i'm ready to dig into all of it, abandonnement issues, dissociative episodes, my dad...

Il aurait été heureux d'avoir un frère derrière qui se planquer en cas de crise parentale. Une sainte vision que le dos du bro', un auguste réconfort que son ombre salvatrice. C'était ce que son imagination féconde pondait dans son esprit mais James était pratiquement certain que la réalité aurait été toute autre. Bye bye le super-frangin, bonjour la divine sœurette que les grands petons des nuages auraient offert à ses parents, histoire de leur octroyer le choix du roi. Non contente d'exploser son schéma familial idéal soigneusement élaboré, elle aurait été peste, chouchou des darons et surtout, de deux ans sa cadette comme ultime trahison. Allez vous cacher derrière un mini dos après ça.
Alors oui, James était probablement un drama king en puissance que son amour pour le théâtre exacerbait à grand renfort de gesticulations et yeux roulés. Peut-être bien qu'il exagérait dans cette réalité alternative comme dans la sienne, mais de toute façon la finalité était la même ; il était fils unique. Il était seul. Il était perdu au creux de sa famille aux ambitions trop larges pour son corps modeste.

Madame Alconbury était avocate. Un requin en jupons qui s'épanouissait dans le droit de la famille (ô douce ironie) et qui se targuait avec toute l'humilité qui était la sienne de travailler de temps en temps comme commis d'office. Son travail l'accaparait; elle n'avait pas pu être présente au neuvième anniversaire de James mais lui avait offert un poney en consolation. Le garçonnet en avait été meurtri même si ça ne l'avait pas empêché de trottiner à vive allure sur le dos de Toto.
Monsieur Alconbury était banquier. Une orque de la finance qui jouait avec ses proies avant de les dévorer. Il avait une dizaine de cravates et autant de costumes trois-pièces car « l'habit faisait le moine ». Un rendez-vous de la plus haute importance à Los Angeles l'avait empêché d'assister au treizième anniversaire de son fils qui s'était vu offrir un petit bateau. Ça tombait bien. Toto était malade.

S'il voulait être parfaitement honnête l'espace d'une minute, James devait reconnaître qu'il était un tout petit peu menteur. Il n'était pas seul. Du moins, pas totalement. Parce qu'il y avait Bonnie. Bonnie et son maquillage multicolore. Bonnie et son vélo aux roues grinçantes qui le spoilait sur son arrivée imminente. Et quand James et Bonnie en avaient assez de refaire le monde juchés sur leurs bicyclettes, ils changeaient de monture. Ils roulaient en caddie à la lumière des réverbères parce que, pourquoi pas.  

Un portefeuille un peu trop rempli et des muscles un peu trop vides, une silhouette androgyne qui se riait de la masculinité toxique, James était la proie idéale pour les groupuscules boutonneux. Mais c'était aussi une charogne que ces hyènes devaient se retenir de dévorer. Ils étaient biberonnés à respecter le couple Alconbury qui faisaient tant pour la ville et ses associations. Jusqu'à ce que le scandale éclate.
Que les parents de James fassent fortune sur la misère humaine, passe encore. Ils équilibraient correctement la balance. Mais qu'ils grugent le fisc était une insulte à tout un état. Monsieur Alconbury fut prié de laisser ses costumes trois-pièces au placard et de revêtir un orange qui ne lui allait pas du tout au teint.

Les employés du domicile familial démissionnèrent les uns après les autres, à l'exception d’Élise qui n'avait pas l'intention de laisser son jeune patron seul avec son oncle maternel, rapatrié en urgence de France pour devenir son tuteur. Oswald avait les yeux bleus de sa sœur, à défaut d'avoir son charisme, ce qui ne l'avait pas empêché de s'enrichir à Paris. L'oncle était supportable, quoique un peu grincheux et surtout, il avait le mérite de délaisser suffisamment son neveu pour le laisser rêver.