Il est tôt pour un samedi matin, mais ce n'est pas un rythme inhabituel pour les parents de Staten Island. Et Marisol en tête de liste, toujours affairée entre le travail, les enfants, El Halito, le sport, l'association de parents d'élèves, l'église… Elle a donc appris, il y a bien des années maintenant, que les heures matinales sont les meilleures pour avoir un peu de temps pour soi. Une philosophie soit partagée par son petit frère, soit qu'il a bien voulu mettre en place pour pouvoir passer un moment en sa compagnie. Le connaissant, c'était surtout le seul créneau libre dans son emploi du temps surchargé. Avec les emplois prenants de leurs époux respectifs, leurs propres responsabilités professionnelles, leurs grands (beaux) enfants bien trop cools pour traîner avec eux et le rythme des petits bouts, organiser un repas de famille relève de l'opération militaire.

Thanksgiving s'anticipe avec des Google Forms et des rappels sur le calendrier, en plus de nombreux coups de téléphones et de listes de courses partagées. Un des épineux sujets qu'elle voudrait aborder avec Alejandro d'ailleurs, notamment sur la présence aussi oppressante que silencieuse d'Arturo à New-York. En effet, leur père n'était certainement pas prévu dans leurs calculs pour les fêtes et il semblerait qu'il soit encore dans les parages pour un temps. Evidemment, Marisol en est ravie, voyant là une excellente opportunité pour lui de renouer avec Alejandro mais, aussi et surtout, leur petite sœur. Elle mesure toutefois son optimisme, ne sachant que trop bien combien son père peut être buté. Une caractéristique tristement transmise à toute la fratrie, d'ailleurs. Mais, chaque chose en son temps.

Un mot sur le comptoir de la cuisine, implorant son aînée comme son mari de ne pas se nourrir exclusivement de céréales trop sucrées et leur signalant son retour prochain. Après avoir elle-même manger un copieux mollete, la brune est finalement parée à sortir, avec son legging thermique et son bandeau cache-oreille. Le soleil d'automne est encore de la partie, mais la fraîcheur matinale est piquante, surtout si près de l'océan. C'est en cette saison que Mexico lui manque le plus, ne serait-ce que pour voir le soleil un peu plus longtemps. D'un pas rapide, elle fait un petit détour par Tim Hortons et en ressort avec deux larges gobelets de café, qui ne seront pas de trop.

Comme convenu, elle attend son frère devant l'une des entrées du parc, à un jet de pierre de leurs demeures respectives. Encore une fois, les choix sont plus pratiques qu'autre chose mais cela ne déplaît pas à Marisol, qui aime commencer sa journée avec une petite activité physique, même si ce n'est qu'une bonne marche. Elle aperçoit Alej, après à peine quelques minutes et lève précautionneusement un bras. Il ne peut pas vraiment la rater, la rue est loin d'être bondée, mais une grande sœur ne perd jamais l'opportunité de provoquer une pointe de gêne chez ses cadets « Heeeeeeeey! Coucou Alejandro!! » Elle sourit de toutes ses dents bien blanches, tendant rapidement le café à son frère pour se faire pardonner cette petite scène. « Tiens, pour te requinquer. J'espère que tu n'en as pas déjà bu trois! » Taquine, elle lui donne un léger coup de coude et ajoute, tout en se mettant en route pour leur promenade « Ca va? Les enfants sont en forme? » On a connu plus subtil comme démarche journalistique pour aller à la pêche d'informations sur son neveu, qu'elle n'a pas vu depuis des lustres et qui semblait causer du soucis à Nathaniel. Mais, au moins, elle sait que le message passera.

Les fêtes ne sont jamais sans stress pour Alejandro et si ce n’est généralement qu’un mauvais moment à passer, leurs familles compliquées et recomposées ne sont pas toujours faciles à gérer niveau organisation par dessus le marché. Leur père étant à New York, il faudra bien l’inclure d’une manière ou d’une autre. Il espère cependant que Marisol organisera quelque chose chez elle, il a assez à faire avec la famille de Nate pour être tout a fait honnête. Si Addison a accepté de ne pas faire thanksgiving avec son fils aîné cette année, Noël risque d’être un problème un peu plus épineux avec Théodore dans l’équation.

Le drama Gardner l’occupe suffisamment pour l’empêcher de se focaliser sur Arturo et sur ses propres besoins cependant, une chance... Alejandro fait surtout en sorte que Mat se sente mieux, que l’organisation des fêtes se fasse de la manière la plus pragmatique possible, et l’activité aussi bien physique que cérébrale, lui fait du bien.

Quand il rejoint Marisol, le froid New Yorkais a laissé un voile de buée sur ses lunettes et c’est donc grâce à ses grand signes de reconnaissance qu’il discerne sa sœur avec du café à la main. Bless her.

- J’ai rien contre un quatrième, envoie !

Il n’y a aucun secret à la concentration et à la productivité d’Alejandro Paredes, le café a toujours fait partie de l’équation. Quant à ses enfants, vaste question que celle-ci. Le mexicain sourit cela dit.

- Alors il va falloir être un peu plus précise que ça. Tu parles desquels, car j’héberge une vraie colonie de vacances dans la casa lbgbtq.

Marisol rit un peu en tendant le gobelet en carton à son frère, ne refreinant toutefois pas ses instincts de grande sœur qui s'inquiète de ce qui ne la regarde finalement pas. « Tu sais que 4 cafés par jour c'est sensé être le maximum par jour, pas le point de départ? Tu vas finir par avoir de la tension et des reins de mamie. » Nul doute qu'entre la pression de son job et les tensions familiales qui le tiraillent de tout côté, Alej doit déjà avoir une sacrée tension. Mais bon, l'heure n'est pas à sortir des statistiques d'un article du New-York Times qu'elle a lu la semaine dernière. Même si elle les a sous la main, au cas où.

Les deux Paredes se mettent en marge pour entamer un petit tour du parc, dans la fraîcheur matinale qui couvre encore la ville. La brune adore voir la ville - ou, en l'occurrence, la banlieue - quand elle ne tourne pas encore à plein régime, qu'elle peut encore imaginer le bruit de l'océan et ne pas avoir à subir les trépidations de Manhattan, juste en admirer les contours. Même si elle ne serait pas contre quelques degrés de plus. Son frère lui demande ensuite de préciser sa question, puisqu'il a effectivement transformé sa maison en refuge pour la jeunesse LGBTQ+. Ce qui est tout à son honneur.

Marisol sourit donc et répond « Et bien, tous, tant qu'à faire, on a le temps! » Elle boit une gorgée et ajoute. « J'imagine que ça ne doit pas être facile tous les jours, ça te rajoute beaucoup d'organisation? C'est pas trop compliqué d'avoir du temps pour vous avec Nate? Tu sais, je suis littéralement à deux minutes si tu as besoin de quoique ce soit. Prendre Lily à la maison un weekend ou vous apporter quelques tupperwares, whatever, je suis là. » Encore une fois, l'aînée de la fratrie se sent obligée d'offrir son aide, interférer dans la vie de son petit frère. Peut-être cherche-t-elle à compenser ses années d'absence, surtout avec le retour d'Arturo dans leur vie. Peut-être est-ce simplement dans sa nature. Sans doute un peu des deux. Mais, elle a tout de même appris à se calmer un peu, avec les années. « Je peux aussi me mêler de ce qui me regarde, mais c'est plus difficile. » Elle échange un regard complice avec Alejandro, qui la connaît sans doute mieux que personne. Et il saura donc lui pardonner son excès de zèle. Il n'a pas bien le choix, de toute façon, ce n'est pas maintenant que la journaliste va changer.