Jacob glissait sur son cellulaire pour appuyer sur le bouton rouge. Jaz venait de lui rappeler que le week-end suivant, ils devaient être présents pour accueillir le nouvel animal dans le ranch. L'imperturbable être humain posé les fesses sur sa chaise ne cessait de grignoter la peau autour de ses ongles, manie familiale qu'il n'avait jamais perdu, il constatait que les informations qu'il avait concernant sa famille biologique avait été dévoilé récemment au public mais non sans peine, il était parvenu à obtenir le nom de naissance qui lui était attribué. Il n'osait le dire ni même prononcer le nom à haute et intelligible voix, préférant taire ses actions auprès de sa famille biologique de peur qu'ils se sentent bafoués. Il préférait alors ronger ses doigts, boire un thé brûlant à lui défoncer les papilles et se tordre l'estomac à l'idée de confronter son passé d'une famille qui n'avait jamais voulu de lui -le croyait-il. Décidé à avoir des réponses, il grimpa sur une trottinette électrique et finit par se balader dans les différentes rues New-Yorkaises. L'air sur son visage était plutôt doux, les habitants entraient dans une phase estivale qu'avait toujours adoré Jacob puisqu'il passait le plus clair de son temps en extérieur durant toute son enfance pour s'occuper des animaux.

Là, dans l'angoisse la plus méprisée par son inconscient, il s'apprêtait à affronter un passé inconnu qui allait sûrement chambouler toutes les incertitudes de sa jeunesse et son présent un peu barbouillé. Il avait eu une vague description de la personne qui devait être l'autre moitié d'un ventre maternel et il cherchait une chevelure flamboyante parmi les différentes personnes présentes sur le sable blanc. Le coeur qui s'enflammait, l'épiderme moite, il réfléchit une seconde. Devrait-il faire demi-tour ? Et si elle ne voulait pas le rencontrer ? Si elle n'était pas l'idéale qu'il s'imaginait ? Breathe in. Breathe out. Ces deux phrases que lui répétaient Jaz constamment faisait partie intégrante de son modus operandi pour apaiser son stress permanent et il s'exécuta. Bien. C'était parti. Il repéra dans la foule une cible mais quand il toucha l'épaule de l'inconnu, c'était un homme aux cheveux bien fournis qui répondit. Excusez-moi. Il tira une grimace pour exprimer sa confusion, et là, marchant au bord de l'eau les pieds humides, il savait. Quelque chose en lui gronda bruyamment, un truc tout au fond de son âme. Il savait. Il enleva ses chaussures pour les laisser trainer dans le sable blanc et il appela alors. Charlotte ? Charlotte Rodger ? et il tendit sa main comme si son geste et sa voix d'enfant pouvait éviter le cataclysme de cette rencontre.

L'air marin n'était pas nouveau pour Jacob. S'il n'était pas du genre à apprécier le sable et l'odeur de sel qui se propageait entre les nuages, il était familiarisé avec les sensations tactiles sous la plante de ses pieds. Il laissait alors les grains glisser entre ses orteils et l'effet gommant-massant lui procurait le plus grand bien. Étrangement, d'avoir abordé celle qui devait être sa soeur biologique et d'avoir eu ce courage-là lui offrit des papillons dans l'estomac. S'il avait fait ce choix, c'était bien pour apprendre à mieux se connaitre mais il était hors de question pour lui de remplacer sa famille actuelle. Il avait un père, une mère et une soeur qu'il considérait comme étant son sang spirituel, et s'il chamboulait des vies, il y avait une part égoïste dans le cerveau de Jacob qui n'en avait que faire. La brise frôlait sa peau pour le laisser respirer et la beauté qui avait des lignes similaires aux siens finit par se retourner pour l'apercevoir et lui répondre. Elle semblait fatiguée mais ne la connaissant ni d'Eve, ni d'Adam, il préférait ne pas avancer de jugements hâtifs. Je... Oui, je crois. Je m'appelle Jacob. Il tendit sa main pour la lui serrer, voyant bien pour elle que même son prénom n'évoquait rien. Puis une idée lui vint en tête. Et si elle n'avait aucune idée de son existence ? Pire. Si elle était persuadée d'être seule et unique héritière des Rodger ? Quand cette angoisse se manifesta dans ses tripes, il eut légèrement un pas de recul, par réflexe peut-être mais surtout pour tenter d'appréhender ces nouveautés qu'il était en train d'éclater au grand jour.

Il prit une nouvelle inspiration, l'air salé venant piquer son nez qu'il fronça légèrement. J'suis un enfant adopté à l'institut d'adoption Rosa Parks, l'affaire a éclaté dans les médias je ne sais pas si tu en as été informé. Le cas avait été tellement prenant et intéressant par le public qu'ils en avaient fait une affaire d'Etat. Les ravisseurs ont tout consigné dans des carnets, du moindre détail jusqu'aux adresses des lieux de kidnapping. C'était tellement compliqué à expliquer qu'il n'était pas sûr d'employer les bons mots. Tu as bien habité à [insérer l'adresse quand tu me l'auras donné par mp] pendant plusieurs années ? Et il attendait vaguement qu'elle puisse réagir avant de continuer parce que les informations devaient être difficile à ingérer.

Il avait l'air stressé, Jacob. Charlotte l'écoutait, confuse par ses propos. « J'ai entendu parler de cette affaire, c'est assez terrible ce qu'ils ont fait ». Elle eut un air désolé, se doutant que s'il lui en parlait, c'est qu'il en avait été une victime. Ceci-dit, où voulait-il en venir ? Pourquoi lui parlait-il de ça ? Elle n'avait aucun frère, à priori. On ne lui avait jamais parlé d'un frère disparu, du moins. Et s'il l'était, Charlotte en voudrait encore plus à ses parents. Et il y aurait sûrement une pointe de jalousie pour avoir vécue seule avec ses deux monstres de parents.

« Hm, ouais. Enfin, je sais qu'on a déménagé quand j'avais un an ». Elle n'avait jamais su pourquoi. Tout ce qu'elle savait, c'est que ça avait été un départ précipité. En fait, il y avait beaucoup de choses qu'elle n'avait jamais osé demander à ses parents. Il la terrifiaient, ils l'avaient toujours terrifié. Elle ne s'était jamais sentie aimée à leurs côtés et il y avait de quoi, puisqu'ils avaient failli la tuer de leurs propres mains. « Pourquoi ? Tu penses que tu as quelque chose à voir avec mes parents ? Parce que je n'ai jamais entendu parler d'un frère disparu, ou quoi que ce soit ». Elle paniquait un peu, parce qu'elle commençait à tout comprendre et que ça l'angoissait. Pourquoi ? Pourquoi ils lui auraient caché quelque chose comme ça ? Est-ce pour ça qu'ils avaient été si violents, avec elle ? Il lui fallait des preuves, elle ne pouvait pas y croire. Quelque part par là, elle avait eu un frère kidnappé ? Elle sentait l'angoisse monter, le regardant avec un air effrayé et très triste, de découvrir ça que maintenant. Elle se serait sentie tellement moins seule, s'il avait été là. « C'est pas possible », murmura-t-elle presque pour elle-même.