Une nouvelle journée au Starbucks et comme il y a pas mal de turnover ici, tu te retrouves à être l’employé le plus ancien. Ça fait même pas un an que t’es là pourtant. C’est pas énorme mais quand même. En plus en ce moment y’a pas vraiment d’employés avec qui tu t’entends plus que ça. Tu en viens à te languir de l’époque avec Shinsuke. C’est pour ça que tu lui as envoyé un SMS entre deux clients tôt ce matin. Envie de le voir aujourd’hui, plus qu’un autre jour. Tu sais pas pourquoi, y’a des jours comme ça. Tu lui proposes de venir à l’Overkill comme ça tu peux lui montrer ton nouvel appart’ en même temps si le coeur lui en dit. Comme ça y’a pas d’horaire spécifique, il peut venir quand il veut. T’aimes être arrangeant pour les gens. Tu sais que la vie est bien remplie et tu veux toutes tes chances de ton côtés pour le voir ce soir comme tu en as envie.

Ton tablier rendu, tu sautes dans le métro pour retourner dans ton nouveau chez toi. Ta coloc n’est pas là, parfait, tu vas pouvoir te faire une petite sieste. T’as beau avoir invité Shinsuke ce soir dans le bar juste en dessous de ton logement, t’avais pas beaucoup dormi la nuit d’avant, faut que tu te revigores. Heureusement tu arrives toujours à t’endormir en deux secondes à peu près partout. T’as mis une alarme pour ne pas dormir trop. Juste assez pour reprendre du poil de la bête pour le reste de la soirée. Et puis tu descends au bar The Overkill, où tu bosses aussi mais pas aujourd’hui. Shinsuke ne devrait plus trop tarder. Tu restes à une table sans rien commandé pour l’instant. Y’a pas foule, tu sais que tu déranges pas. De toute façon tu vas consommer après. T’es réglo comme ça, tu veux faire marcher leur business, mais tu fais attention à tes sous, toujours.

Le nez dans ton téléphone, tu fais pas attention à qui arrive dans le bar, tu sais que Shinsuke va te trouver, t’es pas caché non plus.


@Shinsuke Funaki

Son œsophage guérissait de jour en jour, mais il ne se sentait pas encore prêt à retravailler au sein de la troupe, même si sa passion pour son art vivait encore quelque part en lui. Hélas, l’argent ne poussait pas dans les arbres, ce qui aurait été bien pratique avec les factures qui s’accumulaient et les fins de mois de plus en plus compliquées à gérer pour la petite troupe d’artistes. Dans de telles circonstances, il se sentait si coupable de s’être blessé, lui qui possédait pourtant de l’expérience à en revendre, qu’il accepta un poste temporaire de barista. Sa seconde famille avait besoin de son aide, alors il l’aiderait. Ses collègues étaient tous plus jeunes que lui, mais ça ne le dérangeait pas; l’avaleur de sabres avait l’habitude de devoir s’adapter à son environnement pour survivre. Il se lia surtout d’amitié avec un certain Kelly, qu’il avait hébergé chez lui quelques semaines précédant son emploi au Starbucks. Au final, les deux gardèrent contact, même après que Shin eut décidé de se consacrer de nouveau à ses anciennes activités. Alors lorsqu’il reçut le message du jeune homme l’invitant à passer la soirée en sa compagnie dans un pub de Brooklyn, ça le mit tout de suite de bonne humeur. Son ami ne lui avait pas donné d’heure précise, alors Shin prit son temps pour se rendre au lieu de rendez-vous, qui se révéla assez sympa. De la musique métal jouait dans les enceintes et il regretta n’avoir jamais appris à chanter de cette façon, de peur d’abîmer ses cordes vocales. À la place, il avait appris à avaler des épées en tout genre. L’ironie de la situation le fit doucement rigoler tandis qu’il s’avançait vers son jeune ami, qu’il venait juste de repérer à une table. « Toi, t’as l’air de complètement t’emmerder. Je comprends mieux pourquoi tu m’as invité ce soir, » le nargua-t-il avec un sourire taquin, en guise de salutation.

Tu regardes quelques groupes Facebook sur lesquels tu es membre, te tenant au courant de choses et d’autres. T’es pas le plus connecté mais quand tu commences à lire certains trucs, tu peux passer des heures. Ta vies est très remplie pour que tu aies droit à un lavage de cerveau en bon et due forme par les pubs qui pop de tous les côtés tout le temps sur ton téléphone. Parce que oui, tu fais tout sur ton téléphone. T’as pas d’ordinateur. Tu n’en as jamais eu l’utilité. Même les rares films et séries que tu regardes c’est via ton téléphone. « Toi, t’as l’air de complètement t’emmerder.  » Un sourire se forme aussitôt sur tes lèvres alors que tes yeux s’en vont de ton écran.

« Je comprends mieux pourquoi tu m’as invité ce soir. »
« Et encore t’as pas vu la gueule que je tirai au boulot aujourd’hui. »

C’est de pire en pire au Starbucks. Tu espères à chaque fois qu’un nouveau commence, qu’il sera quelqu’un d’intéressant. Quelqu’un avec qui tu auras des atomes crochus. « Tu veux pas revenir au Starbucks des fois ? » Tu plaisantes bien sûr, d’ailleurs ton visage un tant soit peu sérieux se craque en un sourire encore plus grand qu’avant. « Je demande, on sait jamais. » Si y’a bien un truc que t’as appris dans la vie c’est qu’on a rien sans demandé. Même si c’est un coup dans l’eau, c’est mieux que de rester et se poser la question pour le reste de ses jours. Et puis sur un malentendu ça va peut être lui donner envie de revenir ? On y croit ou pas ? Non. « Qu’est ce que t’as fait de ta journée ? » Pour voir s’il se plaît dans son existence actuelle. C’est important comme information quand c’est des personnes auquel tu tiens. Y’en a pas des masses en plus dans cette ville. Si jamais y’a quoi que ce soit que tu penserais à dire ou faire pour l’aider d’une façon ou d’une autre, tu n’hésiteras pas. Tu sais ce que c’est recevoir un petit coup de main pour quelqu’un mais qui s’avère être une aide immense pour toi.