March 10th. @Aleksej Svendsen

And the worst of it all, I still believe in you…And these nightmares we’ve kept.
Aleksej me tapote gentiment l’épaule et me fait signe de retirer mon casque, ce que je fais, persuadée qu’il veut me dire quelque chose mais je me trompe. Il me fait signe ensuite d’écouter l’annonce qui est en train d’être faite : nous allons enfin débarquer sur le territoire danois. Copenhague, nous voilà.

Je remets mon casque et ouvre le petit volet de mon hublot. J’ai toujours préféré être côté hublot dans les avions. J’ai besoin de garder un œil sur l’extérieur. Je ne suis pourtant pas particulièrement peureuse ou claustrophobique mais je ne suis jamais tellement à mon aise côté couloir. Nous distinguons enfin des côtés dont je me demande s’il s’agit de celles du Danemark ou de la Suède. Peut-être y a-t-il un peu des deux. Ah oui, c’est bien ça, je vois le pont. Le fameux pont qui lie Copenhague et Mälmo. Ce pont est connu grâce à la série The Bridge qui date d’il y a quelques années. Je m’étais plus ou moins forcée à regarder la première saison pour mon apprentissage du danois mais j’ai vite switché en anglais, tant je ne comprenais rien.

A—S

Pour atteindre Skagen, nous avions deux options : prendre un autre avion et finir en voiture ou, tout simplement, louer une voiture et remonter jusqu’à la ville natale d’Aleksej. Très emballée par l’idée de la seconde option, Aleksej a préféré qu’on prenne un autre avion. Nous rediscuterons de son bilan carbone plus tard, “Monsieur je veux faire des efforts pour la planète”.

La destination de notre avion ? Aalborg, à une centaine de kilomètres de Skagen. Là, Aleksej et moi avons loué une Tesla Model S mais j’ai d’abord demandé au danois de faire une pause pour aller se dégourdir les jambes. Nous avons donc quitté l’aéroport d’Aalborg et sommes partis en ville, pour marcher un peu.

Très vite, je suis fascinée par les bâtiments qui nous entourent, tout étant très différent de ce que nous avons l’habitude de voir aux Etats-Unis. Ayant vécu quelque temps en Europe, je ne suis pas surprise à proprement parler car j’ai conscience des différences de culture entre ici et mon pays mais je n’en reste pas pour le moins charmée. Le Jutland semble être assez incroyable mais Aleksej se borne à me dire que je n’ai encore rien vu. Je veux bien le croire, je ne connais pas du tout son pays.

A—S

Parce qu’il nous reste encore une bonne heure de trajet à effectuer avant d'arriver enfin à destination, nous finissons par quitter Aalborg non sans que je sois d’abord allée acheter un hot dog et des viennoiseries danoises. Oui, en bonne américaine que je suis, je suis également pleine de bons vieux clichés.

Aleksej n’aime pas quand je mange dans la voiture mais aujourd’hui, il ne dit rien. Il sait qu’il n'a pas son mot à dire. J’ai faim et nous venons de faire un très long voyage...Qui n’est même pas terminé.

A—S

Il est aux alentours de 19h30 quand nous arrivons enfin à Skagen. Dire que nous sommes fatigués est un euphémisme mais, au moins, nous l’avons fait. Finalement, peut-être qu’Aleks avait raison. Les cinq heures trente de voiture entre Copenhague et Skagen nous auraient totalement achevés.
Le soleil est déjà couché, je ne peux donc pas voir grand-chose de là où a grandi mon compagnon. Celui-ci me rassure en disant que j’aurai tout le temps de découvrir demain et les jours d’après.

- Ok, j’admets volontiers que je commence à paniquer, dis-je tout en regardant mon reflet dans l’écran de mon  téléphone. “Je ne ressemble à rien et je vais rencontrer tes parents.”

Eh oui, il fallait bien s’attendre à un discours du genre, venant de moi.

indications spatio-temporelles:

March 10th. @Solveig Lazzari

This is it. Assis côté couloir, Aleksej n’avait pas besoin de se pencher beaucoup pour observer les côtes du Jutland qui se dessinait de plus en plus précisément. Dans quelques minutes, leur avion survolerait la ville d’Aalborg, chef-lieu de la région la plus au Nord du Danemark, pour venir se poser dans l’aéroport de la commune. La correspondance à Copenhague s’était faite sans encombres et ils étaient dans les temps. Son regard se posa sur la jeune femme, absorbée dans ses pensées et dans sa musique. Il sourit en réalisant qu’ils étaient bel et bien au Danemark, tous les deux, finalement.

-

En sortant de l’aéroport, ils avaient fait un rapide passage par Aalborg pour récupérer la voiture de location et acheter un bout à manger. Si le décor environnement lui était évidemment familier, il ne pouvait pas s’empêcher de penser que les choses avaient tout de même bien changé en quinze ans. Ou alors les souvenirs s’étaient estompés. Il n’était pas sûr. Mais l’enthousiasme de la jeune femme était communicatif et il se délectait de ses réactions et de sa curiosité. Il ne pouvait cependant pas lui laisser le plaisir de flâner. Ils devaient se mettre en route s’ils voulaient arriver chez ses parents à une heure raisonnable.

-

Il faisait déjà nuit quand Aleksej gara la voiture devant la maison familiale. Il se pencha pour jeter un coup d’œil à travers le pare-brise. Les petites fenêtres de la maison laissait échapper la lumière chaude du foyer. Au-dessus de la porte, balancée doucement par le vent, une petite lanterne éclairait l’entée de la maison. Le Danois retira ses mains du volant qu’il essuya sur son pantalon. Elles étaient moites.

“Tu vas rencontrer mes parents…”

Si Aleksej avait été faussement décontracté pendant tout le voyage, il était à présent arrivé au point de non-retour. Des sentiments totalement contradictoires le traversait. Il prit une grande inspiration et ouvrit la porte de la voiture. On aurait pu croire qu’a passé quarante-cinq ans ce genre de situation devenait plus facile à gérer. Seulement, il n’y avait pas de précédent. Aleksej n’avait jamais ramené de fille chez lui. Lena avait déjà sa place dans leur maisonnée quand il avait finalement commencé à la fréquenter romantiquement.

Ils n’étaient pas tout à fait arrivés devant l’entrée que la porte s’était ouverte sur Ebba Svendsen qui avait ouvert grand ses bras pour accueillir chaleureusement son fils.

“ Min lille en…
- Mom…”

Les longs bras d’Aleksej encerclèrent la petite femme jusqu’à presque la faire disparaître. La matriarche prit le visage de son fils entre ses mains et caressa doucement sa joue. Aleksej qui faisait facilement deux têtes de plus que sa mère semblait rapetisser à mesure qu’elle détaillait son visage. Le regard d’Ebba se posa alors derrière le danois et elle adressa un sourire à la jeune femme en poussant son fils sur le côté.

“Et voilà enfin, la fameuse Solveig… Ne reste donc pas sur le pas de la porte mon petit cœur… Entre !”

Ebba enlaça Solveig à son tour sans vraiment lui laisser le temps de lui demander son avis. Cette femme ne faisait pas dans la demi-mesure, un train de caractère qu’Aleksej avait probablement aussi hérité d’elle. Mais pourquoi le serait-elle ? Après tout, cette jeune femme était la raison qui avait ramené son fils auprès d’elle.

March 10th. @Aleksej Svendsen

Quand je vois les deux danois se retrouver, même mon petit cœur de pierre se fend un petit peu. Cette femme a l’air tellement heureuse de retrouver son petit garçon - même si son petit garçon fait bien deux têtes de plus qu’elle. Son père est-il un géant ?
Tandis que je pensais que les retrouvailles allaient perdurer, je me retrouve attirer dans les bras du même petit bout de femme qui s’occupait de vérifier que son fils allait bien une seconde plus tôt.
Prise de court par un tel élan de familiarité, je me laisse faire comme un petit chiot apeuré. Les danois ne sont-ils pas réputés pour garder leurs distances avec les gens, encore plus avec les étrangers ? Ai-je lu les mauvais livres sur le sujet ?

Je suis poliment Madame Svendsen à l’intérieur, non sans tourner la tête vers Aleksej, déboussolée. Je lui murmure :

- Elle m’a appelée mon ‘petit cœur'.

J’imagine que c’est plutôt bon signe, n’est-il pas ? Elle n’aurait très probablement pas dit une chose pareille si je lui avais fait mauvais effet.
Une fois à l’intérieur, je découvre un intérieur chaleureux mais définitivement très scandinave. Comme dans mes bouquins sur la décoration d’intérieur danoise et suédoise. Je trouve ça beau et comprends beaucoup mieux pourquoi Aleksej aime certaines petites choses dont je ne comprenais rien il y a encore deux ans. Tout est propre mais on sent aussi qu’il y a de la vie, par ici. C’est épuré mais sans que ça ait non plus l’air d’avoir été victime de la technique Marie Kondo, si chère aux yeux des Américains maintenant alors que nous ne sommes pas capables de tenir nos bonnes résolutions plus de deux jours.

March 10th. @Solveig Lazzari

Si Aleksej était un homme plutôt réservé et se montrant peu expansif en société, les choses étaient différentes à Skagen. Une fois la porte de l’entrée franchie, le Danois changeait de casquette, qu’il le veuille ou non. Peu importait son statut, peu importait le salaire qu’il gagnait, peu importait l’armure qu’il s’était forgé durant toutes ces années, ici il n’était plus que le fils d’Ebba et Anders, quatrième de sa position. Il ouvrit grand les yeux et se crispa légèrement en voyant sa mère accueillir Solveig avec tant de familiarité. Il l’avait pourtant prévenu au téléphone, qu’il y aurait des choses à ne pas faire, des sujets à éviter.

Si les Danois étaient connus pour leur grande pudeur et une certaine introspection, cette règle n’avait pas lieu d’être dans cette maison. Dans le cadre stricte de la famille, les Svendsen avait toujours été des gens très chaleureux et relativement tactiles. Et aussi étonnant que cela puisse paraître, c’était Anders Svendsen qui avait insufflé cette habitude de tendresse à sa famille. Peut-être parce qu’il avait été souvent absent, passant parfois plusieurs jours d’affilés en mer. Peut-être parce qu’il était le père de quatre filles.

La dureté de la vie de pêcheur ne passait pas le seuil de leur maison. Et pour Ebba qui avait dû regarder partir son mari chaque jour, chaque semaine, sans jamais être complètement sûre qu’il rentrerait, la tendresse des bras de ses enfants étaient un refuge, le seul réconfort.

Aleksej esquissa une pointe de sourire face à une Solveig décontenancée. Il posa ses mains sur les épaules de la jeune femme en signe d’encouragement et l’incita à retirer son manteau. Tout en retirant ses chaussures, son regard avait scruté les environs.

“Far er ikke her…”
- Il est parti en mer cet après-midi… Il ne devrait plus tarder. Rul ikke øjnene ! Ne lève pas les yeux au ciel. Il voulait pêcher quelque chose de spécial pour le repas de ce soir.
“Ja, ja…”

Ebba ignora son fils pour se tourner vers la jeune femme. Dans son anglais le plus distingué, elle lui demanda comment c’était passé leur vol et si c’était la première fois qu’elle voyageait en Europe. Elle envoya Aleksej chercher leurs affaires pendant qu’elle fit faire modestement le tour de la maison à Solveig. Le Danois avait adressé un sourire à la jeune femme, sous-entendu qu’il ferait vite. Du moins c’est ce qu’il avait essayé de lui faire comprendre. Il ne voulait pas qu’elle se sente mal à l’aise et surtout, il n’était pas sûr de vouloir laisser ses deux femmes ensemble, seules.

Une fois de retour dans la maison, Ebba leur proposa de monter s’installer et se rafraîchir un peu pendant qu’elle finirait le dîner. Aleksej la remercia et la serra une nouvelle fois dans ses bras avant de l’embrasser sur le front. Toutes ces années sans ce contact avec sa mère de l’avait pas laissé tout à fait indemne, mais pourtant il se revoyait aujourd’hui comme si c’était hier. Tout en montant les valises au premier étage, il se tourna vers Solveig qui le suivant, un petit sourire malicieux accroché aux lèvres.

“Ta chambre est juste là et la mienne sera au bout du couloir…”

March 10th. @Aleksej Svendsen

Devoir visiter la maison avec, pour seule hôte, la mère d’Aleksej me fait un peu peur mais très vite, je réalise que cette femme est douce comme personne. Faisant quelques centimètres de moins que moi, je ne peux pas dire qu’elle n’en mène pas large pour autant. Cette femme a de la contenance et il est évident qu’elle sait qui elle est et ce qu’elle a à faire dans la vie. Elle prend le temps de me parler dans ma langue natale, ce qui me touche. J’ai parfaitement conscience que les Danois parlent, pour la plupart, très bien anglais mais il est important de ne pas oublier que cela leur demande une dépense intellectuelle qui, selon le moment de la journée, peut être plus ou moins importante. Voilà pourquoi je suis reconnaissante à l’égard de Madame Svendsen.

- Vous avez une maison magnifique, dis-je avec sincérité après qu’elle m’ait fait faire le tour et que nous soyons de retour dans l’entrée où l’on retrouve Aleksej.

Aleksej prend sa mère dans les bras et lui embrasse le sommet de la tête, cela étant évidemment dû à leur différence de taille. Puis, le Danois m’emmène à l’étage pour que nous puissions nous rafraîchir comme l’a gentiment proposé Ebba Svendsen. C’est sans poser de questions que je suis l’homme jusqu’à ce que nous arrivions dans un couloir avec plusieurs portes.

“Ta chambre est juste là et la mienne sera au bout du couloir…”

Tandis que j’observais les lieux autour de moi, ma tête se tourne brusquement vers Aleksej. J’ai dû mal comprendre ce qu’il vient de me dire, donc je lui demande de répéter.

- Quoi ?

March 10th. @Solveig Lazzari

Il était très tentant de continuer ce petit jeu-là, de prétendre que tout Danois respectable mettait un point d’honneur à observer les traditions. Mais après une journée de voyage, plus le jetlag, était-ce bien judicieux de jouer avec les nerfs de la brunette qui était déjà dans un certain état de tension ? Il se contenta de lâcher un petit rire niais, satisfait de l’effet de sa blague.

“Je plaisante, Elskede…”

Il l’entraina à sa suite dans une petite chambre aux murs bleu foncé. Les deux lits qui s’étaient trouvé là jadis avait été réunis pour n’en former plus qu’un. Au mur, un encadrement d’une photo du phare de Skagen, très simple et dont se dégageait une certaine tranquillité. Le Danois parcouru la chambre du regard emprunt d’une certaine nostalgie. Nombreux étaient les souvenirs liés à cet endroit. Et même si l’on ne pouvait pas deviner au premier abord qu’elle avait été le théâtre de leur enfance, de leur adolescence, elle gardait encore des traces imperceptibles de leur passage. Une punaise qui avait été oubliée sur un mur à l’endroit où Aleksej épinglait des photos de grandes villes découpées dans des magazines ou des extraits de livre qu’il avait recopié.

Ses doigts passèrent sur un accro présent sur l’embrasure de la porte et suivirent ensuite une série de traits dessinés au crayon qui indiquaient années après année la taille des enfants Svendsen. Il se retourna vers Solveig et lui adressa un sourire timide. Revenir dans cette maison après autant d’année était plus poignant que ce qu’il s’était laissé porter à croire. Et soudain, la présence de la jeune femme dans ce lieu était intimidante.

“Tu veux te doucher avant le repas?”

March 10th. @Aleksej Svendsen

- Tu as vraiment un humour bizarre, lui dis-je en guise de réponse à sa plaisanterie absolument pas drôle. Il m’a fait peur, ce crétin. Après tout, il pourrait y avoir des règles particulières dans cette maison.

Nous entrons dans la chambre qui a, pendant longtemps, été la chambre à coucher du jeune Aleksej Svendsen. Dieu sait ce qui a pu se passer dans cette pièce. Je ne suis pas certaine de vouloir le savoir.

- Ce serait sympa, oui. Mais vas-y d’abord toi, si tu veux. Je vais me poser sur le lit un instant, si ça ne te dérange pas.

Je sais qu’il va me trouver particulièrement calme et avenante. Non pas que je ne le sois pas d’ordinaire mais pas à ce point, pas quand nous ne sommes que tous les deux. Il doit sentir mon malaise. Je vais avoir besoin d’un peu plus d’un tour de la maison avec sa mère pour me sentir à mon aise, ici. Ce n’est jamais évident de rencontrer la famille de son petit-ami. Parce qu’au final, c’est ce qu’Aleksej est pour moi, non ?

- Laisse les valises, je peux m’en occuper. Prends juste ce qui te sera nécessaire pour la douche.

Maman Solveig, le retour. Je suis décidément incapable de me contrôler de ce côté-là, peu importe que je sois à New York ou au Danemark.

A peine le Danois est-il parti se laver que je commence à explorer les lieux. Il est évident que j’ai besoin de savoir où j’ai mis les pieds.
C’est une chambre d’ado mais son contenu m’intéresse. Étrangement ou non, vu ma curiosité habituelle, j’ai remarqué des boîtes avec des noms dessus. Aleks, Mia (sa plus jeune soeur), Rebecka et…
Mon sang ne fait qu’un tour en lisant le nom de Lena, l’ex-femme d’Aleksej. Elle me poursuivra partout, il va falloir me faire une raison. Je ferme les yeux et sens mes bras se hisser d’aventure à aller attraper une des boîtes. Mon courage (ou ma trouillardise) m’amène à prendre celle de la fille d’Aleksej. C’est étrange mais j’ai parfois l’impression que des choses me ramènent à elle alors que je ne l’ai évidemment pas connue. Je ne saurai pas me l’expliquer. J’aime en savoir davantage sur la petite fille qu’elle a été un jour.
Cela étant, je ne devrais probablement pas être en train d’ouvrir cette boîte mais une petite voix intérieure m’oblige à le faire. Comme si le contenu de cette boîte allait m’aider à comprendre certaines choses, à faire la lumière sur ma relation amoureuse et sur ce que je pourrais offrir à Aleksej à l’avenir.

A peine ai-je ouvert que je le regrette. Je ne devrais pas faire ça. C’est une vie qui ne m’appartient pas, des souvenirs dont je ne saisis ni la force ni l’importance. Malheureusement, ma curiosité m’empêche de faire marche arrière si bien que je commence à regarder ce qu’il y a dedans. Je trouve d’abord une paire de petits chaussons qui devaient, sans nul doute, appartenir à Rebecka quand elle n’était encore qu’un bébé. Je les pose à côté de moi et continue mon inspection. Des coquillages, des dessins...jusque là, rien de très surprenant. Tous les enfants vivant en bord de mer ont probablement des coquillages chez eux et pour ce qui est des dessins, c’est un basique de l’enfance. Même moi, j’en faisais, c’est dire si c’est classique. Finalement, mes doigts viennent trouver ce qui ressemble à une mèche de cheveux. Pour le coup, je ne suis pas certaine de comprendre ce que cela fait ici mais je décide de ne pas trop me poser de questions.

Contrairement à ce que je pensais, je ne trouve rien de particulier dans la boîte portant le nom de la petite fille d’Aleksej. Je range proprement son contenu à l’intérieur et repose la boîte là où je l’ai trouvée précédemment. C’est en la rangeant que mes doigts frôlent par inadvertance la seule boîte dont je crains véritablement le contenu. Mes yeux se ferment tandis qu’un combat terrible se joue dans ma tête.

Ne fais pas ça… Mais tu en rêves… Tu ne veux pas savoir !... Bien-sûr que tu veux savoir, tout le monde voudrait savoir…

Finalement, les bruits extérieurs à la chambre me ramènent au présent et me préservent encore un peu. Oui, un peu, car je sais qu’un jour, avant notre départ, j’ouvrirai cette fichue boîte.

- La douche était bonne ? demandai-je à Aleksej qui entre dans la pièce.

C'est à peine que j'ai posé la question que je remarque les yeux d'Aleks venir se poser sur nos valises qui n'ont pas bougé. Evidemment, quand on joue les fouines, on a pas le temps de ranger... Bravo, Solveig.

March 10th. @Aleksej Svendsen

Aleksej n’avait pas moufté quand Solveig l’avait envoyé prendre sa douche. Il laissait le filet d’eau couler sur son visage un long moment. Se retrouver ici, dans cette petite salle de bains, lui semblait irréel. Comme si une éternité était passée depuis la dernière fois qu’il était ici. Une vie en tout cas s’était achevée et une autre commençait tout juste. Le Danois ne traîna pas trop. Il ne voulait pas laisser Solveig toute seule trop longtemps. Il ne pouvait pas imaginer dans quel état d’esprit elle se trouvait, bien qu’il s’en fasse une petite idée. Il commençait à la connaître.

Et il y avait cet autre sentiment. Une vulnérabilité profonde. Ouvrir une nouvelle porte et la laisser voir une autre partie de lui. Savoir qu’à la seconde où ils rejoindraient ses parents au rez-de-chaussée, il n’aurait plus le contrôle sur rien. C’était terrifiant. Mais existant aussi. Parce que ce qu’il désirait le plus, c’était que le lien qui se nouait entre elle et lui se renforce toujours plus. Il voulait être de ces couples qui se comprenaient d’un seul regard. Il voulait en finir avec les explications, qu’elle sache qui il était, qu’elle le voit.

En revenant dans la chambre, il trouva une Solveig qui semblait perdue dans ses pensées. Il l’attira vers lui et frotta doucement son nez contre celui de la jeune femme avant d’embrasser la commissure de ses lèvres. Encore un endroit qu’il chérissait particulièrement, là où se trouvait son grain de beauté et là aussi où se marquait le début de sa pommette quand elle souriait.

“Je sais que tout ça te met mal à l’aise, j’en ai bien conscience… Rassure-toi, je n’en mène pas plus large… C’est la première fois que je ramène une fille à la maison, alors… hum… Mais tout va bien se passer. Toi et moi, on est dans le même bateau…”

March 10th. @Aleksej Svendsen

- Ce n’est pas que ça me met mal à l’aise. Disons plutôt que je ne voudrais pas faire mauvaise impression auprès de tes parents. Ils ne me connaissent qu’au-travers de ce que tu as pu leur dire à mon sujet et je sais que tu n’es pas toujours objectif à mon sujet. J’ai juste un peu peur que tu leur aies tiré un portrait un peu trop idéal de moi, si tu vois ce que je veux dire.

Le pire c’est de ne pas savoir exactement ce qu’ils savent déjà à mon sujet. Sont-ils au courant pour le cancer ? Savent-ils que je ne donnerai jamais d’enfants à leur fils ? Que savent-ils de ma propre famille, de mes liens si compliqués avec ma mère ? Il est évident que je n’entretiens pas du tout la même relation avec elle qu’Aleksej a avec la sienne. S’ils savent, le voient-ils d’un mauvais œil ? Et puis, que pensent-ils du seul fait que je ne sois pas danoise mais que je sois américaine ? Croient-ils que je manque d’humilité ? Je sais combien les danois détestent les gens qui se pensent au-dessus des autres.

- Et s’ils ne m’aimaient pas ?

La question peut paraître un peu ridicule mais pourtant, je la trouve valable. Si ses parents ne m’aiment pas, je ne saurai pas quoi faire. Surtout quand on sait ce que j’ai en tête depuis quelques semaines maintenant.

March 10th. @Aleksej Svendsen

Aleksej regarda autour de lui de manière évasive. Est-ce qu’il avait une image de Solveig objective ? C’était évident que non. Mais elle était subjective à sa manière et sa mère savait lire entre ses lignes. Même après des années de silence radio et une absence de pas loin de quinze ans. Depuis qu’il était avec Solveig, il avait repris peu à peu le contact avec sa famille. Du moins, avec sa mère. Le décès du père de la jeune femme et ses difficultés à travers son deuil lui avait tiré sur sa propre sonnette d’alarme.

Et peut-être aussi que malgré tout, l’influence de la brunette sur sa vie le poussait à des changements de perspectives. Il s’ouvrait un peu plus aux autres.

“Tout ce que j’ai pu dire à ma mère, ce n’est que la stricte vérité. Ma vérité en tout cas… Et elle le sait. C’est le genre de femme à se faire sa propre opinion. J’avoue que je dois probablement lui raconter plus de choses que ce que je ne le prévois, mais elle a un certain talent pour mettre le doigt sur les choses… J’ai toujours pensé qu’elle était un peu sorcière... “

Ebba Svendsen puisait sa force dans sa capacité d’écoute et dans un don à lire les gens sans pareil. Même à son âge, Aleksej se laissait toujours encore avoir par sa mère qui menait toujours les discussions en vous faisant croire que vous aviez le contrôle. Et elle connaissait son fils par cœur. Chacune des inflexions de sa voix, les silences qu’il laissait s’installer. Ce n’était pas tant ce qu’Aleksej lui disait, mais la façon dont il le faisait.

“Elle m’a appelé après que tu sois partie…”

Aleksej faisait allusion à leur “break”. C’était toujours un peu douloureux d’en parler même s’ils avaient depuis réglé une partie de leur problème et que cet épisode était à présent derrière eux.

“Je n’ai pas eu le cœur ni le courage de lui expliquer la situation, mais elle a tout de suite compris qu’il se passait quelque chose. Elle m’a appelé tous les jours ensuite et j’ai fini par lui dire la vérité… le break… l’opération…”

March 10th. @Aleksej Svendsen

Tout en l’écoutant, j’acquiesce simplement, comprenant que la mère d’Aleksej en sait beaucoup plus sur moi que ce que je croyais. Même si ce n’est pas facile et que le sujet mettra probablement pas mal de monde mal à l’aise, je suis soulagée qu’on soit au courant concernant ma maladie. Au moins, il n’y aura pas de questions sur la raison de notre absence pendant les fêtes de fin d’année 2020. Je n’oublie pas que nous étions censés nous trouver ici pour Noël. Ca n’aura pas été faute de demander à Aleksej de voyager malgré l’opération chirurgicale mais l’homme a refusé vivement en disant que cela n’était pas raisonnable. Aujourd’hui, j’admets volontiers qu’il avait raison, je n’avais certainement pas assez de force pour supporter un vol de huit heures.

Je lui tapote gentiment le bras et lui lance un regard sévère.

- Ne traite pas ta mère de sorcière. Elle a l’air d’être une femme formidable et pleine de bon sens.

Ma main vient se glisser dans la sienne tandis que je prends une grande inspiration.

- Allons-y, il est temps que je rencontre officiellement tes parents, Aleksej Svendsen.

De toute façon, il va falloir que je me lance dans la gueule du loup, j'en ai parfaitement conscience. Et puis, vu Ebba Svendsen, je me dis que son mari doit être du même genre : calme, tranquille. Je ne risque pas grand-chose. N'est-ce pas ?

March 10th. @Aleksej Svendsen

Aleksej serra doucement les doigts de Solveig et vint loger son visage dans le creux de son épaule l’espace de quelques instants. Simplement pour se rappeler qu’il avait toujours un endroit sûr où se réfugier, peu importait où il se trouvait, et c’était avec elle. Si le Danois était soucieux que les premiers pas de Solveig au sein de la famille Svendsen se passent sans anicroches, il était plutôt confiant sur ce point là. Solveig ne voyait pas toujours en elle ce que lui voyait mais il n’avait aucun doute sur le reste de sa famille.

Pourtant, il sentait son estomac se nouer. Et s’il avait du mal à l’admettre, il savait pourtant très bien quelle était la cause de son malaise. Cela faisait plus de 15 ans qu’il n’avait pas croisé la route de son père, ou bien même adressé la parole. La dernière fois, il était encore marié. Rebecka était encore en vie. Il se refusa à laisser ce genre d’agitation troubler les présentations avec Solveig. Il lui sourit et l’entraîna a sa suite. En descendant l’escalier, il pouvait entendre la discussion en danois qui s’élevait de la cuisine et les premières effluves d’un repas qui s’annonçait plaisant. Ces odeurs, c’était toute son enfance et tous les moments qu’il avait passés dans cette cuisine avec sa mère.

Au moment de passer le pas de la porte de la cuisine, ses doigts s’esquivèrent de la main de Solveig. Comme un réflexe involontaire. Ses épaules se tendirent, un voile neutre glissa sur son visage. Ebba les invita à entrer dans la cuisine et à s’installer chaleureusement, mais elle s’adressa surtout à Solveig. Son enthousiasme et sa bienveillance avait quelque chose de communicatif. Elle avait un don pour mettre les gens à l’aise mais cela ne s’appliquait pas à Aleksej, pas en présence de son père.

Ce dernier affairé au fourneau à la préparation de son poisson se retourna et observa la jeune femme avec attention avant de tourner son regard sur Aleksej. Le genre de regard qu’il ne pouvait soutenir. Depuis longtemps, Aleksej vivait avec le sentiment que tous les regards de son père n’était que jugements. Sans même adresser une parole, il lui ôtait tout pouvoir. C’était un sentiment terrible, l’impression d’être à nouveau ce petit garçon de dix ans, complètement impuissant. L’impression que quoi qu’il fasse, il ne serait jamais à la hauteur des attentes de son père.

A : Voilà donc la mystérieuse jeune femme qui a fait descendre celui-là de sa tour d’ivoire…

Le Danois n’évoquait jamais son père. Et pour quelqu’un qui n’était pas Aleksej, c’était un homme relativement jovial, cultivé et aimant. La mâchoire serrée, Aleksej se contenta de les présenter vaguement tout en faisant le tour de la table, comme pour mettre un maximum d’espace entre son père et lui.

“Solveig… mon père…”

Anders dont l’attention était à présent porté sur la jeune femme ne s’attacha pas au comportement d’Aleksej.

A : J’espère que vous aimez le poisson. Je suis allé pêcher celui-là exprès pour l’occasion.
E : Je me suis dit que vous préféreriez quelque chose de simple après un si long voyage… Et comme Aleksej m’a dit que tu ne mangeais pas de viande.

Et le couple continua comme ça pendant plusieurs minutes, ne laissant absolument aucune place à Aleksej ou à Solveig pour en placer une. Anders présenta quelques-uns des Ebba’s Finest qu’il fit goûter à la jeune femme. Oeufs de morue, harengs marinés et autre petites douceurs du genre. Au grand soulagement d’Aleksej, les Rødspættefilet furent rapidement prêts et servis.

March 10th. @Aleksej Svendsen

Aleks n’a pas fait mystère de ses relations tendues avec son père. N’étant pas à ma place pour le juger à ce sujet, je n’ai jamais posé de questions. J’appréciais les rares fois où l’homme venait se confier à moi vis-à-vis de la situation mais ça s’arrêtait là. Alors, quand les deux hommes se voient pour la première fois depuis quinze ans, je ne suis nullement surprise de l’air subitement lourd.

- Bonsoir, dis-je très poliment avant que l’homme ne parle de moi en tant que “la mystérieuse femme”.

Parce que je suis qui je suis, impossible pour moi de retenir un sourire en entendant dire cela. On peut dire que j’ai un certain pouvoir sur Aleksej, c’est vrai mais comme l’inverse l’est également.  

J’acquiesce poliment en entendant Anders Svendsen me demander si j’aime le poisson. Evidemment. J’adore ça, même. Pour être tout à fait honnête, c’est grâce à Aleksej que j’ai d’autant plus appris à apprécier ce met-là. Avant, je ne le cuisinais pas très bien mais depuis qu’Aleks et moi sommes ensemble, c’est une autre histoire.

Très vite, je prends conscience que je n’aurai pas de suite l’occasion de parler car les parents d’Aleksej n’arrêtent pas de parler. Je ne m’en plains pas, j’adore écouter les autres. Je me laisse guider et apprécie grandement les découvertes culinaires aux côtés d’Anders Svendsen.

- Det er godt!
A : - Snakker du dansk?
- Pas...enfin...un peu ?

L’homme affiche un sourire au coin des lèvres, visiblement amusé de ma tentative.

E : - Ne te tracasse pas, Solveig. Nous parlerons anglais en ta présence.

Je sens le rouge me monter aux joues et je n’en suis pas fière. J’espérais que mon niveau de danois serait suffisamment bon pour notre rencontre mais je me suis voilée la face, le danois est une langue trop difficile pour oser penser que je saurai la maîtriser en moins d’un an.

March 10th. @Solveig Lazzari

Le menton posé au creux de sa paume, Aleksej observait son père du coin de l’œil. Évidemment, il était crème avec la jeune femme qui semblait apprécier l’accueil que lui avait réservé le patriarche. Un sourire un coin se dessina sur les lèvres du danois en entendant la jeune femme s’essayer au Danois. Il était fier comme un camion, cela valait sans dire. Même si Solveig ne maîtrisait pas parfaitement la langue, le simple fait qu’elle est décidé de s’y mettre représentait déjà énormément pour lui. Et il savait que ça ne laisserait pas ses parents indifférents.

En voyant les pommettes de la jeune femme virer au rose, il caressa discrètement son genou sous la table et lui sourit tendrement. La tension du premier contact commençait à retomber doucement. Quand le dîner fut servi, ce fut au tour d’Ebba de reprendre la parole et d’entamer la discussion avec la jeune femme. La mère de famille savait s’y prendre et quel meilleur sujet de discussion que la nourriture pour briser la glace ? Toutes les deux parlèrent de ce qu’elles aimaient manger ou cuisiner, tandis que les deux hommes entamait leur dîner silencieusement. Aleksej avait décidé de ne pas laisser sa relation avec son père entacher cette première rencontre.

Il se concentra sur les deux femmes. Sur les sourires qu’elles échangeaient. Ce n’était pas très difficile, il adorait manger et il adorait la cuisine. Il pouvait difficilement se trouver dans une situation plus propice et aussi intéressante que d’écouter sa mère avec qui il avait appris à aimer faire la cuisine et sa petite amie pour qui et avec qui il aimait cuisiner. Cette première soirée était plutôt facile et il remercia mentalement sa mère pour être capable de faire preuve de tant de bon sens en décidant de choisir ce sujet-là. Un sujet où il n’y avait pas de réel jugement, tous les goûts étant dans la nature.

Une fois le dessert prit, Anders prit congé de la petite table et Aleksej et Solveig restèrent encore un moment à table avec sa mère, le temps d’un dernier café. Mais pour eux aussi, la journée avait été longue et le danois commençait à accuser la fatigue.

March 10th. @Aleksej Svendsen

C’est à une heure plutôt avancée de la soirée que je commence seulement à réaliser que je m’étais mise une pression absolument monumentale pour rien. Les parents d’Aleks sont tout à fait adorables et j’aime particulièrement le côté ténu de la matriarche. A l’écouter s’adresser à moi, il est évident qu’elle ne me veut aucun mal et, qu’au contraire, elle souhaite que je me sente le plus à l’aise possible ici, parmi eux. Pour ce qui est du père, Anders, je comprends vite que je vais avoir besoin d’un petit peu plus de temps pour le cerner. Cela n’en fait pas moins un homme tout à fait charmant même si on remarque vite certains traits dominants chez le marin-pêcheur : un peu dur et caractériel. Une longue vie de labeur a sans aucun doute forgé un homme à la carapace parfois difficile à percer. Une femme, cependant, s’y est risquée et semble avoir bien réussi : son épouse. Ces deux-là s’aiment, il n’y a nul doute à ce sujet. Au fond de moi, j’espère qu’Aleks et moi serons comme cela à l'orée de nos vieux jours.

- Merci infiniment pour votre accueil et votre gentillesse à tous les deux ce soir, dis-je à Ebba, Anders nous ayant quitté un peu plus tôt, sans doute agacé de devoir rester à table plus longtemps que de coutume. “Sans parler de l’anglais… J’ai commencé des leçons de danois il y a plusieurs mois déjà mais je suis encore très loin d’avoir un niveau conversationnel, malheureusement.”

Je me tourne vers Aleks et lui adresse un sourire chaleureux, comme pour lui faire comprendre que tout va bien de mon côté et que cette soirée peut prendre fin quand il le décidera.

March 10th. @Aleksej Svendsen

Aleksej retourna son sourire à Solveig et caressa sa nuque avec tendresse. Maintenant que son père n’était plus dans les parages, montrer son affection à la jeune femme n’était plus un problème. Surtout pas avec sa mère. S’il y avait bien quelqu’un qui savait à quel point le Danois avait besoin de contact c’était bien elle. Ebba n’avait jamais jugé son fils sur quoi que ce soit, ni jamais essayé de le raisonner sur les choix de vie qu’il faisait. Une fois leur café terminé, il aida sa mère à débarrasser les tasses et tendit finalement sa main à Solveig.

Si la tension de départ était rapidement tombée et que la soirée avait été plutôt plaisante, il n’en restait pas moins fatigué par le voyage. Il souhaita bonne nuit à sa mère et la remercia pour le dîner avant d’entraîner Solveig à sa suite. Une fois dans leur chambre, il ferma doucement la porte et se laissa tomber sur le lit en soupirant de soulagement. Il n’avait pas de doute sur le fait que sa mère apprécierait Solveig, quant à son père, il ne s’intéressait pas vraiment à son avis. Du moins, c’est ce qu’il essayait de se répéter. Quoi qu’il en soit, le feeling était passé et il en était ravi.

Il savait qu’il ne s’agissait que d’une soirée et qu’il y avait encore une semaine à passer au sein de sa famille, mais il se sentait plutôt confiant et il n’avait pas vraiment envie de penser à l’arrivée de ses sœurs en fin de semaine. L’idée de se retrouver avec toutes les quatre le tendait littéralement. L’idée de se retrouver avec Mia produisait en lui un sentiment mitigé. Il aimait ses sœurs, évidemment, mais il connaissait aussi leur tendance à mettre leur nez dans les affaires des autres. Dans ses affaires à lui.

“Bon… Ce n’était pas si terrible, hein ?”

Il s’assit sur le lit, tira la jeune femme vers lui, et passa ses bras autour d’elle tout en cala sa tête contre son ventre. Il avait besoin de ce cours instant de tendresse. De la sentir contre lui. De retrouver le calme et la sérénité qu’elle lui apportait. Juste elle et lui dans leur petite bulle.

March 10th. @Aleksej Svendsen

- Loin de moi l’envie de me vanter mais j’ai l’impression que tes parents m’aiment bien, dis-je en m’asseyant sur le lit d’Aleksej une fois arrivés dans sa chambre.

Cette soirée s’est bien mieux passée que ce que j’avais osé imaginer. Dans mon esprit, cette rencontre allait être un pur désastre tant les Danois et les Américains sont différents. Nous autres, les Américains, nous sommes souvent réputés pour nos “grandes gueules” et le fait de n’avoir aucune limite dans nos sujets de conversation. Aussi, nous sommes souvent ultra dévoués aux causes chères à nos cœurs.  Là-dessus, je me reconnais vis-à-vis de mon engagement envers les femmes.

- Il semblerait que je ne me sois pas trop mal débrouillée.

Exactement. C’est ça le delta que je n’avais pas prévu : le fait de réussir à me dépatouiller de façon à ce que mes beaux-parents n’aient pas une première image de moi qui se voudrait négative. J’ai su tenir ma langue et répondre aux questions qu’on me posait tout en m’assurant que je n’en faisais pas trop.

Demain sera une journée plus sereine pour moi, je le sais très bien et il est possible que je sois aussi “plus moi” de façon générale. Maintenant que je sais à qui j’ai à faire, les choses seront plus faciles.

- Est-ce qu’on parle de cette ambiance morose entre ton père et toi ou on laisse ça pour une autre fois ?

Je lui caresse les cheveux en lui posant cette question dont je sais qu’il y très peu de chances qu’Aleks me réponde positivement.  

March 10th. @Aleksej Svendsen

Blotti contre la brunette, Aleksej ne put s’empêcher de sourire en l’entendant dire qu’elle ne s’en était pas sorti. Non pas qu’il en ait jamais douté. C’était plutôt l’inverse qui l’inquiétait. Il était content que Solveig se sente accueilli avec bienveillance. Il pouvait deviner au son de sa voix qu’elle était rassurée à présent. Et lui aussi. Il ressentait également une pointe de satisfaction et même s’il n’était pas tout à fait prêt à l’admettre, une certaine fierté. Il savait au fond de lui que l’avis des siens comptait plus qu’il ne l’aurait souhaité. Mais il savait également qu’à ce stade de leur relation, il ne ferait plus machine arrière. Peu importait ce que les gens en pensait, au fond, ça lui était égal. C’était elle. C’était la femme de sa vie.

“Tu t’en es parfaitement sortie. Mais je n’avais aucun doute là-dessus. Qui pourrait ne pas t’aimer… Même moi je suis tombé sous ton charme alors que bon… La partie n’était pas gagnée d’avance…”

Il releva la tête vers elle un sourire espiègle sur les lèvres. Il aimait bien la taquiner avec ça et elle commençait à se détendre un peu quand il en parlait. Bien évidemment, il avait prévenu sa mère que c’était un sujet qui ne serait pas mis sur la table et qu’elle devait prévenir ses sœurs que c’était une limite à ne pas franchir. Il espérait juste que sa mère avait encore assez d’autorité sur ses aînées pour leur faire tenir leur clapet. Son visage se rembrunit quand Solveig aborda les rapports glaciaux qu’entretenaient Aleksej et Anders. Il enfouit à nouveau son visage contre elle.

“Tout le monde n’est pas fait pour s’entendre… Mais je ne te ferais pas la tête s’y tu t’entends avec mon père… C’était plutôt judicieux de sa part de porter son attention sur toi plutôt que sur moi…”

Aleksej se laissa tomber en arrière, attira la jeune femme contre lui et la serra dans ses bras. Si tout c’était bien passé, il y avait quand même eu la peur et le stress de l’incertitude. Mais il était là à présent, à Skagen, dans la maison où il avait grandi, dans la chambre qui avait abritée son enfance et si sa première impression avait été étrange et déstabilisante, à cet instant précis, il était juste heureux d’avoir la chance de pouvoir partager ça avec elle durant ces quelques jours.
 

March 10th. @Aleksej Svendsen

Je me retiens de faire le moindre commentaire suite à ce qu’il vient de dire, je sais qu’il cherche juste à me taquiner mais vu l’heure et ma fatigue, je ne vais pas rentrer là-dedans. Un autre jour, peut-être. Nous sommes connus pour être constamment en train de nous rentrer dedans (avec beaucoup d’amour, toujours).

Là encore, quand Aleks me fait gentiment comprendre que nous ne parlerons pas de son père et, surtout, de sa relation avec lui, ce soir, je ne cherche pas à aller contre lui. Aleks sait que je ne suis pas du genre à essayer de me mêler de la vie des autres sans leur accord et ce, même s’il est question de mon compagnon. Je suis attristée de constater que les deux hommes ne sont pas comme les deux doigts de la main mais il me semble ne pas en savoir encore assez sur le sujet pour me faire une opinion plus définitive.

- On en parlera une autre fois, je ne veux pas te contrarier, en particulier ce soir. Qu’est-ce que tu dirais que j’aille prendre une douche et qu’on se couche tranquillement ensuite ?

Et oui, tout à l’heure, finalement je n’ai pas pris le temps de prendre une douche après Aleksej. Ma curiosité trop imposante dans mon esprit m’a fait farfouiller dans des boîtes qui ne me regardaient pas, ce qui n’est vraiment pas malin de ma part; je dois le reconnaître. Malheureusement, il y a toujours cette fichue boîte avec le nom de l’ex d’Aleks dessus. Elle m’appelle. Son contenu m’attire alors que je n’ai aucune idée de ce que je pourrais trouver à l’intérieur de celle-ci. Au fond, peut-être n’y a-t-il rien d’intéressant du tout. Peut-être me suis-je fait des films à son sujet. Ça, ça me ressemblerait bien.

March 10th. @Solveig Lazzari

Aleksej acquiesça en poussant un long soupir de fatigue. Il était heureux que cette journée s’achève enfin même si tout s’était très bien passé. Maintenant que la pression était redescendue, il pouvait sentir le contre-coup de la journée. Son corps se laissa aller à une douce mollesse, permettant également à ses muscles de se décontracter. Une fois Solveig partie pour la salle de bain, il enfila rapidement des vêtements pour passer la nuit et s’assit sur le lit. S’il se couchait directement, il y avait de fortes chances pour qu’il s’endorme avant même que la jeune femme ne revienne.

Son regard scruta à nouveau la pièce et il se laissa aller à un instant de nostalgie. Il avait tour à tour partagé cette chambre avec Frederikke et puis avec Mia. Après le départ de leurs aînées, ces derniers avaient continué la cohabitation. Par habitude. Cela avait également permis à leur mère de s’octroyer un espace personnel. ll était content que sa mère ait décidé de repeindre les murs après leur départ. Une manière d’effacer les vestiges du passé et de tourner la page sur une adolescence compliquée. Cette chambre abritait le souvenir de sa complicité avec Mia, mais aussi des souvenirs moins plaisant.

En réalité, Aleksej était mitigé dans ses émotions. Évidemment, il n’avait pas eu une enfance malheureuse. Il n’avait jamais manqué de rien. Mais il y avait toujours ce sentiment d’injustice qu’il ne pouvait s’empêcher de séparer de ses souvenirs ici. Aleksej ne savait pas s’il était légitime, mais il avait été assez fort pour déterminer la voie qu’il avait prise et somme toute la direction qu’avait prise son existence. Son regard se posa à nouveau sur les boîtes que sa mère avait entreposées sur les étagères et scrupuleusement étiquetées d’une belle écriture calligraphique.

Il attrapa celle qui portait son nom à lui et l’ouvrit avec curiosité. Des articles de la presse locale quand plus jeune, il participait à des manifestations de scoutisme. Un exemplaire du New York Times à l’époque où il avait donné une interview sur le système judiciaire New Yorkais. Il sourit en remarquant à quel point il paraissait jeune. La vie ne l’avait pas encore frappé de plein fouet. Il était encore plein de rêves et d’ambitions. Pour lui, et pour sa famille. Des dessins d’enfants, des cartes d’anniversaire et un certain nombre de photographies de toutes sortes. Sur l’une d’entre elle, Aleksej ne devait pas avoir plus de seize ou dis-sept ans  et posait devant le phare de Skagen, Mia perchée sur ses épaules. Deux adolescents complices.

Aleksej tomba sur une autre photo dont il ne s’était plus rappeler l’existence. Il s’agissait de Frederikke et lui aux alentours de 5 et 7 ans, se tenant dans les bras l’un de l’autre. Rikke tirant la langue avec espièglerie et lui le sourire jusqu’aux oreilles. Son estomac se noua légèrement. C’était un instant dont il ne se souvenait pas. D’aussi loin que ses souvenirs remontaient, il y avait toujours eu une certaine animosité entre ces deux-là. Ses sourcils se froncèrent alors qu’il tentait de remonter le fil de sa mémoire. C’était difficile, brumeux. Il n’eut pas le temps de se plonger plus en avant dans une introspection. Il venait d’entre la porte de la salle de bain s’ouvrir ce qui voulait dire que Solveig avait terminé de se doucher. Il reposa doucement la boîte à sa place avant de rejoindre le lit. Autant laisser les vieux souvenirs là où ils étaient et laisser la place à ceux qui allaient se créer.

March 10th. @Aleksej Svendsen

Je ne suis pas du genre à traîner dans la salle de bain car je n’en vois pas l’utilité. Cependant, ce soir je change mes habitudes. Tout d’abord, j’embarque mon téléphone portable avec moi dans la salle d’eau, ce que je ne fais quasiment jamais. J’enclenche l’album Brent ii de Jeremy Zucker et Chelsea Cutler que j’affectionne tout particulièrement depuis sa sortie en début d’année. J’avais déjà énormément aimé Brent mais là, c’est encore autre chose. Ce duo de chanteurs dépêchés sur Internet parvient à me donner des frissons et peu d’artistes y parviennent. Brooklyn Boy démarre tandis qu’un petit sourire se faufile au coin de mes lèvres. Cette chanson me fait toujours penser à Aleksej et ce, même si elle n’est pas très heureuse, j’en conviens. Aleksej est persuadé que j’ai encore beaucoup à apprendre de lui et peut-être a-t-il raison mais je sais l’homme torturé qu’il est. Cela ne m’empêche pas de l’aimer, bien au contraire. Naïvement ou non, je veux être celle qui le sauvera s’il doit être sauvé de quelque chose ou de quelqu’un. Je ne le lâcherai pas.

Quand je sors enfin de la salle de bain où j’ai été jusqu'à me laver les cheveux alors qu’ils n’en avaient absolument pas besoin, je rejoins Aleksej dans sa chambre d’enfance et le regarde tandis qu’il vient de se replacer sur son lit.

- Je crois que nous avons mérité une bonne nuit de sommeil, Maître Svendsen.

Je le rejoins et nous nous glissons sous les draps chauds, cela étant dû au fait que nous nous soyons précédemment assis sur le lit. Sans demander l’autorisation (non pas que j’ai déjà eu à le faire par le passé pour autant que je m’en souvienne), je me plonge littéralement dans les bras du Danois avant de l’embrasser au niveau de l’épaule.

- Être ici fait remonter beaucoup de choses, j’en ai conscience. Mais n’oublie pas que je suis avec toi.