Charlotte s'était sentie mal, ce matin. Elle était particulièrement fatiguée, nauséeuse, lente. C'était normal, puisqu'elle était sous chimiothérapie...mais c'était plus. Plus que d'habitude. Et s'était inquiétée d'une douleur au ventre, qu'elle avait signifiée à son père. Au début, ça allait. C'était douloureux, mais elle l'avait informé qu'elle préférait se reposer et que ça passerait sûrement. C'était peut-être un effet secondaire de la chimio, ça lui arrivait. Elle ne s'était pas trop inquiétée, jusqu'à ce qu'elle ait des scelles rouges sang et que la douleur devienne plus forte. Là, ça n'était plus normal. Elle avait appelé son père, un peu paniquée, la respiration un peu courte et la voix tremblante.

Lorsqu'il était arrivé, elle était assise sur le sol de la salle de bain. Elle suait mais sa peau était glacée, elle avait du mal à respirer, son coeur battait à mille à l'heure et elle se sentait un peu dans les vapes. Son corps s'était soulevé, son père la prenant dans ses bras. Elle ne s'en était presque pas rendu compte, à moitié consciente. C'est à l'arrivée aux urgences, qu'elle s'était sentie partir. Le médecin s'était affolé, parce que son rythme cardiaque était élevé et sa pression sanguine très basse. Elle était en choc hémorragique. Et son estomac saignait. On l'avait emmenée en chirurgie d'urgence, son état ne pouvait pas attendre.

Lorsqu'elle se réveilla, plusieurs heures s'étaient passées. Son opération s'était déroulée correctement, ils avaient arrêté l'hémorragie et elle s'était retrouvée sous perfusion de sang. La quantité qu'elle avait perdue devait être remplacée. Elle était sous oxygène, par mesure de précaution. Elle était entre de bonnes mains, en service de réanimation.

Elle bougea légèrement ses doigts, sentant un contact contre sa peau. C'était doux et agréable. Elle fonça légèrement le nez, ayant du mal à émerger et à ouvrir ses yeux. C'était difficile et très fatiguant. Elle se sentait épuisée, vidée de toute énergie et n'avait qu'une envie : retourner dans un sommeil profond. Elle poussa un léger gémissement, avant d'entre-ouvrir un oeil, puis l'autre. « Papa...», murmura-t-elle d'une voix faible, mettant du temps avant de capter ce qu'il se passait autour d'elle et d'émerger. Il lui fallu de longues minutes. « J'ai mal », répondit-elle d'une voix faible et remplie de fatigue. « Qu'est-ce qu'il s'est passé... ? ».

Charlotte hocha la tête, lorsqu'il émit l'idée d'appeler une infirmière. Celle-ci mit quelques minutes avant d'arriver, vérifiant les signes vitaux de la rouquine et lui posant quelques questions. Il fallait s'assurer qu'elle allait bien et c'était le cas. Bien, c'était un grand mot. Mais...Ça allait. Son état, comparé à celui dans lequel son père l'avait conduit à l'hôpital, était stable et correct. L'infirmière remonta la dose d'anti-douleur et lui expliqua calmement qu'elle reviendrait, plus tard. Pour l'instant, il lui fallait du repos.

Charlotte tourna la tête vers son père, les yeux brillants de fatigue. Elle était encore très pâle, bien qu'ayant repris un peu de couleurs. Juste légèrement. Elle était passée d'extrêmement pâle à très pâle, ce qui était une amélioration en soit. « J'ai envie de dormir », répondit-elle à la question de son père. Ça ne mit que quelques secondes, avant que ses yeux ne se ferment et qu'elle se rendorme, tombant dans les bras de Morphée. Elle était épuisée. Et les antis-douleur l'avaient assommée.

Quand elle se réveilla, une heure et demi plus tard, elle ouvrit les yeux et retomba sur son père. Elle poussa un long grognement, pour le faire réagir et serra sa main. Il semblait contente de la voir s'éveiller de nouveau. Elle essaya de lui faire un léger sourire rassurant, néanmoins difficile avec cette extrême fatigue. « Tu es là ? », murmura-t-elle avec une toute petite voix.  

Charlotte eut des difficultés à se réveiller, encore très groggy. La lumière était forte et aveuglante, il lui fallut plusieurs minutes avant de s’y habituer. C’était très désagréable, ça lui donna envie de se rendormir immédiatement. Lorsqu’elle y parvint, qu’elle eut les questions de son père, la rouquine soupira longuement avant d’esquisser un sourire. « Une question à la fois, s’il te plait… », murmura-t-elle d’une voix faible et rempli de fatigue. Ca s’entendait, ça se voyait, qu’elle était au bout du rouleau. La maladie la bouffait, lui prenait tout ce qu’elle avait.

Elle prit sur elle, pour essayer de se redresser. Allongée, elle n’était pas à l’aise et elle voulait s’asseoir pour être dans une position semi-assise. « Ca va », répondit-elle en même temps, grimaçant légèrement. Son corps était engourdi, douloureux. Et elle avait mal, mais elle ne voulait pas l’inquiéter plus qu’il ne l’était déjà. Elle le connaissait, il devait se faire un sang d’encre. Etonnant qu’il n’ait pas un ulcère, à toujours s’inquiéter de la sorte. « J’ai l’impression d’être passée sous un bus, mais ça va passer, non ? »

Elle essayait de se rassurer, de relativiser. Elle irait bien, parce qu’il le fallait. Elle voyait bien que ça n’allait pas entre ses pères et elle sentait que sa maladie mettait encore plus de tension entre eux, parce que Samir était le seul présent. Elle ne voulait pas que leur perte soit de sa faute. Elle les aimait tellement, elle ne voulait pas avoir à choisir pour l’un ou pour l’autre. C’était trop difficile. Ils étaient ses papas.

Charlotte fit un sourire à son père, compatissante. « Ne t'excuse pas », murmura-t-elle doucement. « Je sais que tu es inquiet ». Il était très protecteur, très papa poule. Bien sûr, qu'il était inquiet. Charlotte était son unique enfant, même pas biologique et qu'il avait eu alors qu'elle avait déjà treize ans. Il l'avait accueilli comme un cadeau du ciel, quand il n'y avait plus aucun espoir. Et depuis, il la traitait comme un trésor, comme son trésor. Elle avait beau dire le contraire, Charlotte adorait se sentir aimée et chérie. C'était tellement plus différent, plus agréable, que ce qu'elle avait pu vivre jusque là.

La rouquine se redressa avec son aide, levant les yeux au ciel en écoutant ce qu'il avait à dire. Elle aurait pu prendre une assistante de vie, trouver quelqu'un pour l'aider et avoir son intimité, son indépendance. Charlotte avait toujours été cet esprit libre, fort, combatif. Elle avait toujours eu du mal à se reposer sur quelqu'un, y compris avec ses pères. C'était toujours resté, plus ou moins. C'est ce qui l'avait poussé à ne rien dire à personne, persuadée qu'elle pouvait le faire toute seule et elle avait du mal à se mettre à la place des autres, à ce qu'ils pouvaient ressentir. Pourtant, elle regarda son père et hocha la tête. « D'accord papa, je viendrais à la maison ». Aujourd'hui, elle rangea sa fierté et son indépendance de côté pour son père. Il était terriblement inquiet, ça se voyait. Il avait eu peur de la perdre et Charlotte se disait qu'elle pouvait faire un effort, pour le rassurer. Il avait l'air épuisé de lutter contre l'inquiétude.

Quand il évoqua son deuxième père, Charlotte détourna le regard d'un air triste. Plus triste qu'elle ne le voulait. Elle inquiétait déjà Samir, alors elle ne voulait pas qu'il sache que cette absence la touchait beaucoup. « Il ne viendra pas », répondit-elle d'une voix neutre, laissant son père embrasser son front. Elle ferma les yeux un instant, pour retenir les larmes. « Je t'ai entendu te disputer avec lui, l'autre jour. Vous allez divorcer ? ». Ca ne l'étonnerait même pas, même si ça lui brisait le coeur.

Charlotte serra doucement la main de son père, ses yeux brillants d'inquiétude. « Je sais que tu es inquiet, papa, mais je vais bien. Je suis entourée par de bons médecins et je t'ai promis que je me bâterais ». La rouquine n'aimait pas briser ses promesses, elle essayait toujours de les tenir. Elle avait promis à son père qu'elle vaincrait se cancer, elle le ferait. Ça lui prendrait du temps de guérir, parce qu'au delà d'enlever la tumeur et des séances de chimiothérapie, il y avait tout un régime alimentaire à respecter pour de nouveau habituer l'estomac à accueillir des aliments en quantité correcte. Il faudrait qu'elle se remette totalement en forme et ça allait sûrement lui prendre plusieurs mois, voir plus. Mais elle y arriverait. Elle était d'un naturel optimiste, alors elle savait qu'elle pouvait s'en sortir. Elle y croyait profondément.

« Tu sais très bien qu'il ne passera pas, ça fait des mois qu'il nous évite le plus possible et qu'il passe son temps à travailler, sans nous donner d'explications », répondit-elle d'une voix nonchalante, avec une légère pointe de tristesse. Elle préférait ne pas se leurrer. Ça faisait des mois, qu'il était absent. Il semblait désintéressé à propos de son cancer, la soutenant à peine. Charlotte était vexée, blessée et elle ne comprenait pas, qu'il ait changé d'attitude. Lui, qui était si doux et si aimant. Que se passait-il, pour qu'il soit devenu distant de la sorte ? Il esquivait toujours la question, ce qui avait don de l'agacer.

Ça l'angoissait un peu, de savoir ses pères distants. Et de sentir que l'un s'éloignait. Samir avait beau essayer de la rassurer, ça ne fonctionnait pas. Elle était loin d'être bête et voyait bien l'éloignement. Tout ce qu'elle voulait, c'était comprendre. « J'ai pas envie qu'on le perde, papa. Notre famille, c'est nous trois. Pas juste nous deux... ». Ça la rendait triste, que ce qui l'avait aidé à se construire, s’effondre totalement. Ce trio qu'ils avaient, cette petite famille, c'était son pilier, sa force. Ses papas, c'est ceux qui avaient eu assez de patience et d'amour pour l'aider à guérir de ce que ses géniteurs lui avaient fait subir.