Cassiopeia avait l’impression qu’elle allait vomir d’une seconde à l’autre et elle priait tous les dieux de l’univers pour que ce ne soit que cela, une impression. Elle n’avait jamais fait de théâtre de sa vie; pourtant, elle estimait que ce qu’elle ressentait à cet instant précis devait ressembler au fameux trac que ressentaient les acteurs et les actrices juste avant d’apparaître sur scène. Son cœur palpitait, elle mordillait sa lèvre inférieure et elle se retenait bien fort pour ne pas ronger ses ongles jusqu’à la peau tant son anxiété la consumait. Aujourd’hui était en effet une journée très spéciale : elle allait rencontrer en chair et en os la personne qu’elle considérait comme sa meilleure amie, rien de moins. Rencontrées sur un site de fanfictions, les deux jeunes filles s’étaient rapidement liées d’amitié, jusqu’à ne plus pouvoir se passer l’une de l’autre. Chaque jour, elles se spammaient mutuellement de messages tantôt sérieux, tantôt comiques. Aux yeux de Cassio, Priya représentait le seul point tangent de sa vie dans le carrousel de familles d’accueil qui l’étourdissaient depuis l’enfance. Si demain sa travailleuse sociale décidait de l’envoyer à l’autre bout du pays, leur amitié n’en souffrirait pas. Priya serait toujours là pour l’écouter, la conseiller et la faire rire jusqu’aux larmes. Elle était même plus proche de la jeune Anglaise que de certains de ses « vrais » amis.

Voilà pourquoi elle désirait et craignait tout à la fois de la rencontrer dans la vie réelle. Peut-être qu’elles ne s’entendraient pas si bien au-delà des pixels et des emojis? Peut-être que cette rencontre briserait quelque chose entre elles? Adossée à un mur, la petite rousse se força à décrire son environnement, un bon truc pour se calmer. Autour d’elle, une foule compacte mais joyeuse. De tous côtés, des stands colorés à en perdre de vue. Çà et là, des animaux domestiques près de leur maître respectif. Dans ses oreilles, le brouhaha confus de tout ce petit monde. Aujourd’hui se tenait la Super Pet Expo à New York, un week-end entièrement dédié aux animaux de compagnie. C’était dans ce lieu bondé d’adorables bêtes poilues qu’elle avait donné rendez-vous à son amie. Par une drôle de coïncidence, les deux filles travaillaient dans un refuge pour animaux et il y avait fort à parier qu’elles s’amuseraient bien dans un tel événement. Enfin, elle l’espérait. C’était son idée, après tout. Elle releva la tête de son portable et ce fut à ce moment qu’elle l’aperçut parmi la marée humaine. Une chevelure longue et foncée. Un grand sourire au milieu d’un visage bien dessiné. Un regard amical mais interrogatif. Est-ce que c’est toi? Vraiment toi? Cassio lui envoya la main pour le lui confirmer. Aussitôt, la nouvelle venue fendit l’air pour aller à sa rencontre; quelques secondes passèrent, lentes comme dans les films à l’eau de rose, puis elle sentit le corps de sa meilleure amie se mouler contre le sien dans une étreinte fraternelle. Peut-être pour la première fois de son existence, Cassiopeia felt at home.

ce n'est pas la première fois qu'elle imagine cette journée, ce moment, cette rencontre. pas la première fois qu'elle se demande ce qu'elle pourrait porter, lui offrir, lui dire. ce n'est pas la première fois qu'elle en rêve priya, qu'elle se réveille en sursaut complètement paniquée à l'idée de tout foirer. priya soupire longuement face au miroir, pour la première fois ce n'est pas un rêve, pour une fois cette journée est bien réelle. la boule au ventre, priya sent le stress monter toujours un peu plus. cassio c'est son amie, sa confidente, sa meilleure amie. cassio c'est celle a qui elle pouvait toujours tout dire, sans avoir peur, sans se faire rejeter. cassio c'est celle qui connait tout de sa vie, de ses doutes, de ses impressions. parce qu'elle a toujours eu plus facile de se dévoiler via des messages, face à l'inconnu. ce site de fanfiction qui a su les rapprocher, créer certainement la plus belle de ses amitiés et priya refuse de gâcher tout ça, de perdre tout ce qu'elles ont construit ensemble. « ça va bien ce passer priya, tout va bien ce passer. » qu'elle se murmure à elle-même, offrant un sourire à son portrait avant de quitter l'appartement de sa tante.

elle n'a jamais eu aussi mal au ventre priya, l'impression de pouvoir craquer a tout instant, d'un simple claquement de doigts. et si cassio ne l'aime pas ? et si elles ne savent pas quoi se dire ? comment se regarder ? et si priya n'est pas assez bien ? celle qu'elle pensait être derrière les messages, derrière les appels téléphoniques ? est-ce qu'elle aurait du demander une photo d'elle pour être certaine de ne pas tomber sur un vieux pervers ? pire encore de se faire accompagner pour être certaine ? trop de questions, beaucoup trop de questions qui s'envolent d'un seul coup. c'était elle. vraiment elle. la surprise, un sourire, son regard peut-être un peu trop oppressant obligeant la jeune fille à lever la tête vers elle. cassio, celle du refuge, de son refuge. surprise mais, agréable, son corps qui s'approche sans réfléchir du sien. pour briser cette foule qui la sépare de son amie, de sa meilleure amie. rassurer de la voir briser cette faible distance de son côté. les bras de son amie qui l'accueille naturellement, comme une évidence alors, qu'elle cache son visage dans son cou l'indienne venant la serrer un peu plus contre elle. est-ce qu'elle est censée venir briser le silence maintenant ? tout de suite ? lentement, priya se recule doucement, venant observer son amie droit dans les yeux. « j'arrive pas à croire que ce soit toi.. que tu es là.. » et que tu as toujours été là finalement involontairement près d'elle même si priya n'a jamais eu la chance de s'en apercevoir plus tôt. peut-être que si elle avait posée les bonne questions, elle aurait pu facilement faire le rapprochement. sa meilleure amie qu'elle vient reprendre dans ses bras sans poser de questions. l'impression d'avoir enfin trouvée cette moitié qui lui manquait.

D’un seul coup, elle eut l’impression que le poids qui pesait sur ses épaules s’envola pour ne jamais revenir; aux côtés de sa meilleure amie, elle se sentait forte et heureuse, à sa place, prête à affronter n’importe quoi, parce qu’elle savait que tout irait bien, que tout finirait par s’arranger d’une manière ou d’une autre, comme dans les films pour enfants. Leur amitié était peut-être un peu trop intense aux yeux de certaines personnes, surtout en sachant que tout avait commencé par une conversation pixellisée et bourrée d’emojis, mais allons, on était en 2020, la relation d’un être humain à un autre pouvait se définir bien au-delà de la vraie vie, à défaut d’un meilleur terme. Le danger existait, bien sûr. Nul n’était à l’abri de tomber sur un Roger, 72 ans, mais n’était-ce pas partout comme cela, écran ou pas? Avec Priya, Cassio avait pris le risque d’apprendre à la connaître, petit à petit, et aujourd’hui, elle ne le regrettait pas le moins du monde. Elle espérait simplement que cette première rencontre ne chamboulerait pas leur amitié. Si ça venait à arriver, elle ignorait si elle s’en remettrait, en toute honnêteté. Mais pourquoi songer au pire alors que tout se passait bien? Les deux filles se reculèrent pour s’observer un moment. C’est alors que Cassiopeia réalisa que les traits de son amie ne lui étaient en réalité pas inconnus. Elle mit un moment à la replacer et ce ne fut que lorsque Priya prit la parole qu’elle sut qui elle était. La fille du refuge. Celle à qui elle bavardait de temps en temps, sans plus. Voilà qu’elle se révélait être sa meilleure amie! Incroyable. La rousse s’esclaffa sans pouvoir s’en empêcher. « Et moi donc! Tu m’as bien eue, petite cachottière. Avoue que tu voulais me réserver la surprise pour quand on se rencontrerait, » la taquina-t-elle comme à son habitude. À nouveau, elles s’enlacèrent, savourant la présence de l’autre. « En tout cas, je suis contente que tu ne sois pas un vieux pervers. Tu veux commencer par quoi? » Elle tourna la tête vers les nombreux stands, derrière lesquels les animaux et leurs maîtres attendaient d’être abordés par les visiteurs pour répondre à leurs questions ou autres. « Tout à l’heure, j’ai vu un chien qui ressemblait comme deux gouttes d’eau à Olaf, tu n’en reviendras pas. » Elle faisait bien sûr référence au chien du refuge que Priya affectionnait tout particulièrement. Sourire aux lèvres, elle attendit la réponse de la jeune Indienne tout en sachant, intimement, au fond de son cœur, que rien, non rien, ne changerait jamais entre elles.