Alors que les enfants sont à l’école, Willow s’affaire en cuisine pour sa prochaine publication. Elle est en plein mois « préparation culinaire du monde » et aujourd’hui, c’est la cuisine française qui est à l’honneur. Au programme, un met traditionnel du pays au béret : le pot-au-feu, remixé légèrement à l’américaine, sinon c’est pas drôle. Alors que les robots sont en ébullition, la blonde songe à la prochaine étape. Le téléphone sonne et elle décroche d’une main, tout en touillant la mixture qui mijote d’une autre. Femme multitâche, il faut bien ça quand on est une maman active.

« Vous pouvez passer au bureau en début d’après-midi ? J’aurais des documents à vous faire signer. »

Un client qui lui confie une enquête. Il lui donne quelques détails supplémentaires et après une dizaine de minutes, Willow est en mesure de raccrocher. Elle dirige systématiquement la ligne de son bureau sur son téléphone portable, afin de ne louper aucun appel important. Son oncle, gérant de la société dans laquelle elle est détective privée à temps partiel, ne cesse de râler, l’incitant à prendre un peu de repos, mais ça, Willow ne sait pas faire. Son métier est comme une drogue, elle se doit d’être toujours à fond. Il n’y a que pour sa famille qu’elle est capable de prendre du temps, du vrai bon temps.

En parlant de famille, la blonde entend bientôt la porte d’entrée de chez elle s’ouvrir, se refermer et elle aperçoit sa sœur cadette débarquer dans la cuisine. Plus besoin de frapper, en même temps, c’est presque autant chez elle que chez le couple. « Tiens, salut toi. » Dit la femme, enthousiaste à la dernière de la fratrie. Elle est toujours heureuse de voir cette petite bouille. S’essuyant les mains sur un torchon, histoire de ne pas salir sa sœur dans les embrassades, Willow quitte bientôt ses fourneaux pour aller embrasser Eilis dignement. « Oh, t’as pas l’air dans ton état. Je me trompe ? »

Willow était joyeuse jusque-là, plutôt satisfaite de sa journée, et voilà que d’un coup, son sourire se fige à l’annonce de sa sœur. Cambriolé. La détective ne sait que trop bien ce que cela signifie et les nombreuses causes qui peuvent amener les voleurs à commettre un tel acte. Elle ne sait aussi que trop bien que dans 98% des cas, on ne retrouve pas traces des objets volés. Elle reste silencieuse alors qu’Eilis lui donne d’autres détails. Son instinct de détective se met automatiquement en marche, et au fond d’elle, une petite voix se demande si elle ne serait pas la cause indirecte de ce vol. Et si elle avait mis le nez dans une affaire louche et qu’on avait voulu se venger d’elle par le biais de sa cadette ? Sa raison lui confirme que c’est assez peu probable mais la cuisinière a du mal à s’enlever ce pressentiment de l’esprit. Après tout, elle est loin de ne fréquenter que des saints, bien loin de là.

« Tu étais ciblée, c’est évident. »

Une vision d’horreur se forme dans l’esprit de la jeune femme, mais rapidement, c’est le visage triste de sa sœur qui l’amène à prendre celle-ci dans ses bras afin de la consoler comme elle peut, avec ses faibles pouvoirs. « Oh, ma belle, pleure pas. » Plus facile à dire qu’à faire. Elle-même a tendance à être très émotive, et elle déteste qu’on lui dise de ne pas pleurer. Elle passe quelques doigts dans les cheveux de la brune, dans le but de l’apaiser. « Je vais te le retrouver ! Je vais enquêter, tu sais que je retrouve toujours tout ! » Elle se veut optimiste, mais dans le fond, elle sait que les chances d’arriver à ses fins sont maigres. Elle se doit au moins d’essayer pour Eilis. Elle plonge son regard dans le sien et tente un sourire rassurant.

« Tu avais tant de choses que ça dans ton ordi ? Tu sais pourquoi on aurait pu te le prendre ou qui ? »

Elle entraine sa sœur par le bras vers le salon, où elle tire une chaise pour chacune d’elle. Elles seront mieux assises pour faire face à cette situation. A peine assise, elle se relève pour aller chercher deux verres et du jus de pamplemousse qu’elle ramène à table.

La détresse de sa sœur fend l’âme de Willow. Elle déteste voir ses proches aussi vulnérables et aussi tristes, parce que pleine d’empathie qu’elle est, ça lui donne toujours envie de pleurer, elle aussi. Elle s’imagine à la place de sa cadette, à avoir perdu toutes ses recettes, son blog complétement disparu, des mois de travail… Pour rien. Certains se diraient que c’est idiot, car on peut recommencer à zéro, voir même voir cela comme une opportunité pour changer de direction, ou faire mieux, mais Willow sait que ce n’est pas si simple et que c’est comme avoir une petite part de nous qui s’envole avec nos créations.
 
Elle fait un sourire navré à sa sœur. Elle ne va pas lui dire des paroles réconfortantes qui ne sont pas vraies, c’est pas son style. Soudain, une idée émerge tout de même dans sa petite tête, même si ça risque de n’être qu’une faible consolation. « Je sais pas si ça pourrait aider, mais j’ai gardé tout ce que tu m’as envoyé au fil des années. » Il n’était pas rare qu’Eilis montre ses productions, même non finalisées à sa sœur pour avoir son avis, ou bien ses textes, rédactions, et autres afin d’avoir une relecture extérieure. Il faudrait que Willow cherche dans son vieil ordinateur. « Je sais que tu m’as toujours dit de pas garder tes trucs mais… c’est plus fort que moi… Je suis tellement fière de ma petite sœur si intelligente… Sans compter que si tu deviens célèbre, je pourrais me vanter d’avoir tes premiers essais ! » Dit-elle pour tenter d’adoucir le cœur d’Eilis.
 
Mais il en faudrait plus pour calmer la trentenaire qui n’arrive pas à se faire à l’idée qu’on ait pu s’en prendre à la jeune Benson, qui comme elle le mentionne si bien n’est qu’une étudiante en cinéma, une sorte d’anonyme. « Je ne vois que deux possibilités. » Son ton est loin d’être calme et au contraire, on sent son tempérament passionné pointer le bout de son nez. « Soit tu as filmé quelque chose, ou tu disposes de quelque chose de valeur, sans même le savoir… Quelque chose de compromettant pour ces gens… » Sauf que ça voudrait dire que ça va bien au-delà d’un simple cambriolage et être mêlé à tout ça n’est pas une bonne chose. « Soit… c’est de ma faute. » Laisse-t-elle échappée, se sentant déjà coupable. « Peut-être une affaire sur laquelle je travaille… Si on m’en veut et qu’on essaye de s’en prendre à toi pour m’atteindre… » Elle ne se le pardonnerait jamais, s’empéche-t-elle d’ajouter.

Les propos de sa cadette ne rassurent pas Willow outre mesure. Rien ne peut lui enlever de la tête que tout cela pourrait tout à fait être de sa faute. Quand on est détective, il faut s’attendre à tout, bien qu’elle se soit toujours sentie en sécurité sur son petit nuage de mère de famille. « Peut-être que c’était qu’un avertissement justement… Qu’ils s’en prennent d’abord à toi qui n’est ‘que ma sœur’ avant de toucher à mon mari et mes enfants. » La panique la gagne, c’est indéniable. Pourtant, les propos d’Eilis sont cohérents et ses arguments ont un certain poids. La blondinette s’en rendrait compte si elle parvenait à prendre le recul nécessaire à la situation ; mais que voulez-vous, quand vous imaginez un seul instant que vos proches sont en danger par votre faute, il est logique de péter un plomb.

Les mains de la maman tremblent sur sa tasse de café. Elle retourne bientôt son regard sur le plan de travail de la cuisine. Elle y a tout laissé en plan avec l’arrivée d’Eilis, et elle ne peut s’empêcher de penser que le capharnaüm présent dans la cuisine n’est qu’une pale métaphore de sa vie. On se calme, Willow. On respire. Ce n’est pas dans cet état que tu réussiras à faire quoi que ce soit. « On ne peut pas écarter complètement cette hypothèse en tout cas, que tu le veuilles ou non. » Mais il ne faut pas non plus penser que c’est forcément la réponse car comme l’a si bien dit Eilis, ça pourrait n’avoir aucun rapport.

Willow se lève brusquement. « Les enfants mangent à la cantine ce midi. J’ai toute l’après-midi devant moi… On va chez toi, on trouvera peut-être un indice. » Elle sait pertinemment que la police a dû déjà tout inspecter mais l’adage qui dit ‘on n’est jamais mieux servi que par soi-même’ reste gravé dans le cœur de la détective. Sans laisser le temps à sa sœur de dire non, elle part chercher son sac à dos dans lequel se trouve ses affaires professionnelles. « Ce qui est sûr, c’est qu’on ne laissera pas ce crime impuni. Quand on s’en prend à une sœur Benson, on a les deux sur le dos ! » Un semblant de sourire décidé vient se caler sur ses lèvres alors que le courage et la détermination amènent son corps vers la prochaine étape.

Tout le monde sait qu’elle existe, non ? Willow a sans doute un trop grand égo, persuadée que l’agence de détective familiale est connue dans le tout New-York, comme si elle était dans une petite ville des Etats-Unis cinquante ans en arrière, dans laquelle le bouche à oreilles faisait tout. Mais là n’est pas vraiment le problème. Comme le constate sa sœur, elle ne l’écoute que d’une oreille distraite, préférant n’en faire qu’à sa tête, comme à son habitude. « Pour la gloire ET pour le fait de résoudre une enquête ! » Et ça, pour Willow, ça suffit amplement. Son métier, elle l’exerce presque exclusivement par passion, car même si le couple ne roule pas sur l’or, c’est principalement ses activités culinaires qui gonflent le compte en banque, comparé aux enquêtes… Cet argent-là, il va dans la firme familiale, qui est loin d’aller très bien financièrement. D’ailleurs, il y a même des mois où la jeune femme ne perçoit pas l’intégralité de son salaire… Un large sourire vient se caler quand enfin elle entend parler de donuts. Si elle aime faire tous ses gâteaux elle-même, ce n’est pas pour autant qu’elle rechigne devant une pâtisserie… « Ah oui, ça, c’est même pas une option ! » Et alors qu’elle ouvre la porte d’un geste décidé, les deux femmes prennent la route vers chez Eilis.