Allongé dans son lit, il fixe le plafond de sa chambre d'hôtel. Il a hâte, Toni, d'avoir assez d'argent pour pouvoir se payer ne serait-ce qu'un studio qu'il pourra décorer comme bon lui semble, un endroit qu'il pourra faire sien en fait, tout simplement. Parce qu'en vivant à l'hôtel, il a encore et toujours de ne pas s'être vraiment arrêté à New-York, de ne pas être véritablement installé alors qu'il n'a nullement l'intention de repartir. Pas alors que son travail lui plaît, pas alors qu'il a revu Illario. Non, Dario... Il a du mal à s'habituer mais il va devoir pourtant s'y faire : Illario n'existe plus et c'est Dario qui a pris sa place. Pour pouvoir continuer à vivre. Il a compris Toni, vraiment compris, et il n'en veut absolument pas à Dario. Il pourrait, peut-être que d'autres lui en voudraient mais qu'aurait-il dû faire ? Rester là-bas et risquer de perdre la vie ? Non. Quand Toni lui a dit qu'il avait bien fait de partir, il le pensait véritablement. Il a bien fait oui. Et si Amanda l'avait suivi, elle serait encore en vie aujourd'hui. C'est aussi simple que cela. Il se redresse et se frotte le visage. C'était déjà difficile de dormir correctement avant mais depuis qu'il a revu Dario, ses insomnies se font pires, plus tenaces. Il observe l'horloge du coin de l'oeil, hésite un instant puis décide de se relever. Il entreprend de se rhabiller, décidant de sortir parce qu'il sait qu'il ne va pas arriver à trouver le sommeil avant plusieurs heures au moins et que quitte à être éveillé, autant l'être dans un endroit agréable. L'Overkill sera donc le parfait endroit pour passer le temps. Il aime cet endroit, les gens qu'il y croise, la musique. C'est un petit bout de chez lui ce bar en fait.

Il prend donc la direction de l'Overkill avec son pick-up. Il se gare à quelques blocks et termine le chemin à pieds, mains dans les poches de sa veste en cuir, songeur. Il se demande ce que fait Dario. Est-ce qu'il est seul ? Il chasse la pensée d'un bref geste de la tête. Il se fait du mal tout seul, encore et toujours comme un idiot. Heureusement, il passe bientôt les portes de l'Overkill et à peine met-il un pied dans l'ambiance du bar qu'il se sent un peu mieux, un sourire venant étirer ses lèvres. Il se faufile parmi la foule et se trouve une place sur un tabouret libre. Il passe bien vite commande et demande une bière avant de soupirer doucement, sentant ses épaules se détendre au fil des secondes. C'était ce qu'il lui fallait : venir jusqu'ici. Il jette un regard circulaire et c'est là qu'il voit l'homme assis à côté de lui qui regarde ailleurs. Un froncement de sourcils de la part de Toni alors qu'il lui semble le reconnaître mais il a du mal sur le moment à se rappeler d'où. Il cherche dans sa mémoire, règle sa bière entre temps et reporte son regard sur l'homme à ses côtés qui cette fois-ci le regard. Leurs prunelles se croisent et il se souvient Toni : il l'a interrogé quelques jours auparavant dans le cadre d'une enquête. « On se connaît. » lui dit-il alors avec un petit sourire. « Bonsoir. » ajoute-t-il avec douceur en tendant la main. Pas de plaque montrant qu'il appartient au NYPD ce soir. Pas d'armes accrochée à sa ceinture. Non, Toni n'est pas un flic en cet instant mais un insomniaque qui a décidé de venir boire quelques bières dans un bar qu'il affectionne énormément. Et il est possible que l'homme à côté, Sasha si ses souvenirs sont bons, ait décidé de faire de même.

Sasha s'était réveillé en sursaut, haletant, alerte, la bouche sèche. Il mit plusieurs secondes à se rappeler le qui, le pourquoi et le comment. Par habitude, sa main vint empoigner sa jambe gauche, celle qui trésaillait légèrement dans la pénombre. Faible douleur mais douleur quand même. Il repoussa les draps roses sous lesquels il transpirait et fit tourner doucement sa cheville pour réveiller ses gambettes. Un scan rapide de la chambre lui rappela qu'il avait passé la nuit chez sa sœur (l'ainée, son agent) pour discuter les contrats qui étaient arrivés dans leur boite mail récemment. Une dispute en entrainant une autre, comme il était de coutume chez les Kowalski, ils avaient conclu la soirée à coup de shots de vodka et bons sentiments (mais surtout à la vodka). Trop ivre pour prendre le volant, Sasha avait un moment pensé à se faire raccompagner par un.e des patrouilleur.euses de Drive Safe mais sa sœur l'avait convaincue de ne pas déranger la pauvre âme à une heure si avancée de la nuit. Il s'était glissé dans le lit d'ami avec un plaisir non-feint pour se réveiller trois heures plus tard avec un mal de tête tonitruant, une bouche des plus pâteuses et surtout une furieuse envie de se couper les deux jambes et d'en finir avec toutes ces douleurs. Il n'était pas rare que Sasha se retrouve éveillé, des heures durant, au beau milieu de la nuit. Son corps encore fragilisé par l'accident qu'il avait subi il y avait maintenant plus d'un an et demi, trouvait toujours un moyen pour lui rappeler la violence de sa mésaventure. Et si ce n'était pas le cas, ses cauchemars se faisaient un plaisir de rejouer la journée au grand complet jusqu'au moment fatidique où son crane allait heurter la carlingue et son dos—

Sasha s'extirpa du lit. Il trouva son jean, sa chemise de la veille, les pompes dans un coin de la chambre, sa cane. Il avait conclu après de multiples nuits comme celle-ci que de contempler le plafond ne faisait rien pour calmer son corps ou le rassurer. Pro-actif comme il l'était toujours, Kowalski préférait aller se changer les idées, peu importe l'heure de la nuit ou son état d'épuisement. Après avoir laissé un mot à sa frangine, il sortit discrètement, chaussures à la main, jusque dans les ruelles silencieuses de Brooklyn. L'air frais le revigora immédiatement. Sasha prit une profonde inspiration avant de se mettre en marche. Son appartement se trouvait à trente minutes de là et la balade calmerait esprits - parfait. Une main dans sa poche, l'autre sur sa cane, il n'avait pas fait quatre blocs que les lumières de l'Overkill l'aveuglèrent. Sasha plissa les yeux avant de noter que l'établissement était toujours ouvert, une chance pour sa gorge sèche qui lui rappela les relents de vodka. S'humectant les lèvres, il hésita quelques secondes avant de passer finalement les portes du bar.

Plusieurs habitués jouaient aux fléchettes dans un coin, Kowalski leur adressa un bonsoir en se dirigeant vers le bar contre lequel il déposa sa cane. "Un verre d'eau et une Kilkenny." Le barmaid hocha la tête. Sasha avala le contenu de son verre d'eau d'un trait, soupirant de bonheur. Il n'avait pas encore attaqué sa bière que son voisin de comptoir - qu'il n'avait pas remarqué jusqu'ici lui adressa la parole. Les lèvres sur le verre à moitié levé, le pilote émit un petit son d'approbation, reconnaissant immédiatement son interlocuteur. "Détective Moretti !", il lui lança, de la mousse encore accroché à sa moustache. Tendant sa main pour serrer celle du policier, Sasha ajouta : "Quelle bonne surprise. J'espère que je ne suis pas en train de ruiner une opération de police." Contrebande à l'Overkill, mafia dans les sous-sols, bookie dans les cuisines... Kowalski jeta un regard au verre d'alcool du détective. "Vous m'avez pas l'air d'être en service cela dit." Enfin, il espérait.

Peut-être ne va-t-il pas se rappeler de lui. Il ne lui en tiendrait pas rigueur. Ils se sont croisés au détour d'une enquête, dans des circonstances finalement pas particulièrement agréables. Qu'il ne se souvienne pas de lui ne serait pas surprenant. Sauf qu'il se souvient de lui puisqu'il lance un « Détective Moretti ». Me sourire de Toni s'élargit alors tandis que Sasha vient lui serrer la main. Le fait qu'il dise que c'est une bonne surprise fait encore plus plaisir au policier. Ce sont des mots toujours agréables à entendre et cela veut dire qu'il n'a pas un si mauvais souvenir de lui que cela, au contraire. « Pas du tout. » lui dit-il avec un petit rire quand Sasha ajoute rapidement qu'il espère ne pas compromettre une opération de police. « Off duty. » affirme-t-il en levant son verre et en buvant une gorgée, confirmant ainsi à Sasha qu'il n'est pas en service et qu'il est un citoyen lambda en cet instant. Il est juste un homme, dans un bar, qui fait face à des insomnies trop récurrentes. « Et Toni sera très bien. On garde le « détective » pour des moments plus officiels si vous voulez bien. » finit-il par lui dire avec un sourire avant d'avaler une autre gorgée de son verre. Il est flic, certes, mais il n'est pas que cela. Il a vécu toute une partie de sa vie sans avoir de plaque accrochée à la ceinture. Son métier, bien qu'important et bien qu'il l'aime, ne le définit pas. Il est Antonio avant d'être le Détective Moretti. « Insomnie ? Ou vous êtes un oiseau de nuit ? » demande-t-il avec un petit sourire. Peut-être est-il insomniaque comme lui. Peut-être a-t-il l'habitude de dormir davantage le jour que la nuit. Et est-ce qu'il vient souvent ici ? « Je ne vous avais jamais vu ici, vous venez souvent ? » Beaucoup de questions mais c'est qu'il est curieux Toni. Après tout, il peut se permettre de l'être. Il n'est pas en service. Sasha n'est pas un potentiel témoin auprès duquel il vient chercher des informations. Ils sont simplement deux hommes qui se retrouvent là, ensemble, et qui peuvent bien apprendre à se connaître. Toni est avide de nouvelles rencontres, de nouvelles histoires à écrire avec ceux qui sont d'abord des inconnus pour ne l'être plus finalement. Et si Sasha est pour le moment encore un inconnu, Toni espère qu'il ne le restera pas.

Sasha n'avait pas spécialement la mémoire des visages mais celui-là l'avait particulièrement marqué et pour cause. Ce n'était pas tous les jours qu'on venait frapper à sa porte pour des "problèmes de voisinage"; dans ces cas-ci, la disparition inquiétante d'un enfant. La nouvelle avait rapidement fait le tour du quartier de Greenpoint dans la journée, voyageant de bouche en bouche et d'oreilles en oreilles avec la rapidité qu'on pouvait lui escompter. Tout le monde avait été choqué d'apprendre qu'un petit voisin n'avait pas donné signe de vie depuis deux jours, et Sasha qui veillait sur sa fille ce jour-là n'avait pas pu s'empêcher d'avoir un pincement au cœur à l'idée que ce fait divers aurait tout aussi bien pu être le sien. Bien qu'il ait baissé la voix en s'adressant aux officiers, dont l'inspecteur, Maja n'avait pas tardé à lui poser son lot de questions, enfant inquiète qu'elle avait toujours été. Sasha avait tenté de la rassurer du mieux qu'il pouvait en tachant de trouver des mots simples sur une situation pourtant compliqué; sa fille eut l'air de s'en accommoder. "Tony, alors." répéta Sasha pour ne pas oublier. "Sasha." Ajouta t-il au cas où son prénom ne revienne pas au détective Morretti. Il rencontrait suffisamment de gens et serrait suffisamment de main pour que Kowalski lui pardonne. Ce dernier ajusta la pinte sur le comptoir, s'installant plus confortablement dans son siège. "Un peu des deux." Répondit il en sirotant le verre. "Je n'ai jamais été un gros dormeur et ce soir c'est particulièrement vrai." Un petit rire en lui retournant la questions. "C'est pareil pour toi ? Dure journée peut-être ?" Il ne se sentait pas à l'aise de poser librement des questions sur une enquête en cours pour laquelle Tony ne pourrait surement rien dire. Mais s'il pouvait être d'un quelconque support moral ce soir, Sasha comptait bien l'être, ne savant que très bien l'importance de la communauté et de l'entraide. "Tout le quartier a été très choqué de l'histoire... J'espère que vous nous ramènerez rapidement le petit." Conclut-il d'un petit sourire encourageant à l'intention du détective. Puis il s'adressa à l'homme en levant son verre : "Oula oui j'ai fais les cent coups dans ce bar. Meilleure bière du quartier. Les concerts ne sont pas mal non plus. C'est étrange qu'on ne se soit pas croisé plus tôt mais qui sait. C'est peut-être toi qui m'a pissé sur les pieds la semaine dernière près des urinoirs."

Tony. Sasha. Ils ne sont plus des étrangers à présent. Il n'est plus le détective venu sonner à la porter pour prendre des informations. Ils sont simplement deux hommes dans un bar qui vont pouvoir faire connaissance. Et c'est pour pouvoir faire connaissance que Toni pose la question, veut savoir si Sasha a l'habitude de traîner la nuit ou s'il est victime, comme lui, d'une insomnie. Un peu des deux d'après le blond et Toni sourit alors que Sasha se fait plus explicite en disant qu'il n'a jamais été un gros dormeur. Lorsqu'il fait le bilan, Toni ne peut pas dire qu'il ait été un gros dormeur dans le passé, c'est juste que cela s'est aggravé ces dernières années. Et ce soir fait partie de ces soirs où il lui est bien difficile de trouver le sommeil et Sasha semble rencontre le même problème visiblement. Un point commun supplémentaire en plus de venir traîner dans ce bar. Lorsqu'il lui retourne la question Toni soupire doucement en souriant. « Dure journée. Dure année. Dure décennie. » lance-t-il en riant amèrement mais en étant en réalité particulièrement honnête. Depuis qu'Amanda a disparu, tout a foutu le coup. « Mais je m'accroche. » renchérit-il rapidement, ne tenant pas à s'apitoyer sur son sort. Après tout, il a un travail qu'il apprend à aimer, il fait des rencontres au fil des jours, il commence à se construire sa vie, ici, et il n'est pas à plaindre. Tout n'est pas toujours simple et pour cause, il se bat avec ses démons et avec ses doutes mais non, il n'est pas à plaindre.

La situation pourrait être bien pire.

« Moi aussi je l'espère. » dit-il lorsque Sasha mentionne la sombre affaire qui a amené plus tôt Toni dans le quartier. Il espère oui, qu'ils vont vite retrouver ce petit car plus les heures passent et plus les chances de le retrouver en vie diminuent. C'est malheureusement ainsi que ces choses-là fonctionnent. Fort heureusement, le sujet ne s'étend pas et Toni préfère bien plus parler du bar, des habitudes de Sasha (s'il en a) que de parler de ce petit garçon disparu. Et Sasha ne manque pas de dire à Toni qu'il a fait les quatre cents coups dans ce bar qui sert visiblement la meilleure bière du quartier. Toni ne peut qu'être d'accord, boit d'ailleurs une gorgée de sa boisson avant de reporter toute son attention sur Sasha, ne pouvant s'empêcher de rire à la dernière remarque de ce dernier. « Alors non, je t'ai pas pissé dessus, je m'en souviendrais ! » dit-il en riant, savourant sincèrement cette ambiance légère. « Mais j'espère que tu le retrouveras et que tu lui feras payer ta paire de chaussures. » qu'il ajoute avec un petit clin d'oeil et un sourire en coin un poil espiègle. « Alors, Sasha, tu fais quoi toi dans la vie ? » qu'il lui demande en reprenant une gorgée, sincèrement curieux. Après tout, le blond connaît déjà l'activité de Toni alors, c'est de bonne guerre de demander.