Depuis son divorce, Andrea n’a jamais vraiment fait l’effort de fréquenter qui que ce soit. Il a tenté, parfois, de rencontrer des hommes par le biais des applications de rencontre, pour se sortir de son état passif et triste, il a essayé des dîners mal à l’aise, des soirées silencieuses. Il s’est envoyé en l’air avec des inconnus aussi, de temps en temps, à défaut de pouvoir avoir une conversation. Etrangement, ce phénomène, qui était assez régulier dans les quelques mois qui ont suivi le divorce, s’est fait plus rare avec le temps. Il ne se souvient pas de la dernière fois qu’il est sorti. Il faut dire que les rencontres programmées sur smartphone ne sont pas un mode de fonctionnement qui lui convient ; le côté rythmé, prévisible et engageant l’angoisse. Alors petit à petit, il s’est habitué à être un père célibataire, ce qui lui a valu une certaine tranquillité dans la gestion de ses rapports avec son ex-mari, il faut bien le dire. Et comme lui ont dit nombre de ses amis - les choses arrivent quand on s’y attend le moins. Quelques semaines auparavant, parce qu’il avait envie de se détendre, de décompresser et de passer du temps à faire quelque chose pour lui, Andrea a rejoint une petite chorale de quartier.

C’est sur le pas de la porte d’Arash, qui gère cette chorale, qu’il se trouve en cet instant, prêt à frapper, un peu angoissé, d’une angoisse qui accompagne les premières sorties, quand l’esprit sait que quelque chose se trame qu’il faut préserver. Andrea ne s’attendait pas à ce que le contact passe aussi bien avec un inconnu. Il ne s’attendait pas à se retrouver invité à dîner, à être impatient d’y aller, à être impressionné sur le pas de la porte. A vouloir faire bonne impression, aussi. Il a déposé Grace chez sa mère, Tristan étant incapable de se dévouer une soirée de garde, et après une attente de quelques secondes pendant lesquelles il remet le col de sa chemise, il frappe à la porte. Une partie de lui s’emballe, sans doute, un peu trop rapidement, ce qui est le fruit d’une personnalité complexe et d’une solitude un peu trop ancrée ces derniers mois - mais en même temps, Andrea est fatigué de tout le temps réfléchir. Il a simplement envie de profiter de ce qui se présente à lui - et il se trouve que c’est Arash qui se présente dans l’encadrement de la porte, justement. Il lui offre un sourire et lui tend un petit sac noir dans lequel se trouve une boisson aromatisée - mais sans alcool - et quelques tapas. Il a acheté le tout dans une petite boutique non loin de chez lui, parce qu’il déteste arriver les mains vides.

- Hey, il lance finalement. J’ai apporté quelques trucs, comme tu ne m’as pas autorisé à apporter le dessert...

Il sourit un peu plus. Cet homme lui plait, c’est une certitude. Ses yeux gentils - et sa voix, sa voix...

- J’espère que tu n’as pas passé l’après-midi aux fourneaux à cause de moi... ?

C’est non sans une pointe d’appréhension qu’Arash, prévoit son repas du soir. Si ce n’est pas la première fois qu’il invite un homme chez lui, c’est la première fois en revanche qu’il invite un homme qu’il apprécie autant. Les enjeux ne sont pas les mêmes et il peut déjà tout à fait le remarquer dans le comportement de son petit frère qui est plus inquisiteur qu’il ne l’est d’ordinaire à propos du jeune homme qui doit leur rendre visite ce soir. S’il s’est arrangé pour qu’Harry passe la soirée avec Agnes, Arash ne se fait pas trop d’idées sur le fait qu’il rentrera suffisamment tôt pour croiser Andrea dans ce cadre plus personnel que ne l’est celui de leur chorale.

Bien décidé à ne pas laisser le stress avoir raison de son invitation, Arash prépare quelques salades d’été qu’il pourront déguster sur la terrasse, si toutefois la météo ne s’amuse pas à les arroser. Cela les isolera un peu, l’appart n’est pas bien grand et ils n’ont pas nécessairement besoin des répétitions de Harry en fond sonore.

Lorsqu’Andrea arrive, Arash l’accueille avec une jolie chemise et un sourire. Il a fait les choses correctement, impressionné sans doute par cet homme qu’il estime sans doute un peu trop bien pour lui. Il embrasse le coin de ses lèvres et le dirige vers la pièce de vie.

- J’ai fait quelques salades, il fait un peu chaud en ce moment, ça fera du bien. Tu as passé une bonne journée ?

Andrea n'est pas facilement impressionné, en général, mais la naissance de cette relation - si c'est bien de ça dont il s'agit -, les premiers jours, apprendre à se connaître et à s'apprivoiser, ce sont des choses qu'il n'a jamais réellement faites par le passé. Sa relation avec Tristan est la seule vraie relation qu'il a entretenue dans sa vie, les autres étant surtout marquées par une certaine superficialité, il faut bien l'admettre. Et avec Tristan, ils n'ont pas vraiment eu besoin d'en passer par cette phase aussi enchanteresse qu'impressionnante, à dire vrai. Ils ont été assez rapidement dans le vif du sujet. Et depuis, ses relations ont surtout été ponctuelles, parfois maladroites voire embarrassantes. Avec Arash, il a envie de faire les choses bien, sans s'expliquer cette connexion qu'il a ressentie de manière relativement immédiate. Sa voix, sans doute, ses traits aussi, la douceur qui se dégage de ses yeux - autant d'indices qui ont déterminé l'avocat à venir ce soir malgré la petite pointe d'angoisse qui l'anime.

Il presse le bras d'Arash lorsque ce dernier embrasse le coin de ses lèvres. Le retour de la tendresse, aussi, joue sans doute dans l'agitation qui bouscule un peu son coeur au moment où il passe la porte. Ca fait tellement longtemps qu'il se bat contre les autres, Andrea, qu'il a oublié ce que c'était de ressentir les petites attentions du quotidien, les signaux de tendresse, ceux qui soignent tout.

- C'est parfait, merci beaucoup, il lance en appuyant ses propos d'un hochement de tête. La chaleur qui gagne New-York peu à peu annonce l'été et grignote son envie de travailler petit à petit - il préfèrerait largement aller s'allonger dans un parc ou partir en vacances. Oui, une bonne journée, même si j'avoue que j'aurais bien fait autre chose que rester au bureau... Et toi ?

Il en profite pour jeter un coup d'oeil autour de lui et sourit de plus belle.

- Tu as un bel appartement. Ton frère n'est pas là ?

S'il a retenu les choses correctement, son frère - Harry ? - habite ici, aussi. Il est sans doute un peu tôt pour rencontrer la famille, cela dit, ce qui explique sans doute l'absence du concerné - ce n'est pas pour déplaire à Andrea, qui n'est pas sûr de parvenir à faire bonne impression. Rencontrer la famille, c'est un exercice qu'il n'a jamais eu à faire non plus.

Arash sourit tendrement, il est vrai que les beaux jours entrainent les esprit à vagabonder ailleurs qu’entre les quatre murs d’un bureau. Si le professeur de chant a la chance d’exercer dans un domaine qui le passionne, il aurait tout de même bien passé l’après-midi dans le parc à jouer un air de guitare à la place. Aussi, il caresse doucement l’épaule d’Andrea et lui offre une limonade fraiche avant de l’entrainer sur la terrasse de l’appartement. Au centre de la table, il a déjà disposé quelques olives en l’attendant. Quant à Harry, nul doute qu’il est bien occupé.

- Il est chez une amie commune, Agnes, j’ai déjà du t’en parler

Il faut dire que la rousse est une véritable tornade, qu’il finira bien par rencontrer un jour ou l’autre si leur relation continue ainsi. Elle et Harry sont sans conteste les deux personnes les plus importantes de son entourage à l’heure actuelle. Il faut dire que le musicien ne peut pas se vanter de s’être fait énormément d’amis ces dernière années. Tourner la page est pour lui aussi compliqué que d’accorder sa confiance de nouveau.

- Elle meurs d’envie de te rencontrer d’ailleurs, mais je lui ai dit qu’on préférait prendre notre temps.

Son entourage est intense, bien plus intense que lui, et Arash sait que cela peut faire beaucoup d’information d’un coup. La dernière chose qu’il souhaite c’est bien d’effrayer Andrea. Il y a beaucoup d’embuches qui vont déjà poser problème à terme.

Petit à petit, Andrea retient les informations qu'Arash veut bien lui livrer. Il a donné des détails, lui aussi, sur sa vie de famille. Le chanteur sait qu'il est divorcé et père d'une petite fille de onze ans. Pour le reste... C'est tellement compliqué qu'Andrea ne sait pas vraiment par où commencer, même s'il est bien conscient du fait que le temps qui passe finira par lui jouer des tours. Quand il y songe, il se sent un peu coupable, sans doute. En même temps, la relation privilégiée entretenue par Arash avec son demi-frère Harry l'empêcherait sans doute de comprendre comment Andrea a pu tomber amoureux de Tristan - puis l'épouser. Il chasse cette pensée de sa tête et acquiesce plutôt lorsqu'Arash mentionne une certaine Agnes.

- Le golden duo de Broadway, right ?

Il sourit - ce serait mentir que de dire qu'il n'est pas allé jeter un oeil. Pas pour espionner, simplement par curiosité. Pour imaginer les traits, et aussi parce que les gens célèbres, surtout à Broadway, attisent toujours sa sympathie. Il ne va pas confesser cette action étrange à Arash - qu'il a vu ses deux meilleurs amis chanter Phantom of the Opera - et garde son admiration pour lui. Parce qu'admiratif - du trio, d'ailleurs - il l'est.

De nouveau, il acquiesce quand Arash parle de prendre son temps. Il comprend, vu les enjeux de toute nouvelle relation, qu'il soit préférable de ne pas faire les choses dans la précipitation - après tout, ils commencent tout juste à se fréquenter. Prendre son temps, c'est ce qui permet à Andrea de ne pas paniquer et, petit à petit, de s'acclimater à la nouveauté d'une relation inconnue - même si, techniquement, il a déjà rencontré Harry, puisque ce dernier s'occupe, comme Arash, de la chorale.

- C'est moi qui devrait mourir d'envie, et de peur aussi un peu surement, c'est elle la star, non ?

Il rit un peu et s'installe à la table, sur la belle terrasse de l'appartement, paré d'une limonade fraîche qu'Arash lui a donné. La vue est dégagée sur un soleil qui décline et Andrea pousse un soupir d'aise - voilà bien longtemps qu'il ne s'est pas senti aussi détendu.

- C'est beau que vous partagiez tout ça tous les trois. Je trouve ça vraiment touchant.

Andrea n'a pas beaucoup d'amis, et il n'a pas beaucoup de famille non plus, si l'on enlève sa mère et sa fille, les deux exceptions à ses errances un peu solitaires. Il se penche un peu en avant pour observer Arash. Il le trouve beau - depuis le premier jour, mais aujourd'hui peut-être tout particulièrement, avec le soleil dans le dos - et il n'ose évidemment pas lui dire, alors il s'arme simplement d'un sourire, pour lui murmurer avec pudeur, les joues légèrement rougies :

- Elle te va vraiment bien, cette chemise.

tw : Julia, fire metaphor

Arash sourit, il a sûrement été un peu stupide de penser que son frère et sa meilleure amie étaient des inconnus aux bataillon pour le jeune avocat. Andrea aime la musique, c’est ce qui les a rapproché, Andrea fait également partie de leur chorale, et à bien y réfléchir, il y avait peu de chance qu’il soit passé à côté du fanclub d’Harry qui constitue une bonne partie des abandonnés par ailleurs.

- Des drama queens, les deux, mais oui. Si ça te tente toujours d’ici quelques temps, on pourra se faire un restau avec eux.

Arash s’ouvre un peu, même si la peur d’être finalement rejeté reste grande pour le musicien. Parfois, il se laisse bercer par l’idée qu’Andrea ne décide pas de fuir en apprenant la vérité sur son passé, mais at the end of the day, ce n’est pas une variable qu’il peut complètement ignorer, même si cela lui simplifierait l’existence, évidemment.

- Je ne sais pas ce que je ferai sans eux, honnêtement.

Vu leur passion dévorante pour la musique, il serait sans doute compliqué pour eux de naviguer dans des univers trop éloignés du leur, même si Arash est sans doute plus adaptable dans ce sens. Harry et Agnes ? A world of private joke you need to be able to get, if you want to get them.

- Tu as des frères et sœurs ?

A son compliment sur sa chemise, Arash sourit et s’approche. Sa main se pose sur sa hanche et il embrasse  doucement sa joue. Tout ceci est bien trop agréable, même si les chances de se brûler les ailes sont importantes.

Le fait qu'Arash décide de faire des plans - ou des propositions pour l'avenir, en tout cas - l'impliquant directement touche Andrea bien plus qu'il ne le laisse paraître. Ca le conforte dans l'idée qu'il n'est pas le seul à sentir que quelque chose se passe, et que ce feeling certain qui les unit pourrait mener à quelque chose. Il offre un sourire et acquiesce, impressionné, tout de même, par l'idée qu'il pourrait se retrouver confronté à deux monstres de la comédie musicale - à table, le temps d'un dîner.

- Ca serait sympa, oui. Impressionnant, j'imagine, mais sympa.

Il rit un peu - avec le temps qui passe et les thérapies, il a appris à livrer les sujets d'angoisse à ses interlocuteurs plutôt qu'à les intérioriser. Bien entendu, cette théorie fonctionne bien mieux quand il s'agit de confier que l'idée de rencontrer deux stars - même s'il a déjà croisé Harry - au cours d'un dîner l'angoisse, plutôt que quand il faut admettre qu'on a épousé celui qui aurait dû devenir son demi-frère. Ce dernier sujet est légèrement plus compliqué à confier - ou même à intellectualiser. Andrea ne sait pas quel est le bon moment pour confier ses états d'âme sur le sujet. A dire vrai, quand il a divorcé, il n'avait pas songé à quel point il serait difficile de vivre avec ce passé étrange.

C'est d'ailleurs vers ce sujet qu'Arash décide, doucement mais surement, de glisser - et Andrea rougit légèrement, sans doute, malgré le baiser tendre déposé sur sa joue. Il caresse la main d'Arash sur sa hanche, puis secoue la tête.

- Non, je n'ai pas de frère et soeur. Mes parents n'ont eu qu'un seul enfant, et ensuite, ils ont divorcé, il explique, pour s'approcher le plus près possible de la vérité, et ne pas ressentir le poids de la culpabilité - et du mensonge. Mais votre relation, ça donne envie. Ca doit quand même être différent de grandir avec d'autres enfants, j'imagine.

- Je pense qu’ils vont vite te mettre à l’aise, et te fatiguer aussi. The energy levels are strong with those two

On pourrait penser l’inverse en rencontrant son frère Harry pour la première fois. Très observateur, il peut impressionner, ce serait mentir que de prétendre que ce n’est pas le cas. Avec Agnes, son attention est dirigée ailleurs, et entre les blagues et les karaoké improvisés, il semble plus ouvert, plus accessible. Il suffit de le connaître, et Arash ne se fait pas trop de soucis la dessus. Pour ce qui est d’Agnes, difficile de faire plus sociable que la rousse.

- J’espère que tu aimes les soirées karaoké en tout cas

Elles sont plutôt régulières par chez eux. Liés par une passion commune pour la musique, ils ne sauraient vraiment se passer de ces interludes musicaux. Cela fait partie de leur quotidien, à tous. Arash lui offre un sourire plein d’espoir, pas parce qu’il pense qu’Andrea ne trouvera pas sa place parmi ses proches, mais parce qu’il veut croire qu’il en aura toujours envie après avoir appris pour son passé.

- Harry et moi on a eu de la chance c’est vrai. On était tous les deux fils uniques et on a eu la chance de pouvoir faire nos conneries ensemble. Il y a de quoi dire d’ailleurs...

Enfants, puis adolescents, ils ont été inséparables. Avec l’accident, les choses auraient pu changer, mais Harry n’a pas su se résoudre à abandonner leur complicité. Quelque chose qui a beaucoup d’importance pour Arash qui ne saurait être plus reconnaissant pour ceci. Sans son frère, il n’en serait pas là aujourd’hui.

- Enfin, je n’ai pas beaucoup de monde à te présenter ne t’en fait pas.

Un sourire triste s’affiche sur ses lèvres le temps d’un instant, puis ps’ regard se perd légèrement. Lorsqu’il repose de nouveau ses prunelles brunes sur Andrea, il ajoute.

- Et toi ?

Andrea ne peut vraiment s'arrêter de sourire, car il ne se souvient pas vraiment la dernière fois qu'il a eu, à proprement parler, l'occasion de faire des plans avec qui que ce soit. Même si ce n'est pas grand chose, même si une partie de son esprit, cartésien et pragmatique, lui commande de ne pas se montrer trop optimiste sur l'avenir, faire des plans dans le cadre d'une relation qui s'inscrit potentiellement dans la durée lui fait du bien. Le côté naturel et simple des choses, entre lui et Arash, a une dimension réconfortante qu'Andrea ne peut nier. Il faut dire aussi que ses relations passées n'ont jamais été très calmes, de la petite-amie tumultueuse au lycée en passant par Tristan et quelques dates ratés quand il essayait de passer à autre chose. Alors ce n'est pas énorme, c'est certain, mais entendre Arash parler de la rencontre et des soirées à venir entre eux et son frère et son amie, lui procure une sensation qu'il n'a pas connue depuis longtemps.

- J'aime beaucoup l'idée de soirées karaoké. Et promis, je viendrai avec l'énergie qu'il faut.

Il n'ose pas ajouter que l'idée de sortir de sa solitude habituelle, et de ses rôles attitrés de père et d'ex-mari, lui procure également une sensation de bien-être difficilement descriptible. Il n'a pas envie de passer pour un père indigne, et il aime sa fille - qui est d'ailleurs à part entière sa fille - d'une manière inaliénable. Simplement, parfois, il est agréable de n'être qu'un homme qui tente de se reconstruire. Ou de se construire pour la première fois, d'ailleurs.

- J'ai hâte d'en savoir plus, je ne t'imagine pas vraiment faire beaucoup de bêtises, il confie, armé d'un sourire léger, un peu taquin.

De son côté, les présentations risquent, malheureusement, de tourner court. On ne peut pas dire que l'entourage d'Andrea soit défini par une profusion quelconques de contacts, d'amis, ou même de membres de sa famille - et il imagine difficilement comment il pourrait un jour lui présenter Tristan sereinement. Ca ne risque pas de se présenter de si tôt.

- Mon père est resté en France, je n'ai plus de contact avec lui depuis un moment. Aux dernières nouvelles, il était malade, d'ailleurs. Disons qu'il a difficilement supporté l'idée que son fils puisse être homosexuel, histoire de répondre aux clichés des familles traditionnelles... Ma mère a pris plus de recul. Elle s'est remariée ici, et elle a gagné en ouverture d'esprit. Les liens familiaux ne sont pas très forts, cela dit... Et puis, je suis fils unique. Ma meilleure amie est une artiste, une personne adorable. Et puis, il y a Grace, bien sûr... En dehors de ça, je ne pense pas avoir besoin de t'infliger une quelconque torture...

Il sourit et avale une gorgée de limonade. Il a remarqué le sourire triste d'Arash, et y répond par un sourire plus nostalgique, sans doute.

- Pas grand monde de mon côté non plus, donc.

- Je préfère que tu ne m’imagines pas, je ne voudrais pas te décevoir...

Arash laisse échapper un rire. En réalité il avait beau être le grand frère dans cette histoire, Harry était très certainement des deux, le cerveau des opérations lorsqu’il s’agissait de planifier une bêtise a faire. Arash lui faisait les conneries en question, bonne pâte qu’il était, son bras droit, son homme de main, celui qui se faisait prendre la main dans le sac aussi. Si Andrea doit être déçu de lui, il doute cependant que ce soit en apprenant ses conneries adolescentes. Parfois Arash aimerait revenir en arrière. Tout était si simple auparavant. Une certaine nostalgie traverse d’ailleurs son regard puis s’efface rapidement, Arash a déjà retrouvé son sourire.

Alors qu’Andrea lui parle de ses proches, Arash lui prête une écoute attentive. Le regard posé sur l’avocat, il affiche ainsi une mine réellement intéressée qui lui est d’ailleurs toute caractéristique. Arash n’est pas un beau parleur, ce qu’il aime c’est surtout écouter les autres, s’enrichir de leurs expériences, voir autre chose que ce qui crève les yeux. Arash aime la profondeur dans les relations et aujourd’hui, il veut connaître Andrea, découvrir une facette de sa vie qu’il ne connaît pas encore. Le musicien ne s’est pas senti bien avec une personne depuis si longtemps qu’il ne peut pas s’empêcher de se projeter dans cette relation qui pourrait pourtant faner aussi vite qu’elle a bourgeonné. Désolée pour cette métaphore de fleurs, I’ve become so good at them doing you know what.

- Parfois, avoir moins de proches mais un entourage stable c’est tout ce qui compte. Je ne suis pas en bon termes avec mes parents. L’accident d’Harry, ce qui s’en est suivi, on s’est déchirés.

Andrea rit un peu et secoue la tête comme pour chasser les images qui parviennent jusqu’à son imagination - on peut le dire, relativement débordante. Même s’il est compliqué d’avoir une conversation complètement honnête lorsqu’on doit garder le secret sur une partie aussi importante de sa vie, Andrea a au moins l’impression d’être franc sur ce qui compose son entourage. Sa famille, même en dehors de toute considération sur son ex-mari, est loin d’être un modèle de simplicité de manière générale. La dernière fois qu’il a discuté avec son père remonte à plusieurs années. Il imagine que quelqu’un viendrait l’informer si Henri venait à mourir, mais il n’en n’est même pas persuadé.

- Oui, même si je ne suis pas certain que le mot stabilité soit celui qui correspond le mieux à ma famille, il réplique, amusé.

Il y a Grace, quand même, même si parfois elle est discrète, réservée et timide, dans son monde. Même si de temps à autre, elle semble triste ou nostalgique au point de ne pas avoir envie de faire la conversation. Et si elle en avait eu envie, il y aurait eu Megan, aussi. Andrea a tenté de la tenir au courant, au fil des années, de l’évolution de sa fille, au cas où elle souhaiterait reprendre contact, pour assurer une partie de son rôle. La vérité, c’est qu’il a en tête l’intérêt de sa fille, mais si Megan devait revenir demain, il serait terrifié. Terrifié à l’idée qu’elle veuille récupérer sa fille.

- Et Agnes, tu la connais depuis longtemps ? Vous avez déjà chanté tous les trois ? En dehors des soirées karaoké, je veux dire ?

La musique le passionne, il a du mal à dissimuler son enthousiasme et son admiration. Arash est un excellent chanteur, au timbre de voix très agréable à écouter, même si Andrea a cru comprendre qu’il était encore meilleur "avant", ce qu’il a du mal à imaginer.

- Tu sais, intégrer cette chorale, c’était déjà un moyen de prendre un peu de temps pour moi, mais je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi agréable, il finit par admettre avec pudeur, dans un murmure, avec un sourire, en regardant son hôte avec le coeur qui palpite légèrement dans sa cage thoracique.

Andrea, plaisante sur sa famille et Arash hoche doucement la tête, comprenant parfaitement ce que cela implique d’avoir une histoire familiale compliquée. Il espère juste que la situation d’Andrea lui permettra de comprendre également la sienne, au moins dans une certaine mesure. It’s a lot to take in, clearly. Arash est un homme doux, prévenant, mais ce serait mentir que d’affirmer que c’est un homme fort. Contrairement à son frère Harry, il se laisse facilement submerger par les émotions négatives et parfois ce trop plein, l’empêche de prendre les bonnes décisions, le pousse à prendre des comportement à risques qu’il regrette aujourd’hui, même si cela ne change rien aux conséquences de ses actes. Il n’y a rien à faire, personne ne peut changer le passé et il en est parfaitement conscient. Quant aux secondes chances il en revient aux autres de les accorder ou non.

- La famille c’est souvent compliqué comme sujet.

Lorsque la conversation revient sur sa célébrité de meilleure amie, Arash sourit. Il est vrai que lorsqu’on a une certaine culture dans le monde de la comédie musicale, Agnes est une source de curiosité assez naturelle.

- Elle et moi on a fait un opéra ensemble, il y a longtemps, puis elle m’a abandonné pour épouser mon frère dans a peu près tous les musicals qu’ils ont fait ensemble.

Arash sourit et les ressert en limonade maison. Vu la chaleur, il est bien content d’avoir pris le temps de la préparer dans l’après midi.

- Tu peux le dire, Harry est un peu strict, mais je pense que tout le monde fait un super boulot

Il est vrai que la famille est un sujet complexe. Andrea serait bien mal avisé de prétendre le contraire. Il n'a pour ainsi dire plus de nouvelle de son père, qui finira, un jour ou l'autre, par mourir sans qu'il n'en soit informé. Sa mère et lui entretiennent une relation fragile et un peu aléatoire. Quand à Tristan... Andrea ne peut s'empêcher de craindre que son ex-mari vienne mettre son grain de sel dans sa vie de manière permanente. Il n'a aucune difficulté à imaginer que Tristan ne va pas avoir envie de le laisser vivre sa vie tranquillement. Il devrait sans doute confier la vérité à Arash, cela dit - mais il a trop peur de déclencher une réaction trop vive, un rejet soudain. Un départ. Autre chose.

- Ca alors, j'adorerais voir ça, il répond, amusé. J'aime beaucoup l'opéra, il ajoute en hochant la tête. Cela dit, je dois bien admettre que ces deux là ont une alchimie assez remarquable sur scène. Peut-être même dans la vraie vie, d'ailleurs.

Il pique lui aussi des olives et avale une gorgée de sa limonade, après avoir remercié Arash qui le ressert.

- Il est vrai qu'il est un peu impressionnant, Andrea confesse volontiers, un peu amusé. Il a toujours l'air extrêmement sérieux. J'avoue que je préfère quand c'est toi qui me reprend... il ajoute, dans un sourire un peu taquin, en se mordant légèrement la lèvre.

Andrea avait perdu l'habitude d'être dragueur, ou d'être l'objet des attentions d'une personne, et ce sentiment retrouvé lui fait du bien. Même si une partie de lui demeure un peu sur la réserve, la tentation de s'abandonner à ce sentiment réconfortant, nouveau, exaltant est forte, il doit bien l'admettre.

- Tu n'as jamais eu envie de faire de musicals, toi ?

Arash sourit, mais ce n’est pas forcément evident pour lui de parler d'opera, de son ancienne carrière plus précisément. A l’époque il a tout détruit sans se soucier des conséquences et aujourd’hui il en paye le prix. Tout comme Harry, il a du dire adieu à la scène. Du moins celle où il avait l’habitude d’exceller. Il aime enseigner, il ne dira jamais le contraire, mais c’est différent, difficile de dire à ses élèves qu’ils peuvent réaliser leur rêves alors que le sien est brisé et sans solution.

- Oh alors ça crois moi it’s a lot more nuanced than that...

Arash doit régulièrement accueillir ce degré de complexité relationnelle en les écoutant tous les deux dramaqueener chacun de leur côté. C’est une expérience en soi, mais une chose est certaine, ils sont faits l’un pour l’autre ces deux là.

- Après je te reprend pas tant que ça...

Arash lui sourit et prend sa main dans la sienne. La présence d’Andrea lui fait du bien. Avec lui, il se sent calme, reposé. Un contraste certain avec les deux piles électriques qui constituent son entourage proche, mais un contraste agréable.

- Si bien sûr, mais je ne suis pas certain qu’on me donnerait ma chance. Quand Harry a eu son accident, j’ai perdu un peu les pedales, je ne pense pas qu’on me casserait dans un rôle important aujourd’hui.

Andrea sourit un peu plus - il croit comprendre des contours qu’en peint Arash que la relation entre Agnes et Harry est un peu compliquée, et il le croit sur parole. Il a senti dans la façon de chanter d’Harry - au demeurant très impressionnant - une certaine teneur dramatique et ça ne le surprend pas tellement que sa relation soit compliquée. Il garde cette analyse pour lui cependant, car il n’aime pas passer pour un homme qui juge les autres à la hâte, ce qu’il ne fait pas vraiment, d’ailleurs. Il ne se le permettrait pas. Chacun mène sa barque comme il le peut, c’est une chose qu’Andrea a apprise avec le temps et la maturité des années qui défilent.

- Ils ne savent pas ce qu’ils ratent, alors. J’adore vraiment t’entendre chanter, I’d definitely pay to see and hear that, il ajoute sans se départir de son sourire.

Sa main caresse celle d’Arash, qui vient de s’en emparer. Il se perd un instant dans ses yeux, et s’approche presque timidement pour embrasser ses lèvres. Ca fait tellement longtemps qu’il ne s’est plus autorisé le moindre geste tendre ou intime avec quelqu’un - les dernières fois n’ayant constitué que des échanges automatiques, rythmiques. Des coups d’un soir pour oublier la peine et le manque, un peu comme un drogué. Cette pensée le fait frissonner un instant, de honte sans doute, et il avale une gorgée de limonade pour reprendre contenance.

- La prochaine fois que Grace est chez son père, tu pourras peut-être venir, toi ? I have a piano, too, il propose dans un sourire, en se faisant la réflexion qu’il sera sans doute plus prudent de mettre Grace chez sa Grand-mère cela dit, sans quoi il prend le risque de voir débarquer Tristan à l’improviste pour lui ramener sa fille avant de se rendre à une soirée quelconque.

Arash sourit à cette idée même s’il ne préfère pas penser à ce qu’il laisse derrière lui. La vision d’Andrea lui fait du bien mais elle n’en reste pas moins édulcorée sur pas mal de points. Arash de son côté sait qu’il est l’unique responsable de sa situation. Il a vrillé, sans trop comprendre pourquoi, il a perdu tout contrôle de lui-même et ce que pensent les critiques et son entourage professionnel est tout à fait justifié selon lui. Lui-même doit bien avouer qu’il ne se serait pas offert une deuxième chance. Les tickets se vendent à prix d’or, en échange le public s’attend à l’excellence. Il a laissé tomber ses collègues, son agent, son public. Il n’a même pas été capable d’être présent pour Harry.

- Je pense que pour moi l’opéra c’est terminé, mais je ne compte pas abandonner la musique.

Il ne le pourrait pas de toute façon. Alors même que son rêve s’est brisé, l’amour de la musique ne l’a pas quitté. Il est voué à prendre une forme différente, c’est tout. Arash ne veut pas se laisser prendre au jeu de l’espérance. Cela ne ferait que nourrir ses illusions.

- Oui bien sûr, d’ailleurs j’adorerais t’entendre jouer

Andrea acquiesce mais quitte progressivement mais surement cette conversation. Ils viennent de commencer à se fréquenter, il n'a pas envie de pousser Arash dans ses retranchements. Il a compris que l'accident d'Harry, qui est aujourd'hui dans un fauteuil roulant, avec eu un effet dramatique sur Arash, mais il ne s'autorise pas à demander de détails ; il s'en sent bien peu légitime. A la place, il se contente d'un sourire tendre et de quelques attentions plus tactiles, qui ont vocation à réconforter le chanteur lorsqu'il parle de la fin de sa carrière d'opéra. Il faut parfois renoncer à ses rêves, Andrea en sait quelque chose. Embrasser la carrière d'avocat n'était pas son ambition première, et s'il était né dans une autre famille, peut-être aurait-il fait autre chose de sa vie. Aujourd'hui, même s'il a renoncé à certaines choses, il réapprend progressivement, et tout seul, à donner une place importante aux choses qui lui tiennent à coeur, et à ne pas se laisser envahir par sa vie professionnelle qui prend de la place malgré tout.

- Tant mieux, ce serait bien trop triste, il répond quand Arash lui fait part de son intention de poursuivre.

Il est heureux d'avoir trouvé quelqu'un qui partage cette passion - même si Arash la vit sans doute bien plus fortement au quotidien que lui - avec lequel il peut s'ouvrir. Construire des choses positives autour d'intérêts communs est une ambition qu'il n'a pas souvent réalisée, il faut le dire.

- Well, je peux jouer, j'ai pris beaucoup de cours. Ca manque surement un peu de... spontanéité, parfois, j'imagine. Comme moi ?

Il rit un peu et hausse une épaule. Dans sa vie, tout a toujours été très scolaire, très calculé, millimétré. L'apprentissage du piano ne fait pas exception, et même si Andrea s'est autorisé quelques entorses, il vient d'une école plutôt classique. Ce qui ne devrait pas tant déranger Arash, cela dit.

- Je serai bien incapable de t'enchanter avec une impro, par exemple...

Ce serait triste sans doute oui, mais Arash mentirait s’il disait que l’idée ne lui a jamais traversé l’esprit. Après l’accident de son frère, il faut dire qu’il ne s’est plus senti légitime à chanter. La voix est un instrument particulier qui nécessite d’être en forme, d’être en mesure de ressentir les choses. Les émotions, l’alcool, la dépression toutes ces choses ont une influence qui n’est pas forcément positive. Alors que son frère luttait pour articuler, Arash à comme perdu toute capacité à utiliser sa voix. Lorsqu’il l’utilisait c’était surtout pour vociférer sur son agent.

- C’est une seconde nature, on finit toujours par y retourner d’une manière ou d’une autre

Arash apprécié la tendresse et la douceur d’Andrea, ce sont des choses auxquelles il s’est fait très vite. Aujourd’hui, il est surtout terrifié à l’idée de les perdre. A la réplique d’Andrea sur son incapacité à improviser, Arash lui adresse un sourire empli de tendresse.

- Je suis sure que tu es capable de m’enchanter tout court, et puis ça se travaille, je pense que tu viens d’un background familial pour qui l’excellence est importante non ? Être plus spontané ça s’apprend aussi en lâchant prise j’imagine...

Arash caresse doucement sa main et reprend une gorgée de limonade. Soudainement, une confession lui échappe.

- I really like you

Andrea acquiesce s’agissant de la musique. Même s’ils n’ont pas le même parcours, et que le jeune avocat est bien conscient que pour lui, la musique reste principalement un loisir qu’il s’échine à faire du mieux qu’il peut - de toute façon, Andrea est perfectionniste dans tous les domaines qui composent sa vie, affirmer l’inverse serait mentir - mais qui reste un loisir. Arash est un professionnel, leurs parcours sont donc peu comparables, mais tout de même. Le brun sait qu’il ne pourrait pas arrêter de pratiquer la musique dans son ensemble du jour au lendemain, et c’est une passion qu’il transmet d’ailleurs bien volontiers à sa fille. Grace aime le piano et le chant, comme son père, et elle s’ouvre en général autour des partitions qu’il laisse traîner.

- Lâcher prise, je ne voudrais pas te décevoir, mais ce n’est pas exactement mon point fort... il répond en riant un peu et en se mordant la lèvre inférieure. Je me suis légèrement amélioré avec les années, mais on ne peut pas dire qu’on m’ait vraiment appris à le faire...

Il était certes plus libéré avec Tristan, mais ce mariage n’a pas été synonyme de lâcher prise pour autant. Son mari, même s’il l’aimait, était aussi imprévisible et extrêmement spontanée, de sorte qu’il a dû redoubler d’efforts pour garder le contrôle et l’ordre à certaines périodes. Aussi, si d’un point de vue extérieur, le couple pouvait paraître extravagant et libéré, leur fonctionnement interne laissant finalement peu de place à Andrea pour lâcher prise complètement. Un peu comme sur le point de sauter à l’élastique, il n’a jamais osé franchir le pas, terrifié par la perspective de la chute. Il lui faudrait beaucoup de confiance - et aussi renoncer à la peur d’être vulnérable - avant de pouvoir lâcher du leste. Même si évidemment, il en va différemment avec le piano, qui est un sujet moins existentiel.

- J’ai été formé de manière scolaire, I guess I could use spontaneity classes indeed, il répond en souriant.  

Il sait cela dit assez facilement qu’il pourra faire confiance à Arash. Il semble calme, posé, réfléchi, et sa présence l’apaise d’une manière qu’il parvient difficilement à expliquer, pour être franc. Quand le chanteur confesse qu’il l’apprécie, Andrea ne peut pas s’empêcher de sourire, un peu flatté. Le désir, l’attirance, le coeur qui accélère, ça fait longtemps qu’il n’a pas ressenti ça de manière aussi fluide. Il s’approche, pour plonger son regard dans le sien et acquiescer, doucement.

- I really like you too, il murmure, sans se départir de son sourire.

Arash éclate de rire à la réflexion d’Andrea. Clairement, il ne va pas juger, Arash est entouré de perfectionnistes au talent indéniable. Il y a du bon dans tout cela, Arash apprécie simplement la spontanéité de temps à autre, et il est certain qu’Andrea arrivera à le faire lui aussi. Parfois se poser mille questions est à l’origine du blocage. Il y a un temps pour tout de toute façon. Leur relation en elle même est plus spontanée que planifiée. Il y a de l’espoir, même si celui ci pourrait mourrir avec un violent retour à la réalité.

- Don’t sell yourself short. Je pense qu’on a quelque chose d’assez spontané tous les deux ? Est ce que tu penses à l’avenir ? Je pense qu’on apprécie le moment ?

Il pourrait se tromper, mais il a la sensation en tout cas que cette relation leur apporte à tous les deux cette idée de lâché prise et de simplicité. Si Arash est honnête, avec toutes les casseroles qu’il faudra bien sortir du placard, il doit bien avouer qu’il apprécie ce départ en douceur. Ne pas se faire d’idée lui permet de se protéger sans pour autant manquer de profiter de l’instant présent.

- C’est pas toujours plus compliqué que ça ? Je veux dire nos vies ne sont pas simples, mais on arrive à mettre ça de côté pour apprendre à se connaître and idk it’s nice ?

Arash ne souhaite pas mentir à Andrea ou lui cacher quoi que ce soit et il espère vraiment qu’en temps voulu, il se rappellera de cette conversation, des motivations derrière ce mensonge par omission, même si Harry par exemple pense qu’il serait plus simple de lui présenter les casseroles telles qu’elles sont pour s’éviter une déception. Quand il lui dit qu’il l’apprécie également, Arash s’approche et embrasse ses lèvres avec douceur.

Arash a raison sur un point, c’est certain ; la relation qu’ils sont en train de partager est emprunte de spontanéité. Il ne s’attendait absolument pas à rencontrer quelqu’un en s’inscrivant à la chorale, pas plus qu’il ne s’attendait à ce que quelqu’un entre dans sa vie en cet instant précis. Au début, Andrea s’est mis un peu la pression pour rencontrer quelqu’un d’autre. Il s’est inscrit sur des sites de rencontre, a assisté à des dates programmés, a rencontré les amis de ses amis pour tenter de contrer l’absence laissée dans le fond de son coeur. Et puis petit à petit, il s’est habitué à la solitude, et finalement, il a arrêté d’essayer de programmer des rencontres. Arash lui est tombé dessus alors qu’il était persuadé de se complaire dans une phase solitaire - et il a raison d’affirmer que leur relation est placée sous le signe de la spontanéité. C’est sans doute d’ailleurs la chose la plus spontanée qu’ait faite Andrea depuis bien longtemps.

- I have to admit you’re right about this, il murmure finalement. We’re probably the most spontaneous thing I’ve done in a while. Je trouve ça très agréable, aussi.

Un léger acquiescement vient accompagner son affirmation et les paroles d’Arash. Il a simplement peur que le chanteur prenne la fuite une fois qu’il en saura plus sur son histoire familiale et son mariage, la teneur des informations à donner n’étant évidemment pas des plus simples. C’est ce qui aurait tendance à le freiner un peu - s’il parvenait à se raisonner.

Quand Arash s’approche pour l’embrasser, Andrea lui rend son baiser en glissant une main dans ses cheveux pour caresser sa nuque avec tendresse. Son coeur s’emballe un peu, signalant sans doute le danger - et la naïveté de l’avocat s’il pense vraiment qu’il maîtrise complètement la situation. Son corps se tend légèrement, et quand ils se séparent, il reste un instant proche d’Arash, un sourire naissant sur les lèvres.

- You’re a very good kisser by the way.

Arash sourit, tendre. Il a toujours été quelqu’un qui donne beaucoup en amour, quelqu’un de généreux sur l’attention et les sentiments. Andrea ne fait pas exception et Arash n’est pas dans la retenue lorsqu’il lui ouvre son cœur. S’il ne peut pas se permettre de balancer une bombe dès maintenant, il ne se protège pas non plus d’un éventuel rejet en mettant de la distance entre eux. Il offre son cœur rafistolé et plein d’espoir sans condition, pour ce qu’il peut valoir en tout cas. Arash a besoin de croire qu’il peut guérir des blessures du passé. Il a déjà payé une lourde addition.

- It is yes... Et, je te fais confiance ?

C’est sans doute un peu ridicule de lui dire tout ça alors qu’il ne lui dit lui-meme pas toute la vérité, mais ce n’est pas vraiment ce qu’il cherche à communiquer ici. Il lui fait confiance avec son cœur, advienne que pourra. Arash se sent trop vieux pour jouer les mêmes jeux d’ego qu’Agnes et Harry par exemple. If things have to be simple, his heart must be too.

Alors que leurs lèvres se rejoignent puis se séparent, le cœur d’Arash de met à battre à tout rompre. Ses prunelles se perdent dans le regard bleu de l’avocat. Arash ne s’imaginait pas qu’il pourrait ressentir ces choses de nouveau.

- You too, that is nice too, not gonna lie...

Andrea sourit, mais la confidence de confiance d’Arash le fait se sentir un peu coupable. Il se demande s’il devrait ouvrir son coeur de but en blanc, ce soir, vider son sac et lui expliquer d’où il vient. Mais il s’interroge aussi sur le fait de savoir si le chanteur prendra la fuite. Andrea est un homme pragmatique, qui a besoin de préparation. Il a besoin de savoir comment dire et présenter les choses. D’y réfléchir pour qu’elles ne ressortent pas de la pire façon possible. Le fait qu’Arash soit proche de son demi-frère n’aide pas vraiment l’avocat à prendre de la distance sur son histoire - il s’imagine qu’Arash ne pourra pas comprendre ce qui a pu le pousser lui à développer une attirance physique pour l’homme qui allait devenir son demi-frère. Même si les choses n’ont jamais été comme ça entre lui et Tristan - ils ne se sont jamais considérés comme appartenant à la même famille, avant leur mariage cela dit - leurs vies ont été compliquées par le mariage de leurs parents, et il n’est pas certains que ceux qui n’ont pas partagé les sentiments d’Andrea puissent comprendre.

- I do trust you too, il répond en hochant la tête. You make it so easy to like you, Arash...

Andrea lui offre un sourire sincère et tendre. Cette relation ne ressemble à rien de ce qu’il a connu avant - et le baiser qu’ils échangent, pourtant retenu, lui confirme ce qu’il vient d’affirmer tant les battements de son coeur s’agitent de manière incontrôlée.

- Very nice indeed, il répond en souriant légèrement. That would easily get me distracted from dinner, I must admit...

Il caresse son épaule lentement et avale une gorgée de limonade pour se rafraîchir... les idées.

La phrase d’Andrea, même si Arash l’a provoquée avec sa confession déclenche chez le chanteur une nouvelle vague de culpabilité. Le sentiment qui s’invite régulièrement dans leur relation lui confirme ce qu’Harry lui a prédit all along. Cette tranquillité qu’il apprécie en ce moment et qui n’est jamais vraiment complète, est temporaire, soumise à ce secret qu’il s’entête à garder malgré les avertissements de son frère.

- I’m doing my best, I really want you to like me too

C’est presque vital pour le chanteur qui s’est longtemps senti peu légitime à grappiller un peu de bonheur, à s’autoriser à aimer de nouveau. S’il les choses se sont améliorées par rapport à Harry, Arash a plus de mal à se pardonner d’avoir perdu le contrôle au point de détruire sa famille, sa carrière, mais aussi la plupart de ses relations. Envisager qu’il puisse rendre heureuse une personne de nouveau lui semble complexe et improbable. Après avoir fait l’expérience d’une telle perte de contrôle et d’une descente aux enfers, il en est venu rapidement à la conclusion que contrairement à son frère par exemple, il n’était pas fort.

- Yes very distracting. My poor salad could be offended.

Andrea offre à Arash un sourire qui en dit long ; il aurait envie de lui dire qu'il n'a plus vraiment besoin d'être convaincu, qu'il l'aime déjà beaucoup et qu'il ne voit pas tellement pourquoi tout ça changerait, mais il s'abstient pour ne pas être trop intense. Trop intense, Andrea l'a été à de nombreuses reprises par le passé, en vieillissant, en prenant des décisions, et il travaille aujourd'hui à s'octroyer plus de décontraction et de recul. La présence de Grace dans sa vie l'a aidé, c'est indéniable. La spontanéité qu'il apprécie tant dans ce début de relation doit continuer à gouverner, mais la douceur d'Arash, qui contraste avec ce qu'il a connu jusqu'à présent, rend la retenue parfois un peu difficile pour le jeune avocat dont la personnalité pourrait bien au contraire le conduire à foncer tête baissée.

Ce n'est pas qu'il renie le couple qu'il a formé avec Tristan, simplement, tout au long de ces années, il a eu l'impression de se livrer à une espèce de lutte interminable - sans trop savoir pourquoi il combattait. Ils se sont aimés, très fort même, et à l'époque, cette relation convenait à Andrea, mais il en perçoit aujourd'hui l'intensité parfois pressante. Ce n'est pas quelque chose qu'il souhaite reproduire. Il tâtonne un peu, d'ailleurs, réfléchit plus ses phrases et ses actions que s'il était en roue libre ; c'est en ça, sans doute, que la perte de contrôle est compliquée. Andrea a toujours peur d'être de nouveau pourchassé par ses vieux démons. La maladie, mêlée à son propre caractère - car il ne faut pas rejeter la faute de leur mariage uniquement sur Tristan - pourrait très bien reprendre le dessus et le rendre nettement moins sympathique. La douceur d'Arash contraste avec cette réalité qu'est celle d'Andrea, et qui lui fait peur, parfois.

Il caresse la joue du comédien, non sans tendresse, et lui offre un sourire taquin - se reconnecte à la réalité de leur dîner plutôt que de laisser son esprit vagabonder vers ses bonnes vieilles angoisses.

- We definitely don't want your salad to be offended, though. It seems so nice, I'd hate its feelings to be hurt in any way.

Il rit un peu, d'un rire léger, en avisant les préparations d'Arash. Il veut faire honneur à ce dîner - pour le reste, ils ont le temps. Une partie de la nuit, en tout cas.