La nuit c'était le pire. Jude détestait voir le soleil disparaître car il savait que le monstre viendrait roder près de lui. Il positionnait toujours ses petits soldats en plastiques devant sa porte espérant qu'ils empêcheraient le monstre de se faufiler dans sa chambre. Jude avait tord. Monsieur Sterling entrait toujours et il faisait toujours la même chose. Il demandait à Jude de se lever et son supplice démarrait. Parfois, ça durait quelques minutes mais parfois ça pouvait durer des heures. Alors Jude, il fermait les yeux à s'en fendre les paupières attendant qu'une délivrance divine arrive. Elle aura finit par arriver mais des années après quand c'était déjà trop tard. Monsieur Sterling il aimait trop Jude c'était ça le problème. Madame Sterling, elle, elle aimait surtout Monsieur Sterling et tant pis pour Jude. Alors elle se taisait. Elle se taisait si fort qu'elle n'a pas tenté de l'aider une seule fois. Et puis, parfois, Monsieur Sterling rentrait du travail fatigué, il n'avait pas envie d'être gentil avec Jude alors il était méchant. Plus méchant que quand il venait le voir dans sa chambre pendant la nuit. Il buvait toutes les bouteilles de la maison et après ça, il cognait Jude. Il le cognait si fort que Jude regrettait presque les nuits avec Monsieur Sterling. Quand le miracle de Jude est arrivé, il était déjà trop vieux pour être réparé. Son corps présente les stigmates des années de coups et de sévices qui devaient lui permettre de devenir un homme selon son père. Est il devenu un homme ? Non, il est devenu un fantôme, une erreur qui n'aurait pas du venir au monde. Les cicatrices les plus graves sont celles qui sont dans son coeur. Celles qu'on ne voit pas à l'oeil nu. De celles-ci, il ne s'en débarrassera jamais. Ils sont sympas les éducateurs du foyer mais ils sont bien plus immatures que Jude. Ils ne savent pas, ils ne comprennent pas même s'ils font semblants. Ils veulent aider quelqu'un qui n'a jamais été aidé. Ils veulent aimer quelqu'un qui n'a jamais été aimé. Jude, il n'aime pas. Jamais. Il aimerai aimer, vraiment mais il n'y arrive pas. Lui, il se déteste et pour les autres c'est la même chose. Son psychiatre dit qu'il est presque sociopathe. C'est quoi sociopathe ? En tout cas, Jude, il voudrait être aimer mais l'amour qu'on lui donne n'est jamais assez fort. Ce qu'il aimerait c'est impossible; ce qu'il aimerait c'est de la magie. Une magie assez puissante pour réparer tout son être qui tremble encore chaque nuit à l'idée que Monsieur Sterling fasse son apparition. Des cauchemars, il en fait encore, toutes les nuits. Des miracles, il en attend encore tous les jours.

Ensuite, il y a eu les éducateurs. Franchement, ils ne sont pas trop mal les éducs comme ils sont appelés par les jeunes. Ils veulent vraiment aider les mômes et avec Jude, ils ont tout tenté. Certains ont baissé les bras mais d'autres continuent de remuer ciel et terre pour que la vie puisse enfin lui sourire un peu. Jude est rarement au foyer mais quand il y est, il ne pourrait pas dire qu'il s'y sente mal...Seulement, ce n'est pas la vraie vie ça. Vivre dans un foyer, ça ne sert à rien. C'est foutu pour Jude, vous avez oubliez. Tout le monde le sait, tout le monde le pense mais personne ne lui dit franchement. Peut être qu'ils ont peur que Jude décide de laisser son âme s'envoler aux pays des anges, alors ils ne disent rien et lui mentent. Peut être aussi qu'ils se mentent un peu à eux mêmes, que seraient des éducateurs s'ils y avouaient que pour ce gosse là, il n'y plus rien à faire, plus rien à tenter. Parfois, Jude entend ce qu'ils pensent. Il passe à côté du bureau; qui devrait être insonorisé depuis des mois mais qu'il ne l'est toujours pas et où tout le monde entend tout; et il entend un des éducs dire que c'est trop tard pour Jude. Il est trop abîmé. Ouais, c'est exactement ça, il a le corps meurtri et le cerveau qui fonctionne à l'envers. Jude, il ne réagit pas comme les autres gosses, il ne comprend pas toujours les humains. Ce n'est pas de sa faute, c'est comme s'il s'était mit en mode "off" quand son père venait dans sa chambre pour le caresser. Finalement, il est peut être resté trop longtemps en mode "off" et peut être que maintenant il lui manque des cases. Le psy il dit que Jude il est très intelligent mais qu'il ne comprend pas les relations humaines. C'est quoi ces conneries ? Il est foutu en fait, c'est bien ce qu'on disait.

Et maintenant, il y a le bureau du Juge... La première fois que Jude était venu dans ce bureau, c'était encore un gamin et il était là en tant que victime. Victime du bourreau qu'avait été son père alors qu'à ses yeux de gosse, son père était juste un père comme un autre. Ah bon, tous les pères ne font pas ça ? Ah bon, ils n'ont pas le droit de faire ça ? C'était ses questions d'enfant de douze ans. Jude se souvient avoir vu de la pitié dans les yeux du Juge comme s'il savait déjà que ça allait être difficile pour Jude, que la réhabilitation serait complexe et que la résilience n'était pas garantie. Peut être avait il déjà comprit qu'il rêverait Jude dans ce bureau tellement souvent qu'il ne saurait plus quoi faire pour l'aider. "Sérieusement ? Une voiture maintenant ? Tu t'attaques à quoi ensuite ? Cambriolage à main armée ?" Le Juge poussa un soupire. Jude lui donnait du fil à retordre et il connaissait bien ces gamins pour savoir qu'ils ne changeaient pas si on les arrêtaient pas. Devait il envoyer Jude en prison, quartier des mineurs à même pas quinze ans ? Difficile décision, il s'était retrouvé tellement souvent dans ces conditions. "J'attends que tu t'exprimes jeune homme." Jude avait le regard dans le vide, il  ne regardait pas son interlocuteur dans les yeux. Il n'était pas doué pour ça, communiquer avec autrui par le regard. Psychotique à tendance sociopathe rappelez vous, les relations humaines ne sont pas son point fort. La prison ne lui disait rien bien entendu mais d'un autre côté, là bas ou ici que cela changeait il réellement ? Le Juge attendait que Jude exprime des remords mais il n'en avait aucun. Comme il ne répondait toujours rien, le juge reprit sans attendre mais avec un ton plus sec cette fois. "Tu veux aller en prison Jude ?" Jude haussa les épaules ce à quoi personne ne s'attendait. Ni le Juge, ni l'éducateur de protection judiciaire présent dans la pièce. "Je m'en fiche..." C'était la vérité. Cela faisait longtemps que Jude n'attendait plus grand chose de la vie. "Mais bon sang Jude ! Tu te rends compte des propos que tu tiens. Tu as quatorze ans." Un nouveau soupire échappa de la bouche du magistrat. De toute manière, il avait comprit qu'il ne tirerait rien de plus de Jude. "C'est ta dernière chance Jude, ensuite je serai obligé de sévir. Par contre, je veux que tu honores tous tes rendez-vous avec ton psychiatre. J'ordonne une obligation de soins" avait il dit s'adressant plus à l'éducateur qu'à Jude lui même toujours perdu dans ses pensées, le regard dans le vide.