Javier aime être sur le terrain, plus que la paperasse. Ça, c’est sûr. C’est ce qu’il se dit en montant dans la ford blanche floquée aux couleurs du NYPD ce matin-là. Avec l’officier qui lui sert de duo pour la journée, ils commencent à patrouiller tôt, très tôt, car il sait qu’il lui faudra encore remplir des satanés rapport et autres formulaires quand la nuit sera déjà quasiment là. Il faut dire qu’il fait nuit à dix-sept heures à peine. C’est l’hiver, ou tout comme. Ce qui veut dire aussi qu’il fait sacrément froid, tellement que la ville s’est couverte d’une neige qui a déjà à moitié fondu en une bouillie dégueulasse. Dans la rue, les vitrines se sont parées de couleurs et de lumières, et tout en regardant le décor, Javier passe en revue sa liste de cadeaux de noël. La plupart sont déjà achetés ou commandés, sa famille étant trop nombreuse (et trop importante à ses yeux) pour se permettre de s’y mettre au dernier moment, mais il en reste encore quelques-uns. Notamment, une lampe Iron man pour un des gamins, et... quelque chose pour son père, il ne sait pas encore quoi. Il songe une énième fois à une boîte de cigarillos, avant de se dire une fois de plus que sa mère va le tuer s’il ose lui prendre ça. Il lui a pris une montre l’année dernière. Un rasoir électrique l’année précédente, à sa demande. Cette fois, il n’a pas d’indication et Noël se rapproche à grand pas.

Il est tiré de ses considérations par le grésillement de la radio. Cambriolage signalé, 10-62 : une patrouille est attendue pour prendre un rapport. Javier écoute les quelques précisions qui suivent, et décroche. « On n’est pas loin, vous pouvez nous montrer en réponse. » Puis il fait signe à son équipier de prendre la prochaine à droite. Heureusement que ce n’est pas pressé, parce que ça bouchonne. Heure de pointe plus neige, même fondue, ne font pas bon ménage. A croire qu’il suffit d’un flocon et ça y est, plus personne ne sait conduire.

Ils arrivent peut-être vingt minutes plus tard à l’adresse indiquée, et se garent à quelques pas de la boutique. Javier remonte le col de son manteau en laine noire en sortant de la ford. En-dessous, il porte son uniforme habituel. Enfin, aussi habituelle que puisse l’être cette chemise blanche qu’il a tant attendue et qui trahit son grade. A ses côtés, l’officier Woods est en noir de la tête aux pieds. Javier lui donne un appareil photo et se rapproche de la porte de la boutique du tailleur. En effet, elle a été fracturée. Salement, même. D’une main, il pousse le chambranle et jette un oeil à l’intérieur. « NYPD. » Il annonce, mais une ombre dans le coin de son regard lui indique que quelqu’un s’approche depuis la rue. Il se tourne légèrement pour observer un machin élancé et pâle, roux. Très très roux. Le tout au bout d’une laisse avec un caniche. C’est la tenue autant que l’air très anglais du type qui lui font demander, « Monsieur Sharp ? » Javier n’est pas certain d’à quoi est supposé ressembler un tailleur, mais s’il devait deviner il dirait peut-être, à ça.

Javier regarde le tailleur s’approcher, ce qui lui donne le temps de le détailler un peu davantage. Peau pâle, cheveux roux balayés par le vent, yeux gris bleus... non, verts. Une mise impeccable, et surtout, l’air passablement contrarié, qui peut bien sûr se comprendre étant donné que sa boutique vient de se faire vandalisée. Le lieutenant acquiesce à la réponse qu’on lui donne, à la fois pour signifier qu’il en prend note et pour le saluer. « Lieutenant Aguilar, et voici l’officier Woods. » Tandis que son collègue prend quelques clichés de la porte fracturée -pour le dossier-, il sort le baratin habituel, sans s’étendre. Ils sont là suite à son appel, blablabla.
Mister Sharp va encore plus droit au but que lui, ce qui n’est pas pour déplaire à Javier, qui répond avec un fin sourire et un hochement de la tête. « En effet, on va en avoir besoin, et des descriptions ou photo aussi si possible. Et vous en aurez aussi besoin pour l’assurance ; Quand elle sera terminée, on vous enverra une copie de la déclaration pour compléter votre dossier, ils vous le demanderont. » Tout en expliquant cela, il lui tend sa carte. Rien de mieux qu’un mail pour un échange de documents. « N’hésitez pas aussi à me contacter si vous pensez à quelque chose qui puisse nous aider. »

A l’invitation du propriétaire, les deux agents entrent, appréciant instantanément la chaleur bienvenue de la boutique. C’est un peu la pagaille, comme bien souvent dans ce type d’affaires, et le tailleurs émet une remarque que Javier prend pour un trait d’humour. « J’en déduis que vous n’avez touché à rien, c’est bien. » il fait un léger tour de la boutique et de l’arrière boutique en silence, son regard se posant ici et là, indiquant par un signe de la main de ne pas oublier de photographier telle ou telle chose à son collègue. Tandis qu’il observe les vases en céramique d’un air dubitatif (sans se douter de leur valeur réelle, mais en se disant que ça doit quand même bien se revendre), l’anglais lui fait part de son désir de rouvrir rapidement. « Vous devrez pouvoir ranger et rouvrir après notre départ. » Ce n’était pas utile de lui faire perdre du chiffre d'affaires pour rien... « On va essayer de travailler rapidement dès que vous m’aurez envoyé votre liste, que vous puissiez aussi avancer avec votre assurance. Par contre je ne vous cache pas que les chances de retrouver les coupables ne sont pas forcément bonnes. Mais on peut espérer qu’ils soient assez bêtes pour essayer de revendre vos items chez un prêteur sur gage du coin. »

Ils feraient aussi le tour des boutiques voisines pour voir si d’autres avaient été visitées cette nuit, si quelqu’un a remarqué quelque chose d’anormal ou s’ils ont des bandes vidéos qui puissent être utiles. On ne sait jamais...

« A priori, vous pensez qu’on vous a volé uniquement de l'argent et d'éventuels petits objets, ou quelque chose d’un peu plus imposant a aussi disparu ? »

Il se demande si les voleurs ont pu aller et venir à pieds ou si leur motorisation est obligatoire. Il ajoute à cela deux trois autres questions, à quelle heure il avait fermé la boutique la dernière fois et à quelle heure il était arrivé ce matin, notamment. De quoi réduire la plage horaire du vol.