Leah faisait partie des femmes de sa génération qui pouvait avouer à vingt-sept ans qu'elle avait la tête sur les épaules, qu'elle avait toujours su ce qu'elle voulait, ou elle voulait aller et ce sur quoi cela allait un jour aboutir. Une femme en somme, libre et indépendante, qui comme disait très subtilement sa mère, faisait tout simplement peur aux hommes. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'elle avait géré d'une main de maître ses études, qu'elle avait un travail, qu'elle était ambitieuse, qu'elle s'était installée dans son propre appartement et même qu'elle n'avait jamais vécu avec un homme, bien qu'elle puisse avoir des relations, d'un soir ou de plus longue durée. Elle n'avait pas besoin de protection, elle n'avait pas besoin de se reposer sur quelqu'un pour pouvoir parvenir à faire quelque chose dans sa vie. Elle adorait les soirées entre amis, elle adorait pouvoir se rendre seule au cinéma et avoir ensuite l'occasion de critiquer ce qui lui avait plu ou non. Elle adorait pouvoir se lever en pleine nuit et venir grignoter quelque chose dans son frigo sans avoir à attendre qu'elle avait pu prendre du poids, elle adorait danser dans son salon en petite culotte avec sa brosse à cheveux en guise de micro et la musique à fond dans son appartement, même si c'était du Beyoncé ou une vulgaire chanson de disney. Elle assumait son côté femme-enfant, qui s'affirmait autant dans son métier d'avocate, qu'elle pouvait passer la soirée dans un vieux pyjama, un plaid sur les genoux, pleurant tout ce qu'elle pouvait devant « Marley et moi » ou en vidant une bouteille de vin devant « Le journal de Bridget Jones », se disant qu'elle finirait sans doute comme elle, avant de se rappeler combien elle pouvait adorer la vie qu'elle menait et qu'elle n'avait clairement pas envie d'avoir quelqu'un chez elle, qu'elle n'était moralement pas prête à se marier, ni même à avoir des enfants, au plus grand désespoir de sa mère.

La date de péremption de ses ovaires n'était pas encore arrivée, et si elle avait un jour eu le désir d'avoir un enfant, elle n'avait pas envie que cela se précipite. Elle assumait pleinement la volonté de disposer de son corps et de sa vie sexuelle comme elle le désirait, et ce n'était pas au nom d'une religion qui datait de plusieurs millénaires et d'une mère qui tenait à en respecter assez scrupuleusement les préceptes qu'elle allait se laisser dicter sa façon de faire et de vivre. Tant qu'elle ne venait pas à lui présenter un bon parti juif, Leah s'était toujours raisonné à ne pas venir étaler ses ébats sexuels en plein déjeuner de famille, ce qui ne manquerait surement pas de scandaliser sa mère au plus haut point. Elles n'en avaient jamais parlé, et Leah estimait que l'accord avec elle avait été passé de façon la plus tacite possible. Et cela devait rester comme cela. Le jour où elle viendrait à présenter quelqu'un à un repas de famille, c'est qu'elle aurait enfin estimé pouvoir construire quelque chose avec cette personne et sans aucun doute que sa grand-mère serait le crash test avant la grande présentation officielle. En attendant, elle se faisait plaisir autant en bonne compagnie que toute seule, et c'était sans doute cela le secret du bonheur. La boutique de Vera n'était pas si loin de son appartement que cela, et c'est pourquoi, Leah prenait le temps de s'y rendre à pied, prenant quelques sucreries au passage pour son amie avant de se rendre jusqu'à l'établissement. En passant le seuil de la porte, elle regarda pour s'assurer qu'il n'y avait personne, elle savait parfaitement que tout le monde n'avait pas la même décontraction dans ce genre d'établissements, que ce soit les femmes ou bien les hommes. « Vera, tu es là ? »

Les cartons s’entassent partout dans la réserve de la boutique. Vera aimerait pouvoir dire que son sens de l’organisation hors pair lui permet de ne pas être dépassée, mais ce n’est pas vraiment le cas à l’heure actuelle. Elle a fait réaliser de nombreuses nouvelles pièces pour la nouvelle collection, histoire de changer un peu les idées des gens, ses clients en ligne de mire. Une soirée se profile d’ailleurs pour célébrer l’arrivée des nouveautés, mais la gestion solitaire d’un nouveau stock n’est jamais vraiment une mince affaire, et Vera n’a pour l’instant recruté une vendeuse qu’à mi-temps pour lui prêter main forte de temps en temps, les week-ends, notamment pendant les soldes, mais pas tout le temps et pas non plus les jours de la semaine. Elle le regrette un peu, ce jour-là, debout entre les cartons sans étiquette qu’elle ouvre à la volée. Après avoir sorti, compté et étiqueté les articles, il faut aussi les mettre en valeur et en rayon - et c’est là sans doute sa réflexion la plus complexe. Elle n’a pas d’autre choix que de s’y atteler, cela dit, et elle le fait d’autant plus avec dévouement qu’elle sait que ses nouvelles pièces séduiront plus d’une personne parmi ses clientes et ses clients. Car oui, il n’est pas si rare que des hommes passent également la porte de sa boutique, même pour eux-mêmes. Et ils n’achètent pas que des vêtements.

Heureusement, la porte d’entrée de la boutique déclenche une petite sonnerie dans la réserve quand elle s’ouvre, ce qui lui permet de s’affairer sans pour autant louper les entrées des clients. Les jours de la semaine sont en général un peu plus calmes que les week-ends affluents, à l’exception de quelques touristes qui viennent se perdre dans sa boutique. Elle ne commercialise pas d’objets trop kitchs - elle a vu un jour un godemiché aux couleurs du drapeau américain sur un site américain concurrent, ce qui n’a, à ce jour, pas cessé de la faire rire. Mais il faut croire que les gens temporairement sur le sol américain ont leur curiosité éveillée quand ils voient la vitrine et ses annonces. Toujours est-il qu’elle est en train de s’occuper d’un carton de lingerie quand la petite sonnerie reconnaissable retentit. Elle se redresse et s’étire un peu, et entend son prénom murmuré dans l’entrée de la boutique. Ce n’est donc pas n’importe quel client qui vient d’entrer - d’ailleurs, le mot client n’est pas exact. Une amie, plutôt. Elle s’extirpe de la réserve en abandonnant ses cartons et se pare d’un sourire à la vision de Leah. Son amie est incroyablement adorable et, comme toujours, incroyablement jolie, aussi. Elle travaille avec Nate, c’est par ce biais qu’elles se sont rencontrées - son frère chéri sait s’entourer de bonnes personnes, ce n’est une surprise pour personne.

- Leah !

Elle s’exclame sans se départir de son sourire et s’approcher pour l’embrasser chaleureusement.

- Ca me fait plaisir de te voir. Tout va bien ? Quel bon vent t’amène ?

Les derniers temps avaient été difficiles, moralement et physiquement, le contact physique avait du s'espacer pour des raisons que tout le monde connaissait mais que personne n'avait plus envie de prononcer car cela aurait forcément des répercussions. Leah appréciait les quelques moments qu'elle avait pour pouvoir s'enfermer dans sa bulle, se déconnecter complètement du monde, et agir tout simplement comme une jeune femme de son âge, même si cela se résumait à un saladier de pop-corn dans son salon, dans une tenue qui n'avait rien de sexuellement attirant à moins que l'on venait à fantasmer sur le combo pyjama en duvet, chaussons tout doux avec des petites oreilles de lapin et un très large et imposant plaid dans lequel elle avait la possibilité de s'entourer complètement par deux fois, avant de se mettre un film, une série sur Netflix ou encore s'engager dans une partie de Mario Kart, car oui, la course arc-en-ciel était un défi personnel qu'elle s'était fixée à réussir à la plus grande vitesse sans finir par se suicider dans le vide spatial à chaque tournant qu'elle n'arrivait à maîtriser avec sa manette, ce qui arrivait assez souvent. Cependant, elle n'oubliait pas qu'elle avait un corps et qu'elle adorait entretenir celui-ci par divers moyens, et qu'elle aimait se faire plaisir par autant de manières différentes, cela passait autant par la coiffure, que l'esthéticienne ou enfin la boutique que Vera avait ouverte et qui était toujours riche en idée pour que Leah puisse passer un bon moment, seule ou accompagnée.

Et puis dans tous les cas, la jeune avocate avait l'envie de voir son amie, prendre de ses nouvelles et passer un moment avec elle. Elle savait qu'elle pourrait souffler un peu par rapport au travail, qu'elles pourraient discuter de tout et de n'importe quoi sans que cela ne soit réellement une prise de tête et c'était réellement ce dont elle avait besoin aujourd'hui. C'est pourquoi, elle profitait du fait qu'elle n'avait que très peu de travail et qu'elle s'était accordée du coup une journée supplémentaire de repos pour pouvoir faire ce qu'elle avait à faire chez elle et en dehors, souvent quand elle venait à quitter le travail, elle ne pouvait pas se permettre de flâner dans les boutiques. Même si New York était une ville qui ne dormait jamais, tout n'était pas pour autant ouvert, et souvent, elle préférait retrouver le confort de son lit pour prendre quelques heures pour dormir. Alors c'était le jour d'en profiter, une amie, des sucreries et tout un magasin qui était exclusivement réservé à la séduction et au plaisir. Quoi demander de plus. Très vite après avoir fait retentir la sonnette de la porte d'entrée, signalant par la même occasion sa présence, elle vit sortir la belle brune et elle s'approcha d'elle avec un large sourire aux lèvres. Elle répondit à son embrassade avant de lui tendre le sachet de ce qu'elle avait acheté pour elle. « Et bien écoute, j'ai vu de la lumière, je me suis dit tiens, si je venais faire un coucou ... » Elle se mit à rire doucement. « Non je venais voir si tu allais bien, voir si tu avais envie d'un peu de compagnie dans ta boutique et savoir ce que tu avais de beau à me proposer. »

Vera s'empare du sachet avec des yeux gourmands, fouillant à l'intérieur. Elle n'a pas eu le temps de déjeuner, depuis qu'elle a reçu la livraison de marchandise de ce matin, elle n'a pas arrêté. Même si l'affluence n'est pas au rendez-vous, ce qui ne l'inquiète pas franchement étant donné que c'est un jour de semaine, il faut qu'elle anticipe le week-end qui arrive et donc qu'elle attache un soin particulier à défaire les cartons, à repasser et étiqueter les produits pour mettre en rayon la nouvelle collection. Un peu de fraicheur, des fleurs, du liberty ; les motifs de l'été sont légers. Il faut changer les idées des gens.

- Est-ce que je t'ai déjà dit à quel point tu étais formidable ? Merci beaucoup. Je n'ai rien avalé de la journée, en plus.

Elle sourit et glisse une main dans ses cheveux pour les remettre en arrière. Son frère a de la chance de l'avoir trouvée, Leah. Elle est intelligente, jolie, et elle pense aux autres. Vera est contente de savoir que son frère est entre de bonnes mains, même au niveau professionnel. Elle va sans doute finir par s'associer à lui pour gérer le Cabinet et Vera n'aurait pu rêver meilleure candidate pour le job - et dieu sait que l'entourage de son frère lui importe.

- Je suis ravie que tu sois passée.

Elle offre un sourire sincère à son amie et pioche dans les friandises apportées.

- Tu n'aurais pas pu mieux choisir ton jour d'ailleurs, j'ai justement reçu les cartons de la nouvelle collection ce matin. De toute la nouvelle collection.

Les vêtements, les sous-vêtements, et même les sex-toys ; tout est là. Elle peine à dissimuler son enthousiasme, ses joues se parent d'ailleurs d'une teinte légèrement rosée.

- Tu veux venir fouiller ? La mode est aux fleurs, au liberty et aux couleurs pastel, je suis sure que tu vas trouver plein de choses qui t'iront à ravir.

Il était marrant de voir combien il avait été bien plus rapide pour que Leah devienne une amie de Vera, plutôt que ce soit le cas avec Nathaniel. Ce n'était pas une question qu'elle n'appréciait pas le frère de la jeune femme, loin de là, ils s'entendaient très bien et elle avait beaucoup de respect pour lui. Mais le fait qu'elle était l'employée de Nate jouait sans doute sur le fait qu'ils n'étaient pas aussi proches qu'ils auraient pu l'être. Ils se découvraient petit à petit, s'entendaient à merveille dans le travail, mais la sphère privée était bien souvent conservée et secrète l'un pour l'autre. Mais elle n'avait nullement envie de changer de patron, elle adorait travailler avec lui, et il était bienveillant à son égard. Avec Vera, il était vrai que c'était totalement différent, les deux étaient amies et il fallait dire qu'elles parlaient de tout et de n'importe quoi ensemble. De toute manière, si elle venait à se rendre dans la boutique particulière de la jeune femme, vu les articles qui étaient vendus à l'intérieur, il était certain qu'elles pouvaient parler de tout sans qu'il n'y ait rien de choquant et c'était très agréable. Elle espérait néanmoins qu'elle n'irait pas à avouer les petits détails coquins de la vie sexuelle de Leah à son frère, même si elle assumait ses amusements, elle voulait être prise au sérieuse quand elle était au travail.

Elle était donc certaine que les petites friandises qu'elle avait apporté allaient faire mouche et cela ne rata pas, Vera y plongea rapidement la main à l'intérieur pour pouvoir grignoter quelque chose. Leah se mit à sourire sincèrement à la jeune femme, contente de son petit effet. « Je sais je sais à quel point je suis formidable. » Elle posa comme une reine un instant avant d'éclater de rire. « Tu sais, tu ne devrais pas bosser l'estomac vide ! Imagine que tu nous fasses un malaise dans l'arrière boutique et que je sois obligée d'appeler les pompiers pour venir te secourir. Ça pourrait faire un discours très marrant … Non elle s'est évanouie entre les cravaches et sex-toys … » Elle lui fit un clin d’œil malicieux tout en souriant doucement. « Toute la nouvelle collection ? J'ai dû deviner que tu avais reçu de nouveaux articles et tu vois, je suis du coup venue immédiatement. Si tu veux je t'aide à tout ranger et en même temps j'examine les produits que tu pourras me proposer ! Ah le retour du printemps et de ces couleurs pastels … J'espère bien que je serai un vrai petit bonbon délicieux qu'on voudra croquer sans aucune modération. »

Elle délaisse les cartons et s'étire un peu. Son dos est endolori par le port de toutes ces nouvelles fringues qu'elle a reçues - et aussi de tous ces nouveaux accessoires qu'elle va très rapidement mettre en vente pour ses clients. Petit à petit, Vera s'est construit un réseau de clients qu'elle considère comme des habitués et qui amènent chacun un rayon de soleil dans son magasin. Elle est heureuse d'avoir rencontré Leah par le biais de Nate et s'amuse toujours de la différence radicale de caractère entre la jeune femme au tempérament de feu et son frère si calme et si posé. Pourtant, elle comprend exactement pourquoi leur collaboration fonctionne. Vera pioche dans le sac des friandises et offre un sourire à son amie.

- Ne t'inquiète pas pour moi, je n'oublie que très rarement de manger, en réalité...

Elle rit un peu et secoue la tête. Vera est gourmande, bonne vivante - il est rare qu'elle ne prenne pas un instant pour aller dévaliser une boulangerie du coin et se remplir le ventre en midi et deux.

- Heureusement d'ailleurs, je risquerais fortement d'être insupportable sinon !

Elle sourit et fait signe à son amie de la suivre dans la réserve.

- Je ne vais pas te demander de m'aider à ranger, cela dit, tu es déjà suffisamment exploitée par un membre de la famille Gardner, n'allons pas y ajouter quelqu'un d'autre. Par contre, tu peux fouiller dans les cartons pour avoir l'exclusivité des quelques pièces que j'ai déjà reçues.

Elle ouvre la réserve pour qu'elles puissent se glisser à l'intérieur - ça ne peut pas mieux tomber, la température est d'ailleurs bien plus agréable dans la petite pièce. Il faudra qu'elle songe à rallumer la climatisation dans la boutique.

- Alors dis-moi tout. On est dans le mood bonbon à croquer en ce moment ? Pour quelqu'un en particulier ou pour un inconnu qui passera par là ?

Vera lui offre un sourire réjouit - il n'y a rien qui lui plait plus que la perspective d'un moment passé à manger des friandises et à écouter les ragots en découvrant ses nouvelles pièces.

Leah savait ce que c'était, même si elle n'était pas commerçante, elle avait pleinement conscience que ce que le travail pouvait représenter et quand on avait soudainement une livraison, on voulait alors se dépêcher de tout sortir pour pouvoir étiqueter et ranger la marchandise le plus rapidement possible. En tout cas, c'est comme ça que cela se passait pour elle, quand elle recevait une livraison à la maison, où même quand elle ramenait les courses chez elle. Si elle ne s'en occupait pas très vite, son canapé semblait avoir une force de persuasion terrible et cela pouvait parfois attendre qu'elle aille se coucher voir le lendemain matin pour qu'elle se mette à ranger le nécessaire. C'est ce qu'elle appelait son bazar organisé avec un grand amusement, les rares fois où elle était seule dans son appartement, elle se laissait généralement vivre, mais une fois qu'elle se mettait à tout ranger, voilà que ce dernier était nickel, elle n'aimait pas que quelque chose dépasse, ni même la moindre tâche. Chaque chose à sa place, et chaque place avait sa chose. Il fallait bien avoir quelques défauts quand même. Leah lui fit un clin d’œil. « Tu sais comment je suis, je m'inquiète toujours pour mes amis, mais heureusement je suis là et je vais pouvoir te surveiller un peu. »

Leah prit également quelque chose dans le sac de gourmandises qu'elle avait acheté et elle suivit Vera dans la réserve tout en grignotant, faisant attention de ne pas en mettre partout et d'abîmer sa toute nouvelle collection. « Si je te propose de le faire, c'est que ça ne me dérange pas ! Et puis je demanderai un supplément financier à ton frère pour mon exploitation générale par votre famille. » Elle se mit à rire doucement. « Tu sais bien que je suis toujours avide d'exclusivités, je me propose même comme modèle photo. Quoi que ça ferait sans doute mauvais genre pour le cabinet de ton frère. » Elle se pencha vers le premier carton et elle se mit à déballer un premier ensemble sexy. « Effectivement, on est dans la tendance bonbon, mais bon après tout l'intérêt est que je me fasse croquer. Non il n'y a personne en particulier … J'ai juste envie de me faire plaisir et de faire plaisir si je venais à recevoir quelqu'un, que ce soit un ou une inconnu, la tendance est aux découvertes n'est-ce pas ? »

Vera aime être entourée de ses amis. Qu'elle soit en contact avec eux de manière régulière ou très ponctuelle, peu importe, elle n'a jamais été très exigeante. Mais les petites visites improvisées lui font toujours plaisir. Elle se dirige vers la réserve pour sortir les nouveaux vêtements de leurs emballages et de leurs cartons, embarquant son amie avec elle, et aussi son sachet de bonbons. Nathaniel a été bien inspiré le jour où il a recruté Leah. D'abord, Vera l'adore ; la jeune femme est dynamique et pétillante et elle est ravie de la compter parmi ses amies. Ensuite, elle fait un bien fou au Cabinet de son frère, qui sans dire qu'il a réellement levé le pied depuis qu'elle est là, a au moins quelqu'un sur qui compter. D'ailleurs, les bruits de couloir suggèrent que Leah va bientôt monter en grade - et si c'est ce que la jeune femme désire, alors c'est tout ce que Vera lui souhaite.

Une fois dans la réserve, elle tire vers elle un carton pour en sortir les sous-vêtements qu'il contient. Elle est tombée sur un carton somme toute assez classique - il en faut pour tous les goûts - mais il semblerait que Leah ait eu plus de chance. Elle lui offre un sourire réjouit et incline un peu la tête.

- Tu diras à Nate de m'envoyer la facture alors.

Elle rit de bon cœur et se note mentalement de prendre des nouvelles de son frère rapidement car ça fait trop longtemps à son goût qu'elle ne l'a pas eu au téléphone.

- On pourrait lui suggérer l'idée, j'ai bien tenté de les faire poser, lui et son mari, aussi, mais il n'a jamais voulu. Ces gens pudiques, je te jure...

Elle lève les yeux au ciel mais parle en réalité de son frère avec beaucoup de tendresse.

- Il doit y avoir des ensemble vert d'eau, quelque part dans ces cartons... Je suis sûre que ça t'irait à merveille. J'adore cette couleur. Bon c'est sûr que c'est pas du rouge vif très sexy, mais quand même - c'est plus suggéré, j'adore. Quant aux rencontres aléatoires, je ne peux pas être plus d'accord avec toi, tu t'imagines bien !

Leah se mit donc à accompagner Vera dans l'arrière boutique, où quelques cartons s’empilaient avec tous les nouveaux produits que la jeune femme avait pu commander pour sa boutique. Elle était particulièrement contente d'avoir un accès quelque peu privilégié, maintenant qu'elle était devenue une bonne cliente de la boutique, mais aussi elle l'espérait, une bonne amie pour Vera. En tout cas, la marchandise avait l'air plus qu'intéressante et cette petite visite impromptue présageait de les faire passer un bon moment toutes les deux ensemble. Leah se mit donc à ouvrir le carton qu'elle avait sous la main, tout en faisant la proposition à Vera d'être la nouvelle égérie de sa boutique et des ses produits un peu spéciaux. Ce n'était qu'une blague, après tout même si elle osait beaucoup de choses, elle n'oserait jamais aller jusque là. Deuxièmement, cela pourrait nettement nuire à son travail et à l'image de marque du cabinet d'avocat dans lequel elle travaillait. Et enfin, elle était d'une blancheur de peau extrême, elle était toute menue, de petite taille et elle n'avait pas les atouts au bon endroit, une petite poitrine et une petite paire de fesses. Elle ne pourrait jamais donner envie d'acheter les articles de son amie, alors qu'elle était bonne pour pouvoir faire la une des magazines pour adolescente ou le principal élément était de combattre l’acné et de faire avec le dictât des parents. Elle lui tira la langue. « Je lui donnerai bien la facture, mais ton frère m'a proposé de m'associer à lui … Du coup, si on part de cette idée-là, cela voudrait dire que je vais payer aussi. » Elle lui fit un clin d’œil.

« Il faudrait que tu leur proposes à nouveau, au pire s'ils ne supportent pas l'idée qu'on voit leur visage dans les rues ou dans un magazine, je viendrai à proposer qu'on leur coupe la tête, sur les photos bien sûr ! » Elle se mit à rire avant de regarder l'ensemble qu'elle avait dans les mains et elle se mit alors en quête de trouver l'ensemble  vert d'eau. « Si tu le trouves je l'essaies sur le champ ! J'aime bien aussi, quand c'est un peu plus suggéré. » Elle ne voulait pas mettre le bazar dans les différents cartons, pour qu'elle puisse s'y retrouver ensuite dans ses commandes. « Alors tu as quelqu'un en ce moment, belle demoiselle ? »

Vera attrape les cartons et empile ceux qu’elle sait être remplis de vêtements - ce n’est pas ce qu’elles recherchent. Elle met de côté deux gros cartons qu’elle ouvre d’un coup de cutter, et farfouille à l’intérieur à la recherche de l’ensemble promis. Elle a beau se moquer gentiment de son frère, Vera est admirative de ce qu’il a réussi à accomplir en terrain ennemi. Le jeune Nate, élève studieux, fils modèle, qui annonce un beau jour à ses parents - racistes et passablement homophobes - qu’il est homosexuel puis amoureux d’un homme mexicain en situation irrégulière sur le sol américain. Elle se souvient des hurlements dans la maison, des cris, des objets cassés, des menaces, des insultes. Elle se souvient de la grande dignité de son frère - et de ses larmes silencieuses. Aujourd’hui marié, avocat à la tête de son propre Cabinet, Vera est ravie qu’il puisse profiter de son succès. Et elle est également ravie qu’il puisse s’entourer de perles rares comme Leah.

- Je ne sais pas si je parviendrais un jour à les convaincre...

Elle sourit mais ne s’avoue pas vaincue sur ce point. Elle a déjà réussi à convaincre Esteban de défiler pour elle à quelques occasions - impliquer les membres de la famille lui semble toujours être une bonne idée.

- Tiens, voilà l’ensemble ! Il existe aussi en rose. C’est plutôt un bel ensemble assorti pour l’été, sous une petite robe à fleurs. Si tu veux quelque chose de plus...

Elle fouille un autre carton en même temps qu’elle parle, à la recherche d’une différente forme de lingerie.

- ... sensuel, je te suggère d’essayer ça.

Elle extirpe un ensemble noir et son jumeau rouge - nettement plus échancré, nettement plus osé, mais pas vulgaire pour autant. Elle tend tous les ensemble à la jeune femme et lui montre une petite pièce qui fera office de cabine d’essayage dans la réserve. Elle, elle s’assoit sur un carton, s’offrant une pause dans le rangement le temps que Leah lui fasse un défilé digne de ce nom.

- Personne, non. Tu sais, je suis plutôt du genre volage.

Elle sourit et donne le change ; en réalité, il arrive qu’elle se pose des questions. Profiter de la vie, s’envoyer en l’air, sortir, draguer, flirter avec des hommes, flirter avec des femmes - Vera ne se prive de rien. Mais la perspective de fonder une famille lui semble bien éloignée de son mode de vie ; et vu la pression familiale qu’elle subit à ce sujet, elle en vient à se demander ce qu’elle souhaite, elle, vraiment. En tout cas, la dernière personne avec laquelle elle a couché, c’est Adriel, et on ne peut pas dire qu’elle ait envie de s’en vanter.

- On devrait sortir un de ces quatre, à la conquête des bars. Une blonde, une brune, je suis sure qu’on ravagerait les coeurs.

Elle tente de s’offrir un peu de légèreté. Courir les bars n’est pas franchement ce qui lui manque, cela dit - un détail qu’elle glisse discrètement sous le tapis.

Leah continuait à regarder ce qu'il y avait dans les cartons autour d'elle. Il y avait certaines choses qui auraient certainement pu la tenter et d'autres, où elle serait presque à rougir face à l'idée d'utiliser quelques objets qu'on pouvait trouver dans les rayons de la boutique de Vera. Si elle était prête à tester certains de ses produits, comme elle avait déjà pu le faire par le passé, d'autres n'étaient pas à son goût. Cependant, son amie n'était clairement pas là pour lui forcer la main dans ses achats et elle était de bons conseils pour pouvoir passer de bons moments ensuite. Quant à utiliser son frère comme mannequin, il était vrai qu'il était réellement triste que son frère soit homosexuel, même si Leah n'avait jamais eu de vues sur son collègue de travail et employeur, elle ne pouvait pas non plus dire qu'il n'avait pas un certain charme et qu'il ne portait pas merveilleusement bien le costume, il était sexy, il n'y avait pas à dire le contraire. Elle était certaine que s'il participait à une campagne de publicité pour Vera, cela ne manquerait pas de ramener de nouveaux clients. Il fallait profiter de ce qu'on avait sous les yeux, après tout ce n'était pas parce qu'on venait à regarder le menu, que forcément on allait se laisser tenter. « Oh je suis certaine que tu as les moyens pour pouvoir les décider. » Elle lui fit un clin d'oeil amusé.

Leah regarda attentivement les différents ensemble qu'on venait à lui proposer, celui couleur vert d'eau, un rose et enfin de le lingerie fine qui ne se portait que pour les grandes occasions, celle où on avait le désir d'en mettre plein la vue et qui pouvait faire chanceler la personne en face. « Et bien puisque j'ai tout ce qu'il me faut, alors c'est le moment d'essayer ça et d'avoir tes impressions ! » Elle déposa un baiser sur sa joue avant de filer dans la cabine d'essayage improvisé, commençant par le modèle rose. « Volage ? Être volage voudrait dire que tu es avec quelqu'un … Je dirais plutôt que tu papillonnes … Comme je le fais moi. Ne pas être en couple n'est pas une fatalité, même si c'est le cas pour ma mère … Pour le moment si ce n'est pas ce qui te donne envie, d'être attachée à quelqu'un, tu verras plus tard. Et personne ne peut te résister. » Elle sortit alors de la cabine d'essayage avec l'ensemble rose sur elle, prenant alors une pose un peu enfantine, un grand sourire aux lèvres. « Alors tu en dis quoi ? Celui-ci ou plutôt vert d'eau pour aller avec mon teint de porcelaine ? Après j'essayerai le rouge et le noir ... » Elle s'approcha d'elle. « Je ne sais même pas la dernière fois qu'on a pu aller à la conquête des bars ensemble ! Mais ça sera avec grand plaisir de t'accompagner, je connais de très bonnes adresses et je ne doute pas un seul instant que oui, on pourra ravager quelques cœurs. » Après tout c'était son lieu de chasse le plus fréquent.

Convaincre son frère de poser pour elle lui semble bien plus compliqué que ce que peut bien penser Leah. Vera a déjà convaincu Esteban de défiler - pour la partie vêtements - pour elle par le passé. Mais son frère, et Alej ? Elle a quelques doutes. Surtout si elle commence à leur parler de sous-vêtements. Pas qu’ils soient coincés ou particulièrement pudiques, mais Vera a du mal à visualiser Nate à l’aise au milieu de tout ça. Elle aime son frère, de tout son coeur, mais elle ne porte que peu de crédit à sa potentielle carrière de mannequin... Ce n’est pas pour rien qu’il est devenu avocat. Ca la fait sourire, cela dit, car il est vrai que, de tous temps, Nate a toujours su faire tourner les têtes. Il est beau, c’est indéniable, même elle le confesse alors qu’il est son frère. Il ne manque pas de modestie pour autant, et, franchement, de toute façon, elle ne l’imagine pas une seule seconde porter son attention à qui que ce soit d’autre qu’Alej.

Vera laisse Leah se glisser dans la cabine d’essayer et plie les petits sachets qui contenaient les ensemble pour s’en débarrasser.

- Vert d’eau, à mon avis ? C’est très tendance, cette saison, en plus. J’adore cette couleur, et je trouve qu’elle a quelque chose de... réconfortant ?

Vera hausse une épaule, consciente que tout le monde n’a pas la même sensibilité qu’elle aux détails des fringues qu’elle vend. Mais c’est pour ça qu’elle a sa propre boutique, non ?

- Ma mère aussi est désespérée. Crois-moi, avec un fils homosexuel, elle espérait au moins pouvoir marier ses deux enfants restant et leur soudoyer quelques enfants. Seulement elle n’a tiré de Theo qu’un seul fils, et moi... On ne peut pas vraiment dire que je sois sur le point d’enfanter. Si je finis enfin par me poser un jour, je serai de toute façon trop vieille pour lui pondre une fratrie. La déception familiale, je sais ce que c’est. Elle passe sa vie à m’inviter à dîner avec les fils des voisins.

Vera lève les yeux au ciel. Le dernier en date était le fils chirurgien des voisins de gauche - celui qui a divorcé. Addison a été insupportable toute la soirée. Trop prévenante, trop insistante, trop... tout. Et pourtant, le type était divorcé - c’est dire si sa mère est prête à tous les sacrifices pour la caser quelque part. Heureusement qu’Addison ignore tout de sa bisexualité - sinon, elle pourrait défaillir.

- Enfin, je préfère largement la perspective de courir les bars. On s’est assez bien trouvées, toi et moi, finalement.