Bien que la mère de famille ait pour règle d’or de s’occuper au maximum de ses enfants par elle-même, sans avoir recours à des nourrices, baby sitters ou autres – ce que ses deux emplois lui permettent de faire – il y a de ces moments, où elle n’a pas d’autres choix que de laisser les enfants au centre, surtout quand Gabrielle lui réclame pendant des heures, parce que sinon elle ne verra pas ses copines pendant la semaine de vacances, etc etc. Samuel ayant moins de patience que la mère de famille, il n’avait pas tardé à dire oui, ne laissant alors plus le choix à Willow que d’accepter le deal pour le plus grand bonheur de la fillette.

Ce à quoi Willow ne s’attendait pas, c’est à être convoquée un soir, suite au « comportement » de sa ville, sans qu’on ne lui en dise plus. Et bien entendu, lorsqu’elle avait demandé à Gabrielle de lui en dire plus, la fillette avait eu un sourire amusé, presque fière d’elle, et avait refusé d’en dire plus. Comment voulez-vous être en colère contre cette bouille si mignonne à qui la maman donnerait le bon dieu sans confession ?

18 heures, le rendez-vous est donc pris et Willow attend dans le couloir qu’on la reçoive. Elle voit bientôt apparaitre la pédiatre de ses enfants et ne peut s’empêcher de se demander pourquoi. « Bonjour. » Un sourire s’affiche sur son visage. Et quand elles se retrouvent toutes les deux assises au même endroit, le tout commence à prendre sens. « Tu es convoquée aussi ? Pour… le ‘comportement’ de ta fille ? » La blogueuse fait quelques suppositions. Les deux femmes ne se connaissent que très peu, mais la blonde a une très bonne opinion du professionnel de santé, sans compter qu’elle est la sœur d’un de ses amis. « Tu sais ce qu’elles ont fait ? On a refusé de m’en dire plus au téléphone… et Gabrielle a beau être une vraie pipelette… elle n’a pas voulu cracher le morceau sur ce coup-là. »

- Docteur Murray ? Quelqu’un a tenté de vous joindre pendant votre consultation. C’était le centre aéré qui accueille votre fille, ils ont dit qu’il fallait passer les voir à 18 heures.

Bien entendu. Parce que décaler des rendez-vous n’est pas compliqué pour un médecin, et que bien sûr, on colle ses enfants au centre aéré pour avoir l’occasion de s’y présenter toutes les deux secondes. Evidemment, Christian n’est pas disponible pour gérer le rendez-vous ou le retour des enfants. Mais enfin, Magda, je suis chirurgien. Il lui a balancé cette excuse avec toute la malice dont il est capable et doté dans les yeux. Elle a voulu lui hurler dessus, lui répondre que elle aussi, elle est chirurgien même si elle s’est spécialisée en pédiatrie. Mais lui, qu’est-ce qu’il en a à foutre ? Il refait des seins toute la journée pour des milliers de dollars.

Alors elle a décalé ses consultations. Heureusement, aucune opération prévue. Rien en obstétrique non plus. Sinon, elle n’aurait plus eu que ses yeux pour pleurer. Quand elle arrive, on lui indique le chemin du couloir. Elle se demande ce qu’Amelia a bien pu faire, elle d’habitude si timide, réservée et anxieuse. Magda ne prend que très peu au sérieux ce genre de convocations formelles devant le directeur du centre aéré. Dans le couloir, elle retrouve Willow, une maman d’enfant aussi qu’elle a reçu à quelques reprises. Elles se connaissent de vue, sans plus - de manière professionnelle et lointaine. Pour autant, Magda est presque soulagée d’apercevoir un visage familier - et souriant. Au moins, ça la rassure sur le fait que la convocation formelle fait aussi sourire Willow.

- Oui... Je n’ai pas croisé Amelia, impossible de lui tirer les verres du nez. Ils ne m’ont appelée que ce matin, sans doute parce que mon futur ex-mari a joué les tire-aux-flancs du rendez-vous... J’imagine que ce doit être un crime de la plus haute gravité pour qu’on soit convoquées comme ça par le directeur ?

Willow se demande si elle n’aurait pas dû venir avec Gabrielle. Après tout, ça aurait été aussi intelligent qu’elle puisse répondre de ses crimes en personne. Bien que cet enfant se fiche éperdument d’une quelconque punition, jouant avec ce mot comme avec tout le reste. Combien de fois lui est-il arrivé de se mettre au coin toute seule, en riant comme une folle ? Comment voulez-vous avoir un brin d’autorité dans ces circonstances ? Heureusement, en dehors de ce point, la fillette est une crème qui obéit tout de même assez régulièrement à sa mère, tout du moins lorsqu’elle l’a décidée. C’est presque devenu un jeu entre elles…

Willow hausse les épaules, signe qu’elle ignore complétement la raison du rendez-vous. C’est à ce moment-là que les deux femmes peuvent entendre à travers une porte entrouverte, celle qui doit être l’animatrice en chef du centre. « Elles ont refait la peinture d’un pan entier de mur au feutre, vos gamines. » Elle ronchonne, visiblement peu satisfaite à l’idée de devoir avoir la charge de la réparation des dégâts. Quoi ? Willow est quelque peu désabusée par la situation malgré tout, Gabrielle étant une enfant qui fait rarement de grosses bêtises, ou en tout cas, rien de si spectaculaire…

« Je… Non… Gabrielle ferait quand même pas ça… » Elle se parle pour elle-même plus qu’autre chose. Et la voilà qui se met à imaginer la scène. Le culot de sa fille, si elle a bien fait ce qu’on lui reproche, vient lui décrocher un sourire amusé. Non, ce n’est pas drôle, en théorie… « Elle a bien le toupet de sa mère, celle-là. » Impossible de le nier. Avec une mère comme l’ainée des Benson, qui met toujours les deux pieds dans le plat… « C’est… dans les habitudes de ta fille ? » demande Willow, sans aucun jugement, afin de savoir si sa fille aurait pu être entrainée là-dedans.

Magda aimerait vraiment ne pas perdre de temps ici pour réparer les conneries éventuelles d’Amelia - et quand la directrice du centre leur annonce ce que leurs filles ont fait, elle a du mal à garder son sérieux. Est-ce qu’on l’a vraiment contrainte à quitter l’hôpital pour les amener ici pour ça ? Les gens ne peuvent-ils pas régler ces problèmes là entre eux ? Enfin, Magda confie ses enfants au centre de loisir pour une bonne raison - précisément pour qu’ils soient occupés à autre chose qu’à faire des bêtises, des crises d’angoisse, ou des crises de nerf à cause du divorce. Elle lève un peu les yeux au ciel et soupire, croisant les bras, tournant la tête vers Willow.

- Non, la mienne est plutôt branchée crises d’angoisses et de larmes, d’habitude.

Elle soupire un peu, culpabilise d’exposer ainsi la vulnérabilité de sa fille au nez d’autres gens. Elle rabat une mèche de ses cheveux derrière son oreille et soupire.

- Je ne devrais pas dire ça, mais tu sais, ça me fait presque plaisir qu’elle fasse des conneries. Et puis franchement, elle poursuit, en chuchotant, est-ce qu’ils sont obligés de nous convoquer pour ça ? Un mot dans leurs affaires aurait suffi pour nous informer, non ?

Elle tapote légèrement du pied par terre. Avec les années, les drames et les problèmes de santé des mères qu’elle accouche, Magda a appris à ne pas se formaliser de manière trop importante de ce qui ne l’est pas. Et franchement, la perspective qu’Amelia s’amuse lui offre du soulagement plus que tout autre sentiment.

Elle grimace en entendant les propos de l’autre maman. Ce n’est jamais agréable de savoir que son enfant va mal, ce qui est indéniable lorsqu’il accumule crise d’angoisses et larmes. Willow est donc aussitôt attristée de l’apprendre. Sa fille à elle, est plutôt en mode grosse pile électrique toujours à l’affût de nouvelles activités et de choses à faire, au point qu’il est parfois difficile de la faire aller au lit le soir, même après avoir lu 3 histoires…

« C’est clair… » soupire-t-elle. Comme si les parents n’avaient pas des vies assez chargées comme ça. La détective a la chance de pouvoir agencer son emploi du temps à peu près comme elle le souhaite, malgré tout, notamment lorsqu’elle est sur une enquête importante, il est difficile qu’elle se libère du temps ; ou en tout cas, c’est au détriment d’autres choses… « Ils leur faisait faire une matinée nettoyage demain pour leur donner une leçon et ça aurait fait l’affaire… » Quoi que… Pas sûr que Gabrielle aurait réellement pris ça pour une punition. « Enfin, c’est pas dit que ça n’aurait pas fini en bataille d’eau, mais bon, ils sont animateurs, ils sont censés gérer ces trucs-là, j’imagine. »

Elle hausse les épaules. Certes, elle n’est pas non plus fière que son enfant détériore des murs, ou n’importe quel autre bien, mais bon, il suffisait de les surveiller, non ? « C’est vrai qu’on ne devrait pas en rire… » poursuit Willow, un large sourire aux lèvres, malgré tout. « Mais je suis contente qu’elle s’amuse et passe de bonnes journées. L’enfance passe si vite… Je n’ai pas envie qu’elle perde son innocence trop rapidement. » Voir ses rejetons rire aux éclats, s’amuser, c’est tout ce qu’elle veut en tant que mère. « Et à ta place, j’avoue que je serais sans doute aux anges d’apprendre qu’elle fait des bêtises. » Et plus de questions à se poser sur qui a entrainé l’autre dans la connerie… Clairement Gabrielle. « Je le suis un peu moins de savoir que c’est ma fille qui joue sans aucun doute les meneuses. » Elle ne se laisserait pas marcher sur les pieds, au moins… Elle a de qui tenir pour ça.

Le divorce est une période difficile pour les enfants, Magda le sait bien. Elle voudrait que quelqu’un le comprenne, autour d’elle, mais tout le monde préfère faire comme si de rien n’était, comme si la vie allait classiquement reprendre son cours. Sa mère elle-même y met de la mauvaise volonté, alors forcément, les enfants en pâtissent, et Amelia, d’ordinaire déjà si anxieuse, ne voit pas son état s’arranger. Magda aimerait avoir une solution à ce problème, mais elle n’en n’a pas. Elle ne va pas retourner vivre avec son ex-mari - de toute façon, il ne veut plus d’elle, en tout cas aux dernières nouvelles. Mais voir que sa fille parvient tout de même à puiser dans son énergie d’enfant de quoi faire des bêtises... Ca la réconforte.

- Je ne sais pas qui joue les meneuses, et franchement, peu importe. Avec l’approche de la fin de l’année, et la perspective du divorce, Amelia est sans cesse préoccupée - alors oui, je suis assez heureuse qu’elle trouve une copine pour faire des bêtises. Et franchement, y’a pas mort d’hommes. Ils auraient définitivement pu gérer ça tous seuls, comme des grands.

Elle croise les bras et sa jambe se met à battre au rythme de son stress - et de son agacement. Elle a comme qui dirait l’impression qu’elle ne va pas tout à fait réussir à être aimable, quand elle sera dans le bureau du directeur - ou qui que ce soit d’autre qui les reçoit aujourd’hui.

- Et puis pour l’innocence de la mienne, je me demande si c’est pas déjà foutu. Elle a de la chance que ce ne soit pas son père qui soit venu, cela dit.

De la chance dans son malheur quotidien.

Willow ne comprend que trop parfaitement le sens des propos de Magdalena. Il y a ce lien entre deux mères, invisible mais bien présent, qui fait qu’on sait parfaitement que l’autre ferait tout pour le bonheur de son tout petit, ainsi que pour sa protection. On avait toujours dit à Willow qu’elle apprendrait réellement à aimer lorsqu’elle aurait son propre enfant dans les bras, et elle n’y croyait pas, jusqu’à ce qu’elle le vive réellement.

« Je ne répéterais pas ça à Gabrielle, car je ne voudrais pas non plus l’encourager dans ses bêtises, mais tu peux te rassurer sur le fait que lorsqu’elle a une copine, elle ne la laisse jamais sur le carreau. » Gabrielle fait même partie de ces fillettes capables d’avoir 10 copines en même temps et de leur accorder la même attention à chacune. Comment elle fait ? Ça reste un mystère pour la mère de famille qui a bien du mal à entretenir une ou deux vraies amitiés déjà…

« Les hommes ont tendance à toujours réagir de manière excessive dans ce type de situation. » laisse-t-elle échapper. Son mari n’a pourtant pas beaucoup de défauts et il aime ses enfants, cela va sans dire, mais bon dieu ce qu’il est capable de s’énerver pour un rien, parfois. C’est comme quand la blonde avait accidentellement rayé sa voiture, une fois… Pas de quoi faire un drame selon elle, mais Samuel n’était absolument pas de cet avis. « C’est peut-être facile à dire venant de quelqu’un d’extérieur qui ignore tout de ce qui peut se passer chez vous mais… Il parait qu’il faut savoir faire confiance à nos enfants, et qu’ils sont plus forts qu’il n’y parait. » Franchement, si on lui disait ça, elle serait la première à rire au nez de la personne, mais toutefois, elle se veut rassurante envers la pédiatre ; les rôles étaient d’habitude inversés pour le coup.

Magda aimerait pouvoir affirmer qu'elle sait qu'elle est une bonne mère qui fait le nécessaire pour ses enfants, seulement elle passe sa vie à douter. Une bonne mère aurait sans doute essayé de se battre un peu plus pour son mariage, pour commencer. Elle aurait pu supporter Christian quelques années de plus, en attendant que les enfants soient plus grands. Elle aurait pu faire comme si elle ignorait tout de ses coucheries, se taire, garder le silence et la tête haute. Enterrer le peu de dignité qui lui restait encore pour permettre à ses enfants de grandir avec leur père à la maison plutôt que dans un entre deux éternel.

- Tant mieux, alors. Je suis contente de savoir qu'Amelia peut au moins compter sur une bonne copine. Suffisamment bonne pour qu'elles fassent des bêtises toutes les deux, en tout cas.

Magda sourit doucement en y pensant. Elle aurait préféré que sa fille puisse être une enfant innocente comme les autres enfants, surtout à son âge.

- Je ne sais pas, tu sais. Le divorce de ses parents, c'est compliqué. J'imagine qu'ils ont un conflit de loyauté assez fort que leur père n'arrange pas. Amelia était déjà de nature angoissée avant notre séparation, mais depuis, c'est une catastrophe... d'autant que je vis chez mes parents et qu'ils ne facilitent pas les choses. Enfin, tout ça pour dire que j'aime autant qu'elle se change les idées, même si c'est en faisant des conneries.

Elle soupire et s'arme d'un sourire finalement courageux.

- Enfin je ne vais pas pouvoir dire ça au directeur, cela dit. Je vais payer les réparations en espérant qu'il ne me tienne pas la jambe des heures sur mon modèle éducatif...