Il avait beau faire grand soleil sur New-York, Kenneth prenait de plus en plus l’eau dans le puits sans fond de ses problèmes d’argent. Plus que jamais, sa situation était critique; sur son téléphone, d’innombrables appels et messages ignorés, qu’ils viennent de son banquier ou d’autres créanciers, rappels incessants de son incapacité à payer. Ses cartes bleues étaient bloquées, son stock de billets se mourait, et ses nombreux crédits de consommation venaient frapper son découvert… Et tout ce qu’il était capable de faire, c’était se morfondre dans son lit, broyer du noir sans rien mettre en oeuvre pour arranger quoi que ce soit, incapable qu’il était de se prendre en main. Oh, il existait bel et bien des remèdes évidents à ses problèmes : vendre ses affaires hors de prix, changer d’appartement, retrouver un job alimentaire le temps de se remettre à flots et arrêter de tout gaspiller au casino… Mais il refusait tout cela. Il s’accrochait désespérément à son ancienne vie, ses griffes plantées dans le tableau resplendissant de ce qu’il avait été.

Ou plutôt : il se refusait à agir jusqu’à la semaine dernière encore, jusqu’à ce qu’il comprenne le danger qui le guettait s’il se trouvait incapable de payer ses factures pour la première fois. Face à l’intense panique qu’il avait ressentie, il s’était soudainement activé pour sauver sa peau. Depuis lors, son esprit se répandait en une effusion d’idées pour remonter la pente, et il songeait de plus en plus sérieusement à se séparer de son cadre de vie pour regagner une stabilité financière. Pour autant, toutes les solutions auxquelles il avait pensé requérraient du temps, et du temps, il n’en avait point. Il n’existait qu’une seule façon pour lui de rapidement trouver de quoi payer en temps et en heure, qu’il avait écartée jusqu’ici par qu’il la jugeait trop dangereuse et trop amorale. Mais il n’avait désormais plus le choix. C’était ça, ou bien finir interdit bancaire, ou pire, derrière les barreaux.
De son cerveau, un plan mesquin avait germé pour récupérer ce qui lui était dû. Il existait quelques potentielles failles et inconnues dans son déroulement, mais c’était le meilleur auquel il eusse songé. Sa tactique nécessitait l’aide d’une femme, et la seule personne qu’il se voyait appeler était Darcy. Il avait songé à Jules, mais étant donné l’escroquerie qu’il lui avait fait subir récemment, il n’avait pas osé. Darcy, elle… Il était incapable de mettre des mots sur leur relation. Depuis l’épisode de la photo et leur rencontre à l’hôpital, ils s’échangeaient des messages sans queue ni tête, se voyaient parfois dans des soirées improbables. C’était devenue une amie, unique à sa façon. Il saisit nerveusement son téléphone et tapa frénétiquement le message suivant à l’adresse de Darcy.

“Rejoins-moi ce soir à Broadway, devant le music box Theatre.
22h pétantes.
Sois sexy please.”

Il n’existait que Darcy pour être capable de répondre présente à ce genre d’invitation farfelue. Il n’avait aucun moyen d’être sûr qu’elle répondrait par l’affirmative, ou même qu’elle était seulement disponible, mais c’était quasiment sa seule chance. Comme après une longue attente, il n’avait toujours pas de réponse, et qu’il se doutait qu’elle travaillait ce jour là, il se mit sur son trente et un et partit en direction du lieu de rendez-vous tout de même.
Il exulta lorsqu’il reçut une réponse affirmative alors qu’il était en chemin. Cette femme était vraiment hors-norme.

Elle arriva peu après lui, le rejoignant devant la salle de spectacle, et ils se saluèrent dans le brouhaha de Broadway. Il l’inspecta de la tête aux pieds et la gratifia d’un hochement de tête appréciateur. Elle était venue, et qui plus est, avait répondu à ses exigences. « Darcy ! Tu es splendide ! Comment tu vas ? » Il ne méritait pas qu’elle soit là ; elle ne savait pas ce qui l’attendait.

Malgré son métier prenant, la vie de Darcy n’était pas des plus palpitante. Sa routine était loin de la faire rêver. A un point, qu’elle ressentait le besoin de mettre un grain de sel à moins de vouloir se plonger dans un profond ennuie. Elle a des amis, une famille qu’elle aime, jamais elle ne les changerait, pour rien au monde. Voilà, une petite touche de folie n’allait pas lui faire du mal. Parfois, dans le but de briser cette foutue routine, elle s’autorisais à sortir en soirée, bien plus souvent qu’elle ne le devrait. En effet, en étant dépendante aux substances médicamenteuses, les tentations étaient au rendez-vous. Ce qu’elle aimait particulièrement en faisant la fête avec de sombres inconnus, était le fait qu’ils ne puissent pas la juger. Et puis, elle ne les reverrait sûrement jamais. Alors pourquoi ce prendre la tête pour ça? Elle ne voyait aucune raison valable.

Darcy profitait du calme de ses vacances. Elle avait passé une merveilleuse soirée en compagnie d’une amie qu’elle considère comme la meilleure pour fêter ses vingt six ans. Ses ami.e.s elle peut les compter sur les doigts de la main droite. Enfin, ceux à qui elle pouvait accorder sa confiance. Alors qu’elle était sur son canapé avec Buddy le furet sur les genoux pour une séance de caresses, le bruit qu’avait son téléphone en vibrant avait su attirer son attention. Hm. Kenneth, avec un autre texto bizarre. En même temps, elle avait, malgré elle, lancé la tendance. La jeune femme hésite avant de répondre, elle se surprends même à grogner. Il avait ce talent fou, la foutre dans des plans pas possible. A chaque fois, elle lui disait oui. Elle libère sa main gauche pour pianoter librement sur son téléphone.


Elle sait donner le ton. Darcy sait le pouvoir qu’elle peut avoir sur les hommes. Elle ne s’en sert pas souvent, mais elle ne l’ignore pas pour autant. Broadway n’était pas vraiment sa tasse de thé. A vrai dire, elle n’y avait jamais vraiment mis les pieds depuis qu’elle habitait New York. Jusqu’à présent, elle avait réussi à s’en passer.  Ne sachant pas si l’invitation de Kenneth était une simple blague ou non, Darcy avait décidé de jouer le jeu. Quitte à se faire avoir, autant le faire en beauté. Elle décide de jouer dans la simplicité avec une robe noire, des talons hauts même s’ils ont tendance à lui faire plus de mal que de bien, et une veste pour recouvrir ses épaules. A dix heures du soir, il risque de faire frais et l’envie d’attraper froid était loin d’elle.  



Elle range son téléphone dans son sac à main avant de prendre la route, comme indiqué dans son texto. Pour une fois, elle prend le taxi puisqu’elle se voyait mal se balader dans cette tenue dans le métro. Les rues ne sont pas tellement sûres pour les femmes ces temps-ci.


— Merci. Je vois que tu as fait un effort toi aussi, dit-elle en affichant un sourire au coin de sa bouche.


Elle se rapproche davantage de lui. Son visage était presque collé à celui de Kenneth. Elle ne voulait pas que les autres entendent ce qu’elle avait à lui dire.


— Tu peux me dire qu’elle est l’embrouille dans cette soirée ?

Robe noire, talons hauts et veste jetée sur les épaules ; Kenneth hocha la tête avec approbation. Le noir lui allait bien - ce qui était un constat sans intérêt, puisque la couleur seyait probablement à tout le monde - ; c’était certes sobre mais aussi suggestif que distingué, et si dans ses mâles fantasmes il avait sans doute imaginé quelque chos de plus provocant, il dut admettre que c’était probablement mieux ainsi. Le sombre tissu de sa robe créait un contraste saisissant avec l’azur de ses yeux, qui avaient sans doute fait chavirer plus d’un homme à eux seuls. Kenneth n’était pas de ceux là ; sa relation avec Darcy se limitait à une amitié sans queue ni tête, à un jeu innocent d’allusions déplacées, de taquineries adultes qui ne consistaient qu’à mettre l’autre dans l’embarras (et à rappeler à la jeune femme qu’elle avait connu Kenneth en se trompant de destinataire, et qu’il n’était pas prêt d’oublier le cliché qu’elle lui avait malencontreusement offert). Et s’il n’espérait d’habitude rien de Darcy sur le plan physique, il aspirait cependant à ce qu’elle se montre conquérante ce soir pour le bien de son compte en banque agonisant. Par conséquent, s’il l’avait flattée, c’était tant parce qu’il le pensait que parce qu’il voulait la mettre dans les meilleures dispositions pour lui rendre service par la suite…

— Tu peux me dire qu’elle est l’embrouille dans cette soirée ? Elle s’était rapprochée au plus près de lui, comme si elle s’inquiétait que quiconque l’entende dans le vacarme new-yorkais.
La question le surprit quelque peu : était-il si évident que son invitation cachait quelque imbroglio ? Il la toisa un instant sans répondre, fronça légèrement les sourcils, puis, se reprenant subitement, éclaira son visage d’un large sourire.

— Et tu as répondu présente à l’invitation, quand bien même tu savais que je t’embringuais dans un plan foireux ? lui répondit-il sur ce même ton confidentiel. Il marqua une courte pause et ses yeux s’éclairèrent de malice. Eh bien, Darcy Blackburn, je te déclares ainsi ma plus fidèle amie.

Ce n’était pas loin d’être la stricte vérité. Aucun de ses prétendus amis du Gotha n’aurait daigné répondre à une si tardive invitation, et encore moins s’ils avaient flairé le moindre problème à l’horizon ; ils se faisaient tous rare, depuis qu’il avait perdu en notoriété. Il saisit la femme par le bras sans lui laisser aucune chance de s’esquiver, et sans autre forme de procès, l’entraîna à l’intérieur du théâtre. Le brouhaha de la rue laissa place à l’écho tonitruant de la salle haute de plafond. Les deux jeunes gens s’insérèrent dans la file d’attente, et Kenneth conversa gaiement sans dire un mot de plus sur ses plans.

— J’espère que tu aimes les comédies musicales. Ce n’était pas tout à fait une question, puisqu’il ne lui laissait pas vraiment le choix. Et il souriait, Kenneth, ses deux yeux sombres brillants de gaieté.

Lorsqu’ils arrivèrent à hauteur de l’employé se chargeant de vérifier les entrées, l’ex-trader sortir deux billets de la poche intérieure de son manteau. Ils gravirent ensuite le tapis de velours rouge qui ornait les marches d’un large escalier, dépassèrent une grande porte en bois pour se jeter dans la salle de spectacle. Ils prirent place à l’avant du premier balcon, et alors qu’ils s’installaient, Kenneth précisa pour Darcy :

— Écoute, pas d’embrouilles pour le moment, promis juré. Je t’offre cette comédie en dédommagement pour ce qui suivra… Il lui coula un regard en biais quelque peu mystérieux, qui laissait sous-entendre une tonne de péripéties par la suite.   Profite de la pièce !

Aussi égoïste que soit sa motivation du soir, il espérait sincèrement qu’elle s’amuserait un brin en sa compagnie.

Elle hausse les épaules, un peu avec un air désinvolte, loin d’être son genre habituellement. Après, elle n’allait pas se mentir à elle-même, se préparer, se faire belle, lui a fait un bien fou. Darcy est une femme, une femme qui aime plaire, qui aime qu’on la regarde. Pour une fois, Kenneth la voyait autrement qu’habillé d’une blouse blanche ou bien en tenue d’Eve.

— Oui, j’ai accepté, mais bon, la soirée sera bonne, n’est-ce pas ? lui lança-t-elle en plaçant une main sur ses hanches. Elle l’interrogeait, rien qu’avec un simple regard. Son ami savait qu’elle n’allait pas laisser tomber aussi aisément.

Sa remarque sur sa fidélité dans le domaine de l’amitié avait réussi à lui esquisser un sourire au coin des lèvres teintées de rouge pour la soirée. Darcy prenait soin de sélectionner ses amis, peu importe le sexe et le genre. Certains avait su se faire une place presque naturellement dans son cercle, sans vraiment forcer à obtenir sa confiance. La confiance qu’elle ne donne que très rarement et après certaines preuves. Malgré la gêne éprouvée lors de l’envoi de cette photo dénudée, il avait su la faire rire et être là pour continuer. Rien n’était vraiment sérieux dans ce qu’ils disaient.

— Et toi, t’es le seul homme qui ne m’a pas encore déçu.

Sa façon à elle de lui dire qu’elle pense la même chose que lui. Sans revenir sur le sujet, Darcy et la gente masculine était toute une histoire. Elle a beau se promettre de ne pas retomber dans le panneau, elle saute dans le piège les deux pieds dedans. A chaque fois, l’histoire se termine de la même manière : la jeune britannique avec le cœur brisé et ses yeux pour pleurer. Souvent dans ses situations, une amie l’accompagnait pour lui sortir une réplique à la con, un de perdu dix de retrouvés. Si seulement, cela pouvait être vrai.

Les comédies musicales ? Elle ne s’y était jamais vraiment intéressée. Son boulot était prenant, lui laissant peu de temps pour se poser devant la télévision ou bien pour sortir dans ce genre d’endroit. Elle était plus simple, Darcy. Elle aime la musique, malgré tout. Une des seules choses qui peut la faire sortir de son lit, c’est Shea qui l’embarque quelque part ou qui lui propose de regarder l’Eurovision. Dommage qu’elles n’aient pas eu cette chance cette année.

— ça peut aller ! Enfin, ce n’est pas vraiment ma tasse de thé, mais je pense survivre. Parce que toi, c’est un de tes plaisirs coupables ?

Elle le taquine comme toujours, cherchant à provoquer plus. Dans la file d’attente, elle tient son sac précieusement. Darcy ne connait pas le comportement des gens ici, elle n’a pas envie que quelqu’un passe et lui prenne en plein vol. Surtout qu’avec les talons et sa cheville c’était assez dur de se lancer dans une poursuite. Une interrogation lui était venu à l’esprit. Où avait-il réussit à avoir les places ? Probablement, sur internet en avance ou bien d’une autre manière. Elle arqua un sourcil sans pour autant poser sa question à haute voix. Elle fait attention à ses gestes, et le suit sans une once d’hésitation. Elle tourne rapidement la tête quand il commence à parler et lui lance un regard noir.

— Tu vois, c’est pour ça, que je commence à me méfier de cette soirée. Pour le moment, je dois m’attendre à quoi ? Est-ce que tu vas monter sur scène afin de voler la vedette aux acteurs ? Si c’est ça, tu peux être sûre que tu finiras sur mon instagram.

Sa menace n’avait aucun fondement, les appareils électroniques, tel que les téléphone portable, appareil photo (sauf pour les journalistes) étaient prohibé. Des enregistrements clandestins étaient possible, mais plutôt risqué. Est-ce que la pièce allait vraiment en valoir la peine? Darcy le somme de se taire quand la pièce commence. A plusieurs moments, elle fronce les sourcils, cherche à comprendre l’utilité des chansons dans ce spectacle. Elle avait envie de lui poser des questions, mais encore une fois, elle s’était retenue. A la fin de la pièce, Darcy suit le mouvement est applaudit avec les autres et se tourne enfin vers Kenneth.

— Tu as aimé ça toi ? J’espère que la suite sera moins décevante que cela. Je sais que je suis exigeante mais quand même, on peut mieux faire non ?

Le seul homme qui ne l’aie pas encore déçue… La réponse le fit grincer des dents. Ce soir, Darcy avait un rôle important à jouer, et quelque peu ingrat, même s’il allait tenter de lui présenter sous un meilleur jour. Il gardait cette pensée à l’esprit lorsqu’il s’assirent à leur place, et que Darcy s’enquit de ce qu’il allait lui faire subir.
— Tu aimerais ça, hein, que je monte sur scène ? … Avoue-le. Ses yeux riaient. Juste pour le plaisir d’obtenir un cliché de moi au moins aussi gênant que celui que j’ai reçu de toi, pas vrai ? Ce n’aurait été qu’une bizarrerie de plus dans leur amitié, même s’il était vrai que cette plaisanterie là auraient été d’une envergure différente des précédentes. Avec cette réponse, il se montrait toujours plus évasif quant à ce qu’il adviendrait en fin de soirée, et savait attiser ainsi la curiosité de Darcy. D’un certain côté, ça l’amusait, de l’autre, il savait qu’il devrait finir par lui dire la vérité…

Durant toute la représentation, les yeux de l’ex-trader brûlèrent pour l’acteur principal de la pièce, Jeremy Baran, un bellâtre à la voix époustouflante qui devait faire ventiler l’intégralité des femmes du premier rang. Si certains y aurait vu un intérêt charnel, il n’en était rien : Kenneth se consumait de haine pour l’être fourbe que l’acteur était en réalité.
Les deux hommes s’étaient rencontré au Casino, lorsque Kenneth passait ses nuits à dilapider sa fortune au poker, et avaient commencé par sympathiser. Dans un élan de bonté - ou de stupidité plutôt -, Kenneth avait prêté de l’argent à l’acteur pour jouer, qui lui avait assuré le rembourser plus tard. Comme Kenneth le connaissait de réputation, et savait l’homme être une des étoiles montantes de Broadway, il s’était dit qu’en accédant à sa requête, il pourrait peut-être se lier avec ce personnage en vue, et redorer un peu son propre blason, puisqu’il était désormais en disgrâce auprès du Gotha. Cet entreprise avait été l’un de ses nombreux échecs depuis ; Jeremy n’avait jamais répondu aux nombreux messages de Kenneth, le ghostant pour ne pas avoir à lui rendre ses sous, présumait-il. Mis à part les redoublements de messages, l’indien avait tenté de croiser la route de l’homme et de lui forcer la main : sans succès, la sécurité de Jeremy faisait bien son travail, et jamais Kenneth n’avait pu espérer l’approcher pour le confronter. Aussi avait-il abandonné l’idée d’être remboursé un jour, et avait nourri une hostilité sans limite à l’égard de ce profiteur, qu’il savait être plus qu’en mesure de s’acquitter de sa dette.
Mais aujourd’hui, tout cela allait changer.

L’affaire était somme toute - dans l’esprit de Kenneth tout du moins - très simple.
Grâce à des minutieuses recherches sur la personne de Monsieur Baran, l’ex-trader avait découvert que, comme la plupart des égos démesurés de ce milieu, le Don Juan avait une libido démesurée et jetait son dévolu sur toute fille d’ève bien roulée. Il n’était pas rare qu’après l’une de ses prestations, une de ces dames se présente à sa loge dans le but d’être consommée. C’était donc d’une facilité déconcertante : Darcy se présenterait à l’entrée des loges dans ses plus beaux atours, papillonnerait un peu des cils, et la sécurité penserait qu’elle n’était qu’une proie de plus pour le gourmand Baran. Une fois arrivé à ce stade, Kenneth l’attendrait à l’issue de secours à l’arrière du théâtre, qu’elle lui ouvrirait après avoir pénétré dans les loges des artistes. Ainsi, l’ex-trader se faufilerait à l’intérieur, irait attendre Jeremy dans sa loge, et réglerait une bonne fois pour toutes ses comptes avec lui. Kenneth récupérerait son argent, disposerait ainsi d’un peu plus de temps pour rassurer sa banque et payer ses factures. Ensuite… Kenneth verrait bien comment récompenser Darcy.

La représentation à peine terminée, sa belle invitée lui glissa entre deux applaudissements :
— Tu as aimé ça toi ? J’espère que la suite sera moins décevante que cela. Je sais que je suis exigeante mais quand même, on peut mieux faire non ?
Elle le provoquait, il le savait. Elle en attendait plus, puisqu’il lui avait vendu un tomber de rideau époustouflant. Il lui adressa un sourire forban avant de lui répondre :
— J’ai trouvé ça très bien ! Il mentait éperdument. Il avait à peine suivi de quoi il retournait, tant ses pensées étaient dirigées vers sa vendetta secrète. Tu l’as trouvé comment l’acteur principal ? Plutôt beau gosse non ? Il l’appâtait.

Ils sortirent lentement de la salle, agglutinés dans la foule de spectateurs dont ils faisaient parti, la sortie comme goulot d’étranglement. Dans le hall d’entrée, Kenneth entraîna Darcy à l’écart et lui exposa son plan, avec force compliments. Ca va être marrant, tu vas voir, avait-il dit. Tu vas pouvoir jouer de tes charmes sur une des futures stars de New-York, c’est pas donné à tout le monde hein?, et puis Y’a que moi pour te donner des telles opportunités, pas vrai?.
A ses propres esgourdes, tout cela sonnait faux.

— Te voir dans une situation étrangement amusante ? Toujours.

L’histoire de la photographie, comme toujours, remise sur le tapis. Darcy lève les yeux au ciel parce que depuis, elle se sentait dénudée à chaque fois. Elle s’était trompée, à un chiffre près. Certes, elle aurait pu tomber sur un pervers qui aurait choisit d’utiliser cette photo pour faire n’importe quoi ou bien la publier sur un site pour adulte. Mais non, Kenneth n’était pas comme ça aux dernières nouvelles.

— Te fais pas de films, c’est la seule que tu auras, dit-elle en haussant les épaules. Elle affiche un regard malicieux puis se tourne vers lui pour reprendre. Au moins, je me suis ridiculisée devant une seule personne, pas des centaines. Ne t’inquiète pas, j’aurais ma revanche, un jour. Quand tu ne t’y attendras pas.

Malgré qu’elle soit rempli de doutes, Darcy tâchait d’essayer de paraître forte, sûre d’elle-même. Il y avait ces jours où les choses étaient plus compliquées, où elle avait envie d’envoyer tout promener. Et d’autres, où elle préférait se laisser porter par ses émotions, quitte à perdre des plumes au passage. Elle savait qu’il y avait anguilles sous roche, qu’elle n’était pas là pour rien, que sa présence signifiait quelque chose. La jeune anglaise se mit à nouveau à respirer une fois sortie de la salle de spectacle. Son répit n’était qu’éphémère et s’était fait la malle au moment où Kenneth ouvrit la bouche.

— Pas vraiment, non. Je préfère les hommes un peu plus vieux que moi et je n’ai pas envie qu’ils me cassent les oreilles avec des chants pareils. Ses cordes vocales sont peut-être son seul bel instrument.

Son sang ne fit qu’un tour dans son cerveau quand il lui exposa son plan. Elle avait l’impression qu’elle était dans un mauvais rêve. Dans quelle dimension, il pensait qu’elle allait servir d’appât pour lui ? Surtout ce genre d’appât. Elle était loin d’être un simple bout de viande. Darcy était beaucoup plus que cela. Même si cela la ferait tomber dans le mélo dramatique, Darcy avait un cœur, des sentiments et tout. Sans qu’elle ne sache pourquoi, par reflexe, sa main alla se loger plus que violement sur la joue de Kenneth.

— Tu m’as pris pour qui, Myers ? Je ne suis pas une fille de joie. T’as un sacré culot pour proposer ça. Mais dis-moi, à quel point tu t’es foutu dans la merde pour avoir cette idée ? Je suppose que tu ne fais pas ça par plaisir.

Son geste attira les regards du monde autour d’eux.

— Je crois que ton plan initial est tombé à l’eau. J’espère pour toi que t’avais prévu un plan de secours.

Il tâcha de lui présenter son meilleur sourire, comme on enrobe un présent empoisonné de son plus beau papier cadeau. Malgré toutes ses tentatives pour dérider son amie, elle avait dû sentir venir les galimatias de Kenneth car elle avait systématiquement répondu à la négative à chacune de ses questions. Maintenant qu’il lui racontait en long et large de quoi il retournait, il craignait que le spectacle offert aie bien peu de valeur en échange de l’effort qu’il exigeait d’elle en contrepartie, et que malgré toute sa bonne volonté pour le lui présenter sous un aspect amusant, Darcy lui refuse catégoriquement de lui venir en aide.
Il l’observa se crisper peu à peu devant lui tandis qu’il narrait ses envies de vendetta. Il vit comment elle serra poings et mâchoires, comment la ligne de ses lèvres se tordit en un rictus dépréciateur, comment toute sa posture indiquait peu à peu son mécontentement.
Il ne devina cependant pas la gifle qu’elle lui asséna soudain, là au milieu de la foule se pressant vers la sortie. Au bruit de l’impact de la main sur sa chair, nombreux curieux se retournèrent pour les observer mais Kenneth ne remarquait plus que le regard orageux de son amie. Elle fulminait. Les yeux de l’ex-trader était rond comme des billes ; il la savait impulsive, mais il n’aurait pas imaginé provoquer telle réaction.

— Tu m’as pris pour qui, Myers ? Je ne suis pas une fille de joie. T’as un sacré culot pour proposer ça. Mais dis-moi, à quel point tu t’es foutu dans la merde pour avoir cette idée ? Je suppose que tu ne fais pas ça par plaisir.
— Aïeuh. C’est tout ce qu’il trouva à répondre, portant une main à sa joue qui le brûlait désormais. Grimaçant de honte plus que de douleur, l’indien ne trouva rien à lui dire dans l’immédiat, interdit.
— Je crois que ton plan initial est tombé à l’eau. J’espère pour toi que t’avais prévu un plan de secours. Prenant subitement conscience du regard des autres, Kenneth fronça les sourcils et fit signe à Darcy de l’accompagner un peu plus loin dans le couloir, plus à l’intérieur du théâtre tandis que l’on se désintéressait d’eux pour sortir du bâtiment. Attirer l’attention, c’est tout ce qu’il ne voulait pas.
— Viens, j’ai pas envie que tout New-York écoute ce que j’ai à te dire.
Lorsqu’ils furent un peu plus loin, à l’abri des indiscrets, il soupira longuement. T’y es pas allé de main morte… Mais bon, j’imagine que je l’ai mérité ? Il eut une moue entre le sourire et le désarroi, mi-figue mi-raisin. Il prit une grande inspiration, et s’expliqua plus concrètement. J’ai vraiment besoin de thunes Darcy. J’suis sur la paille. J’ai la banque qui me spamme de messages, et des factures en attendent à gauche à droite. Ce gars là m’a arnaqué et me dois un sacré paquet de pognon, alors ce soir, d’une façon ou d’une autre, il va me rendre ce qu’il me doit ! Je te demande pas de vendre ton corps, fais lui juste un peu de rentre-dedans pour qu’il baisse sa garde, et après je m’occupe de tout le reste. Il fit les yeux doux, ou du moins eut une tentative peu glorieuse d’amadouement d’un regard apitoyé. Darcy, s’il te plaît…

Ces derniers temps, il se surprenait à parler plus facilement de ses soucis d’argent. Sans s’en rendre compte, il avait fini par accepter la situation actuelle, premier pas sur le long chemin qui l’attendait pour se sortir de là...

« Je suis désolé » qu'elle ose répondre après l'avoir giflé sous l'impulsion de la colère. Ou plutôt celle de la stupeur, un mécanisme visant à se protéger. Même si Darcy est gentille, elle n'en est pas bête pour autant. Si on veut obtenir sa confiance, la vérité est sa première condition. Kenneth n'avait pas fait preuve d'honnêteté, il partait avec un sacré handicap pour son plan. Elle ne traine pas quand il lui fait signe de le suivre à l'extérieur. « et tu avais la tête où quand t'as imaginé ce plan ? Au réveil, dans le brouillard ? Ou ça t'est venu comme ça, d'un coup, genre, j'ai envie de lui faire un sale coup » Darcy non plus n'avait pas envie d'alimenter les potins du théâtre. En tout cas, pas pour ça. Elle ne lui répond pas quand il lui demande s'il l'avait mérité, et préfère détourner le regard. Elle n'ose pas l'interrompre quand il se lance dans un monologue explicatif. Ce n’était pas digne d'être nommé aux Oscars mais ça se voulait être sincère. Quel con pense-t-elle intérieur. Elle se retourne vers lui. « Je peux savoir comment il t'a arnaqué exactement ? Ne me dit pas que t'es un de ces types accro aux jeux d'argent ? Si c'est ça, t'as mal négocié ton coup et faut revoir tes méthodes de bluff ou de je ne sais pas quoi. Je ne connais pas votre vocabulaire. ». Darcy plonge ses mains dans son visage sans pour autant ruiner le maquillage qu'elle avait mit tant de temps à faire. Elle fait quelques pas, grogne un peu. Darcy, ce n’est pas le genre à laisser un ami dans la merde. « Tu fais chier, Kenneth. Vraiment. J'ai quoi comme garanties ? » Elle ne voulait pas se lancer à l'aveugle dans son plan. Pour elle, ce n'était pas la joie non plus. Elle avait des revenus certes, mais pas d'endroit à elle. « Je vais te dire, je suis aussi dans la merde. Certes, j'ai un peu de thunes, mais je n’ai pas d'endroits fixe ou dormir. Parfois, je dors à l'hôpital pour pas trop déranger mon ami Simon et j'ai pas non plus envie de déranger ma meilleure amie qui va bientôt se marier ». Voilà, il savait tout également. Elle se remets face à lui. « Je sais pas comment votre monde fonctionne. Mais s'il a vu la baffe que je t'ai mise, tu dois avoir bien baissé dans son estime. Ça peut être un avantage si on joue bien. Tu le connais non ? Tu sais quel genre d'endroit il aime fréquenter après ses spectacles ? Peut-être que là, je pourrais le retrouver. Mais à une condition, on trouve un plan à deux, cette fois ci. Pas tout, ton truc bancal »