Dans le silence de la carcasse métallique/ audi qui filait à une douce allure, en silence, Khor ne pouvait s’empêcher de dévisager les traits de son fils par des coups d’oeils discrets dans le rétroviseur. Khaï. La dernière fois qu’il l’avait vu ce n’était alors qu’un nourrisson. À l’époque il n’avait pas été capable de le regarder en face, pas après la disparition de Karice avec qui il s’était imaginé élever l’enfant. Ça avait été bien trop dur, de voir son reflet dans les traits de leur enfant, et d’y revoir chaque fois les souvenirs du peu de temps qu’ils avaient partagé ensemble. Incapable de résister à cet appel du fin fond de ses entrailles il avait alors fallut qu’il se venge pour pouvoir avoir avoir l’esprit « en paix ». Même si ça impliquait de sacrifier l’éducation et le précieux temps qu’il aurait pu passer à ses côtés pour le passer en prison.

Il le regrettait tant au fond. S’il pouvait remonter le temps pour revenir sur sa décision il l’aurait fait.

Aujourd’hui, la ressemblance avec Karice était d’autant plus flagrante qu’à l’époque. Il avait hérité de son regard unique, de ses cils épais, de son suave naturel. Son poitrail se tordit douloureusement à cette pensée. Il ne pouvait s’empêcher d’appréhender ses traits comme pour mieux les apprivoiser. Il surprit plusieurs fois son regard curieux dans le sien, mais à peine leurs yeux se croisaient qu’il les détournait pour faire mine de le pas le voir.

Il se demandait bien ce qu’il pensait à l’instant, mais il se doutait que ce ne devait pas être rose. Les prochains temps risquaient d’êtres difficiles au moins autant pour l’un et l’autre. Ils avaient toute une vie à rattraper après tout. Dans le silence qui les conduisait vers leur avenir, Khor sentit la culpabilité le gagner. Parce qu'il savait qu'avec ses conneries il avait fait peser sur son fils ses propres peines.  

————————

Peut être qu'il aurait du être heureux de retrouver son père. Pourtant, Khai n'y croyait toujours pas. Il avait surgit du néant comme une ombre de ses entrailles. Une ombre qu'il avait rêvé un million de fois sans s'imaginer qu'ils se ressemblaient autant, incapable de se figurer les traits de son père. Sur la route, leurs regards s'étaient aimantés, ils s'étaient regardés comme deux animaux s'apprivoisent, si proches mais si loin à la fois. Séparés physiquement par un siège mais à des années lumières l'un de l'autre dans le fond. Car cet étranger n'avait de son père que les traits. Un visage pas familier qui prétendait l'être comme tous ceux qui étaient déjà apparus avant.

"Toi et moi on va vivre une nouvelle vie."qu'il avait dit.

Son regard d'encre se perdit par la fenêtre, plongé dans les limbes d'un passé aussi loin que la ligne d'horizon qui défilait. Tout n'était qu'une boucle perpétuelle qui se répétait sans cesse, sans garantie qu'un jour il parviendrait enfin à se planter dans le sol pour y reprendre racine. La tête dans les nuages, et l'esprit plongé entre deux eaux.

————————

Khor poussa la porte de l’appartement pour retrouver son gosse assit sur le canapé. Ce dernier ne lui adressa pas un regard, et il comprenait. La veille il l'avait planté seul dans le noir pour se changer les idées ailleurs. Et maintenant qu'il le retrouvait là, au même endroit où il l'avait laissé, il se sentait mal de l'avoir laissé seul avec sa tristesse. Il n'avait pas été capable d'essuyer sa frustration apparente ni d'écouter ses reproches, incapable de savoir comment un père aurait du réagir sans perdre les pédales, parce que c'était dur. D'apprendre à être le père qu'il avait jamais été. Sans l'aide de personne que le mec qu'il aimait pour le conseiller, Rafael avait beau dire qu'il fallait être patient, comment devait-il l'être quand son propre fils réagissait si mal à ses moindres tentatives. Tout était si nouveau. Il soupira de frustration et vint s'assoir à l'autre bout du canapé, les mains jointes, serrées l'une à l'autre. Sans le regarder ce dernier tenta tout de même.

- Écoute, je suis désolé. Je suis désolé pour hier, et de pas être le père parfait que tu mériterais. Je suis loin d'être un modèle, je sais que j'ai été trop impulsif mais j'ai perdu le contrôle. Mais tu peux pas me rejeter comme ça tout le temps non plus quand j'essaye de faire un pas vers toi.

Le plus jeune serra ses bras autour de ses jambes.


Un lourd silence pesa dans l'air. Khor se frotta les mains l'une contre l'autre. Khai ne s'en doutait pas encore mais il le comprenait mieux que personne. Pour avoir été un sale gosse, comme Khai n'en serait jamais. Ses souvenirs dont il parlait si peu il s'en souvenait.

- Non, c'est vrai t'as raison. Je sais pas ce que c'est. Je me doute que ça a du être dur, et je sais aussi que c'est ma faute si tu as du vivre ça. Mais, je sais ce que c'est de pas avoir de famille. Sauf que je suis là, je suis vraiment là. T'as pas confiance, mais je ferais en sorte que ça vienne tu verras.

Ce dernier posa alors une main chaude sur sa nuque pour la presser. Touché par ses mots, Khai tenta tant bien que mal de lâcher prise pour se laisser aller à celui qui le tirait contre son torse pour tenter maladroitement de l'enlacer. Un moment étrange et curieusement intime.

Ça avait été la première fois. La première fois que son père le prenait dans ses bras.

————————

On lui avait présenté ce visage joufflu et arrondi comme son son presque frère. Un futur copain. Avec ses yeux noisettes, ses boucles, son air angélique et sa peau laiteuse Khai fronçait les sourcils. Il était petit et fin, et ses yeux vifs pleins de vie l'irritaient déjà.


Parce qu'ils allaient vivre avec les Galvez pour reconstruire un semblant de famille. Les yeux du plus jeune avait fixé son homologue et Khai regardait la main tendue entre eux. Il ne comprenait pas vraiment encore tout ce que ça impliquerait, pourtant il ne pouvait s'empêcher de répondre.


Il avait rétorqué au bouclé qui reprit sa main, perturbé. Un sourire qui l'agaçait déjà. Il avait l'air bête. Sauf que c'était pas juste un air bête.Il allait l'apprendre car Luis était fait comme ça. Énergique, hyperactif et totalement allumé. Un soleil qui bientôt amènerait une vive chaleur à ce nouveau foyer qu'il allait apprendre à aimer. Avec les jours et les mois sa perception changeait, en passant par Rafael, type si singulier avec ses tâches de vitiligo et sa nuée de tatouages à Luis qui ne le lâchait plus d'une semelle, toujours prêt à l'entrainer dans ses idées fantasques. Pour la première fois, Khaï commençait à apprécier un semblant de vie de famille pour la simple et bonne raison que ça sonnait vrai. Il aimait cette odeur de bouffe épicée quand il rentrait le soir, que Rafael l'accueillait les mains dans la mélasse des fajitas qu'il préparait et du guacamole qu'il servait en entrée. Il aimait les conneries de Luis qui les faisait toujours tous enrager.

Et il aimait d'une façon ce père avec lequel tout était si compliqué.

————————

Ça faisait peut-être bien six mois qu'ils vivaient ensemble, côte à côte.
Ce jour là Khor ne lui avait pas dit où il l'emmenait, il lui avait simplement dit de mettre des bonnes chaussures. Dans la voiture ce dernier ne lui avait pas vraiment adressé un mot, et son visage charmeur n'affichait aucune moue, pas l'ombre d'une malice séduisante si reconnaissable chez lui. Il avait simplement dit "c'est une surprise". Khai s'était contenté de regarder par la vitre, pressé dans le fond de savoir quelle surprise se serait, mais suffisamment patient pour ne pas poser de questions.



Khor avait secoué la tête. Luis lui l'aurait harcelé pour savoir ce que c'était avant même d'arriver. Est-ce que son père lui aurait répondu de la même façon, si ça avait été lui qui le lui demande ?  Luis que son père surnommait Angy', et dont il avait été jaloux plusieurs fois car ils s'étaient connus bien avant qu'il ne débarque dans leur vie. Jaloux de leur complicité, de l'affection que son père lui portait, car il avait bien fallut constater que son père retrouvait l'enfant qu'il avait toujours été avec Luis, et pas lui.

Les kilomètres avalés par la voiture ils se retrouvèrent devant un endroit vague envahi par la broussaille et la forêt. Peu rassuré de savoir que son père, un ancien taulard malgré tout l'emmenait dans un coin isolé, il ne pipa mot, secrètement angoissé de découvrir cette prétendue surprise. Arrivé devant une vieille grille, Khai fronça les sourcils quand son père sautait un vieux mur de brique.


Peu rassuré il s’était tout de même exécuté pour suivre les pas de son père jusqu’à une vieille grille. Si ces dernières semblaient scellées par une vieille chaine, le plus vieux parvint toutefois à l’écarter pour ouvrir les portes de ferrailles rouillée qui semblait être celles d’une vieille bâtisse abandonnée. En s’aventurant plus loin sur le chemin de terre on put percevoir un grand bâtiment qui bientôt se dressa devant eux, avalé par la nature environnante qui reprenait ses droits.
Khor s’arrêta enfin pour le regarder. Khai lui dévisageait l’écriteau au dessus des portes. C’était un orphelinat ?

Il lui désigna du menton toute en s’allumant une cigarette, pour comme le devinait Khai, éliminer sans doute un certain stresse du aux souvenirs passé. Car il savait que son père ne l’abordait jamais d’habitude.

Ce dernier s’avança pour pénétrer les vieilles portes d’entrées.


————————

Les deux adolescents avaient trouvé bon d’essayer une préparation de Rafael, dont lui seul avait le secret. Une surprise destinée à faire plaisir à leurs pères qu’ils auraient pourtant mieux fait de laisser aux soins des plus vieux. Mais on disait que c’était l’intention qui comptait. Luis lisait le livre de recette ouverte, et bien que tous les ingrédients étaient posés sur la table, bientôt cette dernière serait devenue chaotique, quand les deux gosses distraits finiraient par faire voler les ingrédients entre leurs mains. Khai perdait patience devant la lenteur de Luis.

À ce même moment le concerné prit une poignée de farine.



C’est à instant quand le bouclé avait essoufflé le peu de concentration qu’il avait réussit à avoir. Plutôt que de continuer il préféra se tourner vers Khai pour lui claquer une gifle blanche sur la joue. Sous les yeux effarés du brun qui le dévisagea sérieusement. Il s'empourpra et siffla entre ses lèvres.



Une seconde plus tard bien trop revanchard ce dernier plongeait sur le bouclé pour répondre à sa provocation et lui faire payer son sale coup. il  se mit à lui donner des coups.



Ce dernier gloussa avant de faire la moue. Il frotta ses mains l’une contre l’autre pour les essuyer puis sur son pantalon une fois qu'ils se calmèrent, en constatant que la moitié des ingrédients étaient par terre.


Khai soupira de soulagement. Ils allaient peut-être réussir. Ils avancèrent les préparations, mais Valdur perdit petit à petit son sang froid en voyant l’allure de leurs tapas.



Il s’écria en regardant Angel.


À cet instant précis, la porte s’ouvrit pour laisser passer les silhouettes de leurs deux pères. Ces derniers eurent à peine le temps de se débarrasser de leurs vêtements qu’ils purent constater avec stupéfaction l’état de leur cuisine, méconnaissable. Un véritable champ de bataille s'étendait sous leurs yeux. De la farine était étalée, ça et là parmi des restes de paquets gisant sur le sol. Mais le pire dans tout ça était-ce vraiment ces coquilles d’oeufs brisées sur le sol ou le beurre qui fondait à moitié sur la table ? Rafael sentit son sang mexicain ne faire qu’un tour alors qu’il approchait des deux gosses  et notamment de celui qu'il imaginait parfaitement coupable de cette situation.


Son propre fils, l'agitateur qui entrainait toujours avec lui Khai. Ça ne pouvait qu’être lui qui aurait manigancé une chose pareille. Et sa colère n’avait fait qu’un tour.


Déjà prêt à le sermoner, c’est pourtant la main de Khor qui se posa sur son épaule pour le calmer.


————————


Au début il n’avait pas vraiment réagit quand Rafael lui avait annoncé la nouvelle. Ça faisait des jours que ce dernier se rongeait les sangs, agité et incapable de dormir sans guetter par la fenêtre. Khai avait trouvé ça étrange mais il ne s’en était pas formalisé.  Plusieurs jours en vain, qu’un appel à recherche avait été lancé. Pourtant, dans sa tête, malgré la peur panique qu’il lisait dans le fond des yeux de Rafael, la chose ne pouvait pas changer.


Ses sourcils s’étaient froncés et ses doigts s’étaient serrés imperceptiblement.

—  Je suis sur que non, il va revenir. Il disparaitrait pas sans raisons.

Il en était persuadé. Il reviendrait et en avait l’intime conviction.

Dans les semaines qui avaient suivi cette disparition à l’école, il se murmurait que Khai n’avait pas de coeur, parce qu’il avait continué sa vie comme si de rien n’était. Insensible d’apparence mais pas moins inquiet au fond. La vérité il n’avait pas voulu y croire mais plus les jours passaient et plus il était hanté par ses doutes. Dans cette solitude qui peu à peu le gagnait avec effroi il dut faire face à cette même évidence, que son père ne revenait pas. Que les jours passaient et que ce terrible sentiment de solitude qui s’installait lui glaçait les entrailles. Car non seulement il était malheureux, mais il était affecté par l’état de Rafael et par l’attitude dérangée de Luis devenu hypocrite.

Un climat froid s’était installé à la maison comme si la brise avait refroidi les âmes de chacun, habitée par un vide qu’aucun n’était capable de masquer. Ce qui autrefois avait été un foyer chaleureux s’était transformé en un étaux étouffant duquel chacun tenta de fuir tant bien que mal. Dans ce néant, le visage de Rafael était gravé par ses angoisses, creusant les angles durs de son visage qui tentait pourtant tant bien que mal de tenir une façade qui ne bernait personne. Dans le silence de la maison, Khai errait dans chacun des couloirs, incapable de regarder une pièce sans revoir la silhouette de son paternel. Des souvenirs aussi précieux qu’insupportables qui lui retournaient le coeur.

Dans son besoin de repli, il s’était plongé dans le noir de sa chambre, avait fuit la lumière du jour pour retrouver le confort du néant dans lequel il se plongeait. Fatigué. Fatigué de faire semblant.

Et Luis, où était-Luis ?

————————

Il avait murmuré la voix basse.

J’ai besoin de toi.

Il toqua à la porte, le visage bas. Formuler son besoin, lui était difficile mais il était si désespéré. Désespéré d’une compagnie qui serait capable de lui faire oublier quelques secondes son mal. Luis avait toujours été doué pour ça n’est-ce pas ? Lui changer les idées, le dérider un peu. Avec un peu de chance ce dernier parviendrait à lui arracher un sourire hein ?

— C’est toi ?

Ce dernier ouvrit la porte de sa chambre ensommeillé, le visage enfariné et les traits gonflés. Ce dernier le dévisagea, il avait enfilé un habit à la va vite pour venir lui ouvrir. 



Ce dernier pinça les lèvres. Il était tard, il le savait mais… il avait envie de pouvoir retrouver son meilleur ami, de passer du temps avec lui et de lui expliquer qu’il arrivait plus à joindre les deux bouts. Il voulait lui demander comment il faisait pour continuer à vivre comme si de rien n’était parce que pour lui ça paraissait si facile. De faire comme avant. De faire comme si rien n'avait changé.


Khai s’interrompit à l’entente de cette voix féminine élevée depuis le fond de la chambre. Le bouclait tournait un peu la tête en arrière en répondant.


Il préféra sortir de la chambre en refermant derrière lui sans claquer la porte.


Sans vraiment savoir pourquoi Khai sentit une douleur sourde dans sa poitrine. Il aurait du se douter que Luis était occupé. Ou qu’il avait de la compagnie, alors il secoua finalement la tête avant de lever une main.


Mais demain ils ne se diraient rien. Demain se serait jamais. Khai recula pour rebrousser chemin sous les paupières lourdes de celui qui le contemplait partir. Et si Luis était effectivement à demi réveillé, il n’était pourtant pas dupe non plus. Il ne chercha pas à le retenir, il le laissa au contraire filer pour lui même retourner à son propre oublie. Le meilleur moyen qu’il avait trouvé de supporter cette situation.

————————

Chaque fois que Khai levait un bras pour sortir de la couette, c’était pour délaisser l’étreinte des draps enroulés autour de son corps. Parce qu’il y était tellement bien dans ces draps, qu’il ne voulait plus quitter le confort de son paradis artificiel. Plongé dans le noir de sa chambre, inconscient du temps et des journées passées depuis.

À cette période là, retourner à la lueur du jour lui était devenu compliqué. Il avait développé une angoisse sourde, de retourner à la réalité, de sortir ce la torpeur dans laquelle son esprit s’évadait à l’abri du temps et des gens. Loin des cours, lorsqu’il affrontait les rayons de lumières jaillis hors de sa chambre c’était pour ses besoins primaires. Manger, boire, et faire ses besoins.

Qui pouvait imaginer comme la vie le désertait pour laisser place à une lassitude telle qu'il n'avait jamais eu. Elle rongeait les pans de sa conscience échevelée comme pour l'aider à fuir ces pensées qui dès l'éveil le reprenait. Des angoisses sourdes cachées derrières ses prunelles qu'il refermait pour remonter sa couette sur son épaule et dormir d'un sommeil si profond qu'il aurait pu rivaliser avec la Belle au bois dormant. Sauf qu'il n'y avait pas de prince charmant pour le tirer de là, sinon que son propre reflet.

Au détour d'un couloir en  pleine nuit pourtant sur le chemin qui menait sa porte  la salle de bain à l'autre bout du couloir il entendit plusieurs fois Luis rentrer tardivement pour monter à sa chambre, complètement pété. Dans ses yeux épuisés il avait regardé l'autre adolescent monter, se hisser péniblement au pré de quelques vacillement jusqu'à sa propre chambre. Tomber un peu plus loin dans un fracas qui pourtant ne le faisait pas réagir.

Parce que tout était devenu comme ça. Lui se terrait dans sa chambre, quand Luis se déchirait en soirée, et Rafael lui n'avait que ses joints et son gang pour chercher les raisons de cette disparition.

Un climat devenu insupportable qui bientôt serait balayé par sa décision à quitter le domicile familial pour aller vivre seul dans un endroit plus sain. Pour reprendre sa vie en main dans l'espoir de devenir un homme meilleur, une personne qui ne  manquerait de rien.

Il avait 18 ans lorsqu'il a quitté les Galvez.

————————

Le psychologue passa une main dans ses cheveux pour les remettre en place, puis se tourna vers son patient pour lui lancer un regard perçant. Après avoir laissé ce dernier s’installer dans le fauteuil en face, il plongea ses yeux dans les siens et releva une jambe par dessus l’autre. Les deux mains posées sur les accoudoirs, prêt à écouter ses déboires mentaux.
 

— Khaï, nous pouvons démarrer la séance, c’est à vous. Je vous laisse me confier vos pensées, vos souvenirs s’il y a des choses que vous avez remarqué dernièrement en particulier qui vous hante ou dont vous tenez à parler ?

 
Le jeune homme posa sa tête contre le dossier dans un soupir lasse, peu avant de poser la nuque contre le moelleux du dossier. Cela faisait des années qu’il venait ici, des années qu’il tentait d’évacuer son mal. Chaque fois qu’il était assit à cette place, il savait qu’il devrait rouvrir sa boite de pandore sur son esprit torturé, et briser le sceau des épaisses portes que son esprit avait dressé pour éloigner « le mal » dont il prit. C’est vrai, il ne se dévoilait jamais autant que dans ce bureau, avec cet homme qui depuis tout petit le suivait.
 

— Je me sens vide dernièrement. Je range mon appartement, je fais les courses, je prépare à manger, j’étudie, mais parfois, c’est comme si tout était vain. Je sais que je me suis promis de faire ça pour avancer, pour mon père. J’ai envie de réussir, mais le fait de savoir qu’il n’est pas là pour le voir, et qu’il ne le verra peut-être jamais. Je me demande parfois pourquoi je fais tout ça, dans l’hypothèse qu’il revienne seulement un jour. Un retour entre parenthèse qui sera peut-être condamné à le rester. C’est une attente insupportable. Ça fait déjà cinq ans maintenant. J’aimerais avoir plus de personnes vers qui me tourner mais je ne peux pas non plus être tout le temps dans leurs pattes. Luis est tellement occupé avec sa propre vie. Quand je vois ce que Rafael est devenu…

 
Le jeune homme se perdit dans un silence pesant son regard vert teinté d’une angoisse sourde.
 
 
Il froissa ses sourcils jusqu’à détourner la tête, songeur. Il avait toujours eu des soupçons sur la nature de la relation de son père et Rafael, mais plus il vieillissait et plus il se doutait de ce qu’elle avait été. Il n’en avait pourtant jamais parlé avec Luis, pas une seule fois. Il ne voulait tout simplement pas le voir en face. Mais pour que Rafael ai perdu la tête à ce point, il n’y avait plus de place pour le doute, c’était une évidence. Khai passa une main sur son visage pour le frotter, dépassé.
 

— Aujourd’hui il est même plus capable de prendre soin de lui ou de Luis, il préfère noyer sa peine entre deux affaires mafieuses si c’est pas un verre d’alcool ou une poignée de poudre.

— Khai, vous n’êtes pas Rafael. Ça le regarde lui s’il ne va pas bien et s’il est ainsi aujourd’hui c’est de sa propre volonté. Vous n’avez pas à vous sentir coupable ni même à vous comparer.  

Le jeune homme esquissa une moue. C’était vrai, peut-être qu’il se préoccupait trop des autres, peut-être pas assez de lui. Il ne voulait tout simplement pas ressembler à Rafael Galvez, un homme que la vie avait tellement changé du jour au lendemain. Avait-il encore une âme ?

————————

Il devait se rendre au stadium ce soir là. Un entrainement rien de plus inhabituel depuis qu’il avait l’ambition de s’ouvrir une carrière internationale en catégorie junior. Il filait à douce allure sur les voies rapides avant de sortir sur une bretelle nord quand un appel interrompit le fil de ses pensées. D’une mauvaise habitude prise plusieurs années en arrière ce dernier fouilla son téléphone pour décrocher.
— Allo ?
— Khai Valeur?
— Oui c’est bien moi.
Entendant un silence à l’autre bout du fil ce dernier repris.
— Qu’il y a-il ?
— C’est au sujet de votre père.
[…]

Le téléphone lui tomba d’entre les doigts.
Il y eu cet instant dans le vide avant que tout ne dégénère. Un trou noir qui venait d’apparaitre et dans lequel son esprit fut aspiré. Un vide si profond et violent que toute ses pensées s’y bousculaient. Khai sentit son pouls partir en vrille. Le pied plaqué contre l’accélérateur, le moteur vibrant sous sa pédale, le compteur kilométrique s’emballe brutalement. Il n’y a pas que l’adrénaline dans ses veines mais ce sentiment étrange d’injustice. Cette colère qui palpitait si fort au bout de ses doigts qu’il tenait plaqué au volant. Il ne contrôlait plus rien, tout se bousculait en même temps, comme surgit d’un puis sans fond.

Il fait nuit mais pourtant il voit tout très clairement. Il se déporte à gauche pour dépasser quelques voitures qui lui barrent la route, et il voit cette lumière blanche aveuglante qui se profile au loin. Elle se rapproche.  Il ne freine pas, il serre plus fort ses doigts, presse un peu plus fort sur la pédale, le souffle court. Il ne contrôle plus rien mais il s’obstine et refuse de se ranger. Aveuglé par le phare d’en face qui tout à coup l’illumine. Il n’entend pas le choc, ne se souvient plus de l’instant qui a suivit.  Incapable de penser à autre chose.

Il était mort putain. Mort.