À la base, Wes n'avait pas envie de sortir. Mais alors, vraiment pas. Hélas, il avait eu le malheur de promettre à Elior, difficile donc pour lui de se débiner. Plein de mauvaise volonté, il s'était pointé avec tant de retard qu'Elior et ses amis avaient déjà eu le temps de rentrer à l'intérieur du bar. Wesley se retrouvait donc à faire la queue bêtement, sous la bruine, avec sa mine des mauvais jours. À intervalles réguliers, il se répétait mentalement : qu'est-ce que je fous là, j'ai pas envie d'y aller, ça me gonfle. Sa capuche remontée sur sa tête, il pianotait sur son téléphone, tachant vainement de s'occuper.

Là où Welsey manquait de stratégie, c'est qu'il ne pas réalisait qu'être un gars seul, tirant la tronche, ne maximisait pas ses chances de passer la barrière des videurs. Quand il était encore un peu connu et qu’il sortait avec les membres de son groupe, il profitait du luxe de passer devant tout le monde. Et si jamais sa bande se retrouvait confrontée à la sécurité, il suffisait que Juniper, la leadeuse, fasse un caprice pour que tous les agents s’excusent en rampant. Hélas, depuis la séparation de Spleen Code, Wes n’avait plus de grande gueule derrière qui se cacher.

Alors quand le vigile le recala – inévitablement – Wes dut déployer tous ses talents de diplomate. Il se lança dans des négociations sans fin. Hors de question d’avoir quitté le confort de l’appartement d’Ann pour rien. Maintenant qu’il avait poireauté vingt minutes, il ne ferait pas demi-tour. Mais malgré ses grands sourires (factices) et son phrasé, Wes comprit vite qu’il n’aurait pas le dessus sur l’armoire à glace qui lui faisait face. Il était sur le point d’abandonner lorsqu’il repéra une tête blonde familière quelques mètres plus loin. Il la héla. « Hey Addy ! »

Alors qu’elle s’approchait, Wes lui adressa son plus large sourire. « C'est fou de se recroiser, ça fait longtemps. » Ça faisait longtemps, en effet, depuis ce concert parti en live qu’Addison avait dû gérer. Wes se souvenait très bien d’elle, car en dépit de cette soirée désastreuse, ç’avait plutôt matché entre eux. « Dis, tu veux pas me filer un petit coup de pouce avec ton pote ? Il est pas hyper coopératif... » Wes désigna le collègue de la jeune femme, accompagnant son geste d’une moue déconfite. Addy lui apparaissait comme une sauveuse : peut-être que grâce à elle, sa soirée ne se résumerait pas à rentrer honteusement à vingt-deux heures chez sa coloc.

Être recalé comme un pauvre type l’avait vexé. Les gens ne le reconnaissaient plus et, honnêtement, ça piquait son ego. Wes prétendait se ficher de la notoriété, il clamait à tout bout de champ qu’il était au-dessus de ça. Pourtant, superficielle ou pas, la notoriété constituait une forme de reconnaissance, de validation, et ça, Wes s’en passait difficilement.

Il tiqua quand Addison sous-entendit qu’elle ne travaillait plus. Cependant, il ne releva pas. La blonde ne semblait pas spécialement encline à lui raconter sa vie. Ça tombait bien, lui non plus ne tenait pas à faire la liste de ses malheurs. Il se plaignait déjà suffisamment, d’ailleurs il se demandait comment ses amis supportaient encore son regard de chien battu. Il lâcha simplement : « Je vois. »

Le musicien se laissa entraîner par Addison sans protester. En même temps, Wes ne protestait jamais. C’était bien là son plus grand problème, cette tendance à s’effacer au point de se faire parfois marcher dessus. Pourtant, se rebeller aurait pu lui épargner cet immense moment de solitude qu’il s’apprêtait à vivre. Addison parla d’un rendez-vous et Wes mit de longues secondes avant de percuter. « Notre… Quoi ? » La situation aurait pu le faire rire quelques mois auparavant. Mais ce soir, il était trop déprimé pour esquisser autre chose qu’un sourire gêné. « Heu, ouais, c’est ça, comme elle a dit. » Conscient d’être un mauvais comédien, il évita le regard du videur et passa un bras timide autour de des épaules de la blonde, histoire de jouer le jeu et de ne pas rester planté là comme un grand dadais imbécile.

Malgré la piètre performance d’acteur du musicien, le vigile sembla convaincu, ce qui surprit Wesley lui-même. Lorsqu’ils s’éloignèrent, il ricana, bêtement moqueur : « Vachement crédule, ton pote. » Il frotta ses mains entre elles, retrouvant son sourire habituel, comme si toute cette histoire l'amusait, alors qu'au fond il était vexé comme un pou. Addison n'y était pour rien, il fit donc attention à ne pas lui imposer sa mauvaise humeur. « Merci. C’était… Surprenant mais étonnement bien joué. » D’un geste, il désigna le bar : « Je t'offre un verre pour te remercier ? »

Retomber par hasard sur d’anciennes connaissances faisait toujours plaisir à Wes. Du moins tant que lesdites connaissances ne lui demandaient pas où en était sa carrière. Addison, justement, eut la délicatesse de ne pas aborder le sujet et il sut apprécier cette preuve de finesse à sa juste valeur. D’un geste, Wes désigna la barmaid et le shaker qu’elle agitait. « Tu prends quoi, Addy ? » Le musicien était une créature sociable, à la base. S’asseoir autour d’un verre, discuter de tout, de rien… Voilà une activité qu’il aimait profondément. Parfois une conversation au comptoir se muait en une amitié indéfectible, parfois elle ne trouvait pas de suite et restait comme figée dans le temps. Il trouvait ça poétique, d’une certaine façon.

Lui opta pour un cocktail sans alcool, un virgin mojito. Rien qui ne soit très impressionnant, d’ailleurs Wes redoutait de payer un prix faramineux pour deux tranches de citron surnageant dans une eau pétillante tiède. Mais bon, il n'avait pas envie d'alcool, il se connaissait. Picoler ne lui apportait pas beaucoup de réconfort, excepté si c'était devant un film stupide avec sa coloc Ann en train de ricaner pas loin. Il fit signe à Addison qu’il revenait vite et se leva. Hélas, il n’est pas aussi facile de commander à boire dans un bar que ce que laissent croire les films. Le comptoir était pris d’assaut, les gens bruyants : Wes dut s’y reprendre à deux fois pour que la serveuse comprenne sa commande.  

Ce n’est que de longues minutes plus tard qu’il revint s’asseoir aux côtés d’Addison. Il fut étonné que sa place n’ait pas été honteusement volée. « Désolé, ça a pris plus de temps que prévu. » Il déposa leurs commandes devant eux, en sécurité, satisfait de ne pas avoir tout renversé en traversant la foule. Puis il quitta sa veste, la glissa derrière lui et leva son verre. Il hésita à trinquer au bon vieux temps, mais ç'aurait été vraiment cliché, alors il se contenta d'un : « Aux rencontres fortuites, disons. » Il rajouta en riant : « Et à tous ceux qui sont déterminés à passer une bonne soirée, malgré des videurs pas très avenants ! No offence, Addy. »

Addison lui demanda ce qu’il faisait ici et Wes passa une main derrière sa nuque, un peu embarrassé. Les faits n’étaient pas franchement reluisants. « Ok, je vais te dire la vérité, t’as le droit de te moquer de moi, parce que c’est juste super ridicule. » Un instant, il tritura avec sa paille la tranche de citron au fond de son verre de mojito. Putain d’eau pétillante vaguement mentholée qui lui avait coûté un rein. « Je devais sortir avec des amis, mais on s’est perdus de vue dans la soirée. J’aurais pu laisser tomber et rentrer, mais c’est hors de question. » Il secoua la tête, ponctuant sa phrase d’un : « No way ! »

Il désigna sa montre avec un air dépité, avant de s’expliquer : « Parce qu’il n’est pas vingt-deux heures, que la nuit n’est même pas tombée, et que si je me pointe maintenant à l’appart, ma coloc va me prendre pour un vrai nul, surtout que j’avais un peu enjolivé les choses en lui jurant que ma vie sociale est formidable et que j’allais vivre la meilleure soirée de l’année. » La semaine dernière encore, Ann avait passé sa soirée à le récupérer à la petite cuillère, alors aujourd’hui il comptait bien lui prouver qu’il avait retrouvé du poil de la bête. Et qu’il s’amusait comme un petit fou. Il espérait qu’elle n’y verrait que du feu, pourtant au fond de lui, il savait que l’illusion tenait à peine debout. « Je sais que c’est débile, on a pas quinze ans pourtant, je sais même pas ce que je cherche en faisant ça. »

Il réalisa qu’il avait beaucoup parlé, trop sans doute. Addy avait sûrement dû s’endormir à la moitié de son laïus. Il fit une moue contrite, comme pour s’excuser. « Et toi alors, comment tu t’es échouée ici ? » C’est vrai que la jeune femme non plus ne semblait pas passer la meilleure soirée de l’année.