Hazel && Curtis

Une boutique d'instruments de musique,
Juste avant la fermeture,

«  Hé ! Zaz ! »

Avait jeté de sa voix débonnaire le propriétaire des lieux alors qu'il sortait de l'arrière salle, un étui à guitare flambant neuf entre les mains et à l'attention de sa petite employée. Son regard bienveillant s'était posé sur la silhouette si fine qu'elle en semblait toujours si fragile de cette femme aux allures de gosse et qui, un jour, avait surgi dans sa boutique. Il lui avait suffi d'un coup d'oeil pour comprendre qu'elle ne lui achèterait rien... Pas les moyens c'était évident. Et, au début, l'homme devait bien reconnaître qu'il s'était montré méfiant envers celle qui, de toute évidence, était l'une de ces gosses de rues qui n'ont pas plus de toit sur leurs têtes qu'ils n'ont les moyens de traîner dans sa boutique. Alors, oui, il l'avait surveillée du coin de l'oeil. Elle aurait pu être une voleuse ! Mais, non. Elle n'avait jamais fait que regarder, effleurer du bout de ses doigts et du bout de ses longs cils, ces instruments qui semblaient lui mettre des étoiles plein les mirettes. Puis, sans oublier de lui souhaiter une bonne journée, elle s'en était allée. Disparaissant comme elle était venue. Régulièrement, il l'avait vue revenir, éveillant la curiosité de celui qui avait fini par venir la voir. Elle était comme un chaton privée de sa mère et qui s'effrayait au moindre regard, mot prononcé à son endroit. Cela lui avait pris du temps mais il avait fini par découvrir son histoire ou, du moins, la partie qu'elle consentit à lui en livrer. Oui, elle vivait dehors. Oui, aussi, elle aimait la musique et elle cherchait un boulot. Il n'avait besoin de personne, ne voulait d'ailleurs embaucher personne. Mais, elle, il l'avait prise à l'essai. Parce que son histoire touchait son vieux cœur de rocker raté. Parce qu'elle était dure à la tâche. Parce que, sans même qu'elle s'en rende compte, cette gosse était douée. Plus d'une fois, après qu'il eut compris qu'elle jouait, il l'avait écoutée. La musique, cette môme elle l'avait dans le sang... et plus encore au bout des doigts ! Elle ignorait le solfège, n'avait apparemment pris que quelques rares cours durant son adolescence, mais elle balançait de ces accords dès que ses doigts touchaient les cordes d'une guitare !

« Oui ? J'ai presque fini de ranger. Tu veux que je fasse autre chose Raph ? »avait-elle répondu dans son habituel sourire « Si tu veux après je peux aller te faire des courses à l'épicerie du coin ? »

Elle bossait comme une dingue. Pas même pour l'argent vu ce qu'il la payait... Et, le vieil homme le savait, cette gosse avait un cœur en or. Combien de fois, sans rien dire, l'avait-il vue partir pour mieux revenir les bras chargés de sacs remplis de victuailles ? Hazel savait qu'il avait du mal à se déplacer et elle aimait à lui rendre service. Sans jamais rien attendre en retour. Simplement parce que, comme elle aimait à le dire, elle aimait à rendre service. Et lui n'en soupirait que plus encore devant l'injustice de la vie. Cette môme n'avait pas sa place dehors ! Si une gosse méritait de s'en sortir c'était bien celle-là ! Plusieurs fois il lui avait proposé de l'héberger mais la demoiselle avait sa fierté et elle avait toujours refusé. Acceptant néanmoins son offre de pouvoir venir jouer un peu dans le mini studio situé dans l'arrière boutique. Comment lui refuser cela ? Il l'avait regardée et montré l'étui posé devant lui sur le comptoir.

«  Tiens ! Ca fait des mois que je te vois presque baver devant cette Gibson... » puis, la poussant un peu devant celle qui n'en revenait pas, écarquillait tout grand les yeux «  Elle est à toi. »
«Je... J'peux pas accepter Raph ! C'est... trop ! »

Lui avait fait mine de bougonner devant cette tête de mule mais, voyant la porte s'ouvrir sur la silhouette de l'un de ses plus anciens et chers clients, il avait haussé les épaules et jeté à la gamine

«  J'tai pas demandé ton avis Zaz ! Tu prends cette gratte et tu files l'essayer dans le studio ! C'est un ordre mademoiselle ! »

Il s'éloignait déjà, abandonnant celle qui, les yeux humides de reconnaissance, effleurait du  bout de ses doigts tremblants, ce cadeau qui chavirait son cœur. Voyant son patron saluer à grand renfort d'accolades l'homme qui venait d'entrer, comprenant qu'ils se connaissaient bien et ne voulant pas les déranger, elle avait pris son inestimable cadeau et s'en était donc allée se cacher dans le studio. Une porte qu'elle laissa maladroitement entrouverte et sa haute silhouette qui se posait sur le haut tabouret. Sa guitare branchée, elle laissa ses doigts virevolter d'abord doucement et avec hésitation sur ces cordes qu'elle tentait d'apprivoiser. Et, bientôt, les notes s'élevèrent dans l'air de la boutique. Amenant aux lèvres du patron un sourire radieux. Croyant desceller une lueur d'étonnement chez son ami, il avait fait un clin d'oeil complice au musicien et commenté, expliqué

«  Elle joue bien hein ? Et encore tu l'as pas entendue chanter mon pote ! Cette môme c'est une putain d'artiste qui s'ignore ! J'te jure Curtis ! Elle est presque plus douée que toi à son âge c'est pour te dire ! »

Faisant une pause il alla chercher l'instrument que son ami lui avait demandé de customiser et, entendant la voix de son employée s'élever à son tour il avait marqué une pause et soupiré tout en secouant la tête

«  T'y crois si je te dis que cette gosse vit dehors ?! Qu'elle a jamais pris de cours ? Si j'pouvais et si j'étais producteur je la signe direct ! Non mais écoute la ! »

Apparemment l'homme avait suivi son conseil car, déjà, il s'était aventuré dans l'arrière boutique, comme attiré par le chant de cette sirène rock'n'roll et, appuyé au chambranle de la porte, l'écoutait. Elle, était tellement dans sa bulle musicale, qu'elle ne l'entendit pas tout de suite. Ce ne fut que lorsqu'elle l'entendit allumer un second ampli et prendre place face à elle, sa propre guitare en mains, qu'elle se rendit compte de sa présence. Elle, si timide, aurait pu en tomber à la renverse. Mais il n'en fut rien. Des notes qu'il lui lança comme une invitation à le suivre et elle qui répondit, souriante. Moment étrange où un dialogue sans mots mais en notes s'instaura entre eux deux. Des sourires qui n'en finissaient plus de fleurir aux lèvres de la brune et, quand, le silence retomba entre eux après un long moment, son instrument encore entre ses mains elle dit simplement

«C'est beau. Votre façon de jouer. » son regard qui plongeait dans celui de l'inconnu « Je suis contente de vous avoir croisé et entendu. »

Puis, comme si la musique finie elle retombait dans les affres de sa timidité maladive, elle sauta à bas de son perchoir, se dépêcha de ranger son instrument et s'apprêta à, comme elle le faisait si bien, à disparaître.