You're broken down and tired
And you can't find the fighter
But I'll rise up, I'll rise like the day
I'll rise up, I'll rise unafraid
I'll rise up, and I'll do it a thousand times again
For you

Les cris s’entrechoquent ; la porte claque. Tout contre elle, la silhouette tressaille, s’adosse un instant au bois. Elle tremble. Les mains crispées sur la poignée, le dos collé contre cette muraille ébène, elle a le cœur qui tambourine, las, contre sa poitrine. Combien de cris encore, combien de pleurs avant qu’ils n’arrivent à se comprendre ? Les cils battent l’air, incapables de s’arrêter alors que ses dents s’entrechoquent de rage ; de peur. Lentement, les mains de la brune viennent entourer ses bras, le dos se voûtant, et elle s’accroupit, recroquevillée sur elle-même. Les traits s’étirent en silence, alors que des gouttes de sel embuent ses prunelles, perlant au bout des longs cils de jais. Elle retient un sanglot, alors que les larmes dévalent ses joues à toute vitesse, éclaboussant le carrelage de marbre. Si froid. Un Palais de Glace habité par un Roi au cœur de pierre. Une prison dorée, cage dont les barreaux invisibles avaient été judicieusement posés. Un seul faux pas. Il lui suffisait d’un seul faux pas pour que les reproches pleuvent, que les sermons l’abreuvent. Une seule remarque, et c’était le ton de son père qui montait, la colère grondant dans sa gorge comme le son d’un orage. Était-il satisfait de lui, en cet instant ? Là derrière cette porte, dans son joli bureau de marbre, jubilait-il de sa victoire ? Dahlia l’ignore, mais son cœur tambourine son courroux, alors que des pensées néfastes la plongent dans une détresse agitée. Elle grelotte. Elle ne s’entendrait jamais avec lui, c’était certain. Il ne la comprenait pas. Pas comme elle. Qu’aurait-elle fait ? Sans doute lui aurait-t-elle fait entendre raison. Ou pas. Une pointe de douleur lui cueille le cœur, aiguille insensible du souvenir. Qu’aurait-elle fait ?

Et soudain, le regard se durcit, les larmes s’assèchent peu à peu. Un dernier frisson la parcourt, alors que l’évidence la frappe. Elle ne se serait jamais affaissée, elle. Elle aurait continué de se battre, de trouver des arguments. Elle aurait cédé cette bataille aujourd’hui, pour mieux remporter la guerre plus tard. C’est ce que Dahlia devait faire, si elle voulait un jour s’échapper de l’empire familial. Et pourtant à chaque pas qu’elle entreprenait, à chaque effort qu’elle mettait à rendre sa famille fière, elle semblait échouer, trébucher. Mais même ce répit-là, il était incapable de le lui donner. Sous prétexte qu’elle continue à être irresponsable, à attirer les médias sous un mauvais angle. Il lui avait montré son dernier fait, son retweet et partage de cette photo prise pour la défense des droits lgbt. Elle en était fière, pourtant, mais lui ne voyait pas les choses ainsi, ne s’attardait pas sur son point de vue. Ne l’avait jamais fait. Comment pouvait-il lui demander aussi simplement de la supprimer ? Elle se relève, essuyant du revers de ses doigts les dernières perles de tristesse. Elle n’abandonnerait pas. Prenant une grande inspiration, le regard décidé, elle finit par s’écarter du porche. Il lui fallait des arguments, il lui fallait montrer patte blanche. Il lui fallait… des forces. Elle repensa alors aux petits gâteaux que sa mère avait l’habitude de préparer, lorsque la petite fille était malade ou bien attristée. Sa mère. Elle devait être forte, comme elle. Pour elle. Maat n’avait jamais abandonné la confrontation avec son père, alors elle ne baisserait pas non plus les bras. Et c’est avec cette résolution qu’elle partit vers la cuisine, à la quête de cette recette qui lui redonnerait du baume au cœur, du courage pour repartir à la charge. Et du temps, pour réfléchir à de nouveaux arguments.

Alors qu’elle sortait les premiers ingrédients, on sonna à la porte. Sûrement pour sa sœur. N’y prêtant pas gare, elle se dit qu’elle descendrait ouvrir elle-même, elle n’était pas majordome. Et alors qu’elle s’approcha de l’évier, voulant se laver les mains, elle se reçut une gerbe d’eau à la figure, la faisant sursauter avant que les doigts ne se referment sur le robinet. Flûte. Elle avait oublié ce fichu problème de plomberie. Sa belle-mère avait-elle appelée l’agence ? Agacée, la sonnerie retentit une nouvelle fois, et elle leva les yeux au ciel, tournant les talons. A grandes enjambées, le regard orageux, elle finit par ouvrir la porte et traversa l’allée la menant au portail. « C’est pour quoi ? » demanda-t-elle, plus sèchement qu’elle n’aurait voulu. Le pauvre gaillard qui se tenait devant elle n’avait rien fait de mal, elle le savait bien, il n’était juste pas arrivé au meilleur moment. Ni le bon jour. Mais en le regardant de plus près, elle ravisa son jugement, son regard s’allumant tout à coup. « Très bon timing, vous arrivez pile quand il faut ! Entrez, entrez je vous prie. » lui dit-elle. Enfin ! Au moins un problème de résolu : le plombier était là pour réparer le lavabo. Elle lui fit signe d’entrer, le pressant.

@Hoël Quivillic  

You're broken down and tired
And you can't find the fighter
But I'll rise up, I'll rise like the day
I'll rise up, I'll rise unafraid
I'll rise up, and I'll do it a thousand times again
For you

Ravalant sa mauvaise humeur, elle plaque un sourire cordial sur ses lèvres, rallumant les iris noisette. Il ne lui avait rien fait, après tout, et il n'y était pour rien si elle avait des problèmes aujourd'hui. En revanche, il pouvait l'aider à en résoudre un : le lavabo. C'était certainement pour cela qu'il était là, quoi d'autre ? Nul besoin de l'analyser bien longtemps pour voir ces cheveux longs à la façon hipster, ces vêtements ni trop détendus ni trop chics, mais surtout et pour tout, cette silhouette imposante. La seule chose qui avait échappé à son analyse superficielle, était la boîte à outil qu'un plombier trimballait normalement avec lui. Peut-être voulait-il voir le problème avant de savoir quel outil prendre, après tout ? Faisant une bonne tête de plus qu'elle, il semblait sculpté dans la pierre, et si elle avait été d'humeur, elle l'aurait sans doute inspecté plus en détail, lorsqu'il lui tourna le dos pour s'avancer dans l'allée. Non sans la bousculer légèrement au passage. Elle ne s'en offusqua pas pourtant, confirmant plutôt les pensées allant bon train dans sa tête. Un peu rustre, ou bien maladroit ; il était décidément le plombier, cela ne faisait plus l'ombre d'un doute dans son esprit bourré de préjugés. Et elle referma tranquillement le portail derrière lui, s'élançant à sa suite sur les pavés.

Longeant les arbustes taillés avec soin par leur jardinier, leur tenue stricte réhaussée de ci de là par des rosiers jaunes et blanc ressemblant à une allée d'or et d'argent, elle lui emboîta le pas jusque dans le grand hall. Refermant la porte, elle passa devant lui et avec un sourire, lui fit signe de la suivre dans la première pièce à gauche. Passant le salon des invités, ne prêtant pas attention au fastueux tapis brodé rouge, ramené d'Egypte, ni à la grande cheminée de marbre blanc, ses yeux s'accrochèrent pourtant malgré elle sur ce canapé démesurément long, et blanc. Elle l'avait toujours détesté, contrastant de trop par son allure froide et classieuse avec les grands sofas bigarrés de leur demeure en Orient. Si elle s'installait un jour dans sa propre maison - ou appartement - elle opterait sans nul doute pour une décoration plus colorée, plus boisés ; plus chaleureuse.

Déambulant jusque dans une troisième pièce, elle ouvrit les bras, désignant la cuisine immaculée. Pour l'instant, se dit-elle, sentant qu'il en serait tout autre lorsqu'elle commencerait à mettre la main à la pâte, au sens littéral. « C'est ici ! » signifia-t-elle à son interlocuteur, attendant qu'il s'active. Le voyant immobile, elle précisa, confuse : « Oh pardon.. » Quelques pas plus tard, elle ouvrit un placard et renchérit : « C'est cet évier. Si vous arrivez à le réparer, grand bien nous en fera, il rend ma belle-mère folle de rage à chaque fois qu'elle ouvre le robinet. C'est comme un tuyau d'arrosage mal pressurisé : à peine le robinet tourné, un ronronnement apparaît et elle n'a pas le temps de le refermer qu'une gerbe d'eau l'éclabousse. C'est.. assez drôle à voir, à vrai dire. » Un petit sourire en coin, ne lui laissant pas en placer une, elle précisa : « Ça ne vous dérange pas si je reste à côté ? J'allais commencer à pâtisser... » Elle n'attendit pas vraiment sa réponse, ouvrant un placard en hauteur pour tenter d'en retirer la farine.

Ses doigts hésitèrent, restant quelques secondes à peine en suspens dans l'air, mais elle ne se ravisa pas. Refusant d'utiliser une chaise comme d'ordinaire pour l'atteindre sans remous, son orgueil lui dit qu'elle pouvait le faire sans, surtout devant un invité, quand bien même c'était le plombier. Bien mal lui en pris, car les doigts effleurèrent dangereusement le paquet. Se hissant sur la pointe des pieds le plus discrètement et naturellement possible, refusant d'admettre sa défaite, sa main finit par toucher son dû...maladroitement. Et alors que le paquet tangua et finit par quitter l'étagère, n'importe quelle personne normale aurait écarquillé les yeux, se serait écarté, ou aurait juré. Elle, trop lente, ferma les yeux, les épaules recroquevillées, attendant la sentence que sa vanité avait entraînée. Elle l'avait mérité, quelque part.

@Hoël Quivillic