Faire les courses de Noël avec un gosse de trois ans et demi s'approchait dangereusement de l'aliénation mentale, décida Baron en soufflant, alors qu'il observait son fils farfouiller dans un bac de peluches placé suffisamment bas pour attirer l'attention de tous les mouflets à la ronde.
Non il ne se demanda pas la moindre seconde pourquoi diable il n'y avait que Kameron pour fouiller dans le bac et comment faisaient les autres parents pour avoir un brin d'autorité. Il préféra acheter un éléphant en peluche d'une couleur criarde et atroce, et le confier à son fils pour avoir la paix.
Kameron suivait donc son père sans trop regarder où il allait, bavouillant sur sa nouvelle peluche avec satisfaction, tandis que Baron se creusait la cervelle pour trouver quoi offrir à sa mère, qui était clairement la personne la plus difficile en cadeaux qu'il connaisse.
Quoique Shelley aussi avant qu'ils se foutent sur la gueule par avocats interposés. Mais maintenant il avait plus à se préoccuper de quoi lui offrir, et espérait vaguement qu'elle décide pas de lui offrir une balle gravée à son nom.

Il secoua ces pensées peu agréables en se concentrant de nouveau sur ce qu'il pouvait bien offrir à sa daronne pour Noël. Une idée de parfum lui traversa l'esprit, et il héla son fils pour rejoindre, dans ce grand centre commercial, une parfumerie même s'il n'y connaissait absolument que dalle.

« Kam, tu viens ? »

Pas de réponse, et un Kameron qui ne faisait pas de bruit c'était éminemment suspect.

« Kameron ? KAMERON ?! »

Merde, il était passé où ?!

Les centres commerciaux étaient une espèce de purgatoire – si tu avais connu le mot – pour toute personne habituée aux espaces restreints, au manque de choix et à l’obscurité. Tout clignotait, tout le monde allait vite, mu par un but qui t’échappait. D’un autre côté, personne ne faisait réellement attention à toi, les poubelles étaient toujours pleines pour peu que tu saches éviter les agents d’entretien. Les magasins t’étaient ouverts pour peu que tu ne t’approches pas des lieux où tout semblait cher et où les vigiles te suivaient avec un air mauvais, tout prêts à te sortir dès qu’un client retroussait le nez à ton approche. Dans un magasin d’odeurs, une adolescente t’avait aspergé de pchit pchit au point de te faire éternuer et de manquer de te faire vomir, tes yeux te piquaient horriblement.

Assis sur un banc d’où tu avais fait fuir une mère avec ses deux enfants comme un rat outré face à ton intrusion dans son nid, tu grignotais une pâtisserie que tu avais trouvé dans une poubelle. Face à toi, un gamin qui serrait une peluche t’observait. Une joute oculaire se mit en place entre vous deux, qui dura au moins une bonne dizaine de secondes avant que vous n’échangiez vos trésors. Tu reniflais avec curiosité la bestiole que t’avait offert le gamin et lui léchouillait la confiture qui restait sur la pâte. Vous étiez assis tous les deux sur un banc à observer le mouvement quasi hystérique des gens autour de vous. Tous ceux qui se risquaient à approcher fuyaient face à ton odeur insupportable ou face à l’idée de devoir s’occuper de deux gamins possiblement perdus.

Un vigile qui t’avait déjà chassé vous fixait cependant avec un air méfiant depuis un magasin et levait sa main vers son téléphone d’épaule. Ton nez se fronçait et tu attrapais la main de ton nouvel ami pour le tirer avec toi vers de nouvelles aventures. Hors de question de vous faire attraper par la police. La cohue te stressait et le gamin plutôt docile te permettait de vous diriger en louvoyant entre les jambes vers la sortie. « Vous êtes perdus les enfants ? » Vous apostrophait une petite vieille en se penchant exagérément vers vous. Tu levais le nez et, tirant le môme, pris sur toi de la contourner. « Nah ! Maman est là-bas ! »

Excellent, Baron venait de faire peur à une vieille en lui demandant un peu brusquement si elle n'avait pas vu un petit garçon haut « comme ça », brun et sans doute perdu. Elle devait l'avoir pris pour un pervers, et lui était en train de pester que ce mouflet, il aurait mieux fait de lui mettre une LAISSE quoiqu'en dise son instit.
Il ne savait foutre pas comment le brave homme parvenait à en emmener 20 du même âge d'un point A à un point B sans en perdre sur le chemin, mais lui déjà un seul manifestement il galérait. L'instit de Kameron devait être beaucoup plus patient que lui...

Il esquiva le regard d'un vigile en plongeant dans un rayon vendant des guêpières et des soutien-gorge ne couvrant pas les seins, s'attirant le regard soupçonneux d'un jeune couple, à qui il adressa un sourire idiot avant de pousser une porte vitrée où il y avait écrit « défectueux ».

La porte s'ouvrit et Baron se retrouva dans le grand hall du centre commercial où bien sûr tout le monde était plus grand que son fils – c'était le cas de la plupart des gens, et heureusement pour eux.

« KAM ? »

Il attira quelques regards, mais c'était encore rien rapport au moment où il se servit de la longueur non négligeable de ses jambes pour rattraper Kameron qui le plus tranquillement du monde, se barrait avec un autre gosse que Baron avait jamais vu.
Faites des mouflets, qu'ils disaient. C'est fidèle. (Ah non ça c'était les chiens...)

« Hep là, deux secondes jeune homme... ça c'est mon fils, je ne sais pas où vous allez comme ça, mais pas sans moi...
Tu t'appelles comment ? »

Ohlà mais il puait, ce gamin !

« Kameron, donne-moi ça. »

Baron concentra tout son instinct paternel pour renforcer son estomac d'acier trempé afin de ne pas s'exclamer « ahhhh EEEEERK » et secouer sa main comme si Kam au lieu d'y déposer un gâteau trempé de salive, y avait foutu de l'acide.

Tu gardes la main du petit dans la tienne et tu le tires un peu pour continuer à marcher vers la sortie, tout pour fuir cette masse sans vergogne qui foulait au pied tout ce qui se trouvait sur leur chemin. « Fi tu le manves pas, fe le manve moi. » Tu tends la pogne pour récupérer la pâtisserie qu’a confié ton nouveau pote à l’inconnu. Les minus c’est vraiment trop naïf, ça croit tout le monde et ça obéit à n’importe qui. « Puis t’es qui toi ? Tu touffes pas à mon poto ! » Bon, ok, tu iras pas jusqu’à te battre pour Kameron, c’est qu’il faisait pas partie des égouts et tu n’as pas vraiment envie de finir dans un centre ou dans la loge des gardiens de sécurité. « Moi f’est Gobe-Mouffe. »

Baron laissa volontiers le gosse crasseux foutre la main sur le gâteau, et il se retint encore une fois très fort de grimacer à l'odeur du mouflet. Ça ne paraissait absolument pas gêner Kam, qui tendit les bras vers sa peluche pour la récupérer, l'appréciant finalement plus que le gâteau. Il fronça les sourcils :

« Gobe mouffe ? C'est pas courant comme prénom. »

Voyez qui ose ouvrir sa gueule avec le prénom à la con qu'il se tape ? Baron savait pourtant que ça n'était pas bien de se foutre de la gueule des gens, surtout des enfants, mais il trouvait ça franchement difficile de s'en empêcher.
Kameron, son éléphant récupéré, gloussa quelque chose en attirant sur lui l'attention de son géniteur, franchement dépassé par les événements – mais ça, c'était un style de vie à force.

« Je m'appelle Baron. Je suis son papa », fit-il en désignant Kameron. « Tu sais qu'il faut pas embarquer les enfants des gens comme ça ? Tu vas t'attirer des ennuis en faisant ça. »

« Non f’est le mien et f’est le feul. » Jusqu’à preuve du contraire et tu espérais bien ne pas être démenti. Quelle image ça renverrait de toi ? En tout cas pas celle sûrement très flatteuse que tu affichais à présent. L’odeur de crasse mélangée à celle de parfum bon marché te gênait même toi et manquait de te faire éternuer en permanence. « Et f’est Mouffe, f’est Mouffe. » Tu plantes tes poings sur les hanches, comme tu l’avais vu faire de nombreux adultes, après avoir rendu son éléphant à Kameron, trop obnubilé par la discussion pour lui disputer ce qu’il t’avait donné. « Baron f’est ton nom ou ton nom de grand du deffus ? » Tu demandais, curieux. Il avait pourtant plus une tête d’Hunter ou de Josh. « Ve l’embarquais pas, les vens y foulaient qu’on partent alors moi ve l’ai emmené et y était ok ! Hein Kameron t’étais ok ? Puis quoi comme ennuis ? La poliffe elle fa m’enfoyer en fentre ? » Tu postillonnais partout du gâteau dans lequel tu as eu l’idée audacieuse de mordre pendant que tu parlais.