La migraine était prête à la cueillir au moindre son brusque supplémentaire. Tel le chat qu’elle interprétait, Soledad était une adepte du calme quand la patience la quittait, mais elle ne pouvait pas malheureusement s’éclipser aussi facilement. Comme toute bonne série qui se respecte, voilà que la fine équipe avait été invitée à poser son royal postérieur au sein du New York Comic On où fans et autres hystériques s’emparaient du micro pour poser des questions à faire rougir une nonne.

Soledad regrettait déjà le stand des autographes et frissonnait à l’idée de devoir prendre des photos. Elle croisait les doigts pour éviter cette étape. Il aimait son personnage, et bien qu’ils prennent une photo avec une peluche la représentant. Elle coula un regard à Hope aussi discrètement qu’elle le pouvait, histoire de voir si la blonde tenait le coup ou si son esprit s’était déjà échappé de son corps.

Pour l’instant, rien de réellement d’alarmant. Encore des questions, toujours des questions et le ventre de l’hispanique commençait à protester tout comme ses mains tremblantes, témoignant d’un léger manque d’alcool. Elle se mordit l’intérieur de la joue et prit le contrôle de son faciès pour ne rien laisser passer. Allez encore quelques minutes, la liberté était à bout de bras, ce n’était pas le moment de péter les plombs.

Le supplice toucha à sa fin et Soledad poussa un soupir de soulagement avant de se figer. Quelqu’un l’avait entendu ? L’avait vu faire ? Elle n’espérait pas ce n’était pas bon pour l’image. Pour son image. Elle quitta sa chaise non sans grâce, sa cascade de cheveux fouettant l’air au rythme de sa course vers la charmante blonde.  « Je meurs de faim. Tu penses qu’on peut s’éclipser et aller au restaurant ? »  Franchement ? Soledad ne voulait pas rester avec la troupe, non pas qu’elle ne les aimait pas, mais elle privilégiait les moments tranquilles avec Hope.  

Les deux jeunes femmes s’entendaient mieux dans la vraie vie qu’à l’écran, pas de coup de griffes comme bonjour simplement une accolade. Même si Soledad peinait à faire taire les petites voix qui ne cessaient de complimenter chaque fait et geste de Hope. La pression était un peu trop forte sur ses épaules, mais ce n’était pas pour autant qu’elle souhaitait prendre ses distances. En tout cas, elle pouvait encore gérer la situation, mais pour combien de temps ? « Parce que, personnellement, j’ai besoin de prendre l’air et de fuir ces gens. » Elle embrassa la foule du regard de là où elle se trouvait dans une grimace.

Doucement les membres du casting se rejoignaient loin de la scène où ils avaient trôné trop longtemps. Ils discutaient sagement sur la suite de la journée et notamment sur le repas qui n’allais pas tarder à débuter. Ce fut donc avec plaisir que Soledad accueillit la réponse de Hope au point de vouloir lui prendre le bras pour quitter les lieux, mais elle fit attention. Elle n’était point aveugle la latina, elle avait bien vu la mâchoire se tendre, les muscles se glacer quand elle touchait la demoiselle. De quoi la calmer et cultiver le doute. Après tout, elle n’avait jamais caché son orientation sexuelle, sûrement le pourquoi de son rôle dans la série, Hope n’appréciait peut-être pas de la savoir de ce bord-là. « Parfait. »

Elle attrapa sa veste avec nonchalance, la passa par-dessus sa robe, cachant habilement les quelques tremblements de ses mains. Une profonde respiration vint soulager les palpitations de son cœur et la voilà qui tapotait l’épaule de sa co-star pour lui indiquer le chemin de la sortie. Le reste du groupe était déjà parti manger après les avoir vu papoter. Soledad les aimait bien mais avec l’ambiance agaçante de l’évènement, il n’était pas forcément agréable de parler encore et encore des questions posées. Ses doigts passèrent dans sa folle crinière et elle remercia un homme de l’organisation avant de partir. « Pourquoi pas une bonne pizza ? » Un large sourire sur les lèvres se plaqua sur son faciès alors que son regard parcourait les rues.

Son cerveau paniquait déjà à l’idée de ne pouvoir mordre dans quelque chose de plus sain mais Soledad savait qu’elle ne serait pas là à paniquer pour quelques bouchées de malbouffe. Si ça lui permettait d’être seule avec Hope, alors… D’un geste ample, le téléphone fut sorti de la poche pour qu’elle puisse consulter les bonnes adresses du coin. New York avait beau être peuplé de restaurants en tout genre, Soledad avait de très bons souvenirs de sa curiosité. L’ironie était là, après un restaurant choisi au hasard elle s’était retrouvée la tête dans la cuvette des toilettes des heures durant. « Y’a un italien à cinq minutes d’ici ça te va ? » Elle redressa le regard pour croiser celui de Hope et lui adresser un sourire. Putain, elle était belle. Affection. Il fallait qu’elle s’attache à ce mot et rien qu’à celui-ci si elle ne voulait pas faire de connerie. « Tu passes un bon moment ? » lâcha-t-elle, le ton ampli de sarcasme.

Soledad était loin d’être une personne introvertie qui détestait voir une foule devant elle. Bien au contraire, elle était effrayée à l’idée de devoir passer une poignée de jours seule sans pouvoir connaître le doux contact humain d’un ou d’une autre. Et même si d’ordinaire, la seule étreinte d’une inconnue suffisait à calmer cette peur qui lui dévorait les entrailles, aujourd’hui elle ne connaissait plus la satiété. Son esprit exigeait plus, susurrait des envies qu’elle ne pouvait combler et ce parce que la seule personne capable d’étancher sa soif d’amour n’était pas porté de ses doigts tremblants.

Un souffle du nez fut témoin de l’hilarité de l’hispanique face à la réponse de la blonde alors qu’elles traçaient leur route vers celui qui offrirait de quoi remplir leur estomac. De peur d’être tentée par sa nature trop tactile, Soledad fourra ses mains dans les poches arrière de son pantalon et lança son regard au loin. Il faisait plutôt frisquet dehors, mais elle ne laissa rien paraître. Après tous les gens de son origine étaient connus pour avoir le sang chaud non ? Les fameux clichés qu’elle ne comptait plus sur les doigts de sa main, mais qui lui donnait envie de foutre des droites à tout ceux qui se permettaient de les faire.

« J’ai cru voir ça à tes petites grimaces. » commenta-t-elle en traversant ce qui les séparait de leur repas. Elle tourna la tête vers son amie et lui offrit un timide sourire. « Mais tu te débrouilles à merveille vu les questions que l’on nous pose. » Elle n’aurait jamais imaginé devoir à répondre à des choses si gênantes face à une si grande foule. Elle qui s’était attendue à voir principalement des familles et des enfants surexcités, quelle fut sa surprise en tombant nez à nez avec une marée de jeunes adultes. Rejetant quelque peu la tête en arrière, elle s’esclaffa. « La gloire oui, mais pas celle-là. » Galamment, Soledad lui tint la porte du restaurant. « J’ai plus l’habitude des grandes personnes qui me posent des questions plus professionnelles. »

Elle se passa une main dans les cheveux, retint un battement un peu fou à la savoir si proche d’elle. « Mais j’ai connu aussi pléthore de personnes très perturbées qui étaient, par exemple sûres que j’étais leur âme sœur ou que sais-je. » Quelques personnes se tenaient devant elles, il fallait donc attendre pour pouvoir commander et ce n’était pas du goût de son ventre qui gronda de mécontentement.

Qui aurait cru qu’une fille ayant passé des nuits en prison aurait pu se propulser ainsi au-devant de la scène ? Même elle avait pris un temps fou pour réaliser ce qu’il lui arrivait les premières années. Il n’avait été question que de s’asseoir devant une caméra, la guitare en mains et l’inspiration en tête, et voilà qu’elle était sur le point de pondre un album et devenir doubleuse. Mais encore une fois, pas de quoi satisfaire la fierté des parents. Elle ne le pourrait plus de toute façon. Selon eux, une malédiction lui avait ôté la raison et lui avait donné l’envie d’aimer les femmes. Quelque chose de contrenature qui ne pouvait exister sous leur toit.

Heureusement pour elle, le succès lui avait permis d’être indépendante et de ne pas se retrouver à la rue, un sac à dos comme seule compagnie. « La journée se serait passée comme je le voulais si j’avais pu rester dans mon canapé à m’endormir devant des séries. » Mine de rien, elle était fatiguée ces derniers temps et elle n’arrivait pas à mettre le doigt sur le pourquoi du comment. Sûrement un manque de fer ou trop de soirées passées à l’extérieur. Elle lui adressa un clin d’œil et avança d’un pas alors que les personnes devant se faisaient servir par le restaurateur qui semblait on ne peut plus enjoué. « Profites-en alors, de ton anonymat, souvent ça ne dure pas longtemps. » Pas qu’elle souhaite être pessimiste, mais il fallait être naïf pour croire qu’entrer dans le monde du septième art n’entraînait pas l’ébranlement de la tranquillité.

Elle croisa les bras et se tourna légèrement vers elle pour faciliter la conversation. Soledad n’aurait pas pensé qu’accepter ce rôle entraînerait de si lourdes conséquences. L’emploi du temps était tout de même chargé, l’empêchant de se consacrer pleinement à sa chaîne et à ses réseaux sociaux, sans parler de son sport. Mais ce n’était pas ça le plus bouleversant. Elle n’aurait jamais imaginé tomber sous le charme de son acolyte, quoi de plus ironique que d’avoir un béguin pour celle qui interprétait ledit béguin de son personnage à l’écran ? « Catra ? La plus populaire ? » Soledad secoua vivement la tête et posa son coude sur l’épaule de son amie. « Adora l’est, tout comme Glimmer, tu savais que certaines personnes shippent ces deux-là ensemble ? Le Glimmadora d’après mes sources. » Elle ricana un peu dans sa manche et salua le restaurateur non sans avoir soufflé à l’oreille de la blonde. « Si tu veux mon avis Catra a plus de chance de finir avec She-ra. »

Mine de rien, Soledad avait fini par aimer la série animée et s’était empressée de se renseigner plus à ce sujet. Certes, elle doublait, mais cela ne voulait pas dire qu’elle voyait automatiquement le résultat final. Qu’est-ce qu’elle avait eu mal pour son personnage parfois. D’ailleurs difficile de dire qu’elle portait la fille pailletée dans son cœur.

C’était Victor le grand amoureux des dessins animés, pas elle et pourtant, la voilà qui en doublait un et qui affectionnait les héroïnes. La première fois qu’on l’avait contacté, elle avait cru à une blague. Chose qui s’était rapidement dissipé dès le scénario en mains, elle l’avait dévoré en une poignée de minutes. Mais elle n’aurait cru apprécier autant son personnage et tout ce qu’elle représentait. Certes, il avait été difficile de deviner quelconque romance en parcourant les lignes mais donner vie à la féline avait fini par lui faire ouvrir les yeux.

Une série qui allait en chambouler plus d’un avec la révolution identitaire et sexuelle qui primait dans leur siècle. Soledad était fière de participer à cette ouverture générale d’esprit, à la sensibilisation des populations même si parfois elle craignait les menaces et les agressions physiques. She-Ra ne passerait jamais inaperçu à ainsi prôner la bisexualité et l’homosexualité. Elle se tapota le menton en contemplant le menu affiché au-dessus de leur tête tout en réfléchissant également à la question de la blonde. « Disons que leur alchimie et leur relation tombent énormément dans l’ambiguïté. » Elle haussa les épaules. « Ça ne m’étonnerait pas de les voir finir ensemble, il faut simplement le temps à Adora de connecter ses neurones. » Il fallait dire que l’héroïne était on ne peut plus naïve en ce début de saison.

Soledad se permit de commander une pizza quatre fromages et de payer pour les deux. Après tout, c’était elle qui avait proposé l’idée de repas en extérieur alors elle se sentait d’humeur généreuse, rien de plus innocent pour une fois. Il ne leur restait plus qu’à attendre leur commande et donc de se mettre sur le côté le temps d’une poignée de minutes à peine. « Tu n’as pas regardé ? » Elle lui offrit un regard surpris et se passa une main dans les cheveux. Rien que la curiosité poussait l’hispanique à regarder le show, mais aussi pour vérifier qu’elle doublait suffisamment bien pour ne pas se ridiculiser. « On peut la regarder ensemble si tu veux. Tu verras, ça vaut le détour ! »

Ce n’était plus dans ses habitudes d’inviter des gens chez elle, souvent c’était elle qui chassait la fainéantise pour se rendre chez ses amis pour diverses soirées. Depuis le départ de son fiancé, elle se sentait presque obligée de protéger son jardin secret. Son appartement regorgeait de souvenirs et d’informations si personnelles qu’elle craignait elle-même de tomber dessus.

Soledad imaginait déjà les fougueux débats qui naîtraient du visionnage de la série. Après tout, chacune allait forcément défendre son personnage et son point de vue par ce biais-ci. Et comme une Catra en furie, l’hispanique n’avait pas peur de montrer les crocs quand une idée ne lui plaisait pas. Oh, elle ne risquait pas de s’en prendre méchamment à la jolie blonde, mais disons que si elle venait à court d’arguments elle serait capable de la chatouiller comme une enfant pour la faire taire. Aux grands maux, les grands remèdes comme on dit. Elle risquerait sûrement de se prendre un coup de coude dans le menton mais c’était les risques qu’elle était prête à prendre. D’un coin de l’œil, elle admirait le chef concocter leur petit repas qui lui ferait un grand bien, même si elle aurait bien tué pour une bouteille de bière avec. Elle se mordit l’intérieur de la joue pour ne pas contrattaquer le commentaire de son amie et se contenta de lui offrir un sourire sarcastique. C’était bien Adora qui avait abandonné Catra, pas l’inverse.

Soledad vint pencher la tête à la proposition de Hope et senti son cœur gronder de mécontentement à cette dernière. Oui, elle avait pensé n’être qu’à deux pour savourer leur soirée, mais il était hors de question qu’elle la brusque et qu’elle essuie un refus. C’était mieux que rien que de l’avoir auprès d’elle le temps d’un soir même si elle se devait de la partager avec d’autres. Il n’était pas encore temps de jouer aux petites filles pourries gâtées qui ne savaient se contenter de rien. « Comme tu le sens Adora, tant que je peux t’envoyer des piques sur les actions de ton personnage ça me va. » se moqua-t-elle doucement. « Je suis sûre que certains se rangeront de mon côté. » Et ça serait encore plus un comble si le doubleur de Glimmer ou bien même de Bow le faisait.

On leur tendit leur pizza et Soledad attrapa la blonde par le bras pour la guider à l’extérieur du restaurant. Elle comptait bien se trouver un petit coin sympa pour déguster le bon gras du repas. « Ecoute ma belle, si tu arrives à survivre à cette journée, tu auras le total contrôle de notre soirée visionnage. Par contre si tu craques avant moi… Tu te doutes bien de la suite. » Elle lui offrit un clin d’œil des plus mesquins. Soledad adorait jouer et surtout gagner. Il fallait toujours qu’elle se trouve des récompenses pour surmonter des obstacles, des petits défis qui rendaient les choses plus pimentées, plus… Aventureuses. Puis elle se disait que ça pouvait également aider Hope à voir du positif dans cette journée ou faire complètement l’inverse en lui mettant une pression monstre qui allait causer un malaise en pleine interview. Oups. « Viens, y’a un banc sympa là-bas. » Son ventre hurlait famine après tout.

Alors qu’elles prenaient la route de leur petit banc tranquille, la conversation allait de bon train, de quoi faire cogiter l’esprit de la belle hispanique. Ce n’était guère une enfant, mais un personnage tel qu’Adora ne pouvait que lui faire esquisser un sourire moqueur face à tant de maladresse. Certes, elle illustrait la pureté même, mais on ne pouvait empêcher face à certaines remarques ou actions de l’héroïne. Et aussi sur le pourquoi elle continuait d’arborer l’uniforme de la Horde alors qu’elle avait changé de camp. Tant de petites remarques qu’elle se ferait un plaisir de glisser à l’oreille de sa doubleuse dans un rire sarcastique, sur ce sujet, Soledad était sans pitié. Oh, elle avait bien une idée sur comment l’empêcher de faire remarquer quoique ce soit, une certaine paire de lèvres, mais elle garda la solution profondément enfouie. Ce n’était clairement pas le moment d’avouer son béguin à la parfaite hétérosexuelle qu’était Hope.

Elles finirent par arriver à destination et ce fut la blonde qui posa son royal postérieur en première. Soledad s’empressa de la rejoindre, mais à bonne distance, elle n’avait pas manqué de remarquer une certaine gêne quand elle se faisait trop proche d’elle. Son cœur se pinça à cette pensée, mais elle garda un visage de marbre. « Pourquoi pas le cast ? On leur demande laquelle de nous deux a le mieux géré les questions ? » Bon ça risquait sérieusement d’attiser leur curiosité, mais elle trouverait sûrement un moyen de fuir ladite curiosité par de nombreuses cabrioles. Le soupir de sa comparse la sortit de ses pensées et elle coula un doux regard dans sa direction. Le sourire la frappa en pleine poitrine et il lui fallut une poignée de secondes pour guérir son trouble. « De rien, je savais que ça te ferait du bien de t’éloigner un peu de tout ça. » Quant à Soledad, un petit remontant alcoolisé n’aurait pas été de trop pour surmonter le reste de la journée, mais elle était bel et bien consciente que de s’abandonner à l’alcool n’était pas conseillé en une telle journée.

« Oh, t’en fais pas, je compte bien manger une pizza devant She-Ra » rétorqua-t-elle en mordant avec gourmandise dans la première part. Et c’était délicieux même si une petite voix hurlait à l’idée de grossir face à pareil repas. Mais vu le sport que faisait l’hispanique, elle n’allait clairement pas prendre un gramme. Oui, il y avait meilleure solution pour guérir ce genre de comportement, mais en ce moment, elle faisait avec les moyens du bord. En tout cas, elle ne laisserait rien gâcher ce petit moment de paradis. Oh que non.

L’air frais fouettait doucement son visage et elle se laissait bercer par l’atmosphère paisible que dégageait le lieu. Il n’était pas question d’affronter les cris et questions gênantes. Non seulement de savourer un moment privilégié avec celle qui faisait étrangement battre son cœur. Depuis Victor, Soledad s’était pourtant interdit de retomber dans ce genre de situation, ce n’était pas un conte de fées, on venait toujours dévorer ce qu’elle construisait. Mais une petite voix ne cessait de lui dire que Hope était bien loin de l’égoïste qui lui avait servi de fiancé pendant de trois années. Elle mordit presque avec rage dans sa pizza à cette pensée, mais s’empressa de boire les paroles de son amie.

« Bien sûr que je vais l’emporter, je suis influenceuse ne l’oublie pas ! Les commentaires méchants et gênants ça me connait. » Elle les connaissait si bien après avoir fini par péter les plombs à prendre toutes les remarques à cœur. Il lui avait fallu des semaines, voir des mois pour se remettre de la situation et apprendre à prendre des distances avec son métier. Ces gens-là ne la connaissaient pas, ne pouvaient interpréter correctement le fond de ses pensées et certains d’entre eux ne vivaient que pour se délecter du malheur des autres. Cette fois-là, Victor avait été d’une grande aide avant de lui planter un couteau dans le dos.

La voilà qui se fige et qui braque un regard paniqué en direction de sa comparse, la part de pizza fut rapidement oubliée face à une telle annonce. « Les photos ?! » Ca lui était complètement sorti de l’esprit et son soi intérieur poussa un véritable cri de détresse alors qu’elle s’imaginait déjà obligé de prendre des pauses ridicules ou faire des câlins à de parfaits inconnus transpirant. Pas qu’elle n’aimait pas prendre des photos, au contraire, mais aux vues des questions posées plus tôt dans la journée, elle craignait pour sa vie. « Oh merde, j’ai peut-être parlé trop vite. » elle esquissa une drôle de moue avant d’engloutir le reste de son repas. Une étincelle de défi naquit dans son regard soudainement. « Tu le penses sérieusement ? » Certes, ce n’était pas professionnel, mais si elle pouvait faire une pareille bêtise avec Hope, elle était prête à se faire engueuler par son manager. « Parce que j’accepte dans ce cas. »

Foutues responsabilités qu’elle avait décidé d’accepter, c’était donc ça que d’être adulte. Certes, elle ne s’en plaignait pas tous les jours, mais n’était-il pas vrai qu’elles se manifestaient toujours quand le désir de liberté se faisait sentir ? En tout cas, c’était bel et bien comme ça que Soledad l’interprétait. Malheureusement, elle savait qu’elle ne bafouerait pas les termes de son contrat et qu’elle trainerait des pieds jusqu’à l’objectif de l’appareil photo pour faire sourire des personnes qu’elle ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam. Elle tenta sûrement de se rassure en se disant qu’Hope serait à ses côtés, toute grimaçante. La récompense de son obéissance serait de profiter d’une soirée en sa compagnie alors pourquoi râler maintenant ? Ses doigts vinrent gratter pensivement sa joue alors que son regard se perdait sur un horizon que personne ne connaissait. Cela ne dura le temps que d’une poignée de secondes, mais les pensées étaient déjà nombreuses dans son crâne. Il fallait dire que ça n’allait pas fort pour la latina en ce moment et la blonde avait le don d’être son éclaircie dernièrement.

« A croire que tu es la voix de la raison, Hope. » Un sourire presque triste naquit sur ses lèvres mais elle remplaça rapidement par une mine joueuse. Elle se redressa sur le banc et lui glissa un regard malicieux. « Tu as raison, on ne peut priver les gens d’un pareil duo. J’espère que tu as hâte de mettre leur cadeau. » Elle ne doutait pas une seule seconde qu’il y aurait des vêtements à l’effigie des deux héroïnes. Sa tête aurait la chance d’arborer de jolies oreilles de chat et elle espérait que ça s’arrêterait là. Son esprit imagina quelques situations gênantes mais suffoque subitement à la dernière question d’Adora. Que venait-elle de dire ? Soledad se passa une main dans les cheveux, gagnant un peu de temps pour sa réponse. Comment pouvait-elle répondre passivement à la question alors que son cœur devenait déjà fou dans sa poitrine ?

Elle était ridicule à réagir comme une adolescente en pleine poussée d’hormones. Elle qui s’amusait à s’identifier comme une coureuse de jupons ces derniers temps. Il était toujours plus agréable d’avoir une bouillote dans son lit pour dormir, elle n’allait pas nier ça. « Avec toi. » Les mots s’échappèrent sans qu’elle ne puisse les rattraper et elle se frappa intérieurement. Il aurait fallu ajouter quelque chose plutôt que de répondre de la sorte en la regardant, elle se sentait décidément bien stupide. « Sinon quel est l’intérêt ? » tenta-t-elle maladroitement pour cacher son trouble.

L’instant de trêve dans le défilement du temps touchait à sa fin et Soledad ne pouvait rien faire pour empêcher cette fatalité. Elle ne partait pas défaitiste pour autant et savait qu’elle pourrait créer de nouveaux petits coins de paradis pour elle et son amie, elle aurait seulement souhaité que la réalité ne les rattrape pas aussi vite. Alors sans plus attendre, la latina vint arborer son masque sans émotion, d’un marbre des plus fragiles, mais elle ne pouvait continuer la journée sans freiner ses pulsions de liberté. « Exactement, une victoire trop facile n’est pas savourée très chère ! » Et par réflexe, voilà qu’elle claque un baiser sonore sur la joue de la blonde avant de se lever dans un soupir, ne se rendant pas compte de cet acte anodin qui devait créer une vraie tempête dans le cœur d’Adora.  

D’un geste, elle jeta la boîte qui avait contenu leur repas avant de se tourner vers la blonde dans un sourire amical. Il n’était désormais question que de s’insuffler du courage pour finir la journée et surtout chasser les sombres pensées d’un ennui certain. On lui avait déjà parlé de ce genre de conventions, de l’amour des fans et des obligations des doubleurs, mais étrangement, Soledad avait cru pouvoir y échapper. Quelle bêtise, surtout lorsque l’on incarnait un personnage principal dans un dessin animé. « Pas vraiment, mais on a pas le choix. » ricana-t-elle, amèrement. Elle savait déjà comment elle fêterait sa liberté à la fin de la journée, avec une bonne bouteille quoique plusieurs mêmes. Certes, Catra la jugerait sûrement de son royal regard félin, mais bon qu’est-ce qu’elle s’en foutait. Ca devenait une petite habitude que de se réfugier dans l’abrutissement de l’alcool depuis que ce crétin avait décidé de mettre les voiles.

« Les autres doivent sûrement nous attendre, on devrait se dépêcher. » Si elle s’écoutait réellement, elle ferait un pas à la minute, mais ça serait retarder l’heure de sa délivrance et c’était hors de question. Alors elle attrapa le bras de sa comparse pour prendre la direction de l’énorme bâtiment, un poids dans le ventre. Ce n’était qu’une poignée d’heures à supporter et après, on n’en parlerait plus.