- Tu ne restes pas ce soir ?
- Nope, j’ai un cours.
- Un cours ?
- De danois. Tu sais, mes cours de linguistique, deux fois par semaine ?
- Je n’arrive pas à croire que tu continues ce truc.
- Qu’est-ce que tu veux, je dois être maso. A demain !
- Bonne soirée, tarée !

On peut dire que les mots doux et réconfortants de mon collègue sont toujours un plaisir à entendre. J’ai bel et bien un cours de danois à 18h45 et si je ne quitte pas le bureau maintenant, je ne serai tout bonnement jamais à l’heure.
Mon sac dans une main et mon téléphone dans l’autre, je sors du bâtiment dans lequel se tiennent les bureaux de la compagnie pour laquelle je travaille quand mon téléphone se met à vibrer dans ma paume de main. Je fronce les sourcils et regarde qui cherche à me joindre. Numéro inconnu. Je suis tentée de ne pas répondre mais ma curiosité prend le pas sur tout le reste. Je décroche.

- Solveig Lazzari ?
- C’est moi.
- Bonsoir, AT&T mobile services.
- Je suis déjà cliente chez vous donc-
- C’est pour cela que nous aimerions vous faire part de notre offre pour le forfait illimité avec accès 5G à $50 au lieu de $75 par mois !
- Écoutez, c’est gentil mais je vais garder mon forfait actuel, d’accord ?
- Mais...
- Passez une bonne soirée et bon courage.

Je raccroche car je sais exactement ce qui allait suivre sinon. Je sais que le démarchage téléphonique est un métier particulièrement ingrat mais ce soir, je n’ai pas le temps. J’ai un cours de danois et il est hors de question pour moi de le manquer. Ce n’est tout de même pas compliqué à comprendre.

Sans réfléchir davantage, je fourre mon portable dans mon sac à main et prends une profonde inspiration. Trois arrêts de métro, un changement, deux arrêts de plus et je serai là où je dois être ce soir.

Je suis à deux doigts de me diriger vers la bouche de métro la plus proche de là où je me trouve actuellement quand j’entends quelqu’un m’interpeller. Dîtes-moi que c’est une plaisanterie... Je suis tentée d’ignorer cette personne mais une petite voix à l’intérieur de ma tête me dit que ce n’est pas du tout une bonne idée.
L’homme qui s’est approché de moi se présente comme un certain Wyatt Gunn. Ce nom m’est totalement étranger, je ne comprends pas pourquoi il m’accoste en pleine rue comme cela. Vu l’endroit où nous sommes, je n’ose imaginer ce que j’imagine pourtant. Il m’attendait. C’est flippant.

- Mon expertise ? Monsieur, écoutez, si vous avez besoin d’un rendez-vous, téléphonez au cabinet ou envoyez un e-mail. Nous ferons en sorte d’organiser un meeting. Je n’ai vraiment pas le temps, là.

Très vite, je tourne les talons et je commence à partir. Mais c’est sans compter sur mon intuition qui me force à m’arrêter. Je ne peux pas juste partir comme ça, n’est-ce pas ? Pas si je veux dormir sur mes deux oreilles ce soir. Pas si je veux être en mesure de me regarder dans un miroir en me démaquillant ce soir.

Je vais rater mon cours de danois.

Un soupir poussé plus tard, je tourne les talons encore une fois et me rapproche de l’homme qui m’a interpellé et qu’il est toujours là, sans bouger, l’air résigné. Mes talons claquent sur le sol jusqu’à me ramener face à lui.

- Okay... Que se passe-t-il ? Pourquoi ne pas avoir demandé un rendez-vous ?

La première chose qui me vient à l’esprit c’est de me dire qu’il parle trop. Trop et trop vite. Je ne comprends pas la moitié des informations qu’il me balance même si je conçois cependant l’urgence de sa situation. Un ancien taulard qui essaie de se réinsérer dans la vie «normale». J’ai eu suffisamment de dossiers de ce genre entre les mains pour savoir combien cela est difficile et demande beaucoup de courage. Alors si cet homme cherche, en prime, à récupérer la garder d’une enfant... Pardonnez l’expression mais cet homme n’est pas sorti de l’auberge. Et je le dis avec la plus profonde des gentillesses.

- Du calme, Monsieur. Vous parlez beaucoup trop vite, je n’ai même pas le temps de comprendre.

Oui, je sais que j’aurai pu prendre plus de pincettes mais quelque chose me dit que si je veux me faire entendre avec cet homme, il va falloir que j’impose mes limites de suite. Le simple fait qu’il m’ait attendu devant la tour dans laquelle je travaille n’est pas de nature à me rassurer mais je veux bien comprendre qu’il soit désespéré et qu’il n’ait pas trouvé d’autre idée sur l’instant.

Même si cela ne me plaît pas énormément, je peux lui accorder cette erreur sans revenir dessus.

- On va aller prendre un café ou quelque chose d’autre, d’accord ? Une fois installés, vous m’expliquerez exactement ce qu’il vous arrive.

Pas méchante, je renonce à mon cours de danois pour aller aider une pauvre âme en détresse. Qu’on ne vienne pas dire que je me préoccupe pas de mon prochain. J’essaie vraiment de m’améliorer et de prouver aux autres que je ne suis pas la créature sans âme qu’on a pu dépeindre il y a quelques années à mon sujet.

Je me contente de lui adresser un hochement de la tête avant de lui demander de me suivre. Deux rues plus loin, il y a un café sympa que je connais et où je sais que nous serons tranquilles. Ils ont une terrasse couverte où je sais que nous serons seuls. J’ai appris à connaître les patrons de l’établissement et je sais que s’ils me voient arriver, ils ne poseront pas de question et me laisseront aller m’installer là où ce sera le plus pratique pour moi et celui qui semble de plus en plus être un futur client alors que je ne suis plus officiellement avocate.

Quand nous arrivons enfin sur place, je salue poliment la jeune femme derrière le comptoir qui me reconnaît de suite et me salue avec un grand sourire.

- Bonjour, la terrasse est-elle ouverte ?
- Maintenant oui, s’exclame une voix sur ma gauche. Le patron.
- Bonjour Robert.
- Bonjour Solveig, allez-y, je vous en prie.

Je leur remercie et me tourne vers l’homme qui m’a suivi jusqu’ici.

- Que voulez-vous boire ? C’est pour moi.

Ce n’est pas comme si j’allais lui faire payer sa consommation. Je peux me le permettre et étrangement, quelque chose me dit que ce n’est pas forcément son cas ou, du moins, qu’il pourra utiliser cet argent pour autre chose. Une chose plus importante qu’une simple boisson chaude ou froide.

- Pour moi ce sera un café sans sucre, s’il vous plaît.
- Comme toujours, me répond le patron qui s’atèle lui-même à la préparation de ma boisson. Je sais pourquoi il le fait. Je ne dis rien.  

Une fois installés et ce, à l’abri des regards, je sens bien que l’homme maintenant face à moi se demande ce qu’il se passe. J’imagine que si les rôles étaient inversés, je me poserai la même question. On trouve toujours étrange d’arriver quelque part et de réaliser que la personne avec qui nous sommes est connue dans les parages. Personnellement, lorsque cela m’arrive, je me pose toujours mille et une questions. Oui, je sais que c’est irrationnel mais je ne peux pas m’en empêcher.

- Je connais le patron, oui.

Pour des raisons de secret professionnel, je n’en dis pas plus. La vérité c’est que j’ai rencontré Robert comme je viens de rencontrer cet homme-là : grâce à une affaire qui a terminé devant les tribunaux. Je ne sais pas encore si les choses aboutiront de la même manière pour cet homme qui, si j’ai bien compris, cherche à récupérer la garde de sa petite soeur.

- Maintenant que nous sommes là, expliquez-moi calmement pourquoi vous m’attendiez en bas de la tour dans laquelle je travaille. Ce genre de comportement n’a pas nature à être très rassurant, j’espère que vous en avez conscience.

Même si je sais que cela peut paraître un peu brutal de ma part, j’ai besoin de lui faire comprendre que des limites doivent être instaurées entre nous. Nous ne nous connaissons pas et il ne peut pas faire ce qu’il veut. J’ai un numéro de téléphone et une adresse e-mail, ces deux éléments étant facilement accessibles sur Internet, il n’avait donc pas besoin de faire ce qu’il a fait, mais passons.

- Vous évoquiez votre petite sœur...  

La première idée qui me vient quand je l’entends commencer à me conter son histoire est la suivante : cet homme est désespéré. Désespéré et très en colère. Impossible pour moi de lui en vouloir, au fond, il n’a fait qu’essayer de sauver le peu de famille qu’il lui reste mais en prenant, malheureusement, les mauvaises décisions. Les combats illégaux font rage dans ce pays et il n’est pas rare de rencontrer des cas comme celui de ce monsieur. La vérité est qu’il pourrait être très difficile pour lui de récupérer la garde de sa demi-sœur pour deux raisons : il a été en prison et il a commis des actes de violence. Ces deux éléments-là ne sont pas les favoris des services sociaux américains, à juste titre.

- Savez-vous ce qu’il s’est passé à mon sujet ?

Je ne peux pas le faire espérer. Avant qu’il me confie toute sa vie et son avenir, je veux qu’il comprenne que je ne suis plus avocate et qu’il y a une raison. Il dit avoir entendu parler de moi dans les journaux. Je veux savoir exactement ce qu’il a lu à mon sujet. S’il a lu mes exploits, c’est formidable mais finalement peu représentatif de ce que pensent mes ex-confrères de moi aujourd’hui. Avoir drogué un confrère il y a 10 ans m’a coûté cher.

- Je ne suis plus avocate depuis près de deux ans, Mr Gunn.

Ça y est, j’ai enregistré son nom, ce qui prouve que je suis déjà intéressée par son cas. Ce n’est pas bon signe. Je sais exactement comment je suis lorsque je prends quelque chose du genre à cœur. Je ne vais pas pouvoir m’empêcher de m’en mêler alors que je ne bosse plus pour aucun cabinet new yorkais.

- Vous aider serait un plaisir mais je veux que vous soyez sûr de vous à ce sujet. Le flot de critiques qui pourrait encore vous tomber dessus serait étendu si mon nom venait à être cité dans votre affaire.

J’aimerai ne pas avoir à lui dire ça mais je n’ai pas le choix. Il n’est pas question de moi, ici, mais de lui et de cette petite fille qui est loin de lui. Je comprends qu’il veuille la récupérer mais si on doit s’engager sur un truc pareil alors cela reviendrait à dire que je vais devoir renfiler un habit qui m’a été retiré il y a deux ans de cela.

Spoiler:

J’aurais dû m’en douter. Il ne sait pas. Évidemment, qu’il ne sait pas. Pourquoi est-ce qu’il saurait que je ne suis plus ce que j’étais auparavant ? Cet homme m’a attendu en bas de l’immeuble dans lequel je travaille parce qu’il avait foi en moi et en mes capacités. Malheureusement, j’ai bien peur de ne pas pouvoir lui venir en aide aussi facilement qu’il l’aurait désiré. Ma réputation est au-dessus de moi. Et ma réputation n’est pas bonne, du moins, elle ne l’est plus. Attention, cela ne me fait pas plaisir de le dire comme ça. Mais c’est la vérité. La grande Lazzari, l’avocate, le requin que j’étais n’existe plus. Bien sûr, cela ne veut pas dire que j’ai perdu mes capacités, ma rhétorique ou mes connaissances en matière de droit. Mais le fait est que là, le dossier de cet homme face à moi est monstrueux. Je comprends son envie de récupérer sa sœur, de la protéger et de vivre avec elle. Malheureusement, vu le dossier qu’il a, vu son passé, quelque chose me dit que ça va être très compliqué. De nos jours, il ne suffit pas d’avoir la main sur le cœur pour s’en sortir, c’est beaucoup plus compliqué que ça. Il faut avoir l’argent, le carnet d’adresses et la situation qui va avec. S’il veut vraiment récupérer sa petite sœur, ce n’est même plus une lutte qu’il va devoir mener mais bien une guerre contre des gens invisibles, contre une institution à proprement parlé. Une institution qui est là pour protéger sa sœur. Qu’il le veuille ou non, à l’heure actuelle il est considéré comme une menace pour sa sœur et non l’inverse.

- Avez-vous un emploi fixe dorénavant ?

J’ai conscience de ne pas avoir répondu à sa question de ne pas lui avoir parlé de moi et de mon passé. Mais avant d’exposer mon propre cas j’ai envie de savoir si sa cause est vraiment juste et si, surtout, il a des chances de gagner.

- Et quand je dis emploi fixe, je veux dire emploi qui rapporte un minimum d’argent pour tenir une maison et gérer l’éducation d’un enfant.

Aux États-Unis, le droit se veut particulièrement difficile lorsqu’il est question d’enfants. Même si beaucoup de choses sont à refaire au niveau de notre système, je dois admettre que la protection de l’enfance fait un bon boulot. Lorsque j’étais avec William, lorsque nous étions encore en couple, j’ai vu passer tellement de dossiers de cas de maltraitance et de problèmes liés à l’enfance que je sais que tous ceux qui travaillent dans ce domaine-là font de leur mieux pour protéger les petits. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de ratés. C’est faux car il y en a. Malheureusement, tout le monde est humain et des erreurs sont commises. Mais le droit américain est là pour protéger les enfants et même si les textes de loi peuvent être encore revus, la route jusque-là parcourue n’est pas négligeable.
C’est d’ailleurs quelque chose qui tient énormément à cœur à Aleks. Peut-être qu’en tant que procureur adjoint il arrivera à faire changer certaines choses. Peut-être aussi qu’Aleks peut aider l'homme que j’ai en face de moi. Peut-être que moi je ne peux rien faire mais cela ne veut pas dire que je ne connais personne qui puisse l’aider…

- Je ne suis plus avocate depuis plus de deux ans. J’ai commis une bavure il y a 10 ans et elle a fini par me retomber dessus. Il n’y a pas eu de drame en soi mais c’est quelque chose qu’on ne peut pas pardonner dans les tribunaux. Je paye pour mon erreur et je l’accepte. Ce que je veux que vous sachiez c’est que si vous voulez mon aide il vaut mieux que cela se fasse en privé. Je ne veux pas que mon nom entache votre dossier plus qu’il ne l’est déjà. Si vous voulez récupérer votre petite sœur, je suis prête à vous y aider mais pas à vos dépends. Si vous pensez que je ne suis pas viable, si vous préférez que je vous recommande à certaines personnes je peux le faire. Mais à leur actuel j’ai besoin de beaucoup plus d’informations si vous voulez des réponses. Je suis incapable de vous dire si vous allez réussir ou non à la récupérer. Il faut vraiment que j’en sache plus.

“Vous aussi, vous avez été égoïste, croire que vous êtes intouchable, que rien vous arrivera en agissant contre la loi…Mais en réalité, vous vouliez obtenir justice…Obtenir ce que vous méritez après tant de travail…”

Ses mots ne me choquent pas mais ils me perturbent. En effet, à l’époque, il n’était pas question d’obtenir justice mais de ne pas laisser Aleksej gagner contre quelqu’un que je savais innocent. Je ne pouvais pas accepter que mon client perde parce que je n’avais pas « assez » de répartie face à un requin comme celui qu’était Aleksej à l’époque.

“ Je voulais juste rendre sa vie meilleure…Lui donner plus de liberté, qu’elle ne voit plus la misère…”

Même si je dois garder mes distances avec ce que me dit que l’homme, je ne peux que comprendre ce qu’il m’explique. Il est évident qu’il pensait faire du mieux possible. Malheureusement, rarement bonnes sont les décisions qui entraînent de la violence ou des choses immorales.

Quand l’homme finit par me poser l’ultime question, je secoue vivement la tête. Je ne souhaite pas qu’il pense qu’il n’a aucune chance. Personne ne doit jamais penser cela et ce, même dans les cas les plus complexes comme celui de l’homme. La seule chose qu’il doit garder en tête, c’est que les apparences jouent contre lui et c’est à sujet qu’il doit rester le plus prudent possible.

- Rien n’est jamais perdu tant que vous n’en décidez pas ainsi. Si vous tenez à votre sœur, ce que je crois sans mal être le cas, il va falloir vous accrocher et faire preuve de bonne foi. Accrochez-vous aussi à votre nouvel emploi et faîtes tout ce que vous pouvez pour le conserver. Concernant vos finances, gardez la tête hors de l’eau autant que possible. Si vous êtes dans le rouge fréquemment, aucun juge à l’enfance ne vous accordera de nouveau la garde de l’enfant, d’accord ? Dîtes-vous que même si vous voulez son bien, le juge aussi et qu’il se méfiera de tout vous concernant. Si vous maintenez le cap, rien n’est perdu.

Même si je ne peux pas blâmer un homme pour avoir des volontés fortes, j'ai malgré tout l'envie profonde de claquer la tête de cet homme-là dans un mur pour essayer de lui faire voir la vérité en face. Il ne parviendra jamais à ses fins s'il continue sur la voie sur laquelle il semble de nouveau lancé.

- Vous avez conscience que malgré son caractère officiel, le MMA est un sport considéré comme extrêmement dangereux, n'est-ce pas ? Aucun juge de protection à l'enfance ne vous laissera récupérer votre sœur si vous exercez dans ce domaine. Ne le prenez pas mal. Le même discours serait tenu à un membre des forces de l'Ordre célibataire. Lorsqu'il y a danger imminent, les juges ne peuvent pas se permettre quoique ce soit.

Je n'ai pas envie de lui dire de telles choses mais je crois qu'il a besoin que quelqu'un les lui dise et ce, même si c'est douloureux. Je ne suis pas non plus du genre à garder ma langue dans ma poche, en particulier quand c'est à caractère professionnel.

- Qu'adviendra-t-il d'elle si vous y laissez la vie ? Dois-je vous rappeler qu'un joueur de MMA de 22 ans est encore décédé cette année en pratiquant cette discipline ? Il avait 22 ans, la vie devant lui.

Qu'il pratique le MMA m'importe peu, tout le monde fait ce qu'il veut de sa vie tant que cela n'impacte pas la mienne directement. Cependant, si cet homme compte vraiment récupérer sa sœur, ce n'est pas sur un ring qu'il va falloir qu'il aille mais dans un endroit professionnel stable et sans trop de danger.

- Ecoutez, je ne veux pas vous faire la morale mais la vérité est telle que si vous continuez dans ce domaine, vous pouvez déjà préparer vos demandes de visite à votre petite sœur car jamais vous ne récupérerez sa garde. Je suis navrée.

Voir les gens s’énerver, j’y suis plus ou moins habituée. A vrai dire, je ne sais pas si on s’y habitue vraiment mais dans mon cas, on essaie. Ayant été avocate pendant une décennie, j’ai eu face à moi un bon nombre de personnes au caractère bien trempé et d’autres qui ne savaient simplement contrôler leur tempérament.
Je tourne la tête et lance un regard plein d’excuses à Robert qui fronce les sourcils. Il me connaît suffisamment pour savoir que je gère la situation, je ne voudrais simplement pas que certains clients s’en aillent à cause de la colère de l’homme face à moi. Il doit se calmer. Sans calme nous ne parviendrons à rien, j’en suis certaine car j’ai déjà vécu de genre de situations.

- Ecoutez-moi bien, ce n’est pas la peine de vous énerver. D’ailleurs, votre comportement n’a rien de rassurant. A peine vous ai-je dit quelque chose qui ne vous plaît pas et vous voilà en train de vous énerver. Comment voulez-vous qu’un juge à l’enfance vous prenne au sérieux ? Je suis navrée, j’ai conscience de la dureté de mes mots mais ils sont dits pour votre bien et celui de votre petite sœur. Récupérer la garde d’un enfant est très difficile mais pas impossible. Cependant, il va être de votre responsabilité de mettre toutes vos chances de votre côté.

Sinon, c’est foutu.
Je ne le dis pas mais je le pense fortement. J’aimerai avoir un autre point de vue mais cela m’est impossible pour le moment. D’abord, je ne connais pas assez l’homme face à moi, ensuite, il est évident que ce dernier veut le bien de la petite mais cela ne veut pas pour autant dire qu’il y arrivera. Si tous les gens pleins de bonnes attentions arrivaient à tout dans la vie, cela se saurait. Il n’y a que dans les Disney et les films Hallmark que ce genre de choses marchent...Pas dans la vraie vie malheureusement.

- Rentrez chez vous et posez vous les bonnes questions. Faîtes vos comptes, planifiez un budget réaliste sur une vie avec une enfant. Ces choses sont longues et pénibles mais elles sont nécessaires. Prouvez au juge que vous êtes stable et vous aurez une chance. Ne prenez pas en compte mes conseils et vous n’aurez pas votre sœur à vos côtés.

Non, mon ancienne carrière n’a pas toujours été facile. Dire de telles choses à un homme qui ne souhaite que le bien de sa sœur me brise le cœur mais je sais que c’est nécessaire. Il est important de lui faire comprendre qu’au-delà de l’injustice qu’il pense être en train de vivre, un système bien rôdé ne lui fera aucun cadeau. Il va devoir s’accrocher et avoir une base solide à laquelle se raccrocher s’il veut être avec sa sœur.