(avant) Tout était si simple avant.
Tu te souviens qu’on ne prononçait jamais ces mots
(malade, fou)
tu n’étais qu’un enfant turbulent,
on ne pensait pas que ta cervelle était remplie de maux.
(innocemment tu pensais vivre ainsi jusqu’au bout)

(12 ans) « Ta grand-mère était bipolaire », c’est sorti de la bouche de ton père.
Tu ne sais pas ce que c’est.
Tu comprends à peine ce qu’ils t’ont diagnostiqué.
Atteint de cyclothymie. (et puis dans la pièce, ça sonnait comme la fin du monde,
le médecin avait un visage concerné, te regardait,
comme s’il fallait creuser ta tombe,
tes parents qui se dévisageaient)
(et toi, à leurs côtés,
aidé par une crise d’hypomanie,
tu souriais, comme léger)
Maladie à vie.

Maladie mentale (bancale).
« Elle était comment mamie ? » que tu demandes à ton père,
sur le chemin du retour, t’as soudainement l’impression d’être un calvaire.
« Elle était… différente. instable… Mais parfois elle allait bien »
« Et moi, je vais aller bien ? »
Tu croises le regard de ton père dans le rétroviseur,
Ta mère se racle la gorge, puis prends ta main, le regard ailleurs.
« Toi, c’est différent, Jared »
« Pourquoi ? »
« Tu as entendu le médecin, mon cœur », qu’elle parle ta mère, « toi, tes émotions sont toujours en mouvement. Alors parfois, tu seras super joyeux et parfois tu seras triste mais tu ne dois pas te laisser abattre, d’accord ? On sera là, avec ton père », elle te lance un sourire précaire.
Tu la regardes, et ta jambe commence à bouger,
à l’intérieur les émotions se mettent à exploser,
tu veux t’énerver ou pleurer,
crier,
(alors c’est ça ?
Je suis instable, papa ?
C’est pour ça que je fais peur aux gens ?
C’est pour ça que je suis traité de fou même par les grands ?)
« Je vais bien », que tu dis, en colère.
« Oui, fils », tu as envie de casser la vitre.
Tu es contrarié (angoissé).

Tu as cassé la vitre. Et puis tu as gueulé.
Ton père a soupiré.

Tu es malade.
(et t’as l’impression d’étouffer,
m a l a d i e
titre à la con pour dire que tu es prisonnier
de cet handicap à perpétuité.)

(13 ans) C’était au cinéma.
Tu étais seul, tous tes copains t’avaient lâché (t’avais dit que ça va
au fond, tu les a détesté)
tu as payé ton ticket et vos regards se sont croisés. (et le cœur a battu différemment
toi, paralysé par sa beauté,
pour une seconde seulement)

Tu as pensé à lui durant toute la séance.
Et le cœur battant, rempli d’espérance,
T’es retourné l e voir.
Il faisait nuit, c’était le soir.
(il était toujours là)
(il était très beau)
« Tu te souviens de moi ? On s’est croisé y’a genre 1 heure 30 »
tu lui a souri, de cette manière un peu insolente.
Tu lui as demandé s’il avait vu le film, puis tu as surtout beaucoup parlé. Sans t’arrêter. (tu voulais l’impressionner,
tu t’es perdu dans tes émotions impulsives)
La cervelle en excitation excessive.
Et puis tu lui as avoué,
tout sourire,
entre deux rires,
qu’il était tellement beau,
que tu lui avais acheté le ticket du mauvais film.

(14 ans) « Ça veut dire que tu m’aimes bien ? », tu as ce sourire solaire.
Encore une fois, tu as beaucoup parlé, à débattre sur la terre entière.
Et A r c o, il t’a simplement écouté,
il t’a souri,
et tu as continué (à t’essouffler,
le cœur qui bat à t’en étouffer).
Alors il t’a embrassé.
Pour écouter ton silence.
« oui, je t’aime bien », et tu es tombé amoureux, toi
(tu as rêvé qu’il soit à toi).

Vous vous êtes encore embrassés (tu lui as dit je t’aime en premier,
entre deux tirades,
comme si ce n'était rien,
en lui prenant les mains,
t’as pas pu t’en empêcher. Encore une fois, tu as t r o p parlé).
Et puis un jour,
vous avez fait l’amour. (impatient, tu t’étais mis sur ses genoux,
sur la banquette arrière de cette voiture,
tes lèvres sur son cou,
sans penser au futur,
aux parents qui ne savent pas que leur enfant
fréquente quelqu’un de plus grand).

(14 ans) « Tu as l’air amoureux, fils »
tu te mords la lèvre (mais le sourire est trop présent),
les yeux fixés sur le bois (à faire comme si et pourtant,
tu penses toujours à lui).
Il voit ton sourire ton père, il pose son marteau,
toi tu t’obstines avec ta scie.
« Elle s’appelle comment ? » (tu souris)
T’es silencieux pour la première fois.
Comment lui dire que tu n’es pas cela, toi ?
Tu hausses les épaules, ton regard qui croise le sien,
« je… » tu pouffes. Je suis gay, papa (et il vient parfois,
dans ma chambre, il reste contre moi, jusqu’au matin).
les joues qui rougissent,
ton père sourit (complicité d’un père et d’un fils).

« papa, je… » (il s’appelle Arco,
si tu savais à quel point, il est beau !
Il a les yeux verts, et puis son sourire…
Mon cœur bat si fort quand j’arrive à le faire rire !)
Tu te mords à nouveau la lèvre, déconcentré : le coeur en euphorie (quand tu penses trop à lui)
et le silence lui dit (à ton papa,
qui perd son sourire,
qui te regarde un moment alors que tu caresses le bois)
« papa, je suis- », « t’es mon fils »
tu le regardes (peut-être pense-t-il à un autre caprice).
Tu lui souris gentiment.
Et il se remet à son bricolage,
une expression timide et triste sur son visage.
Alors tu reprends ta scie, « je t’aime papa »
et vous voilà à nouveau silencieux
dans ce garage,
à deux.

(15 ans) Il t’obsède.
Il t’obsède et il t’énerve.
Il est toujours là. (même (surtout) quand tu ne veux pas).
A t’attendre à la sortie du collège,
à s’immiscer dans tes draps
(mais toi tu ne veux plus putain !)
Il peut pas te laisser tranquille ?!
Il est bizarre Arco. Il fait vraiment peur.
Il est là … il est là même quand tu ne lui dis rien.
Que tu ne lui dis pas que tu vas chez un ami.
Alors comment a-t-il pu être là ? En bas de chez lui ?
Arco, tu fais vraiment flipper…
C’est comme si… (c’est comme si tu le suivais ?)

Tu étais en train de draguer un autre, Jared.
Dans un élan de rébellion,
ce gars-là te plait et alors tu ne te poses pas de question. (de toute façon, Arco t’emprisonne,
tu penses le quitter bientôt,
tu ne l’aimes plus.)
Tu l’embrasses. Comme un gamin confiant, tu lui voles ce baiser, ton regard qui ne cesse de l’observer.
Et à nouveau, tu as ce sourire insolent.
Et puis tes yeux se posent vers l’extérieur éclairé.
Et tu le vois. Presque caché. (il t’a vu le t r o m p e r)

(15 ans) Tu lui as gueulé dessus. Comme si c’était lui le problème (bien sûr que c’est lui). (et ta tromperie ?)
Tu lui as craché toute ta peur,
toute ta terreur,
et puis tu as fui.
Sans lui laisser la chance de te retenir.
(et toi tu veux simplement en finir).
De lui.
De vous.
Tu veux retrouver ta liberté (comme si on te l’avait volée).
(tu l’as trompé)
Mais lui. Lui, il t’épiait. Nuit et jour.
Comme un vautour.
Tu lui as dit,
« J’veux plus te voir ! Si j’te revois je porte plainte, t'as compris ?! »
Arco, il s’en est simplement allé.
Il pensait sûrement encore que tu faisais une de ces crises qu’il avait remarqué.
Quand tu explosais d’un coup.
Tes cris incontrôlés.

Pourtant, cette fois-ci,
quand Arco est revenu,
Tout était f i n i.

Tu as porté plainte. (tu voulais qu’il s’efface)
(tu voulais simplement qu’il s’efface)

(15 ans) Tu as tout dit. Tout avouer.
Tu as sûrement exagéré quelques moments. (comme si tu n’avais jamais voulu de cet interdit,
quand il s’immisçait dans ta chambre, ta fenêtre restée ouverte (acte volontaire)
quand il t’accaparait, à faire l’amour dans sa voiture, la nuit entière
quand il occupait toutes tes pensées jusqu’au manque délétère)
Tu as tout nié.
Tout l’amour.
Toute la tendresse autour. (dans ta crise impulsive,
tu ne cèdes qu’à ce désir immédiat :
le voir partir loin de toi.
Pulsion agressive)

Est-ce toi qui ne voulait plus de lui ?
Est-ce la maladie ?
Tu ne sais plus aujourd’hui.

Tu ne sais plus non plus à quel moment cette affaire t’a échappé.
A quel moment, tout, absolument t o u t, est devenu incontrôlé.

« pour le chef d’inculpation de viol, le jury déclare l’accusé non-coupable.
pour le chef d’inculpation de détournement de mineur, le jury déclare l’accusé coupable. »
Tu ne l’as pas regardé. Arco.
Tu es resté les yeux fixés sur tes mains,
sur ta jambe qui ne cessait de bouger (ta cervelle si angoissée).
tout, t o u t, sonnait comme une fin.
(c’est ce que tu voulais, non ?)
Votre amour ne cessait d’être bafoué lors de ce procès,
mais tu n’as rien relevé, et quand tu partais dans tes excès,
papa simplement disait « ce n’est rien, il est malade »
et puis on t’évacuait.

Tu ne sais plus ce qui t’as fait le plus de mal.
Arco qui t’échappe ou papa qui avoue que tu es bancal.
La situation qui s’empire ou Arco qui s’est arrêté de sourire.

Ta maladie a tout détruit. (tu as tout détruit).

Tu ne l’as pas regardé parce que tu savais,
que si tu croisais ce regard vert,
ce regard sincère,
tu te serais mis à pleurer, tu aurais dit « tout ça c’est pas vrai !
C’est des conneries ! »
Mais qui t’aurait cru, Jared ?
Tu n’es pas bête.
Papa aurait simplement répété :
« Il est malade, désolé. Parfois il n’a pas toute sa tête. »

Arco n'avait plus le droit de t'approcher.
de te parler.
et toi tu as tout cassé,
à la maison, tout, t o u t, y est passé.

(16 ans) Tu dors énormément en cours.
(tu rêvais de rentrer dans la NASA,
tu l’avais déclaré à ton professeur,
entre deux équations, « moi, j’veux aller là-bas ! »
convictions plein le cœur.)
Tu aurais pu être astronaute.
Marcher sur la lune, explorer d’autres planètes,
mais ce n’est pas ta faute,
si le big bang est dans ta tête.

La maladie t’épuise.
Elle est comme un énorme néant où tu t’enlises,
et parfois
tu veux y succomber.
Mais papa est là, toujours là,
il a compris avec sa propre mère,
que ta maladie était l’ennemi de cette guerre,
(il sait que tu pourrais te tuer comme ça,
d’un rien, d’un rasoir, d’un médicament,
comme sa maman.
Il sait que parfois tu es pris par ce noir étouffant
mais personne ne comprend).

Parfois même tu te demandes, la nuit,
qui tu serais sans ta maladie.
Est-ce que tu serais moins colérique ?
Moins impulsif ?
Ou est-ce que cela fait partie de toi ?
Où est la limite ?
Tu ne sais pas.
Tu ne sais pas, tu ne connais pas.

« Tu m’en veux, fils ? », le lendemain du procès, papa était venu te border.
Il était 15h passée, tu ne t’étais toujours pas levé. (dépression improvisée)
Tu as continué de fixer la fenêtre, là où tu embrassais Arco,
avant que, te mordant la lèvre, tu le regardes partir d’en haut. (douleur)
« Il s’est joué de toi, tu sais. Il n’était pas une bonne compagnie », (erreur)
papa n’a jamais parlé ainsi. Peut-être lui rappelais-tu sa mère.
Peut-être croyait-il comprendre ton calvaire.
Tu es resté silencieux.
Pendant trois jours.
Tu n’as pas bougé, à t’en faire mal à la vessie,
les démons autour,
tu te voyais déjà comme ça pour la vie.

Puis à nouveau. L’hypomanie.
C’est sans fin, papa.
J’en ai marre.
Même quand je suis joyeux, au fond le suis-je vraiment ?
Tout n’est peut-être qu’une illusion.
Peut-être qu’à jamais, je suis prisonnier de ce néant. (désillusion)
Papa, si tu savais... Arco me manque terriblement.
(« Il a abusé de toi en te sachant vulnérable mais tu ne dois pas t’en vouloir, d’accord ? » il avait rajouté)

« Jared ça ne peut pas continuer comme ça », le proviseur te voit trop souvent,
il t’appelle par ton prénom,
parfois tu en ris, comme maintenant,
« On s’appelle par nos prénoms maintenant Philip ? »
Il ne rigole pas avec toi. Il soupire face à ta question,
écrit quelque chose sur son papier dont tu n’as que faire.
« Et ton rêve Jared ? » « Mon rêve ? », tu sais de quoi il te parle mais tu continues de faire l’insolent.
« Oui, de devenir astronaute », tu pouffes nerveusement.
« C’était une lubie, Monsieur. J’en ai pleins. J’en ai tout le temps. Hier je voulais devenir acteur », tu mens et tu as mal au cœur.

Peut-être que c’était bien une lubie.
Après tout, tu as perdu espoir,
peut-être encore un autre effet de ta maladie.
Où est le v r a i dans cet immense couloir ?
Où les portes sont toutes identiques, angoissantes,
Où tu cours et tu tombes, d’une chute effrayante.

(tu as toujours voulu être astronaute,
monter dans une fusée, la tête haute.
Mais les chances se sont envolées une par une,
tu ne pourras jamais marcher sur la lune.)

Jared, patient atteint de cyclothymie.
Comme un casier judiciaire.

« Deux heures de colle, Jared », même refrain qu’hier.
Tu lui donnes un joli sourire avant de partir.  

(17 ans) C’est étrange, Arco.
Voilà des mois que je craignais d’oublier ta voix,
ton regard,
la longueur de tes doigts.
Des mois que le regret est palpable,
la douleur insupportable.
Je ne vais pas te mentir, parfois il m’arrive de ne plus y penser, de poser mes lèvres sur d’autres un peu bêtes,
avec qu’une seule envie en tête
baiser. (ou te retrouver ?)
Parfois il m’arrive d’embrasser des garçons trop longtemps, les voir souvent mais je me lasse, Arco.
Je me lasse si vite, et j’ai l’espoir futile que cela n’a rien à voir avec la maladie que je vis.
Nos regards se sont croisés. Je t’ai vu même si tu n’aies jamais revenu.
J’étais en face de ma mère, dans ce restaurant.
Elle me parlait de Dieu, il me semble. Et je t’ai vu.
Depuis je me demande si tu as ressenti la même décharge,
le même poignard au cœur.
Je me demande si tu as de la rancœur,
ou si je te manque.
Je ne te mens pas Arco, en disant que j’en ai fréquenté d’autres et pourtant mon cœur s’obstine.
Entre deux conneries libertines,
je repense à ton regard.
A ses moments passés dans ta voiture.
Et tu me manques, et je me fous de savoir si tu en aimes un autre.
Je me fous de ta peine.

Je veux simplement sentir à nouveau la passion de nos moments,
ton regard détailler ma peau lentement.