que ce qu’aurait pensé la jeune femme. Effectivement, puisque ça en vient à l’empêcher de dormir.

Se tournant sur le côté gauche, elle observe Samuel alors que ses yeux se sont habitués à l’obscurité de la nuit. Elle l’aime. En doute-t-il réellement ? Le regard de son mari a l’air reposé alors qu’il est endormi, et elle pose bientôt une petite caresse sur sa joue. Sa peau est douce, comme à son habitude. Elle se demande encore comment il en est arrivé à s’intéresser à elle à l’époque, lui qui a tout pour lui, mais elle en a remercié la vie chaque jour, de l’avoir mis sur son passage.

« Chéri ? Sam ? » lance-t-elle bientôt contre toute attente. Elle le secoue légèrement. Il n’est pas du tout l’heure de se lever, ni celle d’avoir une grosse discussion. Demain, ils devront se lever tôt pour préparer les petits, et il faut être en forme pour la journée qui s’amorcera. « Le weekend en amoureux… t’es sûr que c’est une bonne idée ? Ce ne serait pas mieux si on emmenait les enfants ? Ça leur ferait super plaisir qu’on passe du temps en famille, qu’on s’amuse tous ensemble. » La simple idée de ne pas voir ses bambinos pendant deux jours la turlupine et clairement, elle n’arrive pas du tout à se faire à l’idée, bien qu’elle ait toute confiance en Eilis et son père pour s’occuper d’eux le temps d’un weekend.

Sam avait le sommeil lourd autrefois, mais le métier qu'il a choisi et la naissance de ses enfants ont changé cela. Aujourd'hui, le moindre bruit, le plus petit mouvement peut le réveiller un moins de temps qu'il n'en faut pour dire bonjour. C'est à la fois très pratique - surtout quand on fait un métier qui nécessite d'être alerte en quelques secondes - et en même temps très embêtant quand tout ce qu'il aimerait c'est passer une nuit de sommeil ininterrompu. Cela fait des années qu'il n'a pas profité d'une grasse matinée, ces mots-là lui sont même complètement étranger. Non pas qu'il se plaigne, Samuel aime sa vie, il ne la changerait pour rien au monde. Il aime ce qu'il fait, il aime ses enfants et plus que tout, il aime sa femme. Mais, parce qu'il y a un mais, une certaine routine s'est installée entre le couple, et depuis qu'il a mis le doigt sur ce problème, il ne pense à rien d'autre. D'où la thérapie, d'où les vacances en amoureux. Pour la retrouver. Pour se retrouver.

Il est un si petit dormeur que la voix douce de sa femme le réveille immédiatement avant même qu'elle ne le secoue gentiment ; Sam cligne des yeux une fois, puis deux, avant de se retourner pour lui faire face. Sa peau glisse contre le draps et un sourire ensommeillé est adressé au petit rayon de soleil qui lui fait maintenant face. Dieu, comme elle est belle, même au coeur de la nuit, avec les cheveux emmêlés et le visage fatigué. Son sourire se fige pourtant suite aux mots adressés et un soupir s'échappe de ses lèvres. here we go again. Elle est si frustrante parfois, et il la connaît par coeur, s'attendait presque à de telles remarques, s'est étonné qu'elles ne viennent plus tôt. Il passe une main sur son visage avant de lui reprendre calmement, sa voix pas plus forte qu'un murmure. "Mon coeur ... Moi aussi j'aimerais passer du temps avec les enfants, mais je croyais qu'on était d'accord pour ce week-end, c'est seulement deux jours et les enfants seront entre deux bonnes mains." Il se relève un peu, s'appuie sur son bras tandis que son autre main vient trouver celle de sa femme et y déposer quelques douces caresses. "Je, tu... C'est important pour nous." Il n'est pas très doué avec les mots, ne l'a jamais été, Sam est un romantique qui s'ignore, un solitaire qui recherche la compagnie sans savoir la trouver. "Tu ne penses pas ? tu n'en n'as pas envie ?" Demande-t-il quand même, parce qu'il ne veut pas le forcer, mais qu'il se sent à la fois pris au dépourvu et quelque peu inquiet. Et si c'était trop tard, et si c'était trop peu ?

C’est vrai qu’ils étaient d’accord. Enfin, sur le principe en tout cas, Willow avait donné un accord verbal, sans forcément que la connexion jusqu’à son cerveau soit faite sur le coup. Elle dirait beaucoup de choses pour faire plaisir à Samuel, et la plupart du temps, quand les mots sortent de sa bouche, elle est sincère. C’est ensuite que les choses se gâtent… Dès qu’elle commence à cogiter. Et la blonde, elle a les idées qui partent dans tous les sens, sans arrêt. « Oui, oui, c’est sûr. » Elle n’a aucun argument valable pour contrer ce point-là, mais pour autant, ça n’enlève rien à son idée de base. « Mais justement, si tu en as envie aussi, c’est l’occasion, non ? » L’autre problème, c’est qu’elle est légèrement bornée lorsqu’elle veut quelque chose, alors ça crée souvent des dilemmes dans son propre cerveau entre le fait de vouloir faire plaisir et de vouloir contenter ses propres désirs…

Les caresses de son mari ne sont pas nouvelles. Elle y est habituée depuis plus de dix ans maintenant et pourtant, elles ont toujours un effet très apaisant sur elle. Entre cela et le ton qu’il utilise, Willow sait pertinemment que sans cet homme, elle se noierait, sans aucun doute. « Ça fait si longtemps qu’on n’a pas été que tous les deux. » Triste constat qui vient se poser sur ses lèvres, et ce n’est qu’après l’avoir dit qu’elle prend conscience de la signification de ses paroles. C’est exactement ce que Samuel essaye de lui faire comprendre depuis des semaines, mais étrangement, ils ne mettent pas les mêmes connotations derrière cette phrase. « On fonctionne à quatre depuis si longtemps maintenant que je ne me souviens même plus comment on fait pour faire autrement. On est qui sans nos enfants ? » Ils sont eux. Ils l’étaient avant de les avoir alors pourquoi est-ce que ça ne pourrait pas redevenir comme avant ? Mais le souci est bien là : quel est l’intérêt de redevenir comme avant ? Qu’est-ce qu’elle a à y gagner ? « Mais bien sûr que j’ai envie de passer du temps avec toi. Entre nos emplois du temps, j’ai l’impression qu’on ne se voit même pas certains jours, voir certaines semaines. Tu sais bien que je n’aime rien de plus au monde que quand tu es là. C’est juste qu’avec ou sans les enfants, je ne vois pas quelle différence ça fait. » Son ton est calme, sans aucun jugement, comme toujours quand elle s’adresse à son Sam d’amour. Willow, elle a juste des œillères monstres quand il s’agit de son couple, couple qui n’existe plus qu’en tant que papa et maman dans sa tête, et pas en tant qu’homme et femme qui s’aiment et se désirent.

Sa femme lui donne de ce regard dont elle n’a sans doute pas conscience et qui a toujours eu le don de le faire abdiquer et d’accepter n’importe laquelle de ses requêtes, c’est un aimant dans son regard et une moue sur ses lèvres, c’est elle tout simplement. Et Sam a toujours été bien faible quand il s’agit de sa famille et plus encore de sa femme. Donc quand elle lui dit qu’ils peuvent partir tous les quatre, il a le réflexe immédiat de dire oui, oui à tout ce que tu veux. Mais pour une fois, Samuel se retient, ce n'est pas tant qu'il a un argument à gagner, il n'a jamais été question de cela dans leur couple, mais c'est qu'il est persuadé du bien fondé de sa demande et de l'importance d'un week-end pour se retrouver, se rencontrer à nouveau et que la simple présence de leurs enfants - qu'il adore par dessus tout là n'est pas la question - mettrait à mal le but même de ces retrouvailles en amoureux.

Parce que cela fait longtemps que Sam et Willow ne se comportent plus en tant que tel, et si pendant de longues années le pompier s'est voilé la face et était persuadé que la situation actuelle lui convenait parfaitement, force lui est de constater que ce n'est plus le cas aujourd'hui. Il veut plus, il veut autrement. Et il s'en veut parce qu'il a l'impression de chercher des soucis là où sa femme n'en voit aucun. Leur thérapeute lui a pourtant répété que c'était important de s'écouter soi-même et d'être homme autant que père, mais Sam n'est plus trop certain de savoir ce que cela veut dire. il aimerait tant réapprendre aux côtés de Willow. Mais ces mots ne sortent pas. Il n'arrive pas à s'expliquer aussi clairement que le professionnel. "Je ne sais pas." Il répond simplement, "mais tu n'as pas envie de le savoir justement ? On a deux enfants et c'est merveilleux et je ne changerais ça pour rien au monde. Mais parfois, euhm, j'ai envie d'être avec ma femme. tu comprends ?" Comment le pourrait-elle alors qu'il ne sait pas lui-même ce qu'il dit et ce qui lui apparaissait comme limpide il y a quelques jours dans le bureau du thérapeute est maintenant un brouillard sans fin. Et dire qu'il ne peut même pas accuser le manque de sommeil ! "Pour moi ça fait une différence. Parce que quand ils sont là on est avant tout des parents, on est papa et maman, et j'aimerais aussi qu'on puisse être Willow et Sam tout simplement." Il la regarde en espérant qu'elle comprenne si ce n'est dans ses mots au moins dans son regard tout ce qu'il aimerait partager. Bien sûr qu'il aime leurs enfants, bien sûr qu'il aime passer du temps avec eux (et encore plus depuis qu'il s'implique davantage dans leur vie) mais il aime aussi sa femme et en ce moment, il a l'impression qu'elle est à des années-lumières de lui.