Bien trop de soirées passées au bar, après des journées pourtant longues de travail. Il faut dire que Carla n’a personne qui l’attend chez elle. Enfin, si, ses colocataires, mais elles ont chacune leurs occupations. Alors la jeune femme s’occupe comme elle peut, s’accompagnant de sa plus fidèle alliée : la bière. Elle enchaine les parties de billard et de fléchettes avec les habitués, souvent. Et c’est d’ailleurs ainsi que tout a commencé, lors d’un match amical avec une certaine Tia qui avait lancé à la volée pour pimenter la partie : « Si je gagne, tu acceptes de rencontrer ma pote Eilis ! » Carla avait ri aux éclats sans attendre. Elle n’avait rien contre faire des rencontres, mais autant dire que tout ce qui est amoureux lui passe bien au-dessus de la tête, étant la dernière de ses préoccupations. Et persuadée qu’elle allait gagner la partie, elle n’avait pas réfléchi une seconde aux conséquences de répondre positivement à ce challenge.

Sauf qu’elle a perdu… Et c’est ainsi qu’une semaine plus tard, elle se trouve assise à la terrasse d’un bar de gaming, profitant de l’air glacial revigorant pour finir sa cigarette. Elle ne fume presque pas, Carla, mais parfois, ça ne lui fait pas de mal. Elle a mis un foulard rouge, parce qu’elle relève toujours les défis jusqu’au bout et que c’est censé être le signe de reconnaissance. Alors que le vent souffle un peu plus fort, elle regrette de ne pas avoir mis des collants plus épais. Pourquoi est-ce qu’elle continue de mettre des jobes courtes à son âge tout court, en fait ? Cela fait bien longtemps qu’elle est en mesure de renier la promesse faite à sa mère dans son enfance… A croire qu’elle a pris le pli, et que finalement ça lui convient bien comme ça, d’être aussi différente à l’intérieur qu’à l’extérieur.

Un soupir vient se greffer sur ses lèvres alors qu’elle frotte ses mains l’une contre l’autre. Et soudain, elle voit la fameuse Eilis. Cela fait tellement longtemps qu’elle n’a pas eu un rencard à proprement parler… Et autant dire qu’un rendez-vous arrangé, jamais… Elle angoisse un peu, du coup, sans trop comprendre pourquoi sachant qu’elle n’accorde pas une grande importance à cette rencontre. Elle est plutôt jolie, c’est déjà ça… Par contre, elle a l’air bien plus jeune qu’elle, ça, Tia avait oublié de le préciser.

« Tu es… la pote de Tia ? » demande-t-elle à la jeune femme. « Elle ne m’a même pas dit ton nom d’ailleurs. » Elle laisse échapper un rire nerveux qui ne lui ressemble guère. En vérité, Tia avait mentionné le nom, mais elle ne s'en souvenait plus. « Moi, c’est Carla, au cas où… et autant te dire tout de suite que ce genre de rencard arrangé, c’est franchement pas mon truc… C’est bien parce que j’ai perdu aux fléchettes. » Son sourire se transforme en sourire désolé. Elle a peut-être été trop honnête ? Et si jamais la femme face à elle attendait beaucoup de ce rendez-vous ?

« Tu devrais explorer d'autres horizons », lui avait dit Tia un soir, entre deux tirs au billard. Eilis avait manqué de s’étouffer dans sa bière avant de lui demander ce qu'elle voulait dire par là. « Tinder, les étudiants... les étudiantes ! Franchement, j'ai quelqu'un à te présenter. Elle est canon, sympa, n'est pas étudiante et vraiment intelligente. C'est parfait. » Parfait ? Quoi parfait ?

Tia avait cette sorte de super pouvoir qui faisait que sans qu'elle ne s'en rende compte, elle ressortait d'une soirée avec elle avec quelque chose en plus ou en moins. Ce soir-là, elle était ressortie après avoir promis d'aller à un rendez-vous à l'aveugle avec... une fille du nom de Carla qui n'était pas étudiante. Voilà à peu près tout ce qu'elle savait sur la jeune femme. Ah et qu'elle porterait un foulard rouge, tandis qu'elle devait en mettre un blanc.

Le soir prévu par son amie, Eilis se présenta donc à ce bar de gaming que Tia avait choisi pour elles. Elle sourit timidement quand elle trouva la jeune femme du regard. C'est vrai qu'elle était canon. Elle ne pouvait pas le nier. Et clairement, elle n'avait pas l'air d'une étudiante. En fait, Tia avait oublié de lui préciser ce qu'elle faisait dans la vie. La brune s'approcha donc. « C'est moi, oui », confirma la jeune femme quand son date du jour lui demanda de confirmer qu'elle était bien l'amie du rendez-vous à l'aveugle. « Eilis », dit-elle en lui tendant la main pour qu'elles se la serrent.

Rapidement, la brune se montra claire, lui expliquant que ça n'était pas son délire ce genre de rencard et Eilis sourit, un peu plus amusé, mais aussi soudainement mal à l'aise. Elle se doutait que c'était encore un plan foireux de Tia qui allait mal tourner pour elle. Elle soupira donc. « Merci pour ta franchise. Bon ! J'ai promis... ''d'essayer d'explorer d'autres horizons''... », dit-telle en mimant des guillemets avec ses doigts. « Et clairement, toi aussi, tu t'es laissé avoir par ses belles paroles. Mais j'ai passé une heure à me préparer juste au cas où ça serait sérieux pour toi, j'ai mis une robe et j'ai subi les regards d'un vieux pervers dans le train pour venir ici. Alors je m’assois, on boit une bière, on paye chacune sa conso et on pourra dire à Tia qu'on a été au bout de son idée stupide. On n'a même pas besoin de parler si tu veux ! »

Okay, cela ressemblait sans doute à la pire introduction qu'elle n'avait jamais faites. Et elle en avait connu des rencards pourrit pourtant, surtout à l'adolescence, quand elle n'avait que des mauvaises fréquentations. Elle rit en baissant la tête. « Pardon, je suis qu'une idiote aussi... Écoutes, je vais aller au comptoir chercher à boire et ensuite, je viendrais m'asseoir sur cette chaise », dit-elle, pointant la seule chaise disponible à la table. « Si ce plan te convient, je suis de retour dans deux minutes. Si tu n'as vraiment plus du tout envie de même boire un verre sans conséquences, alors tu peux y aller. Je dirais à Tia que c'était juste encore un de ses mauvais plans et qu'on s'est mise d'accord pour ne pas aller plus loin. »

Et sans lui laisser le temps de répondre, la jeune femme pivota sur ses talons et partit chercher son fameux verre.


@Carla Cadwell

Maintenant que la jeune femme face à elle mentionnait son prénom, ça lui revient en tête. Tia lui avait bien mentionné. La réponse de son interlocutrice la fait réagir sur le fait qu’elle n’a pas dû utiliser le bon ton, alors qu’elle expliquait que ce genre de rendez-vous n’était pas pour elle. Non, elle n’avait pas voulu être méchante, ni trop catégorique, juste expliquer qu’elle n’était pas trop à l’aise avec l’idée, histoire que l’autre femme ne se fasse pas trop d’illusions. Enfin, visiblement, elles sont sur la même longueur d’ondes en ce qui concerne ce date arrangé. Pas le temps de répliquer qu’Eilis est déjà partie en direction du bar. Il y a peu de gens qui laissent Carla dans cet état, sans qu’elle ne puisse en placer une. D’habitude, c’est elle la bavarde, elle qui en dit toujours trop et qui met les gens mal à l’aise. La brune ne bouge pas d’un pouce jusqu’au retour d’Eilis.

« Je suis toujours là. » dit-elle dans un sourire lorsque celle-ci revient et s’asseoit. « Tu m’as mal comprise. Je ne voulais pas dire que j’étais contre boire ce verre avec toi, juste t’expliquer que ce n’est pas dans mes habitudes. C’est pas trop mon genre de donner des faux espoirs aux gens… » Mais le problème ne se posait finalement pas sur ce point. « Faire de nouvelles connaissances, ça, par contre, je suis toujours partante. » lâche-t-elle dans un sourire sincère. « Et boire un coup, encore plus. » Elle se met à rire volontiers, pas honteuse de son addiction pour les bonnes choses. Tant qu’elle sait s’en passer et qu’elle n’a pas les syndromes d’une alcoolique, tout va bien.

« Alors, je te propose qu’on recommence à zéro. On oublie Tia. On vient de se faire une partie de baby-foot au cours de laquelle nous nous sommes rencontrées. Egalité, impossible de nous départager ; alors on a décidé de boire un verre pour fêter ça. Ok ? » Son air est interrogateur et elle attend une réponse positive. Qu’Eilis joue ou non au baby-foot, en soi, elle s’en fiche royalement. « Par contre, une table à l’intérieur serait mieux… Il caille un peu, et j’ai rien à boire. » Les collants, ça fait pas tout contre le froid. Plusieurs bières, un peu plus. C’est au tour de Carla de se lever et de prendre le pas vers le bar. Elle laisse le choix à Eilis de la suivre à l’intérieur. Ce n’est qu’une fois qu’elle a commandé et son verre en main qu’elle rejoint la jeune femme.

Quand elle revint vers la table, la brune était toujours là et Eilis se maudit avant même que Carla n'assume qu'elle n'avait elle-même rien à boire de ne pas lui avoir proposer de lui acheter quelque chose. Pour sa défense, elle pensait réellement, au vu de la réaction de la femme, qu'elle allait partir... D'ailleurs, celle-ci la détrompa rapidement sur ce qu'elle avait compris de ses mots précédents, lui expliquant que ce n'était juste pas une habitude et qu'elle n'avait pas voulu lui donner de faux espoirs. Bien. Elles étaient toutes les deux dans le même bateau. Situation inhabituelle au possible et volonté de ne pas se faire d'illusions. En prime, Carla semblait aimer rencontrer de nouvelles personnes, ce que Eilis adorait aussi. Elle avait passé des années à l'étranger, à fuir sa vie et l'incompréhension de qui elle était, à passer son temps à rencontrer les autres dans l'espoir de comprendre qui elle était à travers qui ils étaient. Spoiler alert, elle avait surtout appris que ce n'était pas aux autres de lui apprendre qui elle était, mais à elle de leur dire simplement ''voilà qui je suis''... Un truc un peu philosophique comme ça... Quoi qu'il en soit, aujourd'hui, elle aimait rencontrer de nouvelles personnes pour les rencontrer vraiment. Les histoires des autres la passionnaient et l'inspiraient.

« Cool », dit-elle avec un sourire ravie. « Je n'aime pas trop boire seule ! C'est plus sympa à deux. » Elle ne buvait pas beaucoup en général, elle avait assez abusé de la boisson dans son adolescence chaotique, mais elle aimait quand même se détendre autour d'un verre de temps à autre, accompagnée d'une personne sympa. « Okay, faisons ça. » Elle suivit la brune à l'intérieur, cherchant une table de libre pendant que celle-ci se commandait un verre. Quand elle avisa une table à l'écart d'un groupe de garçons qui finiraient sans doute par les ennuyer au cours de la soirée si elles se mettaient trop près, elle attrapa doucement le coude de Carla. « J'ai vu une table de libre là-bas. J'y vais avant qu'on nous la pique. » Puis elle quitta la jeune femme le temps qu'elle soit servit pour aller s'installer.

Une fois Carla assise face à elle, elle bue une gorgée de sa boisson avant de sourire à la jeune femme. « Okay, on reprend depuis le début, donc ! » Elle tendit sa main par-dessus la table pour qu'elle puisse serrer celle de sa compagne de date organisée par une tiers personne. « Moi c'est Eilis, j'ai 25 ans et je suis étudiante en cinéma. J'aime sortir et rencontrer de nouvelles personnes sans autre arrières pensées que juste rencontrer des gens et je suis la pire personne au monde pour me présenter moi-même ! » Elle rit d'elle-même avant de boire de nouveau une gorgée.


@Carla Cadwell

Contre toute attente, Carla est plutôt heureuse de la tournure des événements. Si elle ne savait pas trop à quoi s’attendre et si elle n’aimait tout simplement pas le fait qu’on lui force un peu la main, ça ne voulait pas pour autant dire qu’elle passerait un mauvais moment en compagnie de son date. La preuve… Elle hoche la tête quand Eilis lui annonce aller à une table dans le fond du bar, et la rejoint rapidement. Dès qu’elle s’installe, voilà que sa partenaire de crime se présente et il devient donc urgent qu’elle en face de même, ne manquant pas de serrer énergiquement la main d’Eilis. « Et en plus, tu as les mains douces. » se met-elle à rire. Ce n’est pas une tentative de séduction, juste pour détendre l’atmosphère, Carla qui fait juste sa Carla habituelle. « Carla, 31 ans, à qui il manque deux dents – de sagesse, enlevée parce que je faisais trop de bêtises – policière. J’aime à peu près les mêmes choses que toi, étant donné que je passe bien trop de temps dans les bars au goût de certains… Je ne suis pas alcoolique malgré tout, je tiens à le préciser… Et surtout, j’adore l’humour et rire de tout. » Elle pourrait dire bien d’autres choses, mais rien de très intéressant, ou disons que ce sont des choses qui méritent d’être découvertes au cours d’une discussion et non d’un monologue.

Carla boit une gorgée de sa bière. Elle avait pris une saveur ambrée qu’elle avait goutté une seule fois il y a de plus de six mois. Si la première gorgée est dure en bouche à première vue, le goût qui reste ensuite sur le palais plait beaucoup à l’officière qui ne tarde pas à récidiver en buvant dans son verre. « Tu es le genre de passionnée de cinéma qui a toujours une caméra à la main, ou bien qui passe son temps à regarder les nouveaux films ? » Ou les deux d’ailleurs. Pourquoi choisir ? « J’aime bien le cinéma ! Je n’y consacre pas énormément de mon temps, mais aller voir un film de temps à autre, ça me branche bien. Surtout les films de super héros, ça va sans dire… Les drames et les romances, c’est tout de suite moins mon truc. »

Elle était belle Carla, sexy même. Elle devait bien avouer que la jeune femme était tout à fait du genre à lui plaire. Savoir qu'elle n'était pas une fille avec de grandes attentes et semblait plutôt du genre sans prise de tête n'était que pour lui faire gagner encore en intérêt. Pas d'enjeux, pas de promesses, pas de devoir. Quoi qu'il se passerait entre elles maintenant, cela ne regardaient qu'elles. C'était plutôt cool. Elle avait appréhendé toute la journée de devoir se montrer sous son meilleur jour pour que Tia ne tente pas de l'assassiner pour lui avoir fait honte devant une amie.

Elle rougit un peu quand la brune lui dit qu'elle avait les mains douces. Eilis n'avait jamais été très doué pour recevoir les compliments. En fait, même si elle adorait rencontrer des gens, elle était souvent une vraie calamité. Un peu bizarre (sa passion du cinéma lui faisant regarder le monde de manière bizarre pour la plupart des gens), sociable, mais souvent à côté de la plaque, maladroite. Ses amis riaient du drôle de personnage qu'elle était, mais avec des inconnus, soit elle passait pour une fille amusante, soit on la prenait pour une idiote un peu tarée.

La description que la jeune femme faisait d'elle avait l'air vraiment intéressante. En tout cas, maintenant, Eilis avait définitivement envie d'en apprendre un peu plus sur elle. « Et bien, je suis le genre caméra à la main », avoua-t-elle avec un sourire. « Même si à cause ou grâce à mes études, j'ai une excuse pour regarder tout le temps des films. » En général, les gens avaient tous un style de film. Il y avait ceux qui ne juraient que par l'action, ceux qui préféraient les comédies ou les dramas, ceux qui préféraient les films d'auteur ou encore ceux qui ne regardaient que les films de leurs acteurs favoris. Eilis n'avait jamais vraiment eu de style. Elle pouvait tout autant se régaler devant un classique en noir et blanc que devant le dernier blockbuster à la mode. Mais pour son style de prédilection favori, il avait bien une signature, même si la jeune femme ne savait pas vraiment dans quel genre classer ses œuvres. « J'ai des goûts et des inspirations assez éclectiques, en fait, pour ma part. J'aime raconter ou regarder... les gens, en fait. Le témoignage des rencontres. Et un témoignage peut être aussi fort, qu'il sorte d'un film indépendant racontant la vie d'un bûcheron dans le Maine ou qu'il prenne une part toute symbolique dans le récit d'une super-héroïne qui combat le crime avec une cape et des pouvoirs. Mais maintenant j'ai une question. Comment une policière qui n'aime pas les films à l'eau de rose s'est retrouvée amie avec Tia ? » Probablement que la question pouvait tout autant lui être retourné. Tia n'avait que très peu de points commun avec Eilis et leur différence d'âge palpable rendait leur amitié encore plus improbable. Mais elle était comme ça, Tia. A aimer le shopping, Pretty Woman et organiser la vie amoureuse de ses amis si différents les uns des autres. Un vrai mystère qu'Eilis essayait encore de résoudre. Une femme qu'elle adorait pour tout ce qu'elle semblait être et tout ce qu'elle était vraiment. Une héroïne de film à elle toute seule.


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Carla se met à rire quand Eilis avoue avoir une excuse pour regarder des films. Tout le monde ne peut pas s’en targuer et il est même parfois vu comme de la fainéantise de passer trop de temps devant la télévision, alors c’est carrément un plus dans une vie – non pas que Carla en aurait beaucoup besoin, en réalité, étant plus souvent à arpenter les rues ou les lieux extérieurs que chez elle à se détendre en mode sofa / soda. « Ça peut servir, ce genre d’excuse ! » Elle hoche la tête avant d’écouter la description passionnée du genre de films d’Eilis. Elle ne s’y connait vraiment pas assez, la policière, mais elle est intelligente malgré tout, et son imagination a assez peu de limite, ce qui l’aide assez régulièrement à se représenter mentalement bon nombre de descriptions et situations. Ca peut aussi lui permettre de mieux anticiper dans son travail, parfois, en se faisant tous les scénarios possibles du crime, ou de la fuite d’un délinquant… Oui, c’est pas une mauvaise chose. « C’est beau ! » s’exclame-t-elle. « Quand je regarde un film, j’ai du mal à réellement y voir autre chose qu’une belle histoire, ou des scènes d’actions magnifiques. » Elle se met à rire. Elle aime voir les films de cette manière et si elle ne le dit pas, ce n’est pas pour autant qu’elle n’apprécie pas quand l’histoire du personnage est particulièrement poussée. Dans spiderman, par exemple, elle avait adoré découvrir la vie de Peter dès le départ, comment l’homme était devenu en partie araignée et comment il avait ensuite endossé son nouveau rôle, comment il s’était servi de son pouvoir. Oui, ça la faisait toujours davantage vibrer que juste un film basé sur une quête et qui ne se concentrerait que sur cela. Souvent le problème des seconds opus des sagas selon elle, d’ailleurs. Bref, elle se perd dans ses pensées, et se force alors à revenir à la réalité.

« A l’outpost. On s’y croisait souvent et un jour, des hommes ont voulu faire les malins et on a dû se liguer pour leur mettre une pâtée au billard. On ne s’est pas privées pour renouveler cela de semaine en semaine à différents jeux. Et on a fini par sympathiser, tout simplement. » Rien de bien complexe en soi, il faut bien l’avouer, mais les plus belles amitiés ont-elles réellement besoin de sortir d’un beau livre de conte ? « Et toi, du coup ? » Ça aurait été idiot de ne pas profiter de la situation pour retourner la question. « Je dois dire que je ne la connais pas tellement en dehors du bar, alors si tu as deux trois potins à lâcher, c’est le moment. Ça pourra me permettre de sortir quelques cartes de ma manche lors de nos prochaines parties. » Un peu de triche pour déstabiliser la concurrence ? Pas très fairplay, mais quelle importance ; le tout étant fait pour rire et seulement pour rire.

La brune se mit à rire. Elle avait un joli rire. Un de ceux qui donnait immédiatement le sourire à Eilis. Elle devait bien l'avouer, la demoiselle était pleine de charme. Malgré tout, elle ne comprenait toujours pas comment Tia avait pu penser qu'elles pourraient réellement matcher. En dehors du fait qu'elles trouvaient toutes les deux l'autre séduisante, elles ne semblaient pas avoir grand chose en commun. Enfin, elles avaient encore le temps de se découvrir des points communs, non ?

Elle écouta donc l'histoire de la rencontre entre leur amie commune et Carla et sourit en l'écoutant. C'était tellement Tia. De toute manière, Eilis n'avait jamais compris comment on ne pouvait pas apprécier cette femme. Elle était flamboyante, joviale, solaire. Elle avait toujours vu les femmes qui ne la supportait pas comme de grosses jalouses. Parce que oui, quand Tia entrait dans une pièce, il était difficile de ne pas la remarquer. Carla lui retourna la question et la jeune Benson se retrouva un peu prise à son propre piège. « Comment Tia et moi sommes devenues amies ? », dit-elle, plus pour se donner le temps de la réflexion que par réel besoin de se remémorer les choses. Tia était son amie depuis des années. De très longues années. Et la Eilis d'alors était bien différente de la Eilis d'aujourd'hui et pourtant, leur amitié était intacte. Plus forte encore, même. « Je n'en ai aucune idée ! »

C'était la pure vérité. Elle ne se souvenait absolument pas de sa rencontre avec la femme un peu plus âgée qu'elle et n'avait toujours pas compris, même après tant d'années, comment elles en étaient arrivées là. « J'ai eu... une adolescence compliquée. Un matin, je me suis réveillée avec la gueule de bois et j'avais le numéro de Tia écrit sur la cuisse. J'ai pris une douche et je n'y ai pas repensé, je ne savais même pas à qui appartenait le numéro alors. Genre le méga black out. Quelques jours après, elle m'a appelé en me demandant qui j'étais, parce qu'elle s'était réveillée avec mon numéro écrit sur le ventre. Bien sûr, Tia étant Tia, elle avait gardé le numéro. Elle m'a convaincue de venir à une soirée et une soirée en entraînant une autre, on ne s'est jamais vraiment quitté. »

Elle sourit, amusée. « J'ai un tas de dossiers sur elle, c'est vrai, mais elle en a autant me concernant. Je suis donc une tombe. Et je préfère te prévenir, j'ai déjà subi des interrogatoires. Ils ont tous jeté l'éponge avant moi. » Dire ça à une policière n'était sans doute pas très malin, mais elle avait déjà lâché qu'elle avait eu une adolescence difficile alors... L'important était de s'être racheté une conduite, non ?


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Carla écoute en hochant la tête de temps à autre, ce qu’elle a tendance à faire lorsqu’elle est attentive. Elle ne relève pas réellement l’adolescence compliquée, car elle en a entendu bien des histoires, dans son métier, les voleurs, assassins et criminels en tout genre n’ayant en général pas un passé irréprochable. Alors, elle minimise un peu les mots de son interlocutrice, peut-être à tort d’ailleurs. « C’est pas banal. » enchaine-t-elle dans un sourire. « Parfois, quelques mauvaises expériences amènent des choses plus positives dans nos vies. » Elle n’en est pas encore arrivée là, Carla. Si elle expliquait les différentes facettes de sa vie à un inconnu, il irait sans doute lui dire qu’elle n’a pas de chance sur certains points ; mais la vérité, c’est qu’elle est juste une femme forte, battante, qui se contente de ce qu’elle a dans la vie. Oui, on la juge sans cesse, au travail en particulier, mais dans la rue aussi. Elle se fait huer, insulter presque tous les jours. Et le soir, elle traine dans les bars avec ses amis, n’ayant personne auprès de qui rentrer à la maison. Enfin, si, ses colocataires. Sa vie lui plait. Et c’est tout ce qui compte.

« Même si je saurais être une experte en interrogatoire, je respecte bien trop l’amitié à double sens pour insister. » Elle rit légèrement. Si on lui demandait des infos sur Claire, il y a fort à parier qu’elle ne prononcerait pas le moindre mot non plus, même sous la menace. Elle avale une nouvelle gorgée de son verre, jetant des regards autour d’elle, ici et là. Elle adore savoir ce qui se passe. Elle est curieuse, bien trop curieuse. Puis, ça lui permet d’anticiper les éventuels dangers, une de ses nombreuses déformations professionnelles. « Et sinon, tu habites New-York depuis longtemps ? T’as de la famille ici ? » demande-t-elle ensuite, dans l’idée d’apprendre à connaitre davantage Eilis.

Eilis ne pouvait que hocher la tête à l'affirmation de Carla. Oui, parfois, les mauvaises expériences amènent du positif. Pour elle en tout cas, à la fin, cela avait été bénéfique. Parce qu'elle avait finalement trouvé la paix après l'enfer, parce qu'elle avait des choses à raconter suite à cette jeunesse chaotique, parce qu'elle avait sublimé son passé dans son art et qu'elle continuait de le faire. Oui, les erreurs du passé lui avaient donné maturité et inspiration. Elle avait gagné, à la fin. Eilis remarqua le regard de la brune et elle ne pouvait nier qu'elle était intriguée. Il y avait plus derrière la jeune femme fêtarde. Elle le savait. Elle le sentait. Elle avait l'habitude des âmes blessées. Il y avait plus, mais elle sentait que la brune ne lui dirait rien ce soir. Carla était du genre à penser qu'elle devait être forte en toute circonstance. Elle offrait peu de ses faiblesses et seulement à un petit nombre qui l'avait mérité. Encore une fois, elle n'avait pas besoin de beaucoup la connaître pour le deviner. Elle en avait connu des femmes comme ça... Elle avait vraiment un faible pour les femmes comme ça. Un petit sourire se glissa sur son visage. Elle commençait vraiment à comprendre pourquoi Tia avait pensé que les faire se rencontrer était une bonne idée.

« J'ai toujours vécu ici... Enfin, j'ai toujours eu mon adresse officielle à New York. J'ai passé quelques années à l'étranger quand j'étais plus jeune, mais je ne me suis jamais réellement posé là-bas. C'était plus du genre voyage initiatique. Mon père, ma sœur et mon oncle habitent aussi à New York. Et avec mon beau-frère et leurs enfants, tu as globalement entendu parler de l'intégralité de ma famille », assura-t-elle amusée. « Et toi ? »


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Elle hoche la tête, Carla. « J’ai une sœur cadette qui est sur New-York. Le reste de la famille vit à Seattle. Mon père était originaire de New-York. Lui et mon grand-père travaillait d’ailleurs dans le même commissariat que moi, fut une époque, mais ma mère est de Seattle, donc… » Elle avait eu envie de revenir aux sources. Ses études lui en ont donné l’opportunité. « Je suis revenue ici pour mes études, et je ne suis plus repartie. » Elle aurait pu, parce que dans le fond, elle n’a pas d’énormes attaches dans la vie, mais elle aime l’effervescence de la grosse pomme. « J’ai pas de neveux, mais j’avoue que ça ne me manque pas. » Dans la logique, c’est elle qui devrait faire des enfants en premier. Ses parents la tannent assez souvent avec ça, d’ailleurs, mais déjà qu’elle n’a personne dans sa vie passé 30 ans, alors c’est pas pour demain.

« Tu as visité quels pays, du coup ? » Carla, elle n’a jamais vraiment voyagé. Ce ne sont pas les occasions qui ont manqué, pourtant, mais elle avait toujours mieux à faire. Enfin, mieux… Disons qu’elle trouvait toujours l’excuse de privilégier sa carrière : une enquête importante à boucler, une potentielle promotion à ne pas manquer, etc. Pour au final en être toujours au même point dix ans plus tard, mais bon, ça c’est une autre histoire. « Petite, je me disais que je ferais un voyage en sac à dos, covoiturage, tout ça. Ou que je ferais le tour du monde, aussi. Mais au final, j’ai jamais quitté les States. Il serait peut-être temps… J’ai encore des vacances à prendre en plus. » Elle se met à rire en faisant ce petit plan. Pas certain qu’elle se lance, mais bon.