Le sang d'Alejandro ne fait qu'un tour lorsqu'il apprend que le frère de Nate a encore fait des siennes. En plus d'insulter régulièrement sa famille, il a désormais broyé le nez de son mari, ce qui est beaucoup trop pour Alejandro qui s'il est resté en dehors des dramas Gardner, commence à sérieusement être épuisé de cette famille de fou. Les mains qui froissent vigoureusement le papier du reçu des courses, il claque la portière pour prendre le chemin de la maison. Il espère sincèrement que Theo sera loin de chez lui une fois garé dans l'allée. Si même Nate a perdu son sang-froid, inutile de dire que la non violence d'Alejandro est fortement compromise par les actions du frère Gardner. Quand il arrive chez lui cela dit, la voiture de Theodore a disparu. Le mexicain balance donc son manteau sans grande cérémonie sur le porte manteau et se rue à l'étage où se trouve la trousse à pharmacie et son mari Nathaniel probablement.

Lorsqu'il aperçoit le visage de Nate, Alejandro prends une inspiration pour se calmer, puis un coton et de l'eau pour nettoyer le sang. Après ça, il va falloir mettre des glaçon pour diminuer l’œdème. Il essaye de ne pas se laisser aller à la colère, mais il peut sentir ses muscles tendus.

- Qu'est-ce qui s'est passé ? Si même toi tu en viens au mains c'est qu'il a encore dépassé les bornes... Pas la peine d'édulcorer l'histoire. Je te promets de ne pas m’énerver. Enfin...

Dans la mesure du possible. Nate le connaît très bien, ce n'est pas une promesse qu'il est en mesure de tenir. Il peut limiter l'énervement à ne pas débarquer chez Theo pour lui aussi jouer des poings, mais c'est à peu près tout ce qu'il veut dire par là. C'est déjà ça cela dit.

Nate a du mal à calmer ses mains qui tremblent. Assis sur le bord de la baignoire, la trousse à pharmacie entre les mains, il n’arrive même pas à réfléchir de manière suffisamment structurée pour se lever et allumer l’eau du robinet pour se rincer le visage. Les yeux rivés sur le sol, il se repasse en boucle les mots violents de son frère Theo, incapable de comprendre pourquoi, malgré les années, les disputes et la haine qui règne entre les deux, il parvient tout de même à être blessé par les paroles de son frère. Il devrait s’en foutre ; et pourtant, il n’y parvient. Il est tout juste capable de se répéter sans arrêt qu’il déteste son frère ; mais se le répéter ne suffit pas à lui donner la distance qu’il voudrait avoir. Que ses parents soient conservateurs et racistes, homophobes et psychorigides, il le conçoit. Ils sont vieux. Mais Theo ? L’idée que son frère lui veuille à ce point du mal lui couple le souffle.

Perdu dans ses pensées, c’est à peine s’il remarque la présence de son mari dans la pièce avant que celui-ci ne l’aide à se débarrasser du sang qui froisse son visage. La blessure contraste avec le calme habituellement olympien de Nate qui est toujours sur la réserve et se fait un devoir ne pas hausser le ton.

- Il a débarqué comme une furie pour parler à Mat, il explique dans un haussement d’épaule. Il a dit qu’avant de s’occuper de sa famille je ferais mieux de m’occuper de mon fils qui a tenté de se suicider.

Il grimace, un peu à cause de la douleur dans son nez, beaucoup à cause de celle de son coeur. Esteban va mal en ce moment, et les souvenirs ravivés de ses années lycée l’angoisse. Theo a appuyé exactement au bon endroit pour faire mal ; en plein dans le mille de ses insécurités. Oui, il a l’impression d’avoir échoué ; et il a l’impression qu’il pourrait échouer encore. Il sent ses yeux qui s’embuent, et par pudeur, lâche un Aïe discret pour justifier la soudaine humidité que son mari aura nécessairement remarquée.

Alejandro et Nate n'ont pas la même famille sur bien des points. Ils n'ont pas non plus la même façon de la voir, et c'est ce qui explique sans doute le décalage entre leurs deux façon de voir les choses. Nate n'arrive pas à ignorer Theo. Le détester est une chose qui lui semble impossible malgré toute la volonté du monde. Alejandro de son côté a choisi de rayer son père de sa vie et d'imposer une distance froide qu'il assume parfaitement en apparence, même si elle n'est pas sans conséquences sur le plan psychologique. Leurs façon de gérer la chose est donc opposée dans l'idée, mais la souffrance est suffisamment commune pour qu'Alejandro choisisse de poser sa main sur l'épaule de son mari, sans jugement, et avec compréhension et tendresse. Il imagine sans mal, l'effet que Theo peut avoir sur lui. Encore aujourd'hui, les Noëls passés en compagnie d'Arturo ne sont pas simples. Theo n'est pas un inconnu, il s'agit d'un frère qu'il a perdu il y a des années de ça. Un frère qui ne lui a laissé aucune chance qui plus est. Alejandro se veut d'un soutien infaillible, mais il doit bien avouer que la version non édulcorée proposée par Nate suscite une grande colère en lui, malgré tout.

Ses traits se tendent, il fronce les sourcils, et bien vite, il se sent lui aussi envahi par une culpabilité sans doute injustifiée. La façon dont il a géré la situation avec Esteban n'était pas la bonne et il le sait aujourd'hui. Cela n'a rien à voir avec son homosexualité, mais cela ne l'empêche pas pour autant  de douter de son éducation, de l'émotionnel qu'il est capable de donner à un enfant qui en a visiblement énormément besoin. A l'inverse, Nate a été parfait à ses yeux cela dit et il estime qu'à eux deux au moins, ils ont su prendre en charge les soucis d'Este de façon correcte. Aujourd'hui il est peut-être un peu triste, mais Alejandro a au moins la sensation qu'il gère mieux tout cela qu'il y a quelques années. Il a appris à demander de l'aide, du moins il se l'imagine. Ce n'est pas vers lui qu'Este se tournerait de toute façon.

- - Ce que tu as fait, brillamment d'ailleurs. Este va mieux, du moins il allait mieux. Tout ce que tu as fait n'es pas perdu. Il y a des pères qui fichent leur enfants dehors et d'autres qui les abandonnent sans nouvelles pendant des années. Tu mérites ta gommette en forme d'étoile crois moi...

Alejandro soupire, essuie une dernière goutte de sang, et sort des bandes et du gel pour la main de Nate, qui elle aussi risque d'être un peu moins fonctionnelle après avoir percuté le crâne de Theo.

- Mais je sais aussi ce que c'est que d'accorder trop d'importance à une personne qui n'en vaut pas la peine.

Les situations sont ironiquement différentes, mais la sensation est la même dans le creux de son coeur. Alejandro fait avec son vécu, sa sensibilité et ses traumatismes. Arturo n'est pas une mauvaise personne, mais il exige de lui qu'il efface d'un revers de manche, toutes les nuits à revivre son arrestation sans pouvoir retrouver le sommeil, ce qui est trop pour lui. Et comme pour Nate avec Theo, il aimerait ne rien ressentir et pourtant c'est tout l'inverse dans son cœur.

A une époque, il y a très longtemps, Nate s’entendait à peu près avec son frère. Il a toujours existé entre eux une forme de compétition entretenue par Theo mais ils étaient capables de discuter tous les deux, de se protéger. Avec le temps, les souvenirs de cette relation perdue se sont effacés progressivement - ne restent plus aujourd’hui que les ruines d’une relation malsaine, pleine de haine. Vera essaye parfois de faire tampon entre les deux frères, même si elle est rapidement exaspérée par le comportement de Theo. Nate doit lui reconnaître là une patience dont elle ne fait pas toujours preuve.

- Ce n’est pas pour avoir une gommette, que je dis ça.

Il soupire un peu et observe sa main que son mari bande lentement. Nate sait que les idées suicidaires d’Esteban n’ont rien à voir avec le fait qu’ils sont deux hommes mariés. Ils sont de bons parents, il n’en doute pas vraiment non plus ; toujours est-il qu’à un moment donné, cela n’a pas suffit.

- On est de bons parents, tous les deux. Je le sais. Mais un jour notre fils souffrait tellement qu’il a préféré essayer de mourir.

Ce n’est pas un souvenir que Nate est prêt d’oublier. Ce n’est pas un geste qu’il est capable de minorer.

- Este va mal et malgré ce que l’on fait, j’ai peu que ce ne soit à nouveau pas suffisant.

Esteban vit loin d’eux ; ils ne sont pas en mesure de le protéger au quotidien. Nate se souvient des messages de Zivia, de la situation qui se dégrade, et il se sent impuissant. La meilleure idée serait sans doute de ramener Este à la maison, mais Nate ne veut pas lui imposer cette décision s’il n’est pas d’accord, il aurait trop peur d’empirer la situation.

Alejandro continue de bander délicatement (For Alejandro's standards) le poignet de son mari tout en l'écoutant parler. A sa remarque sur la gommette, le professeur réalise qu'il passe sans doute un peu trop de temps au travail d'ailleurs, s'il en vient à parler de distribuer des bon points dans le contexte en question. Enfin, là n'est pas la question. Cette gommette le distrait simplement de son envie lancinante d'envoyer lui aussi son poing dans la face de Theodore Gardner, l'être le plus charmant qui soit. Quant il voit le reste de la famille Gardner (exception faite de Vera), il se demande vraiment comment Nathaniel a pu développer une personnalité aussi douce et altruiste. Clairement ce n'était pas le modèle de fabrication envisagé par Daniel & Addison Gardner. Ces gens se soucient peu du bien être de leurs enfants, et si Addison n'avait pas mis de l'eau dans son vin, il y a fort à parier qu'Alejandro aurait refusé de les voir pendant de longues années. A dire vrai, ce genre de relation l'aurait sans doute fait fuir avec n'importe quel autre homme. Parfois l'amour ne suffit pas à effacer une horrible belle-famille.

- On l'a élevé très jeune comparé à d'autres. Peut-être qu'on avait pas toutes les cartes en mains pour voir les signes à l'époque. On travaillait trop, on travaille toujours trop, mais je pense que réserver nos week-ends à la famille est quelque chose qui fonctionne bien pour Lily et Este. Pour nous aussi...

Ils ont fait des ajustements après ça, se sont fait violence pour imposer une vraie coupure et consulter leurs mails que le lundi matin. Cette hygiène de vie est d'ailleurs à la base de la réussite de leur mariage. S'ils n'avaient pas su se réserver des moments privilégiés, ils n'en seraient sans doute pas là aujourd'hui. Indépendants l'un comme l'autre, engagés dans diverses activités, beaucoup de coordination et d'organisation familiale leur manquait à l'époque.

Alors qu'Alejandro croise le regard de Nate, son cœur se serre. Malgré la pudeur de son mari, Alejandro n'est pas dupe et il sait reconnaître la peine sur ses traits, ses yeux qui s'humidifient à l'évocation d'un sujet qui restera un traumatisme pour leur petite famille (Encore un). Alors il lève son menton de son doigt pour forcer Nate à la regarder.

- On ne pourrait pas lui éviter tous les souci du monde, même si on le voulait Nate. C'est peut-être aussi pour ça qu'il est plus sensible aussi... Je ne sais pas. En tout cas, je peux lui dire de revenir à la maison quelque temps. Ça lui fera du bien. Ne laisse pas ton imbécile de frère get to you.

Il le sait bien, Nate, que c'est idiot. Après toutes ces années passées à s'engueuler avec son frère, il aurait dû se faire une raison. Ce n'est pas comme si la moindre considération d'amour demeurait entre eux de toute façon ; ils se détestent, tout le monde le sait. Il savait bien, en recueillant Mat, qu'il s'attirerait les foudres de Theodore. Que cette confrontation finirait par arriver, par se produire, et qu'à ce moment là, son frère serait fou et capable de n'importe quelle bassesse pour pouvoir l'attendre de quelque façon que ce soit. Nate avait soigneusement préparé l'éventualité dans sa tête - et pourtant, il s'est trouvé bien incapable de réagir quand l'évènement s'est présenté. Encore maintenant, alors qu'il observe la grande délicatesse de son mari qui bande - sa main - il ne parvient pas à comprendre réellement ce qu'il lui a pris. Nate n'est pas un homme violent.

- Je sais toutes ces choses. Nous sommes de bons parents, je le sais. On leur offre tout ce qu'on peut, on est à l'écoute et ouverts. Mais ça me rend fou que Theo soit cruel au point de se servir de la tentative de suicide de notre fils pour tenter de me faire du mal, tout ça parce que je t'aime toi et pas une femme.

Il soupire et grimace ; son nez lui fait mal, sa main aussi. Il a l'impression qu'un rouleau compresseur l'a écrasé - il ne se souvient pas s'être déjà battu dans sa vie.

- Je vais lui parler. Je ne pense pas que lui imposer de revenir à la maison soit une bonne idée... Il pourrait vivre ça comme une punition et se braquer, tu ne penses pas ?

Theodore Gardner est un vaste sujet et il y aurait sans doute beaucoup de choses à dire sur les raisons qui motivent son comportement. Alejandro ne veut pas lui donner autant d'importance cela dit. Il est évident que lui et Nate n'en sont pas au même stade de développement. Exiger de la part de Theo d'avoir un raisonnement sensé ne causera que plus de mal à Nate puisque le chef d'entreprise en est bien incapable jusqu'à preuve du contraire. Il n'y a rien que le joli brun puisse faire pour changer les choses à part attendre qu'un déclic vienne prouver à Theo que sa haine ne fait que lui causer plus de mal. Alejandro en sait quelque chose, sa haine pour son père ne l'a jamais aidé à passer l'éponge et à se sentir mieux, loin de là. Peut-être même qu'elle l'empêche d'avancer et bloque sa capacité à avoir une relation apaisée avec son propre fils.

- Je pense pas que ton homosexualité soit son seul problème. C'est une excuse pour lui, et il sera bien obligé de le comprendre s'il souhaite améliorer les choses avec Mat. Je sais aussi que tu aimerais que les choses s'arrangent avec lui, mais il n'en a pas envie Nate, alors le mieux c'est sans doute de ne pas accorder de crédit à ce qu'il dit, même si c'est dur.

Le mexicain embrasse doucement sa main après l'avoir bandée délicatement. Lorsque la conversation dérive sur leur fils, Alejandro hoche la tête. Nate a toujours su mieux que lui comment gérer les émotions et la personnalité de son fils alors il lui fait confiance quant à la stratégie qu'il compte mettre en place pour inciter Este à revenir au bercail. Lui, il aimerait avoir son fils à la maison, cela lui permettrait d'avoir la conscience tranquille. La sensation d'avoir un semblant de contrôle sur la situation le rassurerait beaucoup.

- Il se braque quasiment à chaque fois qu'on discute, mais si c'est toi qui lui en parle alors il ne le verra sans doute pas comme ça.

Alejandro relève la tête pour faire face au visage meurtri de Nate. Il faut qu'il s'occupe de l'oedeme qui pointe le bout de son nez.

- Je vais chercher de la glace.

Lorsqu'il revient, il applique celle-ci sur son nez endolori en pestant tout de même intérieurement contre son beau-frère.

- J'espère que tu t'es défoulé au moins, parce que lui t'a pas raté en tout cas...

Nate est trop sonné pour analyser à nouveau sa relation avec son frère. Il l'a fait des dizaines et des dizaines de fois, déjà. Il y a consacré des heures, dans sa chambre d'adolescent puis dans ses thérapies d'adulte, pour tenter de comprendre comment fonctionne Theo et pourquoi sa haine est si vive à son égard ; mais c'est un questionnement qu'il pourrait arborer pendant longtemps encore. Il n'y trouvera jamais de réponse. L'amour d'Addison, l'homosexualité de Nate, sa vie que tout le monde taxe de perfection, sa belle maison - autant de points de discorde qui ne permettront sans doute jamais que les deux frères se rabibochent.

- Je sais que ça ne s'arrangera pas. Et en temps normal, honnêtement, peu m'importe - mais là, il est venu chez nous pour insulter notre capacité à être de bons parents. J'ai du mal à relativiser sa provocation.

Il soupire un peu et hausse une épaule, grimaçant un peu à cause de la douleur qui devient vive quand il s'énerve.

- Je lui parlerai. Peut-être qu'il acceptera, ou peut-être pas, mais au moins il saura que c'est une option.

Nate hausse une épaule à nouveau et joue un peu avec ses mains douloureuses. Quand Alej revient avec de la glace, il sursaute à cause de la douleur et ses yeux s'embuent naturellement.

- Non, il m'a pas raté. Je vais avoir l'air malin dans une salle d'audience lundi.

Il soupire et secoue la tête, caressant le bras d'Alej de sa main libre pour l'apaiser un peu.

La réaction de Nate rappelle à Alejandro que rationaliser et proposer des solutions n'est pas toujours ce dont les autres ont besoin lorsqu'ils se retrouvent dans une situation émotionnelle difficile. Il opine donc du chef et se met en tête d'offrir un soutien moral plus désiré à place. Ce n'est pas aujourd'hui qu'il réglera le problème de son mari avec son frère Theodore, c'est certain. Tout ce qu'il peut faire, c'est presser doucement son épaule et embrasser ses lèvres en faisant bien attention de ne pas le blesser. Nate et lui fonctionnent différemment, et avec les années, il devrait le savoir. Il s'assied donc près de lui et caresse son bras avec tendresse.

- C'est un con. Et on s'en sort très bien si tu veux mon avis objectif. Jusqu'à preuve du contraire, Esteban n'est pas allé chercher asile chez son tonton Theo...

Alej sait se montre langue de vipère, ceci fait définitivement partie de ses attributions. Theo a d'ailleurs eu bien de la chance qu'il ne se soit pas trouvé dans les parages lorsqu'il s'est mis en tête d'insulter sa famille. Si Nate a vrillé devant la provocation, Alejandro l'aurait sans doute fait bien avant lui. Prenant une inspiration, Alejandro pose ses prunelle chocolat dans celle de Nate.

- Je t'aime tu sais ?

Ce n'est pas quelque chose qu'Alejandro lui dit souvent, même s'il est peu probable que Nate en doute. Alejandro préfère lui prouver de jour en jour. C'est évident, dans ses gestes, toujours tendres, les regards plein d'admiration qu'il lui lance, la fierté avec laquelle il se promène à son bras, le désir qu'il ressent toujours pour son mari... Mais aujourd'hui, les mots franchissent ses lèvres avec un naturel presque déconcertant. Nate a su débloquer des choses en lui sur le plan émotionnel. Il ne pourrait pas être plus chanceux d'avoir une telle personne dans son coeur.

Nate et Alej sont de bons parents, et Nate le sait. Certes, ils ont rencontré des épreuves et leurs enfants ont, comme tous les êtres humains sur cette terre, des hauts et des bas. Mais ce n'est pas lié au fait qu'ils soient homosexuels. Ils n'ont jamais manqué de courage dans l'éducation d'Este qu'ils ont eu très jeunes, surtout Alej. Ils ont fait au mieux de ce qu'ils avaient à l'époque - mais une chose est sure, les enfants n'ont jamais manqué d'amour. Jamais. Theo peut bien dire ce qu'il veut, Nathaniel est capable de relativiser tout ça en temps normal. Mais aujourd'hui, son frère l'a piqué au vif et il s'est laissé emporter, se livrant à des pratiques qu'il ne cautionne absolument pas.

- Je sais. Moi aussi je t'aime, et je suis heureux parce que tu m'aimes.

Nate embrasse les lèvres d'Alej et lui offre un sourire, tâchant de revenir dans l'instant présent plutôt que de ressasser de manière cyclique ce qu'il a dans la tête.

- Tu as raison sur toute la ligne, évidemment. Je ne sais même pas pourquoi je me laisse atteindre par ses conneries...

Il caresse tendrement le bras d'Alej de sa main valide et penche un peu la tête.

- Cela dit, je mentirais si je n'admettais pas que ça fait du bien de lui avoir cogné dessus...

Nate revient a de bien meilleurs sentiments et le couple échange un baiser qui en dit long sur l’attachement qu’ils ont l’un pour l’autre. Après tout ce qu’ils ont traversé, Théodore Gardner ne saurait ternir leur humeur plus longtemps et par chance, Nate en convient lui aussi. Esteban a traversé des phases difficiles, ce serait faire preuve d’hypocrisie que de prétendre l’inverse, mais jusqu’à preuve du contraire, leur fils est toujours bien vivant et des projets plein la tête. Tout cela est largement dû à Nate d’ailleurs qui a toujours été un père exemplaire aux yeux d’Alejandro. Esteban n’est pas né avec tous les avantages possibles et imaginables, mais ensemble, Alejandro estime qu’ils ont fondé une famille dont ils peuvent être fiers tous les deux. Et ce sentiment de fierté, c’est ce qui anime le plus souvent le mexicain lorsqu’il songe à leur famille. Son fils n’est pas parfait certes, un peu paresseux de son point de vue même, mais c’est un garçon bien élevé avec des valeurs fortes. Et même s’il ne lui dit sans doute pas assez, Alejandro l’aime plus que tout.

Alors lui aussi caresse la main valide de Nate, son âme sœur. Il n’aurait pu rêver meilleur compagnon. Ils s’équilibrent dans une harmonie qui doit agacer Theo, lui qui voudrait que les homosexuels correspondent à tous ces stéréotypes négatifs qui lui occupent la tête. Mais au bout du compte, ils ne sont pas les mauvais parents et accorder du crédit à Theo n’est même plus vraiment une option. Nate le réalise et Alejandro embrasse délicatement son front avant de reprendre la parole.

- On ne s’en sort pas si mal pour deux traumatisés tu ne crois pas ?

Alejandro lui adresse un sourire affectueux et accompagne celui-ci d’un léger rire en songeant à tout ce qui aurait pu aller de travers à la lumière de leurs propres problèmes familiaux. Oui, l’enfance d’Esteban aurait pu être bien plus traumatisante que ça.

- Les enfants de sentent bien à la maison, c’est le principal. A l’âge d’Esteban tu passais tout ton temps dans le petit appart du Bronx.

Quant à ce petit poing envoyé dans la tête de Théodore, Alejandro lui répond avec tendresse.

- T’habitue pas, t’es plus attirant quand tu te bats avec des mots. Avis personnel de ton mari.

Leur famille est une belle famille, et ils ont survécu à beaucoup de choses, déjà. Les traumatismes d'Alej, le coming-out et la famille de Nate, l'adoption d'Esteban, les études, la distance, les séparations, les retrouvailles. L'installation commune, l'annonce du mariage, le mariage, Lily et tout le reste. Des choses belles et des choses difficiles. La vie est passée tellement vite depuis qu'il est aux côtés d'Alejandro qu'il en oublie parfois d'où ils viennent et quel chemin ils ont dû faire pour en arriver là. La belle maison que lui envie Theo n'est que l'aboutissement d'un travail acharné et de longue haleine. Ils ont réussi, tous les deux, lentement mais surement, et c'est quelque chose que Theo ne pourra pas lui reprendre. Lui qui a tant de mal à comprendre son frère et le jalouse après tout ne pourra jamais lui voler toutes ces choses qu'ils ont construites avec amour et qui font de leur maison un endroit accueillant et chaleureux, où Mat se sent chez lui.

- Esteban a de la chance, tu as raison.

Il ne souhaite ses parents à personne, et c'est sans doute la raison pour laquelle il comprend Mat. Lui aussi, à l'époque, souffrait de la bassesse d'esprit de ses parents, particulièrement de son père. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que Theo n'a jamais essayé d'arranger les choses, au contraire.

- Je ne comprends juste pas comment on peut rejeter son enfant. Je n'ai jamais compris, et je ne le comprendrai jamais. Mais promis, j'arrête de me battre - tu as raison. Je n'ai pas aimé ça du tout, d'ailleurs, même si ça fait du bien.

Il glisse ses bras autour de la taille d'Alej pour l'attirer vers lui et embrasse son épaule avec tendresse.

La vie d’Alejandro et Nate est pleine de rebondissements, ça c’est certain. S’ils s’étaient imaginé une vie paisible et tranquille l’un avec l’autre, on peut dire que le destin en a choisi autrement. Pour autant, ils sont heureux malgré tout. Une preuve irréfutable en dépit de l’opinion tranchée des sceptiques, que leur mariage survivrait à bien des épreuves. Alejandro est fier, et c’est un sentiment qui ne le quitte pas, même des années après. Il est possible que toutes ces embûches aient même contribué au bonheur qu’il éprouve aujourd’hui. Il a l’impression d’avoir réussi, une sensation d’accomplissement, d’épanouissement... Il lui reste bien entendu quelques problèmes a adresser, mais rien qui ne lui semble insurmontable aujourd’hui, a plus forte raison alors que c’est loin d’être sa priorité...

Alors évidemment Théodore Gardner qui vient provoquer son mari n’a qu’une allure de parasite qu’il est facile de repousser d’un geste de la main. Ce n’est pas aussi évident pour Nate, forcément, mais Alejandro lui offre un soutien infaillible. Ce n’est pas de tout repos pour le mexicain, ce serait mentir que de prétendre le contraire, Alejandro aurait sans doute coupé les ponts avec cette famille à la place de Nate d’ailleurs, mais il l’aime suffisamment pour respecter et soutenir ses choix, même si cela veut dire subir les conseils de jardinage d’Addison le dimanche après-midi.

Lorsqu’il a épousé Nate, il a accepté de mettre de l’eau dans son vin, même si cela lui demande beaucoup d’efforts de se montrer courtois, alors qu’il sait à quel point les parents de Nate lui ont fait du mal à travers les années. Ce n’est pas facile de voir l’homme qu’il aime s’accrocher à la reconnaissance de ces gens qui sont à la source de beaucoup de ses problèmes finalement, mais on ne choisit pas sa famille et Alejandro ne se permettrait jamais de se mêler de la relation de Nate avec le reste du clan Gardner. Aussi difficile qu’il lui soit de taire sa façon de penser, ou de supporter les nombreux repas familiaux chez les Gardners, il préfère occuper une position de retrait et de neutralité, par respect pour son mari surtout. De là à dire qu’il cautionne toute cette toxicité, il y a un monde. Il entoure donc la taille de son mari de ses bras et caresse son dos avec douceur.

- Je ne comprends pas non plus. Mais l’important c’est que Mat soit bien ici. Personne ne va changer Theo, c’est à lui de le faire tout seul comme un grand.

Lorsque leurs prunelles se rencontrent de nouveau Alejandro sourit.

- Et si on faisait un petit barbecue ce soir ? Je peux aller chercher Esteban, si tu me laisse conduire ta belle voiture.

Nate n’est certes pas en état pour conduire, mais Alejandro assume aussi parfaitement sa conduite désastreuse. Il se permet donc une petite blague, même si dans le faits, il faut bien que quelqu’un aille chercher Esteban. En prime, le mexicain profiterait bien du trajet pour essayer de discuter avec son fils. Ils n’ont effectivement que trop peu de moment père fils, et Alejandro se rend compte dernièrement qu’il délègue un peu trop facilement tout ce qui touche à Esteban à Nate, par simplicité sans doute, mais cette dynamique n’est pas forcément idéale pour leur petite famille. Les choses sont plus simples avec Lily, mais cela ne veut pas dire qu’il ne doit pas continuer les efforts avec Este, même si l’étudiant se sent plus à l’aise avec Nate.

- Ça nous permettrait de discuter un peu ? Et toi de te reposer ? Faire ton lawyer cake avec Lily ?

Le seul et unique gâteau, qu’ils sont capables de réaliser tous les deux sans détruire la cuisine, sans doute parce qu’il n’y a qu’une seule cuiller de farine !