Sheru avait besoin de ces instants de concentration et d’apaisement que le yoga lui offrait. C’était sa bulle d’oxygène, son moment à lui où rien, ni la colère contre un quelconque sujet, ni les combats qu’il sentait filer entre ses doigts, ni le courage qui parfois l’abandonnait, ne pouvaient l’atteindre. Il avait opté pour cette association du Queens, y retrouvant des pratiques différentes chaque jour : ashtanga pour le dynamisme, hatha pour des envies plus classiques, vinyasa pour se sentir vivant, kundali pour retrouver la stabilité. Ce matin, c’était du vinyasa, où chaque mouvement permettait de se redécouvrir, comme lorsqu’on apprenait une danse. Au moins, à défaut d’utiliser son argent personnel pour payer ses factures, il l’utilisait pour payer ses cours de yoga, ce qui était un sacré pied de nez à la vie !
En position, les yeux fixés sur le professeur qui avait débuté, il tourna lentement la tête en entendant les quelques mots de son voisin, arrivé légèrement en retard. Espérons qu’il ne soit pas perdu et… Oh mais il le connaissait ! Enfin… Ils s’étaient déjà rencontrés ! Lors d’une manif' contre la cruauté animale si l'indien se souvenait bien ! Adressa un large sourire à l'inconnu, il hésita à lui tendre la main avant de se raviser histoire de ne pas perdre l'équilibre.

- Bonjour !

Pas vraiment le temps de répondre aux questions bien que sa pratique soit plus aisée que celle de son voisin dont il avait oublié le nom. Le prénom, il s’en souvenait, Samir mais le reste… Enchainant sur une autre posture, la difficulté n’était pas un soucis pour Sheru, c’était surtout la concentration et le calme qui lui faisaient parfois défauts. Après avoir enchainé 2ans de pratique en Inde, avec une base datant de ses 7ans, disons qu’il maitrisait plutôt bien la technique. Sauf quand son voisin, Samir, le faisait rire.

- Prenez la version simplifiée, votre pied pointé vers le bas, vos mains en l’air rassemblée et garder un point net à regarder à l’horizon. Ne montez pas votre jambe plus haut que la cheville.

Oui, c’était mieux histoire qu’il ne se fasse pas un claquage dès le premier cours. Réalisant la posture demandée et la maintenant une trentaine de secondes comme demandé, l’indien jetait des petits regards vers Samir, histoire de vérifier :

- Vous voyez que vous vous en sortez ! Je m’appelle Sheru aurait et si vous êtes perdu, suivez moi, ce cours va assez vite habituellement.

Oui, s’il pouvait l’aider à être moins perdu, autant lui proposer ! Surtout que l’indien savait que l’inconnu partageait déjà quelques combats avec lui ! Espérons juste que le professeur ne les entende pas murmurer...

Oui, il parlait beaucoup, mais c’était assez amusant de se retrouver dans un cours avec quelqu’un ayant cette facilité à converser. Le Yoga n’était pas connu pour être un rendez-vous de bavards, sauf après le cours bien entendu. Souriant à l’inconnu, il n’eut pas le temps de lui répondre que déjà, Agata, la professeure titulaire reprit son voisin pour qu’il se taise. Un simple coup d’oeil et un haussement de sourcils suffirent à Sheru pour lui faire comprendre de continuer en silence. Lui aussi avait besoin de sa bulle, bulle qui dura une petite dizaine de minutes avant d'être à nouveau, brisé par l'inconnu. Il devait l'aider, tout en respectant Agata. Réfléchissant une seconde, la proposition d'un repas ensuite réveillant ses papilles, Sheru sortit de sa propre position pour venir rapidement positionner jambes, pieds et mains de l'homme.

- N’essayez pas de reproduire à l’identique, baissez d’un niveau à chaque fois que vous la voyez se mettre en position. Votre pied plus bas, vos bras moins hauts, votre ouverte de hanche moins large, etc. Okey ? Essayez de suivre ainsi en silence et je vous donnerai des tips à la fin.

Sheru avait cette aisance dans la voix et une sympathie réelle sur le visage qui ne pouvait que calmer son voisin ainsi que les autres autour qui commençaient à le regarder d’un mauvais oeil. Un dernier sourire vint détendre l’atmosphère et remettre le silence au coeur de la séance. Ils auraient tout leur temps pour discuter après.

Au final, 30minutes plus tard et des dizaines de positions prises, l’indien était rassasié, avait bien chaud et se sentait d'humeur taquine ! Surement la faim, qui réveillait toujours son côté joueur et plus enfantin.

-  Vous vous en êtes plutôt bien sorti finalement !

Qu’il adressa au jeune yogiste dont son nom lui était encore inconnu.

-  Je crois que je n’ai pas entendu votre prénom tout à l’heure, j’en suis désolé, vous êtes… ?

Histoire de savoir avec qui il allait manger ! Car ça, Sheru ne l'avait pas oublié, l'invitation au restaurant, même s'il payerait lui même son repas sans soucis. C'était plutôt l'idée d'un moment à deux, autour de discussions qui allaient lui plaire qui lui plaisait : un homme rencontré dans une manifestation à laquelle on participe, y'a obligatoirement des points communs !

Samir Mcgregor-Mills… De la célèbre famille qui portait le même nom ? Ça n’aurait pas étonné Sheru, l’homme avait un excellent phrasé. Mais qui dit grande famille, dit surement appartenance à un monde qu'il n'avait pas envie d'effleurer.
Attrapant sa serviette éponge pour s’essuyer le front, l’indien avait un air jovial comme après chaque séance de yoga. Il adorait cette activité sportive, ne se verrait pas arrêté de si tôt. Et bien que sa pratique soit plus intensive depuis deux ans, le yoga avait toujours été au coeur même de son existence. Il ne l'avait simplement pas accepté, en totale rébellion contre ses origines avant le drame de Londres.

- Oui Sheru Kapoor, enchanté Samir !

Son nom, à part si ce Samir connaissait la cryptomonnaie et le monde du trading, n'était pas aussi connu que le sien. Et même, Sheru espérait toujours que son identité ait été oublié au profit des nouveaux cadors du trading. Il avait laissé une belle empreinte dans cet univers mais préférait en être devenu un inconnu plutôt qu'une figure emblématique.

- Avec plaisir pour le restau, je meurs de faim ! On se rejoint après la douche, devant le centre ça vous convient ?

Oui, une bonne douche lui ferait un bien fou, simplement pour faire retomber la température et ne pas attraper froid dehors !

- Et si ça peut vous rassurer, ce cours là était un niveau assez avancé, je vous donnerai la liste des horaires de ceux pour débutants. Le but n'est ni de vous faire mal, ni de vous dégouter.

Une petite tape sur l'épaule et un sourire, Sheru était sincère dans sa gentillesse. Il n'avait pas envie de voir une personne reprenant des cours, se blesser à cause d'une erreur de niveau. Le yoga avait beau paraitre simple et à la portée de tous, comme tout sport, il fallait bien débuter quelque part !

- On se dit dans 10min ? Devant ?

hs joueur:

Les cheveux encore humides de la douche, l’air bien plus frais qu’à la fin du cours, Sheru avait enfilé un jean et une chemise, bien moins confortable que ses habits de yoga mais qui plaisaient à Chris. Chris qui l’avait conseillé sur la dite chemise. C’était stupide, ils ne se verraient pas avant ce soir mais Sheru s’était dit que ça lui ferait plaisir de le voir ainsi accoutré. Reconnaissant aisément Samir à la sortie, il le rejoignit avec un large sourire, lui aussi affamé.

- Je suis vegan de naissance à vrai dire !

Rigolant légèrement à sa réponse, il acquiesça pour le restaurant et se dirigea vers la rue. Lui aussi avait faim et clairement, après une telle session de Yoga, se ravitailler était la meilleure des idées.

- Je suis de confession jaïniste, le veganisme est un des principaux précepte dans l’idée de ne pas faire de mal à autrui, humain ou animal !

Jamais il n’avait mangé de chaire animale, même quand certains étudiants le charriaient à l'école d'économie de Londres. Ça avait été parfois difficile, le veganisme n'étant pas aussi réputé qu'à présent et bons nombres d'insultes lui avaient été envoyé dans la face. Ça et aussi ses origines indiennes qui faisaient parfois tâche dans l'élite londonienne.
Continuant de marcher, Sheru se tourna un peu vers son nouvel ami pour lui retourner la question.

- Et vous ? Un rapport avec votre participation à diverses manifestations ?

Pas qu’être un fervent militant avait un rapport avec le végétalisme mais souvent, quand on se retrouvait à combattre certaines inégalités, les années en apportaient d'autres et l'envie d'aller à l'encontre d'un système grossissait dans une même lancée.

Continuant de marcher aux côtés de Samir, Sheru était ravi d’avoir fait une telle rencontre ! Il aimait partager et surtout découvrir, quelque soit le profil de la personne. Religion, culture, origines, genre, l’indien voyait en la rencontre le meilleur moyen de grandir et de mieux comprendre le monde dans lequel il vivait. Alors que Samir ne connaisse pas le jaïnisme n’était pas important, ce qui l’était par contre, c’était le respect qu’il avait eu en acceptant de l'avouer.

- Oh ? Pourquoi vous pensez ça ? Vis à vis du yoga ou de ce que je viens de vous dire ?

Sheru entra le premier, suivi de près par Samir. De délicieuses odeurs lui firent relever le nez, comme un chat sentant le repas arriver. Il y avait du cumin dans l'air, une saveur qu'il appréciait particulièrement. Faisant signe à l'un des serveurs, on leur montra une table à deux où il s'installa rapidement.

- Et j'ai eu pas mal de difficultés à accepter tout les éléments de ma vie pour lesquels je devais me battre donc... Disons que je manifeste seulement depuis cette année. J'ai été pendant trois ans en Inde, dans un monastère et avant, j'étais trop occupé à amasser de l'argent sur Londres. Mais bon, il faut bien quelques années pour avoir un déclic, non ?

Il essayait d'être positif pour lui-même, de ne pas s'en vouloir et de couper l'herbe à la culpabilité directement sous ses petits pieds. Mais autant c'était simple à expliquer et faire ressentir pour les autres, autant pour lui, Sheru avait ce perfectionnisme compliqué à gérer. Ça le rendait malade parfois, de repenser à tout ce qu'il avait fait en désaccord avec ce qu'il était, tout simplement.

En entendant l’explication de Samir, Sheru eut un petit sourire en coin. Il savait que l’image qu’il donnait à voir, celle de l’homme sobre, calme et activiste sans élever les mains, ce n’était qu’une identité parmi d’autres. Personne ne pouvait se douter, pas même Chris, que Sheru Kapoor avait détruit des vies en misant sur des fortunes et des déclins. Parfois, il lui arrivait de se réveiller en sueur, se rappelant tout le mal qu’il avait fait à des gens qui n’avaient rien mérité. Ceux qui auraient dû tomber était toujours en haut. Il s’en voulait si fort d’avoir aider à perpétrer cet ordre social qu’il haïssait à présent.
Suivant Samir, les yeux plantés sur le menu tout en haut. Lui non plus ne savait pas trop quoi choisir. Son interlocuteur, préférant la carte en main, se perdait aussi dans les plats et les desserts.

- Oui, parfois le déclic vient sans qu'on ne s'y attende et chamboule tellement de choses que.... Vous êtes incapables de reprendre votre vie d'avant.

C’était son cas mais il n’était pas le seul, le savait pertinemment. Dans ses rencontres militantes, il en avait rencontré, des histoires et des destins qui se ressemblaient sans pour autant se copier. Le serveur approchant, il se décida en quelques secondes pour le plat du jour, un dahl de lentilles corail.

- Et vous seriez surpris, parfois je sais m’énerver et ça fait peur à tous les yogistes du coin !

D’un clin d’oeil, il passa devant Samir, mi-sérieux, mi-amuseur. Il ne s’énervait pas en yoga mais ailleurs, oui. De plus en plus, comme si la ville le gangrénait et lui faisait oublier tout ses efforts en Inde. Ou alors, était-ce une part de sa personnalité qu’il ne pouvait changer ? Ce feu ardent qui brûlait encore et encore malgré les heures à tenter de l’éteindre.

- Là-bas ça vous convient ? On pourra discuter sans déranger nos voisins !

Dans le coin, où les plantes avaient remplacé les autres humains et sans qu'aucun table prise ne juxtapose la leur. Parfait pour débattre !

Prenant place, l’indien eut un rire sincère à la remarque de Samir. Non, pas s’étriper mais il avait été bien trop de fois au resto pour savoir que deux personnes lancées en pleine conversation, ça pouvait parfois faire du boucan et déranger les autres ! Combien de fois, lui et ses anciens amis, avaient été rappelé à l'ordre par des restaurateurs ? Combien de fois Sheru avait-il vu des yeux roulés chez ses voisins de table en entendant les rires trop francs et forts de ses congénères ? Ça n'était pas une règle mais l'argent donnait aux gens beaucoup de liberté et celle de se croire au dessus de tout, même du respect des autres, en était une.

Relevant les yeux à la fin de sa seconde question, Sheru resta immobile quelques instants. Sa plus grosse colère. Il préférait ne pas en parler, comme si ça ne rendrait pas réelle la vérité : elle avait mené quelqu’un au suicide et ça n’était pas quelque chose qu'on évoquait autour d'un plat réconfortant et d'une conversation amusante.

- Euhm, réfléchissons…

Parler ou ne pas parler de son ancienne vie. Ça n'était pas un secret, son identité était encore accessible sur internet. Mais parfois, Sheru aimait oublier ce qu'il avait été et ce qu'il avait fait quelques années plus tôt. C'était réconfortant de se dire qu'on était seulement qu'un de bien et pas un monstre.

-J’ai gueulé sur mon colloc’ qui prenait trop de temps à la douche.

C’était faux, il avait juste demandé à Chris de se dépêcher car lui aussi, avait un rendez-vous. Gueuler n’était pas le terme adéquat, encore moins pour le Sheru d’aujourd’hui mais si ça pouvait amuser Samir, c’était ce qui comptait. Leur plat arriva alors qu’il reprit la parole.

- Votre famille n’a pas de soucis avec le fait que vous soyez dirigeant d’une asso’ assez… réputée pour ces actes militants ?

Le nom de Samir n’était pas inconnu et il fallait être stupide pour ne pas penser aux retombées médiatiques. Mais parfois, certains s’en accommodaient et Sheru était pratiquement sûr que c’était le cas des Mc Gregor.

Prenant une première bouchée de son dahl, Sheru ne pu s’empêcher une certaine mimique de contentement : c’était délicieux et ses papilles frétillaient d’avance à l'idée une autre bouchée ! Mais ce fut la réponse de Samir qui l’intéressa en premier. Finalement, leur famille n’était pas si différente : la même volonté du respect ds autres, des opinions personnelles, un choix d’avenir. Les Kapoor n’avaient beau pas rouler sur l’or, ils avaient en commun avec les M’cGregor toutes ces idées. C’était agréable de le savoir quand on savait les fermetures d’esprit de certaines familles riches et réputées.
Reprenant une autre fourchette avant de répondre à la question, il dodelina de la tête tout en avalant. Ça aussi, c'était un tic quand il réfléchissait mais ne pouvait prendre la parole.

-Comme je vous l’ai dis tout à l’heure, l’un des précepte de ma confession est  ahimsâ le voeu de non-violence, que ce soit envers les animaux ou envers les humains. Alors ma famille est en accord avec mes choix de formes de manifestation. il y a aussi satya, le voeu de sincérité, ce qui… Parfois est en désaccord avec le premier précepte. Ma sincérité peut entrainer une réaction violente d’une personne en face de moi et… Je ne me vois pas réagir. C’est là où… Parfois, je ne dis pas tout à mes parents. Entre autre chose.

Sheru ne les avait jamais déçu car la déception chez les Kapoor n'existait pas. Par contre, il les avait blessé en embrassant la carrière de trader et en détruisant des vies comme on joue au monopoly. Maintenant, il essayait de se rattraper tout en acceptant de faire ses propres choix.

- C’est compliqué de suivre à 100% les préceptes d’une confession dans ce monde… Rien n’est fait pour réussir et… Parfois je me demande pourquoi je ne suis pas resté en Inde pour continuer ma formation.

Il esquissa un léger sourire, sachant parfaitement qu'il n'en avait pas eu le droit. Comme son maitre le lui avait dit, Sheru avait besoin de se pardonner et de dire au revoir à ce monde avant d'intégrer entièrement celui des moines.

Reprenant une bouchée, il écoutait attentivement Samir. Il avait raison, la sincérité pouvait parfois être blessante ou entrainer des comportements violents. Comme évoqué juste avant, Sheru avait déjà été dans ce type de soucis suite à des réflexions inattendues de ses amis ou anciens collègues. Mais pour lui, il lu était impensable de mentir, qu’importe la teneur de l’information. Acquiesçant du menton, il avait conscience que la dualité mal/ben était plutôt en lui que dans sa religion. Il avait même dû mal à l'appeler ainsi, religion, quand on savait que le jaïnisme était plutôt un concept de vie où les prières étaient remplacées par des méditations et la croyance en un être supérieur en une croyance plus humaniste. Mais c'était compliqué de savoir comment la nommer face à des personnes qui ne la pratiquaient pas.

- C’est une belle conception du futur que vous avez là, c’est plaisant à entendre.

Et rassurant aussi, de sentir du positivisme chez quelqu’un alors que beaucoup de citadins l’avaient perdu ! Encore la fourchette entre les lèvres, se régalant du plat, Sheru releva les yeux face à la question de Samir : visiblement, sa bouche remplie répondait pour lui ! Il avala avant de répondre, tout souriant.

- Je ne connaissais pas mais c’est délicieux ! Je suis plutôt du genre à préparer mes lunch-box ou à déjeuner chez moi à vrai dire. Le bruit des restaurants et toutes les odeurs ça a tendance à me... fatiguer.

Très sensible, il l’était et l’acceptait sans honte depuis seulement quelques années. Pour ça que les soirées du Gotha étaient assez compliquées pour lui. Mais pour Bloom et maintenant Kenneth, il ferait un effort pour continuer à s’y rendre et à les aider.

- Et sinon vous faites quoi dans la vie, à part manifester et être très sympathique ?

L'indien rigola légèrement avant de prendre une gorgée de sa boisson, un kombucha fruité qu'il avait pris en même temps que le dalh : oui, tout était délicieux !

Vétérinaire ! Sheru n’était pas étonné de la réponse de son nouvel ami. Ça correspondait à son profil de militant et lui permettait d’agir sur différents terrains. Mais en y pensant, ça ne devait pas être un boulot très simple. Devoir soigner ou guérir des animaux qui souvent, n’avaient rien demandé pour se retrouver dans un sale état. Parfois, Sheru ressentait de la haine envers les hommes qui faisaient du mal aux animaux. Ce sentiment de colère lui était interdit, il n’avait pas le droit de ressentir une telle émotion négative envers quiconque mais… Il y avait aussi le paradoxe de ne pas faire de mal à autrui. Haïr ceux qui blessaient, où était le mal ? Comme toujours, Sheru se retrouvait au centre de ses préceptes, pris au piège. Plus il y pensait, plus il se demandait si ce n'était pas la raison du rejet de sa religion quelques décennies auparavant, cette incapacité d'être en total accord avec.

- C’est un beau métier ! Moi je…

Les yeux baissés dans son assiette quasi-vide, hésitant sur quoi répondre, il décida d’être sincère et d’arrêter de se cacher derrière des approximations. C’était épuisant à force, de devoir faire attention à ses révélations, aux mots qu'il utilisait, à ses réflexions sur telle ou telle activité qui lui rappelait la sienne.

- Je suis en reconversion. J'étais... trader en cryptomonnaie sur Londres y'a encore 3ans et aujourd'hui... J'étais en formation pour devenir moine en Inde, enfin...

Le terme formation n'était pas le plus réaliste mais c'était le seul qui pouvait expliquer ce qu'il apprenait la-bas.

- C'est ce vers quoi je me destinais mais j'ai dû faire une pause pour fermer quelques portes que j'avais laissé ouverte dans mon ancienne vie. Au final, je ne suis plus trop sûr de rien. J'ai commencé à donner quelques cours de méditation dans un centre holistique et j'ai trouvé un apprentissage en ostéopathie. J'ai appris les techniques en Inde mais elles ne sont pas reconnues ici alors il me faut quelqu'un pour valider mes acquis.

Il se rendit compte en arrêtant de parler que ça faisait beaucoup pour un seul homme. Comme d'habitude, Sheru Kapoor était incapable de se restreindre à une seule activité et s'il devait faire la liste de tout ce qu'il faisait en dehors de ses heures de sommeil, ça lui donnerait le tournis.

- Vous avez toujours voulu être vétérinaire ? Ou vous êtes passé par d'autres professions avant ?

Il était reconnaissant à Samir de ne pas lui poser plus de question sur les différentes…. expériences de vie qu’il avait eu. Sheru n’avait vraiment envie de parler de son ancienne carrière, de tout ce qu’il avait dû faire pour en arriver à ce rôle de trader capricieux et un brin connard. Sheru était conscient de ce qu’il avait été autrefois et refusait de retomber dans ses travers. Il le savait et la soirée en compagnie du Gotha le lui avait encore prouvé : il ne fallait pas beaucoup pour que Sheru Kapoor retrouve ses anciens amours pour la manipulation et le goût du risque.
Mais il ne pensait déjà plus à ça quand il faillit s'étouffer avec sa boisson en entendant les révélations du vétérinaire. Le laissant terminer, l'indien en profita pour calmer son esprit qui s'étonnait de l'utilisation du mot "sous-métier". Samir avait pourtant l'air très ouvert, inclusif et sans jugement... Visiblement, quelques restes de son éducation trop formelle (du moins, aux yeux de Sheru) restait dans son langage.

- Vous vous rendez compte que choisir votre métier associé à l’interdiction d’un, je cite, sous-métier, c’est un peu paradoxal ? Comment vos parents peuvent-ils se permettre de mettre des professions sur un piédestal pour en écraser d’autres ? Au final, ils ne vous laissaient pas vraiment le choix ?

Sheru le savait, que son ton pouvait paraitre plus agressif qu’à l’accoutumé. Et bien qu’il prenait des pincettes en dissimulant ses émotions face à une telle remarque, il se doutait que le repas allait vite se terminer s’ils continuaient sur cette pente glissante.

- Désolé je ne veux pas être blessant mais…j'ai du mal à comprendre où était votre liberté là-dedans ?

Il était toujours difficile pour Sheru de se calmer après s’être senti attaqué dans ses plus intimes combats. Lui qui semblait pourtant si doux, dont le timbre de voix ne dépassait rarement une certaine limite, il ne lui en fallait pas beaucoup pour sortir de son carcan et monter au champ de bataille sans se soucier des conséquences.
Les bras fermés, pire qu’un enfant qu’on venait de réprimander, il était conscient que sa réaction manquait de maturité mais il n’en avait que faire. Quand il entendait de telles sornettes, ça l’agaçait pendant longtemps. Regardant Samir, il allait répondre quand le serveur vint prendre leurs assiettes vides.

- Je pourrais avoir un allongé s’il vous plait ? Je n’aurais pas le temps pour un dessert.

La seconde partie fut adressée au vétérinaire. Il devait se rendre au cabinet juste après, pour remplir quelques papiers et finaliser l’accord pour l'apprentissage. Ça l'excitait, de savoir qu'il allait débuter un nouveau boulot et réussir peut-être à faire les choses bien et de façon juste. Surtout que ses collègues semblaient adorables !

- Et pour vous répondre sur ma famille, non. Nous sommes 4, ma mère, mon père, ma petite soeur et moi ! Ils vivent toujours à Londres, mon père est chef pour un grand restaurant et ma mère a fait carrière dans le journalisme d’investigation.

Rien à voir avec lui. Quoi que, le métier de Priya, sa mère, avait tout de même permis aux deux enfants Kapoor d'acquérir un esprit critique dès leur plus jeune âge. Ce qui n'avait surement pas aidé Sheru quand il était adolescent et se rendait compte des inégalités tout autour de lui.

- Et non, je n’ai pas d’enfants et je n’en veux pas. Je considère qu’il y a assez de monde sur terre pour continuer à faire grandir la population sans penser aux conséquence ensuite. C’est un peu violent comme façon de penser j’imagine mais…

Il leva les épaules, ne sachant pas quoi ajouter. Le reste était trop intime pour qu'il le révèle à un quasi inconnu comme Samir.

- Et vous ? J'imagine que oui si vous me posez la question.